Coucher de Soleil Chatoyant

Vaisseau amiral Czarnogora, module d'accroche de la navette de Clu, quelque part dans le ciel de la Grille.

Clu fait des aller et venues autour d'une maquette holographique tridimensionnelle du vaisseau amiral, vaisseau à la forme d'un long prisme aplati vidé à base hexagonale, avec ce qui peut s'apparenter à une roue gigantesque à un cinquième de la longueur du vaisseau, roue coiffée par la navette où Clu trône.

La porte de la salle s'ouvrit soudain, dans laquelle passa rapidement un garde noir, qui alla s'adresser à Clu, en lui faisant le salut militaire. « On nous informe que les villes de Risgard et de Condapolis ont été purgées de toute présence Iso monsieur, la ville d'Assouran est quant à elle toujours en cours de purge, et Toffre est actuellement entourée d'un brouillard épais, ralentissant les opérations dans le secteur. L'annihilation globale des Isos était fixée au dernier pointage à 32 653 267 programmes sur 78 178 246 en tout, soit environ 41,77 % des Isos. On doit aussi déplorer la perte de 11 gardes noirs de manière diverse. On ne peut espérer l'accomplissement des objectifs fixés avant 1200,258 cycles. » « Dites à toutes les unités d'accélérer la cadence afin de tenir les délais, et de passer immédiatement aux objectifs suivants une fois ceux-ci accomplis », ordonna Clu. « Bien monsieur. » Le garde se retira. Clu contempla alors de sa baie les lointaines brumes et montagnes de la Grille. Tout se passait comme prévu, l'éradication des Isos serait bientôt effective, en plus des jeux qui allaient bientôt reprendre grâce aux nombreux volontaires qui se sont présentés récemment. Clu y assistera bien sûr, en tant que dirigeant bienveillant il ne pouvait se permettre de rater une occasion d'apparaître devant le peuple. Et Clu sourit à la brume, Clu sourit à la montagne, Clu sourit à son succès.

C'était dans la cité principale, dans les yeux d'un tout jeune programme que la fierté de Clu resplendissait et trouvait son écho. Tiré par sa mère, il ne voulait plus cesser de regarder le Czarnogora, ses lignes orange fines, immobile mais pourtant si puissant, si loin mais pourtant si imposant.

La poigne de sa mère eut finalement le dessus, et ce fut à contrecœur qu'il fut traîné dans le monorail, qui se mit en marche juste après. Ennuyé, le jeune programme remarqua plusieurs badauds regardant le monorail partir, avec un de ces visages que l'on porte en se réactivant trop tôt. Il s'imagina alors se tenant lui aussi hors du monorail, regardant impassiblement partir le monorail. Il y a en effet une certaine analogie entre le programme qui regarde passer le fougueux monorail, et celui à l'intérieur de ce dernier, impuissant, se laissant porter par les mouvements du monorail et regardant occasionnellement par la fenêtre.

Coucher de Soleil Chatoyant se languissait effectivement au fond de sa place. Cette énième mission l'avait tuée par sa monotonie, elle était fatiguée de devoir se rendre à telle ou telle coordonnée pour collecter des obscures données, entrer des milliers d'informations dans la machine de la bibliothèque, suivre par tout temps ou danger un programme pendant d'interminables cycles et ce quel que soit le terrain sur lequel s'aventurait la cible.

En contrepartie de son travail elle disposait de crédits importants, ainsi que de son propre moyen de transport et une habitation pas si loin du centre-ville et bien à elle. Il s'agissait de la bibliothèque, une charmante demeure forcément fournie en toutes sortes d'ouvrages, mais offrant au-delà de ceci un cadre de vie très plaisant, comme la luxueuse baignoire ou bien le matériel de recherche au sous-sol.

Malgré tout, toutes ces missions que Synn lui donnait l'occupaient et l'ennuyaient beaucoup. Coucher de Soleil avait envie de faire autre chose le soir que de brûler ses crédits d'une quelconque manière après avoir pris en filature un programme sur des trop longues distances. Elle restait généralement chez elle pour lire dans la bibliothèque jusqu'à ce que le sommeil ne l'emporte, et qu'un message de Synn ne la réveille par surprise. Il lui arrivait cependant de sortir, mais cela se limitait à la fréquentation d'un club de manière irrégulière.

