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La façade de l'art

Une fiction écrite par LordAngelos.

Chapitre 3 : Recherche du parasite

Jamais Twilight n’avait vu Fluttershy dans un état pareil, surtout depuis que Pinkie avait été transférée à l’hôpital afin de mieux comprendre ce qui lui était arrivée et pouvoir la traiter plus efficacement. La pégase était en permanence à son chevet, les larmes aux yeux, et restait devant la porte de sa chambre quand l’infirmière lui demandait de sortir pour qu’elle puisse lui apporter ses soins. Si aujourd’hui elle était seulement anxieuse, elle avait été inconsolable deux jours plus tôt, culpabilisant de ne rien avoir pu faire pour l’aider, allant même jusqu’à se rendre responsable de l’état de son amie. On avait beau lui dire qu’elle avait juste reçu un très gros coup sur la tête sans grande gravité et qu’elle se réveillerait bientôt et sans séquelles, il était impossible de la convaincre.

Il est vrai que voir Pinkie allongée sur un lit, sans bouger ni parler, et ça pendant plus de cinq minutes était assez déstabilisant pour tous, mais l’infirmière Redheart avait rassuré tout le monde sur son état, et avait certifié qu’elle serait debout dans trois ou quatre jours.

Nous étions le quatrième jour.

Toutes les amies de Twilight étaient présentes dans la salle commune de l’hôpital, sauf Fluttershy, toujours au chevet de la convalescente, à attendre des nouvelles de leur amie, positives de préférence. Toutes gardaient un silence religieux, perturbé uniquement par les appels des médecins dans les haut-parleurs et les frottements des pages du magazine de mode que bouquinait Rarity. C’était la licorne blanche qui paraissait la plus détendue, mais Twilight savait qu’il n’en était rien : elle s'angoissait autant que les autres pour son amie, mais fidèle à elle-même, elle ne montrait jamais son inquiétude. Après un temps qui semblait infini, Applejack finit par rompre le silence.

« Dites les filles, ça n’vous inquiète pas qu’elle ne soit toujours pas réveillée ? Redheart avait dit qu’ça ne prendrait pas plus d’quatre jours. »

Il y eut un blanc avant que Twilight prenne la parole.

« La médecine n’est pas une science exacte Applejack, finit par répondre la licorne, j’ai moi-même fait quelques recherches, et si j’en crois mes bouquins il y a même des risques qu’elle ait une petite perte de mémoire à son réveil. »

Rainbow Dash sursauta, surprise par la remarque de la licorne violette.

« Perdre la mémoire ? Tu veux dire, genre ne même plus se rappeler de qui elle est ?

Elle n’a pas reçu un coup assez violent pour en devenir amnésique ! lui répondit-elle sur un ton qui se voulait rassurant.

Pas assez violent ?! Rainbow plana en direction des chambres, pointant du sabot le couloir sans précision particulière. Hey Twilight, ça fait depuis jeudi qu’elle est ici à pas bouger, et Celestia seule sait comment Pinkie ne tient pas en place en temps normal !

Tu crois que je ne le sais pas ? J’ai juste émis une possibilité, j’espère bien qu’elle n’aura rien évidemment ! »

Twilight avait haussé la voix, choquée que la pégase la prenne en grippe alors qu’elle était tout aussi inquiète que son amie.

« Alors pourquoi tu nous annonces le pire hein ?! »

Rainbow s’était brusquement rapprochée de Twilight l’œil mauvais, mais fut ramenée sur le plancher des vaches par Applejack qui avait tiré sur sa queue multicolore avec ses dents.

« Calmos sucre d’orge, tu trouves pas qu’t’en fais un peu trop ?

Applejack a raison ! intervint Rarity qui avait reposé son magazine. Nous disputer n’aidera pas Pinkie à se réveiller plus vite. Nous ferions plutôt mieux de trouver qui a bien pu lui faire cette horrible bosse au front.

Je veux bien, mais par où on commence ? rétorqua la pégase qui s’était calmée. On ne sait absolument rien de l’agresseur. »

La fermière porta son sabot au menton, pensive.

« Mmmm… et si on cherchait du coté du voleur ?

Du voleur ? Mais de quoi tu parles ? s’interrogea Twilight.

T’es pas au courant ? Ça fait plusieurs jours qu’des poneys ont commencé à s’plaindre au Maire d’avoir des choses qui disparaissent, moi-même, indiqua-t-elle en se montrant du sabot, j’ai pu voir des pommiers qui s’étaient vidés d’leurs fruits sans qu’moi ou Big Macintoch n’y ayons touché. En plus d’ça, certains disent avoir vu quek’chose qui rôdait la nuit. Mais le Maire n’a rien voulu faire, vu qu’ça n’avait rien de méchant.

Et tu penses que c’est ce possible voleur qui a blessé Pinkie ?

Ye-up, pourquoi pas ? On n’a pas d’autre piste d’toute façon, y’a que Pinkie qui pourrait nous en dire plus.

Peut-être que vous pourriez directement lui demander ? »

Les quatre amies pointèrent leurs regards vers l’auteur de la phrase, un poney médecin au pelage brun et qui portait une blouse aussi blanche que les murs de la pièce. Il toussa, un peu gêné d’avoir interrompu leur discussion, avant de reprendre la parole d’un ton plus professionnel.

« Votre amie s’est réveillée il y a dix minutes, et… comment dire ?

Qu'y a-t-il docteur ? » demanda Twilight, un peu inquiète.

Le docteur paraissait chercher ses mots, comme s’il n’était pas sûr de comment annoncer son verdict.

« En fait, je n’ai encore jamais vu un cas pareil.

Elle est amnésique c’est ça ? Rainbow recommença à s’emporter, levant les yeux au ciel d’une façon plutôt théâtrale, ce qui aurait mieux collé si cela avait été effectué par la couturière. Oh c’est pas vrai, Twilight avait raison, elle se souvient même plus de qui on est ! Si je tenais celui qui lui a fait ça, je le… ! finit-elle en claquant ses sabots de frustration.

