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Ragnarök

Une fiction écrite par Nochixtlan.

Chapitre 4 : La Terre des Hurlements

Malgré l’incendie qui avait mis une bonne partie d’Aurora en émoi la veille et les soupçons qu’un départ aussi précipité qu’importun pourraient soulever, Loki insista auprès de Swift pour quitter la Cité Boréale et reprendre leur périple. Étant donné que la ville n’avait plus rien à leur offrir, il avaient tout autant intérêt à partir.

Le soir même, après l’incident, ils s’étaient retrouvés dans la chambre de Quill afin d’étudier les cartes, tentant de déterminer le meilleur itinéraire possible, Loki proposant un moyen et Quill apportant les précisions nécessaires.

Grâce aux indications précises de la licorne, il ne leur fallut pas longtemps pour se rendre compte qu’il n’existait que deux itinéraires terrestres qui leur permettraient de rejoindre Ultima au plus vite, et les deux impliquaient de traverser les Montagnes de Cristal.

Le premier, plus long mais bien connu et parfaitement sécurisé, serpentait d’Est en Ouest dans les vallées a creux des montagnes et menait au Plateau Arctique, au centre duquel se dressait l’ancienne capitale de l’Empire de Cristal réapparu depuis peu, Fort-Cristal. De là partait un nouveau chemin orienté plein Nord vers Ultima.

Le second chemin permettrait de gagner près d’une journée et demie de marche, mais présentait deux inconvénients majeurs : tout d’abord, il n’avait pas été emprunté depuis longtemps à cause du second inconvénient : le Col des Hurlements, soigneusement évité des voyageurs.

A ce que Quill avait pu en lire, de nombreuses légendes lugubres circulaient sur le Col, clamant que les esprits en peine de milliers de loups erraient encore à ce jour dans la montagne et que le Col résonnait sans cesse de leurs hurlements gutturaux.

Mais Loki n’était pas de ceux qui se laissent arrêter par des légendes, surtout s’il est possible de comprendre leur origine. Et Quill n’était pas un grand superstitieux, et ne craignait pas les anciens contes de jument.

Ils se mirent en route dès le lever du soleil, après s’être assurés que la note auprès de l’aubergiste avait été réglée et qu’ils pouvaient partir sans plus de craintes de poursuites judiciaires que les doutes qui subsistaient envers Loki compte tenu des poils retrouvés sur la scène de crime. Ils veillèrent toutefois à ne pas paraître trop pressés, et à ce que quelques poneys de passage les voient quitter la ville. Mieux valait éviter les ennuis au maximum.

Pendant de longues heures, ils restèrent silencieux, n’écoutant que le souffle du vent et les craquements de la neige sous leurs pattes. Loki était toujours d’humeur aussi maussade, et peu enclin à la discussion, ce que Quill semblait respecter en veillant à garder le silence.

Pourtant, la monotonie de leur voyage commençait petit à petit à leur peser, le besoin de parler, même pour ne rien dire, se faisant de plus en plus sentir. Et même si ce malaise était très visible chez Quill, qui ouvrait parfois la bouche pour dire quelque chose mais se ravisait au dernier moment, Loki aussi souffrait de ce silence pesant et de la monotonie effrayante du rythme de ses propres pas.

S’il ne voulait pas devenir fou, il fallait qu’il entame le dialogue, quitte à parler de la forme des flocons de neige.

- Il faudrait quand même que tu m’explique pourquoi tu tiens tant que ça à aller au devant du danger avec moi, lâcha Loki de but-en-blanc.

- Je te l’ai dit, je cherche à retrouver l’inspiration, répondit Quill pour clore rapidement la discussion, bien qu’il fut trop heureux de pouvoir parler à nouveau.

- Tu parlais de la neige et des paysages blancs, les forêts et les aurores boréales. Tu as tout ici, à Aurora, en parfaite sécurité. Sans compter le fait que la ville elle-même est absolument superbe. Tu aurais une infinité de sujets, et je suis sûr que tu as déjà fait une ou deux esquisses pendant la nuit.

- C’est vrai, avoua la licorne. Un seul tableau d’Aurora me ferait connaître à Canterlot. Avec toutes ces couleurs, toutes ces lumières…

- Alors pourquoi me suivre jusqu’à Wulfangar, alors que tu risques probablement ta peau ?

- Si je te dis pour tes beaux yeux, tu me crois ?

- Je crois surtout que je t’arrache le museau pour avoir fait la pire blague du monde.

- On va éviter alors.

- Ce serait plus sage, conclut Loki avec un léger hochement de tête enjoignant Quill à répondre à la première question.

Ce dernier prit une profonde inspiration, cherchant au passage comment formuler sa réponse. Il n’avait visiblement jamais envisagé qu’on lui pose une telle question.

- D’accord. Ca paraît un peu dingue, mais je pense que chacun fait partie d’un tout, et qu’on a chacun notre rôle à jouer dans ce tout. Une sorte de mission.

- Ce n’est pas si dingue que ça. Après tout, qu’en savons-nous, nous ne sommes peut-être que des personnages d’un roman divin ? Par contre, je croyais que tu connaissais déjà ta mission. Ce n’est pas un peu le principe des Cutie Marks ?

- La Cutie Mark est le reflet de notre talent spécial, rectifia Quill. Notre mission n’a pas forcément quoi que ce soit à voir avec notre talent.

- Pas sûr. Imagine qu’en vendant un tableau tu puisse inspirer une prise de conscience à quelqu’un d’influent qui pourrait ainsi influer directement le destin de toute la population ?

- Peut-être, mais dans ce cas ce ne serait pas MA mission, mais celle de celui qui aurait acheté le tableau. C’est pour ça que je veux affronter le danger. Je veux découvrir mon utilité sur cette foutue planète, et voir ce dont je suis capable. Savoir pourquoi je suis né.

Alors que la licorne prononçait ces dernières paroles, Loki aurait juré qu’il avait vu une lueur étrange s’allumer dans ses yeux noisette, qui se rapprochait certainement le plus de la détermination.

