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Ragnarök

Une fiction écrite par Nochixtlan.

Chapitre 3 : Aux Frais de la Princesse

Alors que le soleil atteignait son zénith, inondant les plaines de son éclat et réchauffant les corps glacés par le vent du Nord de la fin de l’automne, Frost scrutait l’horizon.

Mais aussi perçant que fût son regard de pégase, rien d’étonnant ne se produisait dans son champ de vision. Quelques pégases voletaient çà et là, dispersant les nuages, et elle apercevait au loin les paysans qui travaillaient dans leurs champs et leurs vergers, tentant de boucler les récoltes avant les premiers frimas. Rien de bien palpitant.

Autumn Frost s’ennuyait à mourir, et n’avait aucune honte à le clamer haut et fort lorsqu’elle finissait son service dans les tavernes de Canterlot.

Ce n’était pas pour ça qu’elle s’était engagée dans l’armée régulière d’Equestria, parmi le contingent Solaire. Elle rêvait de gloire, d’une destinée héroïque, de combattre les ennemis d’Equestria au cours de batailles épiques et d’accomplir de hauts faits d’armes qui lui vaudraient de rester dans la légende. Comme ces héros et héroïnes dont parlaient tant de contes de fées, ou comme les Six, qu’elle admirait tant.

Ses modèles, celles qui avaient défini ce qu’elle appelait son « Code », une suite de lignes de conduite à adopter en toutes circonstances, en plus de celui de l’armée. Un vrai code de chevalerie des temps anciens.

Et même si le Code avait autorité sur le moindre de ses faits et gestes, ça n’empêchait pas Frost de s’ennuyer pendant l’exécution de son devoir. Elle était dans l’armée depuis deux ans, et même si passer sentinelle s’était avéré une promotion en or comparé au poste de troufion qu’elle occupait auparavant, elle avait du mal à se dire que ceci n’était qu’un début, tant le temps lui paraissait long.

Remarquez, c’était toujours mieux que de passer des heures sur les bancs d’une école à attraper des crampes terribles au dos à force de se tenir trop droit pour jouer du violoncelle auprès d’un professeur plus qu’impatient et snob, le tout pour faire plaisir à papa-maman.

Ce qui avait décidé Frost à rejoindre les rangs des troupes de Celestia avait été la bataille qui avait eu lieu à Canterlot, deux ans plus tôt. Grâce à ses ailes, elle avait pu profiter d’un point de vue privilégié sur les combats aériens opposant Discord aux pégases de la Garde de Nuit, tout en restant à l’abri des souterrains, se mettant simplement au niveau de l’ouverture la plus proche, demeurant invisible de l’extérieur. Elle mourait d’envie de sortir, et d’aller aider les soldats de Canterlot, mais les quelques gardes qui veillaient sur la population affolée l’en avaient dissuadé de manière très convaincante, n’hésitant pas à pointer leur lance sur sa gorge.

Elle n’avait pu qu’observer de loin, et voir les pégases en armes tourner et virevolter tout en arrosant sans cesse le draconequus de carreaux lui avait donné l’envie de les rejoindre, ne serait-ce que pour voler avec eux.

Quelques semaines plus tard, elle débutait dans l’armée, et à présent, elle se retrouvait sur les murailles, scrutant inutilement l’horizon, n’ayant le droit ni de quitter son poste pour se dégourdir les ailes, ni de s’asseoir, ni de lâcher la lance qu’elle tenait droite depuis des heures pour reposer sa patte, ni d’enlever ce maudit casque qui la grattait horriblement.

Le rêve.

Heureusement, l’air frais de la fin d’automne soulageait la pégase de la chaleur dégagée par son propre corps, qui devenait une véritable malédiction lors des journées plus chaudes. Le haubert et la livrée bleu et or qu’elle portait sous son armure semblait se faire un malin plaisir de retenir et d’amplifier la chaleur, au point parfois de lui donner la nausée.

Mais le froid la faisait se sentir à l’aise, chez elle, et Frost avait grand hâte que les plaines se couvrent enfin d’un manteau blanc. A défaut de pouvoir réellement profiter de la beauté des paysages en dehors de ses jours de permissions, voir des flocons lui mettrait du baume au cœur, et peut-être que cela mettrait un peu d’animation, les voyageurs filant se mettre à l’abri du froid ou les enfants jouant dans la neige…

Soudain, quelque chose attira son attention. Une tache noire venait d’apparaître au détour du sentier menant à Canterlot, à quelques centaines de mètres de la cité.

Elle saisit les jumelles qui pendait à sa taille, promena un instant son regard pour retrouver ce qui l’avait interpellée, puis fit la mise au point.

Elle ouvrit des yeux ronds comme des billes, doutant presque de ce qu’elle voyait.

Elle lâcha sa lance, qui chuta avec un bruit métallique, et abandonna son poste, filant à toute allure.

- Général Thunder Edge, je comprends parfaitement vos inquiétudes, mais je vous assure que nous sommes parfaitement en mesure de contrôler la situation, dit Celestia d’un ton qui se voulait rassurant.