Rainbow voyons, calme-toi ! l’interrompit Rarity, laisse le docteur finir ce qu’il a à dire. Tu es vraiment impossible à tout dramatiser !

Et c’est Miss DramaQueen qui me fait la leçon. »

La pégase avait marmonné entre ses dents, mais la licorne blanche n’était pas sourde, et lui lança un regard noir avant de s’adresser au docteur.

« Continuez, je vous prie.

Merci… Pour faire simple, elle n’a rien, absolument rien. Si je n’avais pas tous ces suivis, dit-il en montrant la tablette dans ses sabots, je croirais qu’elle n’a jamais séjourné ici !

Bonne nouvelle alors ! s’exclama Rarity qui ne put s’empêcher de lâcher un soupir de soulagement. Vous voyez bien qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter. »

Applejack eut un sourire en coin.

« Fais pas ta fière, on sait tous que t’étais aussi soucieuse que nous. »

Rarity rougissait de gêne, ce qui ne manqua pas de faire rire tout le monde.

Ainsi furent-elles guidées vers la chambre de Pinkie. Les couloirs de l’hôpital étaient aussi calmes que l’était la salle dans laquelle elles avaient attendu, si bien qu’il ne fut pas compliqué d’entendre une musique de fête dont il était impossible de douter de l’origine.

C’est d’ailleurs à l’audition de cette musique que le docteur pressa le pas, une lueur furieuse dans le regard. Il n’était d’ailleurs pas le seul, car d’autres infirmières s’étaient amassées devant la porte d’une chambre, certaines abasourdies et d’autres choquées.

Et pour cause, il aurait été difficile de qualifier la pièce de chambre de malade, car elle tenait plus d’une salle de fête ; ballons, serpentins et banderole avec affiché « Bon réveil Pinkie Pie » fourmillaient dans la pièce.

Le docteur avait pris place dans la chambre, face au lit de la ponette rose et avec un air renfrogné. Pinkie quant à elle avait la couverture de son lit envahie par toutes sortes de pâtisseries qu’elle engloutissait avec un appétit démesuré, mais fit une pause quand elle remarqua le docteur.

« Oh bonjour docteur, vous voulez participer à ma fête ? Quand je me suis réveillée c’était tout triste ici, alors j’ai pensé qu’un peu de ballons et de confettis rendrait tout ça plus joyeux ! le renseigna-t-elle en désignant toutes les décorations avec entrain jusqu'à ce que son regard s’illumine quand elle vit les silhouettes de quatre poneys qu’elle connaissait très bien derrière celles du docteur et des infirmières. Ooooh vous êtes là les amies ? Super, une fête est toujours plus réussie avec ses amies, on va bien s’amuser. Hihihihi ! » s’esclaffa-t-elle en tapant frénétiquement des sabots.

Le docteur alla éteindre le juke-box avant de s’adresser à la ponette d’un ton sévère, cette dernière passant du sourire béat à la moue intimidée.

« Pinkamena Diane Pie ! Nous ne sommes pas dans un centre aéré pour poulains ici, mais dans un hôpital, et nous ne tolérons pas un tel vacarme. Vous me ferez le plaisir de me débarrasser tout ça. D’ailleurs, où avez-vous trouvé tous ces gâteaux ? » s’étonna-t-il en désignant la pile de plats qui s’entassaient à coté du lit.

Un cri affolé mais faible se fit entendre. C’était Fluttershy, passée inaperçue près de la fenêtre ; elle avait les deux sabots pris par des plateaux de muffins et de cupcakes.

« C’est moi docteur, avoua-t-elle. Quand Pinkie s’est réveillée, elle a dit qu’elle avait faim, et, comme je ne pouvais pas tout ramener toute seule, j’ai demandé à Mr et Mme Cake de m’aider. »

Les intéressés firent un geste du sabot par la fenêtre pour indiquer leur présence, visiblement essoufflés par de multiples voyages. Le docteur quant à lui fixa la pégase d’un air de reproche, cette dernière se tassant contre le mur à sa vue.

« Je ne pouvais pas dire non, ça fait quatre jours qu’elle n’a rien mangé, bégaya-t-elle, la voix virant dans les aigus.

Quatre jours tu dis ? Oh noooooon ! »

Le visage de Pinkie Pie se figea dans une expression d’horreur, et complètement paniquée, elle s’envola littéralement par la fenêtre sans demander son reste, laissant retomber mollement sur le lit les bandages qu’elle avait sur la tête quelques secondes plus tôt. Ses amies se regardèrent, à moitié étonnées : après tout c’était Pinkie Pie.

« Au fait, on n’était pas censées lui poser des questions au sujet de celui qui l’a cloué au lit ? »

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Trouver Pinkie n’avait pas été bien difficile, mais il l’était plus de la tenir en place suffisamment longtemps pour l’interroger, même brièvement. La raison de son agitation était toutes les fêtes et anniversaires qu’elle se devait de rattraper dû à son « absence » de quatre jours. On pouvait apercevoir à travers tout Ponyville une traînée rose filer dans tous les sens, en hurlant des « vite, vite » de façon affolée. Twilight avait quand même réussi à la figer entre deux sauts en magasins, principalement grâce à un sort de lévitation, ce qui n’empêchait pas la ponette rose d’agiter frénétiquement les pattes comme si de rien n’était.

« Pinkie, tu pourrais nous accorder deux minutes pour qu’on puisse discuter de ton agresseur ? »

Pinkie se mit à s’agiter encore plus vite, si bien qu’il n’y avait plus qu’un flou rose en-dessous de son ventre. Twilight redoutait le résultat si elle la reposait au sol…

« Ohlalala, mais oui, il y a une fête de bienvenue pour lui à préparer aussi, je suis tellement en retard que je l’avais oubliée ! stressa la ponette rose.

Faudrait déjà qu’on le retrouve ! fit Rainbow en se passant le sabot sur la figure. Tu ne pourrais pas nous le décrire ou dire où il est qu’on sache où chercher ? »

L’ex-convalescente cessa de courir dans le vide à ces paroles pour prendre un air aussi sérieux qu’elle en était capable, ce qui incita Twilight à relâcher son emprise magique.