- Tu sais, l’utilité de chacun n’est pas forcément dans les grands accomplissements. Rien qu’en existant tu remplis peut-être déjà ta mission sans t’en rendre compte, en influençant les autres par tes idées.

- Peut-être, ça rejoint ce que tu as déjà dit avec cette histoire de tableau. Mais quelque chose me dit que c’est plus important que ça. J’ai toujours été persuadé qu’un jour, j’aurai un rôle prépondérant dans des évènements importants, même si je n’en connais pas encore la nature.

- Tu te considères un peu comme un élu des dieux, si je comprends bien.

- Dit comme ça, ça me fait passer pour un malade, mais c’est à peu près le concept.

Loki soupira. S’il savait à quel point il n’avait pas la moindre idée de ce dont il parlait.

- Être choisi entre tous par les dieux, tu sais, c’est loin d’être une sinécure, dit tristement Loki. C’est même pire que tout.

- En quoi ? Et comment pourrais-tu le savoir ?

- Si je te le disais tu ne me croirais pas de toute façon. Mais sache juste que quand les dieux ont fait de toi leur pantin – leur élu, si tu préfère – ton destin ne t’appartient plus. Tout est tracé, le moindre de tes faits et gestes a été pensé auparavant, et tu n’existes plus que pour jouer le rôle que des marionnettistes divins t’ont attribué. C’est la pire des conditions. Ton libre arbitre t’est enlevé, chaque élément placé sur ta route l’est pour une bonne raison, et chaque souffrance qui t’es infligée a été méticuleusement calculée auparavant. C’est une condition horrible. Tu te crois toujours investi d’une mission divine ?

Quill considéra un instant son compagnon à fourrure. Il avait la tête basse, et le regard perdu dans le vague, ce qui laissa l’impression à Quill qu’il en savait bien plus qu’il ne le laissait entendre. On eût dit non pas qu’il réfléchissait, mais qu’il se souvenait. Des souvenirs terribles, que le coyote aurait préféré garder enfouis au fond de sa mémoire.

Quill ne put s’empêcher de penser que Loki cachait de nombreux et terribles secrets derrière ce cache-œil.

- Tu as sans doute raison, finit par dire la licorne. Mais je ne connais rien de ma destinée, et même si au final je ne suis pas l’acteur de mon propre avenir, je l’accepte. Si j’ai été créé, c’est pour une bonne raison, et si je fais partie d’un plan à grande échelle, alors je compte jouer mon rôle jusqu’au bout. Mais avant tout, je dois découvrir quel est ce rôle, quelle est ma mission.

- C’est noble et intelligent de ta part, souffla Loki. J’espère qu’un jour tu trouveras ta place.

- Merci.

Le silence s’installa à nouveau, au regret de chacun. Il ne fallut pas longtemps à Quill pour éprouver de nouveau le besoin de communiquer, d’en apprendre un peu plus sur ce coyote si mystérieux. Il embraya alors sur un nouveau sujet, tentant d’évoquer le passé lointain de leur enfance, à grands renforts d’anecdotes stupides et amusantes, et parvint à délier la langue de Loki.

Ils se contèrent leur jeunesse respective, l’artiste se remémorant son enfance dans une famille de la bourgeoisie de Canterlot et son rejet de celle-ci, ce qui l’avait mené à sa condition actuelle d’artiste reclus peinant à arrondir les fins de mois. Loki parla de la sienne, qu’il vécut entouré de ses parents et de sa sœur Harmonie avec qui il partageait tout, jusqu’à ce qu’elle disparaisse deux ans plus tôt. Toutefois, Loki veilla à ne jamais mentionner que la nature d’Harmonie différait quelque peu de la sienne.

Ils enchaînèrent ensuite des sujets innombrables, tentant de meubler le silence de l’hiver à l’aide de leurs voix, conversant de sujets plus ou moins sérieux, blaguant comme de vieux amis ou échangeant leurs rêves d’avenir.

Loki apprit ainsi que Quill rêvait, en plus d’intervenir directement dans la destinée du monde, d’ouvrir sa propre galerie d’art, et que son talent soit enfin reconnu par la haute société de Canterlot.

En retour, le coyote confia à la licorne que la seule aspiration à laquelle il rêvait était de s’installer définitivement et de vivre une réelle vie de famille avec sa femme laissée à Ponyville, et pourquoi pas des enfants dans un avenir favorable.

C’est ainsi, en débattant de la fécondité d’une union entre un coyote et un poney, que les deux compères prirent le chemin qui les mènerait à travers les Montagnes de Cristal.

La chaîne des Montagnes de Cristal se détachait sur l’horizon gris de l’hiver et s’approchait d’heure en heure, ses flancs couverts de coulées de neige et de forêts de pins s’étendant sous les sommets ornés de neiges éternelles apparaissant avec une netteté toujours croissante.

Il fallut une journée complète à Loki et Quill pour rallier le pied des colosses minéraux, où ils bivouaquèrent afin de passer la nuit emmitouflés dans d’épaisses couvertures près du feu. Une fois le camp levé, ils empruntèrent un long sentier sinueux serpentant à flanc de montagne à travers les bois, décrivant des tours et des détours innombrables pour faciliter l’ascension des montagnes.

Bientôt, le sentier fut entièrement encadré de part et d’autre par la forêt, et les arbres offraient une protection plus que bienvenue contre la morsure glacée du vent, ce qui permit à Quill d’ôter l’écharpe qui lui masquait le visage avec soulagement.

En l’absence du sifflement du vent, la forêt était parfaitement silencieuse. Aucun oiseau ne chantait, aucun animal ne furetait à travers les buissons en quête de nourriture. Rien d’autre qu’un silence apaisant, propice à la réflexion.

Une réflexion, qui, dans le cas de Loki, ne fut pas la bienvenue. Il aurait aimé s’accaparer les pensées avec autre chose que ses regrets et son sentiment d’avoir en quelque sorte abandonné Rarity. Il aurait aimé l’avoir près de lui, en ce moment même, sentir son corps contre le sien, entendre son cœur battre…

Mais s’il l’avait abandonnée ainsi temporairement, c’était pour ne pas la faire souffrir, et il devait se tenir à cette pensée, ce qui s’avéra bien plus évident à penser qu’à exécuter.