- Majesté, avec tout le respect que je vous dois, on ne devrait même pas recevoir cette bande de bêtes pouilleuses avec autre chose qu’une bonne volée de carreaux et ensuite les clouer sur nos portes en guise d’avertissement, et je me moque royalement – passez-moi l’expression – des règles concernant les messagers et les ambassadeurs !

- Je suis au regret de devoir vous interdire toute intervention de ce type, tempéra la princesse solaire. Nous ne savons pas encore ce qui motive leur arrivée, et j’aimerais que nous évitions tout risque de guerre entre nos deux peuples pour des raisons aussi futiles. Je veux bien que vous assistiez à notre entrevue, mais je vous demanderai alors de vous tenir en retrait et de ne pas perturber les négociations s’il y en a.

- Votre volonté sera faite, assura Thunder Edge de mauvaise grâce, en exécutant une révérence rapide et disgracieuse.

Luna, qui n’avait pas dit un mot jusqu’alors, se contentant de faire figure d’autorité auprès de sa sœur, étudiait depuis son entrée le général. Elle ne l’avait encore pratiquement jamais vu, encore moins entendu parler à cause de ses activités plutôt nocturnes, et tenait à comprendre à qui elle avait affaire.

Thunder Edge était un pégase gris sombre trapu et massif, à la crinière courte en brosse d’un bleu électrique et au menton prolongé par une barbe tout aussi courte et taillée en carré. Tout en lui irradiait de la rigueur d’une vie de militaire, et il semblait prendre son statut de chef des corps solaires très au sérieux. Lorsqu’il parlait, sa voix puissante et rocailleuse, usée à force d’hurler des ordres lors des entraînements quotidiens de ses troupes, imposait le respect et l’écoute. Luna ne doutait pas que peu de poneys étaient capables de lui tenir tête.

Et cela l’amenait à avoir une conception toute particulière de l’obéissance à ses supérieurs. Bien qu’il ne le laissât pas entendre directement, la princesse de la Nuit savait qu’il se moquait éperdument des commandements de Celestia s’il était en désaccord avec elle, et il faudrait probablement le surveiller pour s’assurer que ses décisions seraient en accord avec celles des princesses. Ce sentiment se confirmait avec l’insistance récente du général pour obtenir une audience avec la sœur de Luna, et la seule chose qui avait convaincu la princesse du Soleil d’accepter la présence du général était le harcèlement quasi permanent dont elle était victime de la part de ce dernier.

Cependant, Luna comprenait que le général soit agité, et son besoin de rassembler l’armée d’Equestria en vue d’un conflit n’était pas aussi insensé qu’il n’y paraissait. A la place de sa sœur, peut-être Luna aurait-elle succombé aux suppliques de Thunder Edge.

Car le harcèlement dont souffrait Celestia de la part du pégase avait eu un déclencheur : l’arrivée quelques jours auparavant d’un messager étrange, porteur de nouvelles surprenantes.

Un messager couvert de fourrure, à la gueule garnie de crocs, et qui annonçait sans aucune précision l’arrivée imminente d’une délégation des siens, menée par les princes de Wulfangar.

Sans aucun préavis, et sans aucune considération, les loups avaient violé le traité qu’ils avaient signé plusieurs siècles auparavant, et cela justifiait entièrement la volonté de Thunder Edge d’exécuter chacun des canidés qui apparaîtrait dans son champ de vision.

Soudain, des cris retentirent derrière la porte de la salle des trônes. Une voix féminine hurlait pour qu’on la laisse entrer, alors que les voix graves des gardes la menaçaient de l’envoyer en prison pour le restant de ses jours si elle ne retournait pas d’où elle venait.

- Ouvrez la porte, ordonna Celestia. Qu’on fasse entrer celui ou celle qui cause tant d’agitation.

Les gardes les plus proches de la porte firent un signe de tête, puis tirèrent les battants, dévoilant leurs deux collègues, lances croisées et ailes déployées, qui barraient le chemin à un autre pégase, toujours en train de pousser des cris énervés.

- Laissez-la entrer, dit calmement Celestia.

Les gardes replièrent leurs ailes et firent un pas de côté, laissant passer la pégase à bout de souffle et rouge de colère, avant de refermer la porte.

C’était une ponette relativement fine, à l’allure élancée, et au pelage étrangement fourni de couleur crème. Une mèche rousse rebelle venait barrer son regard vert, sortie de sous son casque lors de la probable course effrénée qu’elle avait mené pour obtenir une audience d’une telle manière avec les princesses.

Thunder Edge fulminait, en voyant la nouvelle arrivée.

- Frost, qu’est-ce que vous foutez ici, nom d’un chien ? tonna-t-il. Vous êtes pas malade de déranger la princesse comme ça ? En quittant votre poste et en ignorant la coupe règlementaire en plus de ça !

- Je suis désolée monsieur, fit la pégase qui rentra instinctivement la tête dans les épaules par peur de son supérieur.

- Vous me ferez une semaine de trou, ça vous apprendra…

- Thunder Edge, ça suffit ! tonna Celestia.

Surpris, le général se tut. Cela ne l’empêcha pas de jeter un regard mauvais plein de mauvaises intentions à la malheureuse Frost.