« Mmmh… nan, je ne me souviens plus trop à quoi il ressemble, juste qu’il était grand et qu’il s’enfuyait dans la forêt Everfree… avoua-t-elle. D’un coup, Pinkie sourit bêtement, l’esprit envahi par une pensée qui avait sûrement germé dans son cerveau agité. Oooooh peut-être qu’il aime la nature, je vais lui faire une fête sur le thème des plantes ! Mais pour ça il me faut des bacs à fleurs, des lierres pour faire des serpentins… elle se mettait à sautiller en énumérant ses besoins. Oh et aussi du colorant vert pour les gâteaux ! Excusez-moi les filles, j’ai trop de choses à faire ! Salut ! »

Et sans attendre de réponse, elle disparut derrière un nuage de fumée qui adoptait étrangement la même forme que la fêtarde.

Il y eut un blanc durant lequel tout le monde analysait l’information. Ce fut Rainbow qui coupa la réflexion.

« La forêt Everfree ? Il doit pas être très net s’il vit là-dedans.

Tu veux que l’on reparle de Zecora ?  lui lança Twilight en insistant un regard moqueur.

Ouais, enfin Zecora c’est Zecora, bredouilla-t-elle pour se défendre, honnêtement elle n’est pas très nette non plus.

En parlant de Zecora, souligna Applejack, p’t’être qu’elle sait quelque chose à propos d’ce type ? »

Toutes acquiescèrent du chef pour aller à la rencontre du zèbre, toute autre piste étant de toute façon trop abstraite pour en conclure quoi que ce soit. De plus, Twilight savait que faire une fouille à l’aveugle dans cette forêt était dangereux, elle en avait fait les frais à plusieurs reprises, surtout la fois où elle s’était retrouvée pétrifiée par un coquatrix.

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Même si ce n’était pas la première fois que la licorne se rendait chez Zecora, elle n’était jamais vraiment tranquille, tout comme ses amies d’ailleurs. Le chemin avait beau être dégagé, être emprunté régulièrement par le zèbre, et de surcroît sa maison pas trop profondément enfoncée dans les bois, il se dégageait toujours une atmosphère oppressante, de par la végétation qui arborait des couleurs froides et ternes, le ciel imperceptible au travers du feuillage et le silence peu naturel.

Savoir que la forêt abritait des animaux pour la plupart mortels n’aidait pas à se détendre, l’imagination transformant chaque craquement en prédateur se terrant dans l’ombre, à l’affût d’une proie qui passerait à proximité. Si Twilight n’était pas à son aise, Fluttershy était quant à elle très stressée, logée au milieu du groupe, la tête basse et suant à grosses gouttes, son regard apeuré à l'affût du moindre mouvement suspect.

Twilight soupira intérieurement de soulagement quand elle vit l’énorme arbre qui servait de logis à Zecora. Ça la fit d’ailleurs sourire, car la maison n’avait rien à envier à son environnement : des masques grimaçants qui ornaient l’écorce, des fioles et autre grigris qui pendaient des branches noueuses, des racines apparentes qui s’étendaient comme pour étrangler leurs congénères.

Difficile de croire à la vue de ce spectacle que la locataire était une personne respectable et accueillante. Cependant, un détail attira l’œil de Twilight : c’était cette fumée verdâtre qui s’enfuyait des fenêtres, et plus le groupe s’approchait, plus l’odeur qui l’accompagnait était forte et nauséeuse. Elles ne savaient pas ce que le zèbre préparait, mais ce n’était sûrement pas pour des vertus bénéfiques.

« Hors de question que je fasse un pas de plus, protesta Rarity, cette horrible fumée va ternir mon pelage, et l’odeur risque en plus de s’y incruster ! »

Elle était presque verte de dégoût, et se tenait le museau pour camoufler autant qu’elle le pouvait l’odeur acide qui chatouillait ses fragiles naseaux.

« Comm’tu veux sucre d’orge, rétorqua la fermière, moi j’ai l’habitude avec les cochons, c’est juste un peu plus fort quoi.

Nous n’avons pas tous la chance de vivre dans le purin, argumenta la licorne blanche en insistant longuement sur le mot chance.

C’est grâce à ceux qui vivent dans l’purin comm’tu dis qu’tu peux savourer tes bons p’tits plats sophistiqués. »

Les deux ponettes se lancèrent dans un duel de regards noirs jusqu’à ce que Twilight les écarte en les poussant du museau, avant qu’elle ne protège de nouveau le sien.

« Votre débat a l’air passionnant mais on n’est pas là pour ça, alors celles qui se sentent capables… »

Rainbow gloussa au jeu de mot involontaire de la licorne qui roula des yeux de lassitude avant de reprendre.

« Ceux qui pensent pouvoir entrer pour voir Zecora me suivent, corrigea la licorne mauve, les autres restent à l’écart. »

Ce fut uniquement Rarity qui décida de rester en arrière, tout du moins pas plus de quelques minutes ; rester seule dans un endroit tout terreux, à la merci de la moindre bête sauvage qui pourrait croquer sa chair délicate avait ravisé son jugement, et elle dut prendre sur elle pour ne pas tourner de l’œil en rejoignant ses amies.

L’intérieur n’aurait pu jurer d’aucune manière avec l’extérieur ; la même présence de masques et de fioles, ces dernières étant soigneusement rangées avec d’autres récipients sur des étagères de bambou. Au milieu de l’unique pièce que composait l’habitat se tenait le responsable de la fumée acre, un énorme chaudron posé sur un feu qui avait rougi son fond, le contenu bouillonnant fortement, les éclaboussures créées par l’éclatement de multiples bulles manquant d’en envoyer hors des rebords.

Zecora était devant le chaudron, dos aux arrivantes, en train de remuer lentement la mixture avec un long manche en bois. Elle n’avait visiblement pas remarqué leur présence, si bien que Twilight dut affronter l’infect parfum qui flottait dans l’air pour se signaler. Zecora arrêta alors son touillage afin de faire face à ses invitées. Ces dernières lâchèrent en chœur un cri d’horreur ; en effet, le zèbre avait les pupilles rétractées et le blanc des yeux injectés de sang, ce qui lui donnait un air effrayant de folle meurtrière.