Quelques longues heures après le début de leur ascension des montagnes, Loki et Quill parvinrent à un croisement, dont le centre de la fourche était agrémenté d’un panneau en forme de flèche pointant vers l’Est et indiquant Fort-Cristal.

- Ils ne prennent même pas la peine d’indiquer où mène l’autre sentier, constata Quill.

- Probablement pour éviter qu’on s’y aventure, interpréta Loki.

Ils s’entreregardèrent, et eurent un sourire presque machiavélique et s’engageant sur le sentier non indiqué.

- Le danger ? Je me ris du danger ! ricana Loki.

Cependant, ce second sentier ne fit pas rire Loki longtemps. S’il était certainement plus court que le premier, il était également beaucoup plus pentu, et son escalade était beaucoup plus difficile et épuisante. Sans parler de la véritable invasion végétale dont il souffrait, les buissons d’aubépine ou de genévrier entravant la progression des voyageurs avec une malignité diabolique. Sous le couvert végétal des buissons et des innombrables plantes rampantes, le sentier était à peine discernable, et encore moins praticable.

Les deux compères durent se résoudre à quitter complètement le sentier, et à se fier à la boussole de Quill en se dirigeant vers le Nord. Là où poussaient les grands arbres, la végétation au sol était moins dense, et donc le terrain un peu moins difficile, ce qui encouragea un peu les voyageurs à poursuivre leur route.

Au bout de quelques heures de crapahutage à travers la pinède, la végétation commença petit à petit à s’éclaircir, et le vent glacé fit son grand retour, sifflant entre les arbres comme un démon en chasse.

Bientôt, la végétation disparut totalement, laissant un paysage parfaitement nu, épargné même par la neige. Le granite grisâtre constituait le seul élément du paysage où que les voyageurs posent les yeux à cet endroit de la montagne.

Et plus ils avançaient, plus il semblait que le vent portait avec lui des échos lugubres et étranges de plaintes lointaines.

Autour de Loki et Quill, le relief s’accentuait petit à petit, des falaises commençant à s’élever de part et d’autre du sentier, avec ça et là des traces d’éboulis et des blocs de granité éparpillés par l’érosion de la montagne.

Piégés par les à-pics rocheux, Loki et Swift Quill n’eurent d’autre choix que de continuer à suivre le sentier, restant sur le qui-vive alors que l’atmosphère devenait de plus en plus tendue et que le hurlement du vent s’intensifiait.

En marchant au centre de ce défilé aux falaises si hautes que seule une étroite fenêtre de vision permettait d’observer le ciel, Loki eut la désagréable impression que Quill et lui n’étaient pas seuls. Les poils de son échine et de ses pattes se hérissèrent bien malgré lui quand il crut apercevoir des silhouettes fugitives à la périphérie de son champ de vision.

Quill aussi semblait mal à l’aise, et le vent qui produisait un son pratiquement surnaturel ne faisait qu’accentuer ce sentiment.

Bien qu’ils aient tous deux repéré les multiples ouvertures qui criblaient les falaises et dans lesquelles le vent s’engouffrait et produisait cet affreux son, ils ne parvenaient pas à se rassurer.

Car le vent qui soufflait dans ce canyon stérile produisait un son terriblement semblable au hurlement d’une meute de loups.

Le brouhaha créé par toutes les cavités dans la roche donnait même l’impression qu’une véritable horde de monstres se tenait à la sortie de ce que Loki et Quill considéraient déjà comme étant le Col des Hurlements et attendait les voyageurs pour se ruer sur eux et les déchiqueter vivants.

Le coyote regretta presque sa décision d’avoir voulu emprunter ce passage maudit, et Quill comprit que les nombreuses légendes qui alimentaient le folklore du lieu avaient peut-être un fond de vérité. Il se rappela un détail qui le fit frissonner : on racontait que le vent du Col n’avait jamais « hurlé » de la sorte avant la bataille du Col des Hurlements, lors de la Guerre des Mille Chandelles.

Les esprits qui hantaient le lieu en étaient-ils responsables ?

Les voyageurs préférèrent hâter le pas plutôt que de le découvrir.

Ce qui ne fit que les amener encore plus rapidement vers une découverte macabre.

De loin, on eut dit que deux crocs jaillissaient de la roche, de part et d’autre du sentier.

Il s’agissaient en fait de deux piliers gigantesques, culminant probablement à près de trente mètres, et dont la base était large de trois mètres.

Mais le plus choquant à propos de ces piliers était le matériau de construction utilisé.

Chacun des piliers était assemblé à partir de crânes et d’ossements de carnivores.

Pris d’une curiosité morbide, Loki ne put se retenir d’aller examiner l’un des piliers de plus près.

Les horribles et innombrables gueules grimaçantes des crânes semblaient se tourner vers lui alors qu’il approchait, le contemplant du fond de leurs orbites vides. Il chassa ces pensées idiotes, et examina de plus près la structure d’ossements.

Nombreux étaient les os portant les traces de la mort violente de leur propriétaire : crânes fêlés voire défoncés d’un coup de sabot, entailles probablement dues à des coups d’épées ou de haches, fractures en tous genres, traces de brûlure…

Ces piliers étaient un monument monstrueux à la victoire des poneys sur les loups lors de la bataille pour le contrôle du Col, et constituaient un avertissement terrifiant pour tout carnivore qui s’égarerait en ce lieu.

Et ce qui déplut le plus à Loki à propos de ce pilier de mort, c’était l’impression que des dizaines d’ombres s’agitaient et se terraient dans les recoins d’ombre lorsque son regard était détourné de leur position, disparaissant à chaque fois qu’il tentait de s’assurer qu’il avait vu quelque chose et le laissant avec le goût amer du doute.

Des milliers d’âmes perdues et vouées à passer une éternité de tourments dans le froid et la morsure du vent, sous le ciel gris d’un hiver sans fin… Si la plupart des victimes n’avaient pas été des loups, Loki en aurait presque tiré une larme.