- J’ose espérer que vous avez un motif important pour venir nous déranger sans avoir demandé audience auparavant, dit la princesse du Soleil avec un air dur.

- Oui, votre majesté, répondit Frost en exécutant une révérence. Lieutenant Autumn Frost au rapport, corps des Sentinelles, annonça-t-elle du plus clairement qu’elle put, se mettant au garde à vous et rabattant la mèche indisciplinée à l’abri du casque au passage. J’ai repéré il y a environ quinze minutes un groupe d’individus s’approchant de Canterlot, ils avaient l’air étrange.

- Pouvez-vous être plus précise, s’il vous plaît ? enjoignit la princesse du soleil tout en se redressant sur son trône, piquée au vif par la nouvelle.

- Je ne saurais pas l’affirmer avec certitudes, mais on jurerait une sorte de croisement entre des chiens et des timberwolves, un peu comme ces loups dont parlent les légendes. Ils sont onze, dont deux plus gros que les autres.

- Et c’est tout ? éructa Thunder Edge. Vous avez vu s’ils portaient des étendards ? Etaient-ils en armes ?

- Ils avaient des étendards, oui, mais je n’ai pas vu ce qu’il y avait dessus, et je ne sais pas s’ils avaient des armes…

- Mais à quoi vous servez, bordel ?! brailla Edge en se plaçant tout près d’Autumn Frost, jusqu’à lui postillonner au visage. Votre boulot c’est de noter chaque plus petit détail, même s’il faut que vous comptiez chaque putain de papillon qu’il y a sur la plaine !

- EDGE ! aboya Celestia, alors que Frost avait reculé de plusieurs pas et était visiblement terrorisée par le pégase noir. Ces renseignements sont largement suffisants, et je vous prierai de vous taire à partir de maintenant ! Cette ponette a accompli son devoir de manière exemplaire. Vous pouvez disposer, ajouta-t-elle à l’adresse de Frost. Je m’assurerai personnellement que vous ne serez pas châtiée, conclut la princesse en jetant un regard en coin à Thunder Edge.

La sentinelle ne se fit pas prier, et tourna les ergots avec une légère crainte vis-à-vis du général. Elle aurait mieux aimé ne pas se retrouver à nouveau face à ce monstre, alors qu’il l’avait déjà mise en larmes le matin même en lui répétant sèchement qu’elle aurait mieux fait de gagner sa vie en tant que putain dans les bas-fonds de Manehattan plutôt que de rejoindre l’armée.

Elle trotta aussi vite que la décence le lui permettait, essayant de dissimuler au mieux son malaise aux princesses.

Mais avant qu’elle ait atteint la porte, celle-ci s’ouvrit, et Frost se retrouva museau-à-museau avec une créature au pelage gris et noir, aux yeux couleur d’airain.

La chose claqua des mâchoires, dévoilant ses crocs surdimensionnés, invitant Frost à s’écarter rapidement. Elle poussa un cri de surprise, avant de s’envoler et de se placer en retrait, près de Luna, trop impressionnée par la bête qui venait de faire son entrée pour remarquer le regard furibond que son général lui lançait.

La bête à fourrure avança en trottant sur le tapis rouge menant aux trônes des princesses, déplaçant son corps bien plus massif que celui d’un poney avec une souplesse insoupçonnée. Sa queue touffue se balançait mollement derrière elle, suivant avec un rythme étrange les ondulations de sa crinière tandis qu’elle marchait.

Frost fut intriguée qu’une créature aussi radicalement différente des poneys témoigne d’un certain degré de civilisation, à en juger par le foulard pourpre qu’il portait au cou.

Presque immédiatement après l’entrée de la première créature, six autres firent leur entrée, et allèrent former une haie d’honneur de chaque côté du tapis, éclipsant les gardes de Celestia par leur taille et leur musculature impressionnante. Chacun d’eux était plus gros que Luna, déjà d’une taille largement supérieure au poney moyen, alors que le premier entré n’avait que quelques centimètres de moins que ses successeurs.

C’étaient probablement des gardes, à en juger par l’armure légère qu’ils portaient, constituée d’un plastron de cuir aux épaulières de métal, forgées de manière assez fruste, sans aucun ornement, et déjà cabossées. Un large glaive était attaché sur le dos de chacune des créatures, le fourreau étant orienté de manière à saisir facilement l’arme entre les mâchoires d’un rapide mouvement de gueule.

Ils portaient également un casque, d’un style largement différent des heaumes à panache qu’affectionnait l’armée d’Equestria. Le leur ne portait aucun ornement, aucune fantaisie, et était pensé uniquement pour la protection de leur porteur : une bande de métal venait protéger les pommettes sous les yeux, un renfort couvrait le haut du museau et des plaques de métal pendaient sur les joues.

Aucun des poneys présents ne put émettre le moindre son, surpris par l’arrivée soudaine des bêtes à fourrure et impressionnés par la vivacité et la discipline qui les animait.

Le premier entré, celui au foulard, se plaça en avant de ses camarades, et annonça aux princesses haut et fort :

- Leurs Majestés, les Seigneurs Hati et Skoll, héritiers du Trône de Wulfangar, Princes des terres du Nord et Enfants du Crépuscule.