« Pardonnez-moi mon apparence, s’excusa Zecora en se frottant doucement les yeux, cette préparation est plus irritante qu’on ne le pense.

Vous avez en effet une mine affreuse ma chère, affirma Rarity qui reprenait son souffle après s’être époumonée.

Et qu’est-ce qu’il y a dans votre potion pour que ça pue comme ça ? demanda Rainbow Dash en pointant d’un sabot le chaudron, le museau encore bouché par l’autre.

Des pousses de frênes et autres répulsifs, afin d’éloigner un inopportun agressif. »

Fluttershy, déjà tremblante, frémit de plus belle à la nouvelle.

« Je… je pensais qu’aucun monstre ne venait vous… vous attaquer ?

Il ne s’agit pas d’un prédateur habituel, mais d’une Lamia d’autant plus cruelle, lui répondit simplement Zecora.

Une Lamia dis-tu ? Mais ce n’est qu’un mythe ! » rétorqua Twilight, légèrement amusée par l’affirmation du zèbre.

Zecora ne répondit pas à l’instant. Elle alla saisir un sachet de toile sur une de ses étagères murales, puis versa une partie de son contenu dans le chaudron. Une sorte de poudre étincelante vint se déposer délicatement sur la surface du liquide qui passa d’un vert maladif à un rouge sang, puis la fumée odorante cessa d’émaner du chaudron.

Comme la pièce était très aérée grâce aux fenêtres ouvertes, ainsi que la porte par laquelle étaient entrées les ponettes, il ne fallut pas longtemps pour que l’atmosphère ambiante redevienne respirable. Zecora se munit alors d’une calebasse vide et la remplit avec sa mixture visiblement prête. Elle semblait totalement ignorer les cinq amies jusqu’à ce qu’elle s’arrête sur le palier de sa porte, afin de reprendre calmement la parole, une tonalité mystique dans la voix.

« Si le conte de la Lamia est destiné à effrayer les jeunes poulains, à propager la vérité le mythe n’est pas moins enclin. Punir les vermines de tout âge, cette créature est bien loin de ces enfantillages, car dévorer les prétendants masculins après les avoir séduits, voilà la réelle façon dont cette créature nuit. »

Tout le monde resta interdit devant le récit de Zecora, sauf Twilight, qui doutait encore des ses dires ; elle avait longtemps étudié des livres sur les créatures dangereuses qui peuplaient Equestria, mais jamais elle n’avait vu la Lamia parmi les bêtes recensées, seulement dans les contes et les mythes.

« Soit, occupe-toi de repousser cette séductrice d’étalons, railla la licorne, mais si tu pouvais nous accorder quelques minutes, nous avons quelques renseignements à te demander.

Si je peux informer, je le ferai volontiers. »

Le zèbre écouta les explications des ponettes, impassible hormis pour lever un sourcil d’étonnement à certains détails. Quand elles eurent fini leur récit, Zecora afficha un sourire avant de lâcher un petit rire vibrant, pas moqueur mais qui interloqua les cinq amies.

« Il se peut que j’aie déjà croisé votre fugitif, mais attention c’est quelqu’un de malin et vif !

Pas assez pour moi, en tout cas pas après que je lui aurai réglé son compte ! s’enorgueillit la pégase cyan en battant l’air de ses sabots comme pour cogner quelqu’un.

Et tu sais où on peut le trouver ? demanda Twilight.

Lorsque je suis allée faire ma cueillette, j’ai découvert par hasard sa cachette.

Parfait, allons y alors » conclut la licorne mauve.

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Guidées par Zecora, Twilight et ses amies progressèrent un peu plus profondément dans les bois. La présence du zèbre était peut être rassurante, mais s’avérait surtout nécessaire à leur progression pour ne pas se perdre. Le chemin de terre était en effet très chaotique, disparaissant sous la végétation au sol de plus en plus dense, si bien qu’il fallait en permanence regarder où mettre les sabots pour ne pas se les coincer dans des ronces ou trébucher sur des racines dissimulées. Après quelques minutes de marche, Applejack se positionna au niveau de la licorne violette, cachant difficilement son inquiétude.

« Au fait Twilight, c’est quoi une “Lamia” ? »

Cette question suscitant l’attention du reste de groupe, Twilight dut alors s’éclaircir la voix pour mieux se faire entendre.

« C’est une espèce d’hybride entre un équidé et un ophidien, qui d’après les mythes aurait été une courtisane d’une entité puissante, avant d’être transformée en monstre par la compagne du prétendant. »

Twilight stoppa son récit pour reprendre son souffle, mais abandonna de le continuer en constatant les airs interrogés de ses amies, qui semblaient ne pas avoir saisi un traître mot de la citation académique de la licorne.

« Une créature mi-ponette mi-serpent, rectifia-t-elle après une toux confuse, transformée pas je ne sais quel esprit inventé par des licornes à l’imagination débordante. Mais je le répète ce n’est qu’un mythe, je ne sais pas où Zecora est allée chercher tout ça.

P’t’être bien que c’est qu’une histoire, acquiesça la fermière, mais Zecora a l’air vachement sérieuse avec ça en tout cas, et j’l’ai pas vue souvent dire des âneries.

On verra bien qui de nous deux a raison » conclut Twilight, la voix suffisamment basse pour ne pas se faire entendre du zèbre.

Plus la marche durait, et plus elle semblait ne pouvoir jamais se finir, la licorne pourpre se demanda même si Zecora savait où elle se dirigeait.

« Est-on encore loin ? lâcha Rarity qui affichait un air de désarroi total. Mes pattes ne supporteront plus une seule écorchure de plus ! Je vais devoir faire un séjour prolongé au SPA pour rattraper les dégâts ! »

Marcher dans les ronces était en effet beaucoup demander à la licorne qui refusait en temps normal de poser un sabot sur un sol ne serait-ce que poussiéreux.