Mais il n’y avait pas que des loups.

Un crâne plus petit et plus fin que les autres attira son attention.

Un crâne de coyote.

Il voulut le saisir d’une patte, mais les os se désagrégèrent sitôt qu’un de ses coussinets toucha la surface d’ivoire.

- Il y a une signature magique importante sur ces choses, informa Quill. Un sortilège puissant, probablement l’œuvre des princesses.

- Ca expliquerait comment tout cela tient ensemble et pourquoi les os ne se sont pas désagrégés depuis tout ce temps, commenta Loki en essuyant la poussière d‘os qui maculait sa patte, laissant les grains être dispersés par le vent.

- En tous cas, ca fait froid dans le dos. On ferait mieux de s’en aller.

- Oui. Laissons les en paix.

Les voyageurs abandonnèrent prestement leur découverte, toutefois un peu inquiets à l’idée de tourner le dos aux monuments macabres et aux âmes piégées autour d’eux, et ne pouvant se départir de la désagréable impression d’être observés.

Le Col se poursuivit sur encore près d’un kilomètre, avant que les falaises ne s’affaissent et que l’atmosphère se détende enfin. Le sentier commençait à redescendre le long des montagnes, vers de nouvelles forêts de pins enneigées.

Mais surtout, le coyote et la licorne constatèrent avec soulagement qu’au loin, le paysage avait changé. Ce n’étaient plus des montagnes à perte de vue qui s’offraient à eux. C’étaient les terres enneigées et infinies de Wulfangar, la patrie des loups, la Terre des Hurlements.

Leur objectif approchait.

Durant les trois jours qui suivirent, les deux voyageurs continuèrent leur route sous la sécurité relative des flancs des montagnes, cheminant plein Est. Comme les cartes de Quill ne permettaient pas de décrire une position précise des frontières de Wulfangar, mieux valait éviter de les traverser par inadvertance et se retrouver à la merci des loups.

Ils continuèrent donc à travers la forêt, savourant le retour de cette nature exubérante qui contrastait drastiquement avec la roche pelée du Col des Hurlements, et se délectant des quelques chants d’oiseaux qu’ils purent entendre.

Enfin, au terme de ces trois jours, une silhouette massive apparut au creux d’une vallée, dans la limite Nord des Montagnes de Cristal. Quelques lumières brillaient, visibles de loin, et mettant du baume au cœur du voyageur qui voyait sa destination à portée de patte.

Ultima attendait patiemment leur venue, entourée de ses épaisses murailles de pierre et de ses tours de guet.

Le dernier bastion équestrien dans les terres du Nord.

Sans plus attendre, ils trottèrent vers les portes principales de la cité fortifiée, contournant les remparts de granite avant de s’arrêter devant les deux immenses battants en bois de pin, éclairés de part et d’autre par des torches brillant visiblement d’une flamme magique.

Leur approche causait un remue-ménage assez évident à l’intérieur, et on pouvait entendre des ordres hurlés et les bruits de galopades même par-dessus les remparts. Apparemment, les gardes d’Ultima n’étaient pas habitués à recevoir des visiteurs.

Dans un bruit mécanique de rouages qui s’entrechoquent, les portes s’ouvrirent lentement, dévoilant aux voyageurs les entrailles de la cité, et surtout le comite d’accueil en armure venu leur souhaiter la bienvenue.

Un poney assez grand à la robe grise et portant une armure dorée s’avança vers eux.

- Vos papiers, aboya-t-il presque

Quill ouvrit une poche de son sac par télékinésie, et fit flotter leurs deux passeports jusqu’au garde, qui les saisit au vol et les examina rapidement.

Une chance que Loki ait obtenu le sien peu après son mariage.

- Vos noms, demanda le garde en parcourant rapidement les papiers du regard et comparant les photos d’identité avec les visages qu’il avait devant lui.

- Swift Quill.

- Loki Kengan.

- C’est bon, dit le garde en faisant signe à ses subordonnés de retourner à leur poste. Veuillez me suivre, ajouta-t-il à leur attention.

- Hein ? fit Quill, surpris. Vous ne nous arrêtez pas, tout de même ?

- Non, vous êtes en règle, mais nous avons pour instructions de présenter tous les nouveaux arrivants au commandant Star Shield.

- C’est la plus haute autorité d’Ultima ? demanda Loki.

- En effet.

- Ca tombe bien, parce que nous aurions sûrement eu besoin de le rencontrer à un moment ou à un autre.

Sans ajouter un mot, le garde leur fit remonter une large artère centrale, à partir de laquelle rayonnaient de nombreuses rues jusqu’aux murailles. De part et d’autre de cet axe se trouvaient surtout des bâtiments de première importance, comme la caserne, la taverne de la ville, la forge ou le marché couvert, et Loki devina que les rues menaient toutes aux habitations des gardes stationnés en garnison ou de leurs familles.

Tout était organisé de façon bien ordonnée et facile d’accès, avec une rigueur toute militaire donc. De plus, la plupart des poneys que Loki put voir portait une armure, et il aperçut même ce qu’il pensa être un groupe de jeunes recrues faire le tour du chemin de ronde en trottant, probablement dans le cadre de leur entraînement militaire.

Le garde les mena lui et Swift jusqu’au bâtiment se trouvant au bout de l’artère, qui faisait probablement office de mairie. Fortifié tout aussi efficacement que le reste de la ville, on eût dit un château miniature.

Une fois à l’intérieur, le poney qui accompagnait les voyageurs le leur laissa pas le temps d’admirer la décoration plus que spartiate de lieux, qui se résumait à une ou deux plantes vertes et de larges tentures à la gloire d’Equestria ou d’immenses cartes du monde– et surtout qui aurait fait hurler Rarity d’horreur, et les entraîna à sa suite dans une série d’escaliers en colimaçon avant de les mener dans une antichambre simplement occupée par un banc adossé au mur de pierre faisant face à une lourde porte.