L’enseigne se tut, puis se décala de quelques pas, pour se retrouver beaucoup plus près de Frost que celle-ci ne pouvait l’apprécier. Il ne lui accorda cependant pas un regard, et se tourna vers la porte, alors que chacun des gardes se tenait droit et regardait devant lui.

Le silence envahit la salle des trônes. Thunder Edge, Celestia et Luna semblaient tendus, et bien qu’elle-même ait partagé ce sentiment, Frost savait qu’elle ne pouvait pas saisir pleinement ce qui les agitait.

Le cliquètement de griffes sur les marches de marbre blanc de l’escalier menant à la pièce où se trouvait le rassemblement, accompagné par les claquement caractéristiques d’une armure lourde, indiqua à tous que les princes approchaient.

Les étendards apparurent rapidement au-dessus des marches, rendant visible pour tous la tête de canidé rouge sang sur fond vert, avec un motif de couronne au-dessus de la gueule grondante de l’animal.

Puis apparurent les deux corps des princes tant attendus. L’un était couvert d’une fourrure blanche comme la neige, l’autre était roux comme les flammes du Tartare.

Lorsqu’enfin ils posèrent la patte sur le carrelage à damiers de la salle des trônes, Edge ne put se retenir de lâcher un juron, aussitôt réprimandé par un grognement furieux de la part du messager.

Mais le général n’avait fait qu’exprimer à voix haute ce que chacun pensait tout bas. On pouvait aisément se demander qui des gardes ou des princes protégeaient les autres.

Car les princes Hati et Skoll, même pour ceux de leur espèce dont les standards semblaient bien plus élevés que ceux des poneys, étaient de véritables colosses. Celestia elle-même semblait plus petite qu’eux, et infiniment plus fragile.

Même si le monstre blanc était proportionnellement plus chétif que les autres créatures, il restait bien plus imposant qu’un poney, et son armure argentée finement ciselée n’en laissait pas paraître grand-chose. Les motifs anguleux et torsadés à la fois de son armure, ainsi que sa finesse, dégageaient de lui une grande noblesse.

Tout l’opposé de la monstruosité au poil roux qui l’accompagnait. Il ressemblait presque à un ours, ses pattes étant aussi larges que le corps de Celestia, et était engoncé dans une armure de plates cabossée au point de non retour et usée par de trop nombreux combats, dont chacune des énormes épaulières était ornée d’une grande corne d’ivoire portant encore des traces d’un brun sombre à l’origine douteuse.

Mais bien que les deux béhémoths aient une apparence extérieure très différente, ils avaient un point commun : leurs yeux, bleu acier, témoignant chez l’un comme chez l’autre de la même détermination, et de la même joie malsaine qu’ils ressentaient en voyant la crainte que causait leur vue chez leurs hôtes.

- Tiens, tiens, tiens, Skoll, t’as vu qui nous reçoit ? ricana le roux, dont la voix rocailleuse rappelait le grondement d’une bête sauvage et le ronflement des flammes.

- Oui, Hati, j’ai moi-même peine à le croire, fit le deuxième, dont la voix teintée d’accents nobles était aussi glacée que le blizzard. Moi qui pensais que nous n’aurions jamais l’occasion de dîner aux frais de la princesse…

Les deux monstres ricanèrent en chœur, et se fendirent d’un rictus carnassier, continuant leur progression à pas lents pour venir se placer devant Luna et Celestia, laissant volontairement les poneys présents les admirer et les craindre tout leur soûl.

Hati, mû par une volonté étrange, voulut tester l’impassibilité des gardes royaux d’Equestria. Il dévia légèrement de sa course à pas lourds, et claqua de ses mâchoires surdimensionnés à quelques centimètres du visage de l’un des gardes, qui ne put que tressaillir de manière notable, arrachant un nouveau ricanement à la bête monstrueuse.

- Mon frère, voyons, ce n’est pas une attitude propre à ton rang, le réprimanda faussement Skoll, lui aussi amusé de la fragilité des nerfs des poneys.

Frost, elle, était pétrifiée sur place. Elle en était venue à s’appuyer contre le trône argenté de Luna pour ne pas s’écrouler de peur, à peine soulagée par la présence rassurante de la princesse près d’elle. Si ces monstres de cauchemar décidaient de s’attaquer aux membres de leur auditoire, il ne faudrait pas longtemps pour que la salle des trônes se transforme en boucherie sanglante. Elle était persuadée que ni Celestia ni Luna ne pourraient éviter les crocs des deux abominations.

Et plus elle les observait, plus elle commençait à se demander si ces créatures n’étaient pas les loups des anciennes légendes, celles dont parlaient les chansons anciennes qu’elle avait été forcée d’apprendre sur les bancs de son école de solfège. Des créatures mythiques, au même titre que les Windigos ou les Ursa Majors, qui prenaient soudain vie devant ses yeux effarés.

Elle parvint à détacher un instant son regard des bêtes à fourrure, et se rendit compte qu’elle tremblait, et qu’elle suait abondamment sous son armure.

Elle croisa accidentellement le regard de Skoll.

Elle ne put plus s’en détacher.