« Est située devant vous la cachette de votre voyou » annonça le zèbre avec un regard en coin vers Twilight et un sourire aux lèvres, comme pour donner tort à ses pensées.

Zecora avait écarté une dernière branche afin de révéler au groupe une petite clairière, suffisamment grande cependant pour laisser un peu de lumière du jour passer au travers du feuillage. Mais ce n’est pas ça qui étonna le groupe.

« Sans vouloir te vexer, commença Twilight, nous ne voyons rien d’une cachette où quelqu’un habiterait, même si le coin est plutôt charmant. »

La licorne mauve affichait un semblant d’air de victoire, comme fière d’avoir eu raison de douter des contes pour poulains du zèbre.

« Ne laisse pas tes yeux se fier aux apparences, lui signala-t-elle, celui que tu cherches ne te fera pas audience. »

Sans prendre le temps de lui répondre, et parce que cela se serait avéré de toute façon inutile, le groupe investit le lieu, exception faite de Fluttershy qui resta proche de la lisière des bois, peu en confiance. Zecora en profita pour s’approcher d’elle, tout en lui tendant une fiole remplie du même liquide cramoisi qu’elle avait préparé chez elle.

« Je dois m’acquitter de ma tâche ailleurs, je vous laisse du répulsif au cas où il vous arriverait malheur, lui confia-t-elle.

Vous… vous vous en allez ? peina à articuler la pégase jaune. Comment allons-nous retrouver notre chemin ?

Une rivière ne coule que dans une seule direction, lui souffla-t-elle à l’oreille en lui posant un sabot à l’épaule, laisse-toi guider par les flots pour revoir ta maison sans autres indications » finit-elle en regardant un point précis en face d’eux, de l’autre coté de la clairière.

Fluttershy regarda à son tour l’endroit que semblait fixer le zèbre, laissant cette dernière se réintroduire dans les profondeurs des bois. Même en plissant les yeux, elle ne voyait pas ce qu’elle voulait lui montrer ; sûrement rien de particulier au final, mais elle décida d’aller voir de plus près, ne serait ce que pour donner l’impression de chercher aux yeux de ses amies.

« Ne laisse pas tes yeux se fier aux apparences… »

Elle en avait de bonnes, ce n’est pas elle qui avait l’air ridicule à fouiller une simple étendue d’herbes sèches et de buissons épineux. Twilight et les autres tâtonnaient à l’aveugle l’endroit dans lequel les avait menées Zecora, comme si elles craignaient de se prendre des murs invisibles. Soudain, la corne de Rarity s’illumina, et la dirigea vers un point précis au sol avant de s’éteindre.

« Les filles, je crois que j’ai trouvé quelque chose, c’est sous terre ! »

Twilight, Applejack et Rainbow s’approchèrent de la licorne qui ne bougeait pas, semblant attendre quelque chose. Il se passa un moment pendant lequel elle déposa son regard bleu sur chacune de ses amies avant qu’elle ne reprenne la parole.

« Eh bien, qu’attendez-vous pour creuser ?  finit-elle par dire.

Et pourquoi tu le ferais pas toi-même ? s’offusqua Rainbow qui voletait encore après avoir fait des recherches depuis les airs, on n’est pas tes esclaves !

Creuser moi-même ? s’étouffa-elle avec une mine choquée légèrement exagérée. As-tu vu l’état de mes pattes ? Elles ont déjà assez souffert comme ça ! »

En effet, ses pattes n'étaient pas aussi immaculées que d’habitude : un peu de poussière sur les sabots, quelques plaies qui avaient effleuré sa peau et des bleus qui se fondaient presque avec la couleur de son pelage. Une vraie catastrophe en somme.

« Mon Spikounet ne se serait pas fait prier lui, renchérit-elle, voyant que personne ne la soutenait.

On n’aura pas besoin d’ses services, interrompit la ponette à crinière blonde, regardez ça ! »

En effet, en regardant bien on pouvait distinguer un renfoncement dans l’herbe autour de l’endroit qu’avait indiqué Rarity. Après quelques essais infructueux, la fermière finit par réussir à soulever un énorme morceau de sol, ce qui força les autres à reculer pour ne pas gêner la manœuvre.

Sous le morceau soulevé, on pouvait voir une ramification de branches liées solidement entre elles par de fines lianes, ce qui permettait de marcher dessus sans risquer de passer au travers du faux plancher et tomber dans le grand trou qu’il camouflait. Les quatre ponettes s’approchèrent pour en examiner le contenu. Rarity poussa un cri de joie infantile en sortant par lévitation une gemme semblable à un bloc de sel, mais en beaucoup plus brillant et à la surface moins irrégulière.

« Qu’est-ce que c’est ? demanda Twilight, surprise devant l’enthousiasme de son amie.

Un cristal de vie ! lui répondit-elle avec une jubilation non dissimulée, ses yeux aussi brillants que le joyau qu’elle maintenait suspendu devant elle. Une pierre rare qu’on ne trouve pas dans notre région, elle aurait la capacité d’insuffler une force vitale à tout ce qui est à proximité.

Ça expliquerait comment toute c’te nourriture n’est pas encore pourrie, fit remarquer Applejack, en tout cas j’pense que j’ai trouvé mon voleur d’pommes.

-  J’en ai trouvé un autre, brailla Rainbow qui avait repris les fouilles un peu plus loin, par contre ce qu’il y a dedans est bizarre. »

Intriguées, les ponettes s’éloignèrent du premier trou pour rejoindre celui trouvé par la pégase. Ce qu’elles y trouvèrent n’était pas ce à quoi elles pouvaient s’attendre au fin fond d’une forêt sauvage. Plusieurs tableaux étaient entreposés, baignant dans diverses feuilles de papier qui semblaient être des croquis. Le plus surprenant était ce qui était peint sur les toiles ; des poneys de Ponyville.

« Ok… là ça devient carrément bizarre… concéda la licorne violette en étudiant diverses feuilles.