Sortir oui, pour sortir elle était dehors pour le moment. Elle venait de passer la nuit à glaner des informations dans un quartier si éloigné de la bibliothèque qu'elle avait dû partir la veille au matin, et passer toute la nuit sur place. Elle en avait profité pour affiner ses tuyaux le mieux qu'elle le pouvait, en vérifiant les rumeurs et confirmant les adresses qu'elle avait pu noter. Toute cette agitation et cette cohue dans tout le quartier l'avait épuisée, et en plus se lever à l'aube pour prendre le premier monorail l'avait achevée, et elle comatait largement, elle fermait les yeux, elle vivait ce qu'on appelle des expériences de rêve éveillé successives. Elle se croyait l'espace d'un instant dans le hall de Canterlot à discuter avec sa Majesté, en compagnie de Synn dans la bibliothèque de Ponyville, dans les murs crasseux de la prison royale. Elle n'en finissait pas d'être transportée de place en place entre deux somnolences. Heureusement un arrêt un peu trop brusque l'extirpa du piège de son subconscient. Son arrêt était après celui-ci, alors elle tâcha de se remettre un peu les idées en place.

Il défilait dehors une multitude de bâtiments à la géométrie singulière, mais tous colorés de la même manière, à savoir une base sombre remontée de lignes et formes d'un bleu vif. Le monorail circulait à la hauteur du deuxième étage des bâtiments. Il était trop loin pour qu'on surprenne un programme dans la construction. On pouvait cependant voir de nombreux véhicules bleus et orange circulant sur la chaussée entre les bâtiments, comme dans un gigantesque labyrinthe. Dans le monorail en lui-même il n'y avait pas grand monde. La seule agitation consistait en ce programme juvénile qui embêtait sa pauvre mère, qui ne cessait de le rappeler à l'ordre. Le reste de la rame où se trouvait Coucher de Soleil paraissait comme inerte, assoupi voire mort, comme c'est souvent le cas dans les moyens de transport de très bon matin.

Le monorail s'immobilisa, c'était l'arrêt. Coucher de Soleil rassembla rapidement ses affaires et s'enfuit de la rame, pressée de pouvoir profiter du calme de la bibliothèque, elle se sentait en effet presque agressée par tout le bruit de la gare, venant de partout, de toute hauteur, Coucher de Soleil était encore trop endormie pour comprendre quoi que ce soit des sons autour d'elle. Il n'existait devant elle que le chemin vers la bibliothèque, qui par chance n'était pas loin, à peine quelques pâtés d'immeubles. Elle fut donc comme piquée par des klaxons et chatouillée par des bribes de conversation inaudibles jusqu'à sa destination, où elle se jeta dans la salle d'eau pour noyer son visage dans de la fraîcheur liquide. Elle ressortit sa tête presque immédiatement, répandant au passage de l'eau partout sur le sol, écrasant et assombrissant sur son front sa crinière rouge et jaune, qu'elle put contempler dans le miroir. Elle put d'ailleurs contempler l'état de son visage, sur lequel le manque de sommeil se lisait clairement. Malgré ce qu'elle voyait d'elle-même, elle était parfaitement réveillée maintenant, elle alla rédiger son rapport à Synn, avant de s'occuper à soigner sa mine épouvantable avec quelques soins dermatologiques.

Un quartier de la périphérie de la capitale de la Grille, 1,200,255 cycles. Circulant nerveusement, klaxonnant les véhicules lents, un quadricycle arpentait les rues étroites. S'arrêtant au bord d'un trottoir, un élégant programme à la crinière noire courte et lisse en sortit, il s'agissait de Zéphyr. Elle jeta rapidement un coup d’œil autour d'elle et entra dans le bâtiment en face.

L'intérieur du bâtiment était un simple bar, parsemé de clients et de tables vides et sales. Zéphyr s'installa au bar et héla le tenancier. « Orion dit que votre cocktail maison ravit les étalons et les juments », dit-elle. Le tenancier regarda autour de lui d'un air suspect et demanda à mi-voix « Qui le demande ? » « Une amie de Lueur Onirique. » « Un instant, par ici », fit le programme en disparaissant derrière un rideau. Zéphyr le suivit et se retrouva dans les cuisines, où entre deux panaches de vapeur elle vit son interlocuteur devant une porte du fond. Une fois celui-ci rejoint il précisa « La troisième porte sur votre droite, toquez deux fois, attendez puis retoquez deux fois. » « D'accord », fit Zéphyr en ouvrant et passant la porte. Elle fit comme on lui avait indiqué et entra, après qu'une voix à l'intérieur ne l'eut invitée à entrer.