Dans le regard froid du loup, elle vit qu’il sentait sa peur, et s’en délectait. Elle sentit que pour lui, elle n’était rien d’autre qu’une proie, un frêle oiseau dont le seul plaisir qu’il pourrait tirer serait de jouer avec lui avant de lui briser les os entre ses mâchoires.

Frost voulait partir, et vite. Mais ni ses membres, ni ses ailes ne lui répondaient.

- Votre entrée a été des plus remarquées, messeigneurs, lança Celestia. J’espère que vous n’avez pas trop affolé mes sujets.

Skoll détourna enfin le regard. Autumn Frost se laissa glisser sur le sol, respirant avec difficulté, trempée de sueur.

Elle sentit quelque chose lui toucher l’épaule, et vit le sabot bleu nuit de la princesse Luna. Elle releva la tête, et découvrit que la princesse lui adressait un sourire qui se voulait réconfortant. Elle comprenait ses peurs, et lui témoignait son soutien.

La pégase se releva, et tenta de se montrer aussi digne que possible, sous le regard approbateur de Luna, qui ne tarda pas cependant à reporter son attention sur les loups.

- Je crains hélas que vos sujets ne soient fort impressionnables, votre majesté, répliqua Skoll sur un ton doucereux. Je trouve cela insultant, indigne du respect qui est dû à notre rang.

- Peut-être que si vous aviez prévenu de l’imminence de votre arrivée avec plus de précision, nos sujets auraient été mieux préparés à voir des monstres tels que vous débarquer à Canterlot, rétorqua sèchement Luna.

- Des monstres, dites-vous ? gronda Hati. Je crois qu’on devrait vous rappeler quelques notions de respect ! ajouta-t-il en dénudant ses crocs longs comme des couteaux.

- Hati, calme-toi, tempéra son frère. Nous n’y pouvons rien si ces gens ont autant de savoir-vivre que griffons soûls comme cochon. Après tout, leur royaume est dans un état de décadence avancé, c’est compréhensible…

- Est-ce pour nous insulter que les loups ont envoyé leurs princes, seigneur Skoll ? grinça Celestia. J’ai ouï dire que le chemin depuis Wulfangar n’était pas de tout repos, et je doute que vous désiriez user vos royaux coussinets simplement pour vous moquer de nous.

- En effet. Et le voyage fut épuisant.

- Heureusement que ça regorge de gibier, dans le coin, renchérit Hati.

- Mais nous sommes également ici pour des raisons que certains pourraient qualifier de « majeures », reprit le loup blanc. Notre roi et père souhaiterait vous faire savoir que nous nous apprêtons à déménager.

- Eh ben tirez-vous, bon vent et bonne route, lâcha Thunder Edge.

Hati et trois autres loups se tournèrent vers le général en grondant et en découvrant les crocs. Skoll se contenta de lui jeter un regard condescendant, comme s’il le prenait en pitié. Le pégase bouillait intérieurement, et aurait volontiers fait avaler son museau au prince.

- Et je devine que c’est à Equestria que vous désirez emménager, devina Celestia.

- Précisément.

- Je croyais pourtant notre traité parfaitement clair sur ce point, fit la princesse du Soleil tout en conservant son air calme et sûr d’elle.

- Peut-être faudrait-il en revoir certaines clauses, dans ce cas, continua Skoll sur le même ton mielleux. Après plus de mille cinq cents ans, il commence à se faire obsolète.

- Cessez de tourner autour du pot et venez-en au fait, ordonna Luna.

- C’est simple : nous demandons le droit de revenir vivre en Equestria. Nous demandons à ce que les poneys et les loups puissent vivre ensemble à nouveau et coopérer.

- Vous avez bien sûr conscience que nous ne sommes pas stupides au point de croire un mensonge aussi parfaitement éhonté, n’est-ce pas ? souleva Celestia.

- Encore eût-il fallu que c’en soit un. Le Haut Roi Fenrir lui-même nous a expressément demandé de vous faire parvenir ce message, ce devrait être un gage de bonne foi que d’envoyer ses deux fils en territoire ennemi, à la merci de ses plus grands adversaires…

- Ou peut-être bluffe-t-il tout simplement, comptant sur le fait que nous respections les ambassadeurs et les messagers, grinça Luna.

- Toujours est-il qu’il croit à l’avènement d’une ère nouvelle, dans laquelle les loups et les poneys pourraient s’allier pour la survie. Nous avons changé, en quinze siècles. Nous avons évolué. La paix n’est plus impossible.

- Et quelle garantie de la véracité de vos dires avons-nous ? fit Celestia, méfiante comme il se devait.

- La parole du Roi des Loups.

- Et je devrais me contenter de ça ?

- Oh, par pitié, Skoll, ça suffit avec toutes ces âneries, s’énerva Hati. Tu vois bien que ça ne prend pas de toute façon.

Hati alla se placer au niveau de Celestia, alors que les gardes royaux se préparaient à intervenir, immédiatement arrêtés dans leur geste par les gardes loups qui s’étaient tournés vers eux.

- La situation est simple, dit le loup sur un ton terriblement calme.

Celestia fronça les narines. L’haleine du monstre empestait la charogne. Ou peut-être était-ce son odeur naturelle.