En tout cas, on ne peut pas nier qu’il a un certain talent, accorda Rarity en examinant en détails un tableau représentant une ponette jaune pâle à la crinière bouclée rose et bleu nuit, je n’avais encore jamais vu un artiste mettre autant de vie dans sa peinture. »

Rainbow Dash sortit à son tour un tableau du fossé, avant d’éclater d’un rire non contenu après une brève contemplation, se roulant par terre alors que la toile s’était rabattue face contre le sol.

« Qu’est c’qui te fait rire comme ça Rainbow ? » demanda Applejack en se dirigeant vers le tableau renversé.

Comme elle n’obtenait aucune réponse de la pégase qui ricanait nerveusement, la ponette souleva le cadre, et resta coite pendant plusieurs secondes avant de lentement reculer, rouge de honte, laissant le tableau choir en arrière face visible. Les deux licornes analysèrent l’objet de la gêne de la fermière avant de rougir à leur tour, ne sachant quoi dire, les rires de Rainbow redoublant d’intensité.

Sur la toile était dépeinte une ponette que l’on pouvait clairement identifier comme étant Applejack en train de cueillir des pommes, sauf qu’elle le faisait dans une pose beaucoup plus sensuelle qu’elle ne le ferait en temps normal, et ceci combiné aux formes plus généreuses qu’on lui avait attribuées rendait la scène presque érotique.

« On dirait que ton voleur de pommes a flashé sur toi ma vieille, lâcha la pégase entre deux gloussements sans pour autant pouvoir se relever, heureusement pour lui que tu es célibataire ! acheva-t-elle en repartant de plus belle.

Garde tes moqueries pour toi Rainbow, somma Twilight à la pégase qui se calma rapidement devant le ton autoritaire de son amie, je crois qu’une autre est bien plus à plaindre qu’Applejack de ce coté-là. »

Afin d’expliquer par le geste ses propos, elle fit léviter plusieurs tableaux autour d’elles, tous représentant une pégase jaune à la longue crinière rose, certaines avec des poses élégantes, d’autres avec plus de charme. Ce coup-ci la pégase bleue ne rit pas, tout aussi ébahie par le spectacle que les trois autres.

« C’est beau quand on y regarde bien, avoua la fermière après un long silence.

C’est carrément énorme tu veux dire ! confirma la pégase.

C’est tout simplement sublime !  renchérit Rarity pleine d’admiration.

C’est absolument malsain vous voulez dire ! protesta une Twilight choquée par les propos de ses amies. Non mais vous avez vu la quantité de dessins représentant Fluttershy ? Ça vire à l’obsession !

Ma chère, ça m’ennuie de le dire mais Fluttershy a un potentiel caché, fit remarquer la couturière, même les grands de la mode comme Photofinish le confirment, il est normal que cet artiste exploite ce don qu’elle possède.

Alors maintenant c’est un artiste plutôt qu’un voleur ? s’énerva Twilight. Désolée, mais il reste un voleur, doublé d’un pervers qui plus est !

T’exagères pas un peu Twi ?  intervint Applejack surprise de la réaction catastrophée de son amie.

Et ça ? insista lourdement la licorne mauve en lui collant le tableau la représentant sous le museau, ce n’est pas exagéré peut être ? »

La cow-girl recula de nouveau devant son effigie, se servant de son chapeau pour cacher son visage qui virait une fois de plus au rouge.

« Et si on demandait directement à Fluttershy ce qu’elle pense de tout ça ? proposa Rainbow Dash. D’ailleurs elle est où ? »

Pour toute réponse, un cri perçant résonna à l’opposé de la clairière. Tous reconnurent la timide pégase, et Rainbow reprit son envol pour rapidement localiser l’objet du hurlement. Elle repéra rapidement Fluttershy qui volait à toute vitesse en direction des trois autres avant d’analyser la zone d’où elle venait.

Son œil entrainé de pilote lui permit de voir une forme grise claire se faufiler rapidement sous les bois. Avant que la cime des arbres ne la fasse perdre de vue sa cible, elle fondit dessus en piqué avant de le percuter violemment ; ils roulèrent sur le sol sur quelques mètres, puis la pégase cyan tenta de maîtriser sa victime, qui opposait étrangement peu de résistance. Une fois la grande carcasse de sa capture maintenue au sol, Rainbow se posta dessus, un sabot sur le torse avec un air de triomphe clairement affiché. Ses amies la rejoignirent assez vite juste après la bataille.

« Eh voilà le travail, se gaussa la pégase, ça a été dur mais rien n’est impossible pour la meilleure pilote de Cloudsdale !

-  Oui en effet, ça a dû être dur… pouffa Applejack bientôt suivie des ricanements étouffés des deux autres licornes.

 Ben quoi ? » s’étonna la jument ailée, surprise de voir ses amies se moquer d’elle plutôt que de l’acclamer.

Se retenant tant bien que mal d’éclater de rire au nez de Rainbow, Applejack et les autres tournèrent ensemble leurs regards vers la prise de la pégase cyan, cette dernière suivant le mouvement pour comprendre. Ses pupilles se rétractèrent de surprise quand elle découvrit que ce qu’elle avait maîtrisé n’était rien d’autre qu’un pantin de bois, habilement conçu pour être confondu avec un poney si on n’y prêtait pas un œil attentif.

« Mais c’est quoi ce truc ?! » hurla-t-elle de frustration.

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« On dirait que j’ai eu raison de fabriquer cette marionnette » pensa Drawlife pendant sa course après avoir entendu un hurlement derrière lui.

C’était cependant une bien maigre consolation comparé à l’embarras de sa situation. Il avait été complètement repéré, que ce soit lui-même, sa cachette ou ses larcins ; mais c’était la réaction de la licorne mauve qui était ce qu’il craignait le plus : être considéré comme un voyeur et un pervers.

L’unicorne platine ne s’attendait vraiment pas à ce qu’il venait de se passer. Il avait envisagé la possibilité que l’on trouve sa cachette en le suivant, mais ce zèbre avait l’air de savoir pertinemment qu’elle se trouvait là, et plus encore qu’il utilisait des artifices pour camoufler ses affaires. Drawlife l’avait déjà repérée plusieurs fois, car elle logeait aussi dans la forêt, mais il pensait s’être fait suffisamment discret pour qu’elle ne le remarque pas.