La pièce était assez sombre. Il s'agissait d'un bureau. Devant les stores baissés, installés au bureau discutaient indistinctement deux programmes, portant de temps à autre leurs verres sur le bureau à leurs lèvres. Zéphyr s'approcha, elle reconnut d'abord le programme lui faisant face, il s'agissait d'Ouragan, un Iso tout comme elle, ancien collaborateur au conseil de Condapolis. « Zéphyr ? Dieu merci tu es saine et sauve ! » dit-il en se levant. Il l'embrassa. Elle balbutia « Toute la ville, tout le monde... » Ses lèvres se déformèrent violemment et elle ne put retenir ses larmes, elle sanglota sur l'épaule d'Ouragan. Gêné, l'autre programme jeta un coup d’œil rapide en se retournant, puis se remit dos à Zéphyr et Ouragan. Lui aussi touché, il ferma les yeux, remit en place ses lunettes et fit la moue. Il se leva alors et dit « Je » Il déglutit « Désolé de devoir vous interrompre, mais nous étions en train de travailler à un plan pour nous tirer de ce bourbier. » Avec un de ces regards profonds qu'ont les programmes aux hautes responsabilités, Ouragan répondit « C'est vrai. » Il ôta doucement le programme qui trempait ses épaules de toute sa détresse liquide. Zéphyr hoqueta, il la soutint jusqu'à ce qu'elle tienne à nouveau sur ses pattes et se redirigea vers le bureau. « Bien, laisse-moi te présenter Souffle Austral, Zéphyr. C'était l'administrateur de Risgard, elle aussi réduite à néant. Souffle voici Zéphyr, ses parents et moi nous connaissions bien à Condapolis. » « C'est malheureux que nous nous soyons rencontrés de cette manière », déplora Souffle Austral, en portant un sabot à sa monture. « Nous étions en train d'établir un plan afin d'évacuer les Isos restants vers des caches sûres, notamment la ville souterraine de Bismuth. » « Oui, la Garde noire a peu d'emprise sur cette ville de par son enclavement et de sa milice locale très organisée, qui pourra nous fournir un soutien », développa Ouragan. Zéphyr s'installa sur le siège vacant, tâchant de sécher son visage rougi. Elle demanda « Tous les Isos ont été éradiqués, ou bien en a-t-on capturés ? » « Nous ne pouvons rien confirmer, la plupart de nos contacts sont portés disparus », expliqua Souffle. « On ne peut que faire des suppositions, là est tout le problème. » Ouragan garda le silence un instant, puis continua la réflexion stratégique. « Tout ce qu'on sait c'est qu'il y a des millions d'Isos qui ont du jour au lendemain disparu, hormis de faibles groupes comme le nôtre. Il n'est pas impossible qu'ils en aient capturés pour faire je ne sais quoi... » supposa Souffle Austral. « Ce que nous devons faire maintenant c'est établir des chemins de passage vers Bismuth et commencer la retraite le plus vite possible, parce qu'à ce rythme il n'y aura plus personne pour organiser quoi que ce soit », fit Ouragan. « Vous pensez qu'il y a combien de rescapés ? » demanda Zéphyr. « Eh bien si on considère que toute la population des villes coloniales éradiquées a disparu on ne peut compter sauver que les Isos de la ville principale, soit une ou deux centaines de programmes, tout au plus », conclut Souffle. « Nous devons établir un plan au plus vite et quitter cette fichue ville, on n'est plus en sécurité ici », pensa Ouragan à voix haute. Au même instant pénétrait dans le bureau un programme à bout de souffle. « Vous devez partir... Ils... Ils arrivent ! » « Qui ? » interrogea Ouragan. « Les gardes noirs », fit le programme, les sentinelles les ont repérés, ils arrivent avec plein de Recognizers et des tas de troupes. » On échangea des regards et on partit rejoindre le bar. Arrivés à l'entrée on se sépara. Zéphyr partit à vive allure dans son quadricycle, Ouragan et Souffle Austral foncèrent en déployant un cycle lumineux. Chacun partit dans une direction différente. Zéphyr se dirigea vers la grille de jeux, Ouragan vers les habitations et Souffle Austral vers les réacteurs énergétiques. En voyant passer à contresens une patrouille de la Garde noire, Zéphyr ralentit, observant leur destination. Ils s’arrêtèrent devant un immeuble non loin et s'y précipitèrent avec de nombreuses troupes. Elle entendit malgré la distance des éradications, des cris et des pleurs, des ordres criés à pleine gorge.