- Où vous dégagez gentiment, où on vous décarre d’ici par la force, énonça Hati.

Un murmure d’indignation se répandit parmi l’assemblée équine. Thunder Edge se mordit la langue, retenant une insulte bien sentie qui aurait pu porter préjudice à sa souveraine, encore trop près du monstre.

Alors que Hati revenait se placer à ses côtés, Skoll gémit :

- Oooh, tu as complètement cassé mon discours. Tu exagères, vraiment.

- Pas la peine de palabrer avec de telles salades pendant des heures, trancha son frère. Tu sais comme moi qu’ils n’auraient pas mordu à l’hameçon, et qu’ils auraient sauté sur la moindre occasion de nous renvoyer à Wulfangar avec des carreaux plein l’arrière-train.

Edge pesta intérieurement en voyant son trait de génie bon à jeter au feu.

- C’est donc la guerre que vous cherchez ? gronda Luna en se levant de son trône.

- Ca me paraissait pourtant évident depuis le début, grinça Celestia.

- Nous pouvons toujours régler la question de manière diplomatique, rappela Skoll. Rien ne nous en empêche. Vous quittez Equestria, nous nous y installons à votre place, tout le monde vit heureux et en bonne santé. Mais pour être parfaitement honnête, je trouve cette perspective nettement moins excitante.

- Alors c’est ainsi ? tonna Celestia en se levant à son tour de son siège, sa crinière et sa queue flottant derrière elle comme une marée agitée. Vous êtes bel et bien venus nous provoquer, enfin de compte. Si c’est la guerre que vous cherchez, vous l’aurez ! Vous ne nous prendrez pas la terre de nos ancêtres, que nous avons mis si longtemps à construire, tant que je serais en vie !

- Oh, mais j’espère bien, ricana Hati. Je me demande quel goût a la chair de princesse, fit-il en se léchant les babines.

- Quittez mon château et mon pays sur-le-champ ! aboya la princesse solaire.

- Bien. Nous nous reverrons bientôt chères princesses, conclut Skoll sur son insupportable ton mielleux, alors qu’il se détournait lentement vers la porte de sortie.

- Et quand on vous retrouvera, on vous bouffera, compléta Hati.

Ils se dirigèrent tous deux vers l’extérieur, suivis par leurs gardes, leur messager et leurs porte-étendards, sous l’œil impassible ou peut-être tout simplement dédaigneux des deux gardes royaux qui maintenaient la porte ouverte.

Dès le dernier poil de l’extrêmité de la queue du dernier porte-bannière disparu, les gardes fermèrent les deux battants, laissant le silence retomber dans la salle des trônes.

- Je vous avais bien dit qu’on aurait dû clouer ces vermines à la porte, grinça Thunder Edge.

- Taisez-vous, ordonna sèchement Celestia en se rasseyant, avant de poser le front contre son sabot.

La guerre.

La guerre revenait sur le territoire d’Equestria.

Après la première évasion de Discord qu’elle avait été impuissante à arrêter, l’incursion des Changelings qu’elle avait été incapable de prédire, sa défaite face à Chrysalis, le retour de Discord qui avait mis Canterlot à genoux, voilà que Celestia devait à nouveau faire face à un terrible danger qui menaçait son pays.

Mais cette fois, il s’agissait d’une nation entière de bêtes monstrueuses lancées contre les siens.

Contre elle-même et sa sœur, et tous ceux qui se placeraient entre elles et les princes de Wulfangar.

Et pourtant, malgré l’émoi qu’ils avaient causé, Hati et Skoll n’étaient pas totalement étrangers à la princesse solaire. Elle savait que depuis une vingtaine d’années, Wulfangar élevait deux héritiers aux trônes, et nourrissaient de grandes espérances à leur égard.

Un jour, elle avait reçu une lettre, écrite sur un parchemin en lettres de sang, et signée d’une énorme empreinte de fauve. Le roi Fenrir lui-même avait adressé un courrier à Celestia et Luna, de dirigeant à dirigeantes, annonçant la naissance de deux loups qui, selon ses propres mots, « noueraient à nouveau les fils des destins de Wulfangar et Equestria ». Elle savait qu’un jour, elle serait amenée à rencontre les enfants chéris du roi des loups.

Mais jamais elle n’aurait pu croire que ce serait dans de telles circonstances, en tant qu’émissaires de guerre, comme des corbeaux se rassemblant sur le champ de bataille avant le carnage.

Jamais elle n’aurait pu deviner que Fenrir se sentirait suffisamment fort, au point de se permettre de préférer la guerre à toute autre issue diplomatique.

Bien qu’elle n’ait jamais eu personnellement affaire à ce roi lointain, ni à aucun de ses prédécesseurs en dehors d’Aesir Sang-de-Dragon lui-même, elle savait grâce à la surveillance de ses alliés griffons qu’il semblait être un roi prudent, dirigeant le pays d’une patte de maître et de manière exemplaire, tentant d’unifier les clans de loups sous une même bannière en usant de diplomatie. Un roi intelligent, sous le règne duquel les conflits incessants qui agitaient Wulfangar et ses proches voisins s’étaient pour la plupart calmés, au point que les griffons avaient suffisamment retrouvé confiance en les loups pour rouvrir les routes de commerce maritimes qui liaient leurs deux contrées.