Il aurait dû fuir dès que les ponettes avaient investi les lieux, mais quelque chose l’en avait empêché, c’était Fluttershy. À sa vue, l’unicorne s’était senti ramollir, ses pensées perdues vers les yeux bleus de la pégase. Son instinct de survie avait bataillé pour lui sommer de décamper, mais son corps n’obéissait pas, et encore moins quand le zèbre avait indiqué du regard sa position. Mais comment le savait-elle ? Quand la pégase avait commencé à s’approcher de lui, il s’était mis à suer à grosses gouttes et à trembler. Ce n’était ni de la peur, ni de l’excitation ; en fait il ne savait pas ce qui lui arrivait, toujours est-il qu’il n’avait pas pu bouger, même quand son attention était parvenue tant bien que mal à se focaliser sur le reste du groupe.

Mais cette fois c’était la curiosité qui l’avait obligé à rester sur place. Autant l’opinion des autres sur sa propre personne l’indifférait complètement, sauf quand les conséquences que cela pouvait engendrer pouvaient lui nuire, autant quand cette opinion concernait ses œuvres, il s’était surpris à s’y intéresser fortement. Il avait été tout aussi surpris de constater la diversité des réactions que ses tableaux avaient suscitées, mais au moins ils ne laissaient pas indifférent. C’était au moment où la licorne violette avait commencé à s’emporter que Fluttershy était apparue devant lui, et que sa réaction de surprise en le voyant avait tout déclenché.

Mais maintenant Drawlife ne savait plus quoi faire, la seule option qu’il avait pour le moment était de fuir, laisser tout derrière lui et probablement ne plus revenir. Quand cette dernière idée lui vint en tête, il ralentit le galop pour mieux se rendre compte du ridicule de sa situation. Il s’était de nouveau exilé, se retrouvant seul et sans moyen pécuniaire, et surtout il n’avait même plus de quoi assouvir ses désirs artistiques. Il avait mené pendant un temps une vie d’ermite, son asociabilité l’ayant poussé à exploiter la ville, que ce soit pour sa nourriture, son matériel ou même ses habitants.

Mais à quoi ça l’aurait mené au final ?

Pour la première fois, l’unicorne remettait en question son existence. Depuis l’apparition de cette fichue marque de beauté, plus rien n’avait de sens pour lui. Les liens affectifs ou conflictuels l’indifféraient complètement, même s’il était incapable de savoir réellement pourquoi. Tout ce qu’il voulait, c’était qu’on lui laisse ses choix, qu’il prenne le chemin de la vie à sa manière.

Mais à chaque fois, tout finissait mal. Même ce regain d’intérêt pour la peinture, lueur d’espoir dans son malheur quotidien, a été anéanti en quelques secondes. Avec du recul, il trouvait la chose complètement idiote ; à qui allait-il faire croire que l’on pouvait vivre comme il l’avait fait sans rencontrer de problème ?

Il pouvait fuir, ça ne résoudrait rien, car il n’avait plus d’endroit où vivre, plus de but, plus personne pour le réconforter, plus rien.

À force de réfléchir en trottant, le destin l’avait mené près d’une gorge au fond de laquelle couraient des rapides. Cet endroit lui rappelait sa mésaventure d’il y a quelques semaines, qui avait failli lui coûter la vie. Il repensa alors à la courte réflexion qu’il avait eue.

« … Laisser la nature finir le travail… se repassa-t-il en tête, jugeant le pour et le contre. »

Là où son matériel artistique l’avait ravisé la première fois, il n’ y avait plus rien à présent pour lui suggérer qu’il s’agissait d’une mauvaise solution. Plus de quoi vivre, plus de quoi exploiter son talent, la seule chose qu’il savait faire. Un simple poney sans but, inutile à ce monde. Vivant ou mort, ça ne changeait rien. Mort, le destin n’aurait plus à gérer sa carcasse inutile.

En s’approchant du bord du précipice, il repensa une dernière fois à la réaction des ponettes devant ses tableaux. Les avis avaient été variés, et même plutôt positifs, ce qui lui avait donné un semblant de fierté, sensation qu’il ressentait aussi en regardant ses dessins. En fait, ce n’était peut-être pas leurs réactions qui lui importaient, mais de voir ses œuvres à la vue des autres. Alors en plus d’être asocial, il serait narcissique ?

Drawlife cessa sa réflexion, ne parvenant qu’à se convaincre dans son choix. Il ferma les yeux, fit une dernière inspiration de dépit, avant choisir de se laisser choir dans le vide.

La mort, Drawlife ne l’avait jamais vraiment appréhendée. Dans son état d’esprit actuel, elle lui semblait parfaitement naturelle. Il lui était peut-être resté une once d’espoir qui l’avait fait hésiter la première fois. Cette fois-ci, il n’en avait plus. Quelques secondes passèrent, à attendre la main de la faucheuse. Les secondes s’étirèrent, l’attente du choc se fit plus oppressant, mais rien ne se produisit. Il se rendit compte qu’il n’avait pas ressenti la pesanteur l’attirer au fond du gouffre, ni l’air lui emmêler la crinière. Plus concrètement, il n’était visiblement pas en train de tomber. Il osa ouvrir les yeux, et constata qu’il était effectivement suspendu dans les airs, la tête en bas.

« Eh bien quoi ? soupira-t-il agacé. Même la mort ne veut pas de moi ? Même décider d’une action simple qui ne contrarie personne m’est interdit ? »

Drawlife sursauta, une pression douloureuse sur l’articulation de sa patte arrière gauche étant apparue en réponse à sa lamentation. Il crut qu’il s’agissait d’une liane dans laquelle il se serait pris, et souleva avec difficulté la tête pour confirmer sa pensée. Quelque chose lui enserrait effectivement la patte au niveau du paturon, c’était vert, mais ce n’était pas une liane ; c’était plus épais, froid et garni d’écailles.