Zéphyr revêtit alors son casque et partit se garer au milieu du plus gros rassemblement de véhicules de la grille, le parking de la grille de jeux. Elle se gara sur une place libre, coupa le contact et resta là, trop effrayée pour sortir et risquer de se faire prendre.

Un bon moment passa, l'adrénaline s'estompa et Zéphyr commençait désormais à se sentir plus en sécurité. Elle ouvrit la portière, vérifia qu'il n'y avait personne et sortit du quadricycle, toujours avec son casque sur la tête, et se faufila sur la grille de jeux.

Arrivée derrière un opérateur à son pupitre, elle demanda, en modifiant sa voix « Quels sont les programmes de ce soir ? » « Pas grand-chose de particulier », fit l'opérateur d'une voix ennuyée. « On a les habituels criminels pour avoir violé le couvre-feu, les renégats, les bandits... Y'a peut-être ce programme capturé sans son disque, qui n'a pas pu être par conséquent identifié. »

Zéphyr partit assister aux combats de disques qui commençaient, elle vit le programme inconnu se battre, gagner, tomber de sa plate-forme, perdre contre Rinzler. Elle l'entendit déclarer qu'il n'était pas un programme et s'appeler Twilight Sparkle, une programme à entendre sa voix. Elle la vit donc être escortée dans la navette de Clu, vit la navette descendre dans l'arène, écouta le discours de Jarvis, l'humiliation qu'il infligea à Twilight, le départ de la grille du cycle lumineux. L'éradication des cycles bleus, la collaboration entre Twilight et son dernier coéquipier.

Cela lui remémora les simulations qu'elle faisait avec ses amis de Condapolis, le souvenir de cette tactique de l'étau si fort avec Cœur de Jour, et maintenant l'allié perdait son cycle. Zéphyr s'élança chercher son quadricycle alors que Clu roulait sur lui. Elle démarra en trombe et fonça direction de la grille du cycle lumineux. Elle arriva juste à temps pour couper la route à Clu, qui allait achever Twilight, qui avait perdu son cycle.

Zéphyr effectua un demi-tour, s'arrêta au niveau de Twilight et lui ordonna de monter, en lui ouvrant la portière côté passager. Elle dut se répéter pour qu'elle daigne monter, mais une fois ceci fait elle mit les gaz, sema ses poursuivants et partit dans l'Outreterre, en défonçant au passage un mur de la grille de jeux et en sautant par-dessus un ravin, ce qui ne manqua pas d'effrayer Twilight. Zéphyr se présenta, rassura Twilight et la conduisit à Synn, toujours caché dans sa grotte de l'Outreterre.

Le message de Coucher de Soleil Chatoyant traversa rapidement les circuits de la grille, et se retrouva bien vite sur l'écran de contrôle de Synn, qui était couché à l'entrée de la grotte sur une sorte de coussin, occupé à écouter le bruit que font les nuages. Non averti du message qu'il venait de recevoir, il scrutait le ciel de la grille, insensible aux brusques et lointains éclairs, regardant la brume comme s'il voyait au travers, les yeux mi-clos.

Si Synn semblait s'endormir, Ciel se réveillait, gêné par la soudaine fenêtre apparue sur l'écran. Il eut cette impression d'inconnu que l'on a l'espace d'un instant lorsqu'on s'éveille sans savoir où. Et puis il se rappela, il se rappela Soupe au Lait, il se rappela Condapolis, il se rappela Synn, Zéphyr et la grotte. Il avait passé le reste de la journée d'hier dans un coin, seul, assailli par d'obscurs sentiments. Le regret, la honte ? Ce n'était pas clair, et comme il était trop brave pour pleurer il ne pouvait pas se défaire de ce sentiment qu'il ne pouvait nommer et commença à souffrir de la tête. C'était finalement la désactivation qui l'avait sauvé de son tourment mental. Il restait au même endroit qu'hier soir. Il constata cependant que ses yeux piquaient, comme s'il avait pleuré pendant sa désactivation.

Il se leva et chercha un signe de vie dans la caverne. Il aperçut Synn au bout et le rejoignit. « V-vous auriez quelque chose à manger ? » demanda Ciel. Synn ouvrit grand les yeux, comme s'il avait eu un éclair de génie. Il tourna la tête vers Ciel et lui dit d'un ton très naturel « Oh bien sûr, viens c'est par ici ! » Et il se leva précipitamment chercher de quoi se restaurer. « Ça devrait faire l'affaire », fit-il en posant la boîte de beignets sur le meuble. Il en saisit un avec sa magie et le posa à côté de la boîte. Il en sortit un deuxième et le fit flotter en direction de Ciel, qui s'en saisit. « Alors dis-moi Ciel, je suis curieux », dit Synn entre deux bouchées. Qu'est-ce que tu comptes faire maintenant ? » Ciel le regarda d'un air impassible tout en mâchant sa pâtisserie. Une fois sa bouche libre il dit « Heu je sais pas, je pense que je vais rester ici encore un peu. » « Pas de problème pour moi ! » répondit Synn avant de se tourner vers son écran. Il ouvrit le message de Coucher de Soleil et sembla se concentrer.