Quelque chose poussait Fenrir à attaquer, une carte dans sa manche qui lui assurait un avantage certain. Rien ne pouvait pousser un chef de guerre à commettre une telle folie en dehors d’une victoire certaine.

Mais de quelle nature était cet avantage ? La supériorité numérique ? Des soldats surentraînés ? Des mercenaires ?

Les deux premières solutions étaient impossibles. En tant que nation purement martiale, les griffons eux-mêmes auraient été les premiers menacés en cas de militarisation totale de Wulfangar, et auraient frappé très tôt en voyant que les loups se préparaient au combat.

Que se passait-il dans les terres gelées du Nord ?

Tout ceci échappait totalement à Celestia, et elle détestait cela.

- Général Thunder Edge, dit-elle en saisissant par magie un parchemin dans une jarre à quelques mètres de là. Vous allez rassembler et entraîner les troupes dès demain, continua-t-elle en écrivant après avoir fait venir à elle une plume et un encrier. Nous ne savons pas quand les loups risquent de se montrer, et nous en discuterons demain après-midi, lorsque je convoquerai un conseil de guerre.

- Votre majesté, ne vaudrait-il pas mieux convoquer vos conseillers tout de suite ?

- Non. Je dois d’abord réfléchir, et la nuit porte conseil. Vous pouvez disposer, conclut-elle sans lever la tête de son courrier.

- Bien, votre altesse.

Le général se dirigea vers la porte, suivi par Autumn Frost qui s’était à peine remise de ses émotions.

- Pas vous, dit Celestia à l’adresse de la pégase. Approchez.

Frost se retourna doucement, jetant au préalable un coup d’œil vers le général, qui ne lui accorda pas un regard. Nerveuse, elle s’approcha doucement de la princesse. Allait-elle être punie d’avoir été prise dans une telle conversation ?

- Portez ça au capitaine Silver Shield, à Ultima, poursuivit la princesse du Soleil en tendant le rouleau cacheté à Frost, qui le saisit délicatement entre ses dents, avant d’exécuter une révérence. Prenez le prochain train vers Aurora, et vous trouverez ensuite facilement la route vers Ultima. Soyez prompte, nous avons besoin que ce courrier arrive le plus vite possible. Le destin d’Equestria en dépend.

- Bien votre majesté.

Frost déploya ses ailes, et s’apprêta à décoller pour partir en un éclair.

- Si le capitaine vous pose des questions, dites-lui tout ce que vous savez. Mais seulement au capitaine, cette affaire doit absolument rester confidentielle.

- Oui, votre majesté.

Cette fois, Frost bondit dans les airs, et fendit les airs jusqu’à l’extérieur du château, les gardes ayant maintenu la porte ouverte rien que pour elle.

- J’ai peur, Luna, dit Celestia en regardant la pégase couleur crème s’éloigner. J’ai peur d’être encore une fois incapable de protéger mon pays.

- Tu ne devrais pas. Nous sommes deux.

- Ca n’a pas suffi à arrêter les Changelings, la dernière fois.

- Je n’étais même pas réveillée, et les dégâts ont été mineurs. Je connais bien les loups, et je suis sûre que nous saurons nous adapter à eux, peu importe qu’ils aient changé ou non. Nous saurons nous défendre.

- Je l’espère. Mais pourquoi attaquent-ils si soudainement ? Qu’est-ce qui les rend si sûrs d’eux ?

Luna resta silencieuse. Elle n’en avait pas la moindre idée, et aucun être vivant dans tout Equestria ne devait détenir cette réponse.

- Même si nous connaissons nos adversaires et que nous sommes capables de les surpasser sur bien des points, j’ai peur que ce ne soit pas suffisant, dit tristement Celestia. Et malgré cela, nous avons mis trente ans à les débusquer pendant la guerre des Mille Chandelles. Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser la guerre durer si longtemps.

Luna ne répondit pas. Qu’y avait-il à répondre, de toute manière ?

Il fallait se rendre à l’évidence.

Equestria entrait à nouveau dans une période sombre et à l’avenir incertain.

Cette nuit-là, Celestia eut un mal fou à trouver le sommeil. Où qu’elle regarde dans l’obscurité de ses appartements, elle revoyait les rictus carnassiers de Hati et Skoll, et s’imaginait les deux loups ricaner comme les hyènes des royaumes zèbres en voyant Equestria mise à feu et à sang, alors que leurs hordes hurlantes pillaient, tuaient et violaient sans vergogne.

Elle les voyait s’avancer vers elle, la bave dégoulinant de leur gueule bardée de crocs, prêts à se jeter sur elle pour la dépecer vivante.

Elle pouvait deviner dans leurs yeux la faim dévorante qui les tenaillait, les consumait, une faim que seule sa chair royale pourrait apaiser.

Les deux loups se jetèrent sur elle.

Ce fut le noir.

Lorsqu’elle ouvrit les yeux, tout était noir autour d’elle. Elle ne pouvait voir que le sol sous ses sabots, guère plus loin.