Le garde frappa doucement du sabot sur le battant, et annonça l’arrivée de Loki et Quill. Une voix lui répondit de les faire entrer sans attendre.

Le soldat se posta à côté de la porte qu’il ouvrit pour les voyageurs, et referma le battant derrière eux sitôt qu’ils furent entrés.

A l’intérieur, la décoration était un plus poussée, de grandes cartes ornant les murs entre deux bannières équestriennes, et un rack d’armes reposant contre un mur aux côtés d’un mannequin engoncé dans une lourde armure dorée. Par ailleurs, le mur du fond était percé de deux grandes fenêtres en ogive, apportant un peu de lumière à l’endroit rendu très sombre par le granite structurant les murs.

Au centre de la pièce trônait un bureau de bois massif, derrière lequel était assis un poney d’une carrure assez imposante, à la crinière légèrement bouclée d’un noir de jais et portant une longue corne torsadée sur le front.

Il se leva et contourna son bureau afin de venir saluer ses visiteurs.

- Bienvenue à Ultima, voyageurs ! dit-il d’un ton chaleureux, tendant un sabot couvert de fourrure blanche et serrant la patte à chacun. Je suis le commandant Star Shield, et je suis enchanté de faire votre connaissance !

- Loki Kengan, c’est un plaisir, retourna le coyote, rapidement imité par la seconde licorne.

- Vous m’en voyez ravi, dit le commandant de sa voix grave, rocailleuse et chaleureuse à la fois, dégageant une aura de sympathie. Vous vous demandez sans doute pourquoi je vous ai fait amener ici ?

- Il paraît que c’est le règlement en vigueur dans la cité, nous nous sommes contentés de suivre, dit Quill d’un ton incertain.

- Méfiez vous de suivre des inconnus ! plaisanta le commandant. Mais oui, j’ai bien demandé à ce qu’on me présente tous les étrangers arrivant en ville. Qu’est-ce qui vous amène dans notre belle cité ?

- Nous sommes venus effectuer quelques recherches, répondit Loki, et…

- Ah ! Des scientifiques ! coupa Star Shield. Ca fait longtemps qu’on n’en a pas vu ! Et sur quoi vont porter vos recherches ?

- En fait, ça n’a rien à voir avec la science, précisa Quill.

- Je suis venu ici pour retrouver mes racines, dit Loki. Je ne suis pas né dans le Nord, et je voudrais découvrir d’où je viens.

- Et je l’accompagne, ajouta Quill.

Il sembla que Star Shield perdit un peu de son entrain, une ombre de soucis s’égarant un instant sur son visage.

- Je vois. Et je suppose que vous n’êtes pas non plus d’Ultima ?

- Non, confirma Loki. Et nous comptions en fait utiliser Ultima comme « base » pour nos recherches. Ce serait notre point de départ et notre point de chute si les recherches s’avéraient stériles, le temps de découvrir d’autres pistes.

- Je comprends, reprit le commandant qui était reparti s’asseoir derrière son bureau. Combien de temps resteriez-vous à Ultima, dans ce cas ?

- Pas longtemps, assura Quill. Un ou deux jours incluant aujourd’hui, le temps de faire quelques recherches dans votre bibliothèque –si vous en avez bien une. Ensuite, nous partirons, et si tout se passe bien, nous ne reviendrons même plus vous ennuyer.

Le commandant posa les coudes sur son bureau, avant de poser son menton sur ses sabots joints, les yeux perdus dans le vague entre lui et les papiers éparpillés qui couvraient le meuble.

- Vous savez, dit-il après un instant, ce qui me gêne le plus n’est pas tellement ce que vous ferez ici et le temps que vous comptez rester. D’ordinaire, j’essaie d’évaluer la résistance mentale et physique des nouveaux arrivants, afin de m’assurer qu’ils pourront tenir le choc malgré les conditions qui sont un peu rudes, par ici. Cependant, votre cas est réellement spécial, et le vrai problème serait de vous voir revenir avec les loups sur les talons. Ils savent bien qu’Ultima se trouve ici et ont jusqu’à maintenant toléré notre présence, et j’aimerais que ça continue ainsi. Qui sait comment ils réagiraient si des intrus en provenance de chez nous s’introduisaient sur leur territoire ?

- Nous comprenons bien, assura Loki. La sécurité avant tout.

- C’est ça. Ecoutez, tout ce que je puis faire pour le moment est de vous laisser un accès libre à notre bibliothèque, afin que vous ayez un maximum d’informations. Et je ne saurai vous déconseiller de bien étudier la géographie de Wulfangar, afin de prendre un minimum de risques lors de vos expéditions, je ne veux vraiment pas subir de représailles si vous vous introduisez sur leurs terres. C’est tout ce que je puis faire.

- C’est déjà énorme, fit Quill. Merci beaucoup.

De nouveaux coups résonnèrent sur le battant de la porte d’entrée du bureau.

- Encore des nouveaux ? fit le commandant, surpris. Qu’ils entrent !

Loki et Quill s’écartèrent, afin de laisser la place au nouvel arrivant.

Une jeune pégase à la robe couleur crème et arborant une crinière d’un roux presque rouge fit son entrée. Elle portait une armure de garde – bien qu’elle se fut délestée de son casque – ainsi qu’une livrée bleue et or.

Alors qu’elle passait devant lui et Loki sans leur accorder un regard d’un pas visiblement fatigué, Quill ne put s’empêcher de lorgner brièvement la croupe de la ponette, avant de reporter son attention sur elle et le commandant.

Elle respirait lourdement, et elle peinait à replier ses ailes, comme si elles la faisaient souffrir.

- Sentinelle Autumn Frost au rapport, commandant, ahana-t-elle en se mettant maladroitement au garde-à-vous.

- Repos, Sentinelle Frost, ordonna Star Shield. Comment sont les nouvelles de Canterlot ? demanda-t-il après avoir jeté un bref coup d’œil à la livrée de la pégase.

- Mauvaises, je le crains, mon commandant.