Ciel le regarda puis pensant qu'il dérangeait Synn alla traîner ailleurs dans la caverne. Il y avait toujours les mêmes outils, les même machines, le même mobilier qu'hier. Il avait largement eu le temps de tout étudier pendant sa phase émotive hier soir. Il jeta alors un œil dehors et vit son Recognizer tout de bleu vêtu, immobile et attirant comme un de ces bolides que l'on voit dans les publicités. Il passa derrière Synn et rejoignit son engin. Il commença par tousser une fois dehors, bousculé par un choc thermique et par les vents fort poussiéreux. Aussi passa-t-il son sabot sur la coque de son Recognizer, arrachant la poussière et laissant une large trace sur le pied de l'aéronef.

Il monta dans le cockpit. Il prit les commandes, il allait remonter le cockpit et décoller quand il vit au loin un nuage de poussière s'approchant à vitesse élevée de la caverne. C'était Zéphyr qui revenait enfin, mais elle ne revenait pas seule, elle revenait avec Twilight Sparkle.

À bord du Czarnogora s'organisait toujours l'élimination des Isos. Des dizaines d'opérateurs allaient et venaient dans le poste de commandement. On consultait les cartes, on demandait des rapports, on en faisait au supérieur. C'est ici que nous retrouvons le colonel Soupe au Lait, en charge des transmissions de la zone Sud-Est n°27. Elle devait s'assurer avant tout que toute communication circulait dans son secteur, et réagir si nécessaire, notamment en envoyant des équipes transmettre directement le message. Tout se déroulait pour le mieux, l'opération suivait son cours d'un rythme cadencé et soutenu, ainsi que Clu l'avait ordonné.

Au niveau des contrôles de sécurité de la ville, un opérateur eut la face flashée par le témoin d'un détecteur s'étant mis en marche lors du processus de surveillance accru, la Garde noire s'attendant à des représailles de la part des Iso. L'opérateur avait sursauté à moitié, il était jusqu'à présent quasiment vautré sur son siège en parcourant d'un œil morne les écrans de contrôle dont il avait la charge. Le détecteur qui s'était mis en marche avait repéré l'intrusion dans une zone protégée, et ce de manière prolongée. « Que se passe-t-il ? » fit une voix dans son dos. « Le détecteur signale une intrusion dans le secteur protégé Nord-Est n°1268, aux coordonnées approximatives 526428x 728379y mon capitaine. » « Envoyez une équipe inspecter les lieux et faire un rapport. » « Bien mon capitaine », répondit l'opérateur en se levant se dirigeant vers les communicateurs. « Oh et adjudant ? » « Oui mon capitaine ? » fit-il en tournant la tête. « Si vous vous ennuyez vraiment, allez demander une promotion au service dédié. » L'adjudant se retourna complètement. Il se sentit gêné, mais ne laissa rien transparaître. « J'y penserai, mon capitaine », répondit-il simplement, en reprenant son chemin vers les appareils de communication. Il lui sembla entendre le capitaine glousser. Il roula des yeux et se mit en relation avec les équipes opérationnelles. « À toutes les unités du secteur Nord-Est n°1268 et environnants, on nous signale une intrusion de type 1. Mettez-vous sur le canal de la balise 262 afin de recevoir les coordonnées de l'incident. » « Ici la patrouille de Recognizer foxtrot oscar uniform numéro quatre », dit une voix dans le communicateur. « Nous sommes proches du secteur, je me dirige dessus et me branche sur la balise immédiatement. » « Bien reçu foxtrot oscar uniform quatre, tenez-nous au courant », fit l'adjudant. « Aucun problème, terminé. » Et le silence regagna les communications, l'adjudant regagna alors son siège et se remit à scruter ses écran, et à jeter un œil derrière lui pour voir arriver le capitaine.

À bord du Recognizer des forces opérationnelles urbaines, en plein changement de trajectoire, on organisait les armes, on se préparait à intervenir. Ils étaient cinq gardes en tout, six avec le pilote. Une équipe faisant la fierté de la Garde noire comme tant d'autres, accomplissant ses missions avec brio, pleine de camaraderie et de dévotion au travail.