« Je ne vais pas te laisssser t’échapper une ssseconde fois, siffla une voix que l’unicorne n’eut pas de grande peine à reconnaître, et ssssurtout pas de la même manière. »

La créature semi-ophidienne tira Drawlife du précipice jusqu’à ce que leurs yeux soient au même niveau, afin de pouvoir l’observer avec gourmandise. Il y aurait quelques jours, quand la vie avait encore un peu de sens à ses yeux, il ne serait débattu. Or, à ce moment présent, aux portes de l’absolution, il jugeait cela complètement inutile, hormis faire plaisir à son bourreau. Mourir noyé ou dévoré, ça ne changerait rien au résultat final, sauf que la seconde option offrait le mérite de se rendre un minimum utile.

« Tiens donc, moi qui pensais que tu m’avais oublié, ironisa l’étalon, je vois que tu n’as pas changé de coiffure depuis la dernière fois, tu n'as pas l'air d'être du genre à en prendre soin pourtant. »

Le visage de la ponette se figea dans une expression de surprise. Ce qui amusa Drawlife malgré lui, imaginant assez bien que ses proies ne devaient pas souvent se laisser faire d’ordinaire. Il lâcha même un ricanement nerveux, complètement insouciant de ce qui pourrait bien lui arriver. Moquerie qui ne semblait pas au goût de la créature, car sans prévenir, elle le jeta au sol avec violence, le choc résultant coupant le souffle de l’unicorne.

Des étoiles plein les yeux, il ne put apprécier la queue qui s’enroulait à présent entièrement autour de lui, afin d’entraver tous ses mouvements. Une fois complètement piégé, cette queue le rapprocha de sa propriétaire, ne laissant qu’une largeur de sabot entre leurs museaux, un sourire malsain aux lèvres qui inquiéta soudainement l’unicorne.

« Je ne ssssais pas comment tu m’a résissssté la première fois, dit-elle calmement en attrapant le menton de sa proie entre deux griffes, leurs pointes perçant délicatement sa peau, laissant ainsi quelques gouttes de sang suinter sur ses doigts. Mais je compte bien m’amusssser avec toi avant de t’engloutir.

Si tu pouvais m’avaler tout de suite ça m’arrangerait » proposa Drawlife, pressé d’en finir.

La créature ne prit même pas le soin de répondre à sa remarque, resserrant à la place son étreinte. De nombreuses articulations craquèrent bruyamment en réponse, tirant une grimace de l’unicorne. La respiration de Drawlife se faisait tout à coup difficile, et il réalisa avec horreur que sa prédatrice laissait juste assez de place à ses poumons pour qu’il puissent encore remplir leur office.

Le visage de la ponette s’approcha doucement du sien, sa langue fourchue dardant d’excitation, jusqu'à ce que leurs bouches soient quasiment en contact. Quelques secondes de confusion suffirent à Drawlife pour qu’il comprenne sa dégoûtante intention. Alors que celle-ci entrouvrit légèrement ses lèvres dans une moue suave, l’unicorne serra les siennes ainsi que ses dents en tournant la tête autant que son cou lui permettait pour s’éloigner d’elle. Il était hors de question qu’il la laisse s’adonner à ce genre de pratique. Tous les châtiment mais pas ça. Seulement, ce choix ne lui appartenait pas, et pour lui faire comprendre cela, la queue de serpent resserra une seconde fois l’étreinte, d’une manière beaucoup plus violente et plus puissante que la première fois, provoquant un claquement humide répugnant, résultat de deux pattes de l’équidé qui se déboîtaient.

La sensation nouvelle et extrêmement douloureuse de ses os sortant de leur logement lui arracha un cri à moitié étouffé par la pression qui s’exerçait sur ses poumons. Profitant de cette bouche grande ouverte, la ponette y colla le sien avec appétit, gémissant de plaisir, sa langue poisseuse cherchant activement celle de sa victime. Leurs salives se mélangèrent, accompagnées d’un goût de sang qui aurait fait vomir Drawlife si l’accès à son estomac n’était pas bloqué par la compression de ses organes les uns contre les autres. Le baiser était interminable, dégoûtant, et exercé avec tellement de passion par la créature qu’elle ne laissait que très peu de temps d’inspiration.

Mourir était une chose, mais se faire abuser, par un monstre qui plus est, était quelque chose de complètement inenvisageable. Sa vie avait beau être des plus misérables, Drawlife refusait de subir un traitement aussi dégradant.


     Poussé par un écœurement viscéral, l’étalon se débattit avec force pour échapper au baiser obscène de son bourreau ; seulement la garce n’avait clairement pas l’intention de lâcher prise, tenant fermement la tête de l’unicorne avec ses mains, grognant de plaisir et suant d’efforts pour maintenir son jouet en place, produisant une odeur primale répugnante qui se mêlait au goût ferreux déjà insupportable pour Drawlife.


     Désespéré par son impuissance, il tenta de mordre la langue de la ponette, mais cela ne faisait que l’encourager à resserrer une nouvelle fois la queue écailleuse, comprimant encore son corps déjà au bord de l’éclatement ; il sentit même des ligaments se détacher lentement de leurs attaches osseuses.

La douleur interminable de son corps qui se désarticulait et l’horrible supplice charnel qui le privant d’air respirable commencèrent à avoir raison de l’étalon. Son cerveau, de plus en plus difficilement irrigué en sang et en air, cessa progressivement de remplir ses fonctions. Sa vue s’obscurcit, laissant disparaître petit à petit le visage enjoué de sa tortionnaire. Son sang peinait aussi à parcourir son corps par la pression mortelle du membre écailleux, lui supprimant le sens du toucher. Sauf au visage, pour son plus grand malheur. Chaque coup de langue, chaque morsure sensuel, il les ressentait tous. Même cette salive répugnante. C’était ignoble.

Là, plus qu’une unique volonté. Que tout s’arrête.

Au bord de l’évanouissement, résigné à mourir de la façon la plus ingrate possible, Drawlife crut distinguer une intense lumière violette s’intensifier, aveuglante mais étrangement belle. Des cris confus précédèrent un choc à la tête. Puis plus rien. Le noir complet.

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