Quill recentra son attention sur la ponette dans son ensemble. Et il avait du mal à savoir exactement quoi, mais quelque chose le gênait chez cette nouvelle arrivante. Quelque chose qui clochait.

Etait-ce sa fourrure étonnamment fournie pour quelqu’un de son espèce, ou était-ce son apparence frêle et sa voix trop douce pour un militaire qui juraient atrocement avec cette armure qui semblait trop lourde pour elle ?

Pour Quill, la pégase n’avait rien d’un Garde Royal. On aurait plus dit qu’elle s’était trompée de voie, et avait été engagée dans les corps militaires par erreur.

Et que dire de ce flanc vierge de toute marque, dont la licorne avait un léger aperçu de par son point de vue plutôt avantageux ?

L’artiste reporta son attention vers Shield, qui s’était tourné vers le coyote et lui sitôt que Frost avait fait son annonce.

- Messieurs, ce fut un plaisir, dit le commandant, invitant les visiteurs à le laisser seul avec la sentinelle.

- Non, non, ce n’est pas utile, dit rapidement Frost. Il s’agit d’un cas de force majeure, et j’estime que la population d’Ultima doit être mise au courant dans les plus brefs délais.

Loki et Quill s’entreregardèrent. Déjà qu’il était étonnant qu’un garde prenne de telles initiatives au lieu de se cantonner à suivre les ordres qu’on lui donnait, celui-ci se révélait des augures les plus sinistres.

De toute façon, quelles bonnes nouvelles un pégase venu de la capitale dans cette région perdue pouvait-il bien apporter ?

- Je vois. Dans ce cas, parlez, reprit Shield, dont la voix trahissait l’appréhension de celui qui connaît déjà la suite des évènements. Soyez prompte, et sans détours.

Frost prit une profonde inspiration, et libéra sa terrible nouvelle comme un couperet.

- Nous sommes en guerre, mon commandant.

Loki et Quill restèrent bouche bée devant cette annonce. Bien que l’ampleur de la nouvelle ait été prévisible, ils ne s’attendaient pas réellement à un tel cas de figure.

Les choses risquaient de se corser sévèrement pour eux.

Le commandant resta stoïque, comme tout meneur de poneys se devait de l’être. Une réaction exagérée pouvait mener à des mesures exagérées, ce qu’il fallait éviter à tout prix dans un cas critique comme celui-ci.

- En guerre, répéta-t-il pour lui-même.

- Oui, monsieur.

- Avec les loups, j’imagine ?

- Ils nous ont envoyé leurs deux princes et leur déclaration hier après-midi, monsieur, confirma Frost. J’ai fait aussi vite que j’ai pu.

- Vous avez bien fait, assura Shield en se levant à nouveau de son siège pour se placer devant une des fenêtres et observer l’extérieur. De toute manière, qui d’autre que les loups pour que j’en sois informé ? Ultima n’existe que pour les garder à distance.

Shield baissa la tête, et reprit d’un air grave :

- Moi qui pensais que nous pourrions peut-être finalement vivre en paix avec eux… Cela fait des dizaines d’années qu’on n’a plus eu à subir le moindre raid de la part de pillards autonomes. Nous avons même reçu le seigneur Garm il y a quelques années, qui nous assurait qu’il prendrait des mesures pour qu’Ultima n’ait plus à s’inquiéter de la présence des loups à quelques kilomètres.

Il frappa le sol de son sabot.

- Les traîtres…

L’atmosphère dans le bureau du commandant était tendue à l’extrême. Il suffirait d’un rien pour que la situation s’envenime, aussi chacun garda-t-il le silence, laissant le commandant réfléchir à la conduite à adopter.

Quill ne put s’empêcher de continuer à détailler Frost. Elle était visiblement épuisée, mais faisait tout pour ne pas trahir son essoufflement devant le commandant. Sa poitrine se soulevait avec force, alors qu’elle tentait de reprendre son souffle comme un poisson hors de l’eau en tentant tant bien que mal de faire un minimum de bruit avec sa respiration sifflante. De plus, elle étirait ses ailes d’une manière étrange, comme si elle était percluse de crampes.

Bien qu’il n’eût pas une grande expérience des pégases, Quill savait que la plupart d’entre eux était capable de voler pendant toute une journée sans se fatiguer. Même si celle-ci avait probablement forcé la cadence jusqu’à ses limites, elle ne devrait pas se trouver dans un tel état d’épuisement avec un entraînement militaire derrière elle.

- Il faut que je donne un ordre d’évacuation, reprit Shield. Les loups vont probablement arriver rapidement à nos portes, et je ne peux pas laisser les civils à leur portée. Ce serait leur faciliter la tâche. Messieurs, je crains de devoir vous interdire de poursuivre votre voyage.

- Comment ? fit Loki, presque autant pour la forme que pour s’assurer qu’il avait bien compris.

- Je vous demande de rentrer chez vous, et d’oublier cette histoire d’expédition dans Wulfangar.

Quill eut une moue inquiète et jeta un regard fuyant à Loki, dont le poil se hérissait déjà sous l’effet de la colère.

- Vous n’avez aucun droit de faire ça, gronda le coyote. Nous ne sommes pas des soldats, vous n’avez aucune autorité sur nous.

- Je représente l’autorité dans cette ville, et en tant que citoyens d’Equestria, vous êtes en devoir de m’obéir, répliqua Star Shield d’un ton abrupt. C’est de votre propre sécurité qu’il s’agit.

- Je me moque de la sécurité, cracha Loki en montrant les crocs et en balançant mollement la queue de droite à gauche. J’ai accepté de prendre des risques en quittant ma maison, et je ne vois pas en quoi les choses ont changé depuis dix minutes. Vous ne m’empêcherez pas de partir.

- Ecoutez, dit le commandant en haussant la voix et en venant se placer face à Loki. Lorsque je me suis engagé dans la Garde, j’ai fait le serment de protéger le territoire équestrien ainsi que sa population, chaque étalon, jument, poulain et pouliche, ou même mouton, âne, griffon ou coyote. Et je tiendrai ce serment, que vous le vouliez ou non. S’aventurer à Wulfangar en période de rassemblement de troupes relève du suicide, au sens propre du terme. La sécurité du territoire sera renforcée, la surveillance accrue, et pas même une souris ne sera capable de poser un pied sur leur territoire sans que les dirigeants en soient informés.