Le Recognizer se posa au beau milieu d'une rue déserte et les gardes se déployèrent, brandissant fusils et holofers. Il n'y avait cependant aucun mouvement autour d'eux, rien du tout. Ils relâchèrent donc rapidement leur garde pour se concentrer sur la fouille de la zone protégée transgressée. « Rien à signaler sergent ! » cria le garde parti devant. « Continuez à fouiller, le suspect est peut-être encore sur les lieux ! » dit le garde qui devait être le sergent. « J'ai quelque chose avec la mémoire d'empreintes ! » cria un autre garde. « Montrez-moi ça Flammes ! » reprit le même garde vraisemblablement étant le sergent. Il alla vers l'endroit d'où venait la voix de Flammes. Il le trouva dans une ruelle toute proche, en train d'ajuster la lumière du sol à mémoire d'empreintes. Il y avait là des traces de sabots, se dégageant très nettement de la couleur du sol en raison de leur luminosité intense. « Copiez ces empreintes, et tâchez de les identifier », ordonna-t-il. « C'est déjà fait sergent, la recherche de correspondances est en cours? » « Bon travail caporal, je crois que notre travail ici est fini. » Le garde désigné comme caporal rangea son matériel et suivit le garde identifié comme sergent. Ils se réunirent pour faire le point, et comme aucun autre garde n'avait trouvé quelque chose, il fut décidé de rentrer au Recognizer, de faire le rapport attendu et de reprendre la patrouille. On décolla, on envoya les données au Czarnogora, et la patrouille reprit son activité.

Dans la bibliothèque, Coucher de Soleil Chatoyant émergea difficilement de sa sieste. Elle avait rêvé qu'elle se faisait poursuivre par une de ces brutes que l'on peut trouver au sein d'une prison. Ce n'était peut-être qu'un rêve, ou plutôt qu'un cauchemar, mais il en demeurait qu'elle se sentait épuisée par ce qu'elle avait cru vivre. Elle partit dans la cuisine se préparer un thé dont elle a le secret, et une fois armée de la tasse fumante dans son sabot, elle alla consulter les messages de Synn. Curieusement, elle n'en avait pas, et ce n'était pas normal. Synn lui envoyait tous les jours un message contenant des remerciements et un ordre de mission. Elle vérifia tout d'abord si son message était parti, ce qui était le cas, puis en envoya un autre incitant Synn à lui répondre afin d'être fixée.

Elle se blottit dans le fauteuil et sirota doucement son thé, attendant toujours le message, et puis une fois la tasse vide elle la posa sur le bureau, et avisa le bracelet de cycle lumineux à utiliser en dernière nécessité à côté de la tasse. Il y avait définitivement quelque chose qui clochait.

Ce qui clochait, ce n'était rien d'autre que Synn s'étant levé pour accueillir Zéphyr, de retour de son excursion. Du quad lumineux descendit d'abord Zéphyr, suivie de Twilight. Synn tomba en arrêt en la voyant. « Twilight ? » demanda-t-il, totalement surpris. « Synn ? » répondit-elle dans un sanglot. « Vous allez enfin pouvoir me dire où je suis ?! » « Mais certainement, tu sais cet endroit merveilleux dont je parlais tout le temps, tu sais la Grille, et bien tu y es. » « Vous appelez un endroit où on peut se faire tuer un endroit merveilleux ? » Synn baissa un peu les yeux. « Je suppose que tu as déjà rencontré Clu, il a comme qui dirait, pris le pouvoir ici. » « Et vous l'avez laissé faire ? » attaqua Twilight. « Il a tué mon programme chef de la sécurité Twilight. Tron, imbattable au combat d'holofer, redoutable aux autres disciplines. Il l'a tué comme ça, et ensuite ses soldats sont sortis de partout. J'ai été obligé de fuir dans cette caverne, et maintenant Clu... » « Clu quoi ? » fit Twilight. « Clu veut anéantir les Isos », dit Zéphyr avec tristesse. Ciel, entendant la conversation depuis son Recognizer, alla les rejoindre. « Vous dites que Clu a tué Tron ? Mais Clu avait pourtant dit que les Isos l'avaient tué... » « Encore un de ses mensonges. Écoute Ciel, ai-je l'air d'un tyran de concepteur d'après toi ? Crois-tu qu'un pauvre étalon dans une caverne au beau milieu de nulle part soit plus dangereux qu'un programme assassin ayant pris le pouvoir par la force ? » objecta Synn « Mais je- » « Non, c'est moi Ciel, c'est de ma faute. Je n'aurais jamais dû créer Clu, jamais je n'aurais dû lui demander de m'aider à créer le système parfait. » Tous baissèrent la tête et restèrent recueillis un moment.

À un moment Twilight releva la tête et demanda « Mais pourquoi Clu en a après ces Isos ? » Un silence. Synn reprit son discours. « Tout simplement parce qu'ils ne sont pas des programmes comme l'entend Clu, Twilight. Les Isos, pour algorithmes isomorphes, ce sont des programmes, mais c'est bien plus ! » s'extasia Synn « Je n'ai jamais écrit un seul de ces programmes. Ils sont apparus d'eux-mêmes, parce que les conditions étaient favorables. Leur potentiel était si riche ! Bien plus que n'importe quel programme que j'écrirais. Je me souviens, quand on a découvert les Isos avec Clu, j'y ai tout de suite vu le miracle, et Clu les a vus comme une menace. Malgré cela le temps s'écoulait, mais pas dans le bon sens, et maintenant que Clu règne en maître il met un point d'honneur à détruire tout ce que j'ai pu entreprendre avec les Isos. » « Mais il ne les a pas encore tous tué non ? On peut encore arrêter ça ! » s'emporta Twilight. « Hélas les armées de Clu sont bien trop nombreuses pour être arrêtées, il n'y a rien que nous puissions faire. » Et tous retombèrent dans le cercle de consternation, agrandi par Ciel. « Je ne peux pas rester sans rien faire, il faut trouver Clu et l'arrêter », dit Ciel. « Je vais demander au quartier général de la Garde noire où le trouver », dit-il en disparaissant dans son appareil. « Attends Ciel ! » dit Synn en le rejoignant. « Toute précipitation est inutile et dangereuse ! » Ciel s'était déjà saisi des commandes et s'apprêtait à décoller. En entendant Synn monter et lui parler, il regarda l'étendue désertique de l'Outreterre devant lui, et reconnut que cela était bien trop précipité.

Sur l'invitation de Synn tout le monde rentra dans la caverne afin de réfléchir à un plan.

Sur le Czarnogora ce fut cette fois-ci un opérateur des forces opérationnelles urbaines qui fut tiré de sa fainéantise de manière brusque, on venait de trouver une correspondance avec l'empreinte relevée sur le terrain. L'opérateur transmit immédiatement les informations à toutes les unités, ordonnant une arrestation immédiate du suspect. « Description du suspect », dit-il à la radio. « Programme de sexe féminin, de race licorne, robe jaune, crinière jaune et rouge, nom connu Coucher de Soleil Chatoyant. Dernière résidence connue : l'ancienne bibliothèque de connexion avec l'extérieur de la grille, fin de transmission. » Et bientôt une demi-douzaine de Recognizers convergèrent vers la bibliothèque, où la licorne concernée ne se doutait de rien, attendant uniquement le message de Synn qui ne venait pas.

Synn et les autres étaient trop occupés à élaborer un plan afin d'arrêter Clu une bonne fois pour toutes. « Il va falloir remettre mon Recognizer en orange », dit Ciel. « Ce sera vite fait, il faut juste que tu puisses nous dire où trouver Clu », fit Synn. « Et comment pourrions-nous aider ? » demanda Twilight. « Il faut t'entraîner », dit Zéphyr. « Si tu veux affronter la Garde noire il va falloir te battre mieux que ce que tu as fait sur la grille des jeux. » Twilight baissa la tête et eut un sourire gêné, probablement par honte. « Je dois admettre qu'elle a raison, Twilight », dit Ciel « J'imagine que ça ne peut pas me faire de mal, peut-être que je suis nouvelle ici mais j'ai réussi à survivre jusqu'à maintenant, je suppose que c'est déjà un début », reprit-elle. « C'est sûr, ce n'est pas un concepteur pour rien ! » rit Synn gentiment. « Ça fait peut-être seulement que quelques heures que je suis ici mais je sais qu'il faut arrêter Clu, c'est pour le bien de tous, c'est impensable de laisser de tels poneys agir librement. » « En fait, cela ne doit même pas faire un millicycle que tu es là », corrigea Synn. « Un millicycle c'est environ 8 heures, tu es là depuis tout ce temps ? » « Non mais... » s'offusqua Twilight, sans pouvoir formuler une réponse. « Désolé », s'empressa Synn. « Concentrons-nous plutôt sur le plan d'accord ? » Ciel hocha la tête et dit « Je suis garde noir je vous rappelle, je connais quelques programmes qui m'ont dit être au service direct de Clu, je peux m'arranger pour trouver où. Et en les trouvant, on trouve Clu », dit Ciel « Magnifique ! Avec ça on a une chance. Vous en pensez quoi les filles ? », demanda Synn. « Ça a l'air de pouvoir marcher. Je vais me préparer avec Twilight, tu viens ? » fit Zéphyr. « Oui ! » dit Twilight en se levant et en la rejoignant dehors.