- Et que comptez-vous faire ? M’enfermer pour m’empêcher de partir ?

- Si je dois en arriver là, oui.

- Vous avez conscience que dès que les loups arriveront ici, j’en profiterai pour m’échapper, ou que je mourrai en essayant, et que votre plan tomberait à l’eau ?

Shield jeta un regard noir au coyote, qui ricana intérieurement d’avoir si facilement perturbé les plans du commandant. Il n’avait pas toujours eu l’esprit aussi vif.

- Si je ne peux pas vous empêcher de mettre votre vie en danger, je peux au moins essayer de vous dissuader de le faire. Je vais laisser des instructions pour qu’on vous interdise l’accès à la bibliothèque. Peut-être que si vous ne disposez pas des bases de votre voyage, vous en abandonnerez l’idée.

- Espèce de… siffla le coyote entre ses dents.

- Maintenant, je vais vous demander de sortir. Beaucoup de travail m’attend. Et réfléchissez bien avant de commettre une folie.

Ivre de rage, Loki fit volte-face avec la vivacité d’un serpent, et quitta le bureau en ouvrant la porte à la volée, suivi par un Swift Quill à la fois sceptique et inquiet du suivi des opérations.

Ce commandant de pacotille… De quel droit se permettait-il de décider de l’avenir des gens qu’il rencontrait ? Etait-il borné et stupide au point de ne pas comprendre que Loki prenait des risques calculés, et qu’il savait qu’il fallait éviter les endroits à haute concentration de loups ?

Le prenait-il vraiment pour un imbécile ?

En tous cas, ce n’était pas ça qui allait l’arrêter. Ce n’était qu’un contretemps, rien de plus. Il s’agirait seulement de trouver un autre moyen de déterminer leur destination finale, les terres du peuple coyote.

Mais comment ? Ils étaient venus à Ultima dans l’espoir que leur bibliothèque renfermerait les informations qui leur manquaient à Aurora, grâce à leur contact privilégié avec les peuples carnivores.

Loki avait envie de hurler et de fracasser des objets, de jeter les mannequins porte-armure au sol et d’envoyer les protections voler à travers le bâtiment.

- Que comptes-tu faire, à présent ? demanda Quill a mi-voix.

- On continue, gronda le canidé.

- Je ne veux pas te provoquer ni quoi que ce soit, mais je crois que le commandant a raison. C’est de la folie de partir maintenant.

- On continue, répéta Loki en foudroyant la licorne du regard. Nous ne sommes pas allés si loin pour renoncer maintenant. Et il doit bien y avoir un autre moyen de savoir où aller…

Quill n’en rajouta pas plus. Relancer le débat ne servirait à rien, tant Loki restait centré sur son objectif. Autant essayer de lui prêter patte-forte, puisque la dissuasion ne fonctionnait pas.

- Peut-être qu’avec les cartes… commença Quill alors qu’ils arrivaient au bas de l’escalier en colimaçon.

- Tes cartes sont trop anciennes, on n’en tirera rien.

- Les miennes, non. En revanche, celle-ci, ajouta le poney en désignant le cadre accroché au mur qui se trouvait à leur droite, à la sortie des escaliers.

Loki n’en revenait pas. Il n’avait même pas remarqué cette immense page de science qui trônait pourtant directement face à l’entrée du bâtiment.

Un parchemin de trois mètres sur deux mis sous verre et disponible aux yeux de tous, présent dans le gigantesque hall d’entrée, probablement pour les explications d’ordre tactique qui s’adressaient à l’ensemble de la soldatesque.

Et pour Loki, le passeport qui lui permettrait enfin de percer les mystères qui entouraient son passé.

Avant même qu’il ait pu en formuler la pensée, Quill avait tiré un calepin de son sac et commençait à griffonner sur les feuilles de papier, tentant de reproduire la carte en un minimum de temps et avec un maximum de précision.

- Maintenant qu’on a une carte assez précise du coin, on va pouvoir étudier les noms des villes et voir s’il n’y en a pas qui jurent un petit peu avec les autres.

- Quill, tu es un génie, dit Loki avec un sourire qui fit autant plaisir à l’intéressé qu’il lui fit froid dans le dos.

Un vrai sourire de carnivore.

Ils quittèrent prestement le bâtiment, retrouvant le vent glacé et la neige de l’extérieur.

- Qu’est-ce qu’on fait, du coup ? On passe la nuit ici ? s’enquit la licorne, espérant obtenir une réponse.

- On continue, répéta encore Loki. Pas de temps à perdre. Si la guerre doit nous tomber dessus, autant qu’on soit loin des conflits le plus rapidement possible.

- Je ne sais même pas pourquoi j’ai posé la question, maugréa Quill. J’aurais tellement voulu dormir dans un vrai lit…

- Fais voir la carte, ordonna Loki, coupant court aux plaintes de son camarade.

Ce dernier fit léviter son calepin jusqu’au coyote, qui se posa sur son séant avant de saisir la carte entre ses pattes avant. La luminosité commençant à décliner, Quill fit briller sa corne pour faciliter la lecture au coyote.

Ensemble, ils parcoururent les différents noms présents au-dessus des croix figurant les villes qu’avait tracées Quill, Loki peinant parfois à déchiffrer l’écriture du poney.

- Manisla, Nordtarn, Dreyrheim, Dröttinheim… énuméra le coyote.

Presque uniquement des noms à consonance qu’on pourrait qualifier de nordique, selon les standards terriens de Loki. Il se doutait qu’il n’y avait pas forcément de rapport entre ces loups et les vikings dont il adorait la culture et les légendes, faisant chacun partie de deux mondes différents, mais les noms qu’ils employaient présentaient de troublantes similitudes.

Il passa encore quelques noms en revue, avant de finalement s’arrêter sur l’un d’entre eux, qui le fit tiquer.

- Tepatitlan.

Loki repensa immédiatement au nom que les princesses Luna et Celestia lui avaient attribué : Nochixtlan.

La même terminaison, la même consonance, et une rupture drastique avec la langue dure des loups.

Quill ne mit pas longtemps à parvenir aux mêmes conclusions : si cette cité avait un nom aussi étrange, c’était probablement parce que par le passé, elle avait abrité – et abritait peut-être encore – un peuple dont la langue d’origine était différente de celle des loups.

Ils reprirent donc la route avec un entrain renouvelé, se dirigeant vers l’Ouest lointain du sous-continent de Wulfangar, laissant derrière eux le dernier bastion équestrien.

Alors que les deux étranges visiteurs venaient tout juste de quitter le bureau et que Frost s’apprêtait à les imiter, le commandant l’arrêta dans son geste.

- Je ne crois pas vous avoir autorisé à disposer, sentinelle Frost, fit-il d’un ton encore sévère mais un peu plus doux qu’auparavant.

- Non monsieur, veuillez m’excuser, bafouilla la pégase en refermant la porte avant de se retourner vers Star Shield.

- Ce n’est rien. Approchez-vous.

Le temps que la pégase s’exécute, le commandant était reparti s’installer devant une fenêtre, et observait l’extérieur, guettant sans doute la sortie des perturbateurs.

- Récupérez des armes, et accompagnez-les.

- Je vous demande pardon ?

- Vous avez un problème d’audition, tous, aujourd’hui ? Je vous ai dit de les accompagner.

- Mais ce n’est pas…

- C’est votre travail, à présent. Suivez-les, et veillez à ce qu’il ne leur arrive rien. Si jamais quelque chose de grave survenait ou que vous voyiez quelque chose qui pourrait concerner Ultima, revenez immédiatement m’avertir.

- Mais le général Thunder Edge risque de…

- J’en fais mon affaire. De toute manière, aimez-vous vraiment votre poste de sentinelle, mademoiselle Frost ?

- C’est vrai que j’aurais rêvé mieux, dit la ponette après un court silence.

- Alors allez-y. C’est votre chance de vivre la grande aventure tout en servant Equestria.

Frost tiqua sur cette dernière phrase. Comment le commandant pouvait-il savoir cela ?

- Pourquoi ? demanda la ponette. Pourquoi faites-vous cela ? fit-elle d’un air méfiant.

- Parce que je vois bien que vous n’êtes pas une soldate : vous vous êtes débarrassée de votre casque en chemin, et vous avez un peu de mal avec la rigueur militaire, puisque vous avez essayé de quitter la pièce sans ma permission par exemple. L’armée n’est vraiment pas votre vocation, et c’est assez évident. J’imagine que vous faites partie de ceux qui veulent d’un destin héroïque, qu’on raconterait dans les chansons, pas de ceux dont la seule raison d’être est de défendre leurs semblables et de faire régner la justice.

- C’est juste, souffla Frost. Mais je veux aider notre pays, je veux que notre peuple soit à l’abri du mal.

- Certes. Mais ce n’est pas au poste de sentinelle que vous serez le plus efficace. Je ne sais pas quelle idée a eu Thunder Edge de considérer qu’il s’agissait d’un poste de second plan. Le travail d’une sentinelle est tout aussi important que celui d’un soldat d’élite. Elle doit rester concentrée durant des heures, être attentive à tout et en même temps ne souffrir aucune distraction. Elle doit être stoïque face à toutes les conditions, et seul le souci d’efficacité doit accaparer son esprit. Vous n’êtes pas faite pour ça, mademoiselle Frost.

La ponette ne répondit pas, et encaissa en silence. Cela la troublait un peu d’entendre un gradé faire ainsi son portrait négatif, mais elle ne pouvait pas nier qu’elle manquait de ces qualités.

Et pourtant, elle avait l’impression que Star Shield lui cherchait des excuses pour justifier sa propre décision.

- C’est pour cela que je vous demande d’accompagner ces deux voyageurs. Votre maigre expérience et votre début d’entraînement militaire leur sera bien plus utile que vous ne le pensez, et vous rendrez un plus grand service à Equestria en les empêchant de créer un incident diplomatique par inadvertance que vous ne le feriez en restant sur les remparts de Canterlot.

Frost garda le silence, à défaut de pouvoir répondre quoi que ce soit d’intelligent.

Le discours du commandant l’avait troublée au plus haut point. En à peine quelques minutes d’entrevue, il avait été capable de lire en elle comme dans un livre ouvert. Etait-ce pour cette qualité qu’il avait été envoyé à Ultima ? Parce qu’il était capable de découvrir les forces et les faiblesses de ceux qu’il avait en face de lui, et de décider lesquels seraient les plus à même de supporter la rudesse de la vie militaire dans le Nord ?

Quoi qu’il en fut, c’était une occasion qui ne se représenterait pas deux fois, et elle se devait de la saisir au vol.

- Merci, mon commandant.

- Ne me remerciez pas. Après tout, vous êtes toujours un garde royal. Allez, partez, maintenant. Et n’oubliez pas de passer à l’armurerie.

- Je n’y manquerai pas, monsieur, fit Frost en se mettant au garde-à-vous, avant de faire volte-face et de disparaître dans l’encadrement de la porte.

Star Shield la regarda partir, puis reporta son attention sur l’extérieur, observant la ville dans le jour déclinant de son point de vue privilégié.

Il soupira.

Il savait que de nombreux poneys enviaient son poste, et il les comprenait en un sens. Un grade élevé, une solde à la hauteur… C’était le rêve de tout un chacun

Mais il aurait donné n’importe quoi pour se retrouver à nouveau à la place d’un de ses soldats, qui vivaient en se contentant de suivre les ordres qu’on leur donnait, sans le souci des responsabilités et la difficulté de toujours faire les bon choix.

Car en cette fin d’après-midi dans le Nord glacé, Star Shield avait le pressentiment d’avoir commis une erreur, en jetant ainsi Autumn Frost dans la gueule du loup.

 

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