Derrière Synn clignotait toujours désespérément l'écran où son message à moitié rédigé traînait encore. Synn était malheureusement trop occupé à peaufiner le plan avec Ciel.

À l'autre bout de la ligne Coucher de Soleil n'attendait plus le message, qui devrait être arrivé depuis un bon bout de temps maintenant. Elle faisait nerveusement des aller et venues au sous-sol à coté du bureau. Elle entendit soudain un Recognizer se poser à proximité immédiate de la bibliothèque, puis un autre, et encore un autre, deux autres et les atterrissages ne s'arrêtèrent pas. Elle enfila le bracelet sur le bureau et remonta en quatrième vitesse et sortit par la porte de derrière, évitant de justesse les gardes défonçant la porte d'entrée. Derrière, elle rencontra deux gardes lui coupant la retraite. Elle fonça fougueusement sur eux, brandissant son holofer, toucha mortellement le premier, tombant en fine poussière, esquiva mal une attaque du second et fut saisie d'une violente douleur au flanc. Se reprenant immédiatement, elle enchaîna les coups sur le garde, et finit par le tuer lui aussi, et la route ainsi dégagée, elle activa le cycle lumineux, et ainsi en même temps le signal de détresse incorporé au véhicule.

Déjà deux cycles lumineux orange poursuivaient Coucher de Soleil, et les Recognizers commençaient à décoller pour la poursuivre à leur tour.

L'alarme assourdissant toute la caverne fit enfin tourner Synn vers son écran. Il démarra la communication avec Coucher de Soleil immédiatement. « Coucher de Soleil, qu'est-ce qui ne va pas ? Tu as surpris tout le monde ici », fit Synn en désignant Ciel du regard qui avait saisi son holofer et cherchait des yeux un éventuel intrus « Ce qui ne va pas ? Tu n'as pas envoyé de message aujourd'hui Synn ! » Synn se maudit lui-même à voix haute. « Oh ma Coucher de Soleil je suis vraiment désolé, j'ai eu la visite de celle qui a traversé à la bibliothèque, tu sais Twilight Sparkle ? Oh et j'ai sauvé une Iso d'une ville que Clu était en train de purger, en ramassant un Garde noir au passage, mais ça n'a pas d'importance, que t'arrive-t-il ? » « Ils ont investi la bibliothèque Synn, j'ai dû fuir et ils sont déjà derrière moi. » Elle se retourne. « Je vois des Recognizers, des tas, il faut m'aider Synn ! » dit Coucher de Soleil, paniquée. « Bien sûr, écoute tu as une cachette pas loin de toi selon la carte, va en face de l'hôtel de Lanterne Rouge, tu pourras leur échapper le temps qu'on vienne te chercher. Surtout tiens bon ! » « Merci Synn, je reste en contact ! » « Courage Coucher de Soleil ! » Synn se leva et avertit les autres. « Il faut partir immédiatement en ville, Twilight et Zéphyr, prenez le quadricycle, Ciel et moi prenons son Recognizer. » Ils se mirent ainsi en route sauver Coucher de Soleil Chatoyant.

S'ils arrivèrent rapidement à la cachette ce ne fut pas le cas de la fuyarde, qui rencontra de nombreux barrages de Recognizers voire de blindés. Sur le toit du bâtiment, Ciel attendait d'apercevoir le cycle lumineux bleu pour avertir les autres. Voyant les Recognizers au loin, il ne tarda pas à la voir arriver au bout de la rue, suivie de près par une dizaine de cycles lumineux orange, comme celui qu'il venait de recevoir. Il allait prévenir les autres quand l'impensable se produisit. Un cycle lumineux orange coupa la route à Coucher de Soleil avec son ruban de lumière au milieu du carrefour, détruisant sur le coup son cycle lumineux, et Coucher de Soleil fut projetée sur le trottoir, où un horrible craquement d'os se fit entendre. Ciel rentra dans le bâtiment en galopant comme s'il n'avait jamais galopé.