Mais elle ne savait pas où elle se trouvait.

Elle observa les alentours, tentant vainement de percer l’obscurité, mais les ténèbres étaient bien trop denses.

Elle entendit un grattement sur sa droite, et tourna la tête en direction du bruit.

Puis elle les vit.

Ces deux yeux jaunes aux pupilles écarlates brillants dans le noir.

Ces deux yeux qu’elle ne connaissait que trop bien.

- Toi…

Les yeux clignèrent.

- C’est toi qui es à l’origine de cette mascarade ! s’énerva la princesse.

Les yeux disparurent.

- Tu te caches encore ? Montre-toi, maintenant que je sais que tu es là. Montre-toi, félon que tu es !

- N’aurai-je donc jamais un bon accueil dans ce pays ? Ca devient lassant, à force. Tu pourrais dire « bonjour », ou plutôt « bonsoir », au moins, c’est la moindre des politesses.

- Que fais-tu ici ? Comment t’es tu libéré ?

Un frottement se fit entendre derrière elle, puis le cliquètement d’une griffe sur sa gauche.

Devant elle, un long corps serpentin surgit des ténèbres, surmonté d’une tête affreuse aux vagues airs de poney et de carnivore, coiffée d’un bois de cerf et d’une corne torsadée. Une canine droite surdimensionnée jaillissait de sa mâchoire supérieure.

- Que de questions et d’ordres, encore et toujours. Je te retrouve égale à toi-même.

- Réponds ! tonna Celestia. Je n’ai pas le temps pour tes enfantillages !

- Du calme, voyons. Ce n’est pas parce que ton pays est au bord de la guerre que tu dois brutaliser tout le monde ainsi.

- Tu n’es pas tout le monde.

- Comme je suis ravi de te l’entendre dire ! Mais chaque chose en son temps. Pour répondre à ta question, j’aimerais beaucoup m’être libéré, mais je crains que ça me soit impossible. En revanche, il semblerait que la magie des Eléments soit trop faible pour retenir mon esprit prisonnier, et je dois avouer que c’est bien mieux comme ça. Tu aurais dû bâcler le travail dès le début, ça t’aurait peut-être évité pas mal d’ennuis.

- Depuis combien de temps cela dure-t-il ? interrogea Celestia sans relever.

- Depuis mon emprisonnement, je crois.

- Je suis étonnée que tu n’aie pas cherché à prendre contact avec moi plus tôt.

- Encore fallait-il que ça en vaille la peine. Tu vois bien qu’à peine nous nous retrouvons après deux ans sans nous être vus que tu m’insultes déjà. Je n’ai pas besoin que ça m’arrive tous les jours.

- J’en conclus que c’est la venue des loups qui t’amène toi aussi.

- Toujours aussi intelligente, à ce que je vois. Ca m’a manqué, d’avoir quelqu’un d’intelligent à qui parler, tu sais.

Discord approcha son visage difforme de celui de l’alicorne.

- Je sais que tu as peur pour Equestria. Ca se sent à des kilomètres. Tu doutes de pouvoir tenir ton rôle de protectrice de tes sujets, tu crains que le roi des loups n’ait une botte secrète qui lui permettrait d’annihiler tout le pays d’un revers de la main.

- Tu sais ce qui me trouble, la belle affaire. Ca n’a jamais été d’une grande difficulté pour toi. Mais qu’est-ce que cela t’apporte ? Aussi loin que je me souvienne et que j’aie compris, tu n’es rien de plus qu’un bloc de pierre abandonné dans un endroit perdu sans aucun pouvoir.

Le draconequus souffla bruyamment par les naseaux pour manifester son mécontentement.

- Je viens te proposer mon aide, et c’est ainsi que tu me remercies ? Moi qui croyais que tu avais toujours adoré mes entrées en matière poétiques et littéraires…

Celestia ouvrit des yeux ronds sous l’effet de la surprise. Quelque chose la faisait tiquer.

- Ton… aide ?

Elle ne fut pas longue à comprendre où la chimère voulait en venir.

- Jamais ! Jamais je ne te tirerai moi-même de ta prison.

- C’est pourtant le choix le plus raisonnable que tu aies à faire. Réfléchis : quelque puisse être l’avantage de Fenrir, il n’existe rien dans ce monde qui soit hors de ma portée. Je pourrais le détourner de son objectif premier, le retourner contre lui, l’anéantir, le transformer en sucre, que sais-je ! Dans tous les cas, la menace serait écartée d’Equestria. Après tout, c’est ce que nous voulons tous les deux, non ? Qu’Equestria demeure en paix à l’abri de tout danger ?

- A ceci près que je ne désire pas prendre le contrôle d’Equestria pour y faire régner le Chaos et la Folie !

- Détails, détails… la fin justifie les moyens, et nous avons la même, n’est-ce pas ?

- Je n’ai pas besoin de ton aide, assura la princesse avec aplomb.

- En es-tu bien sûre ? A ta place, dans le doute de savoir ce qu’il y a en face, je préfèrerais avoir toutes les cartes en main…

- Ce n’est pas un de tes stupides jeux, Discord. Et te savoir en liberté serait pire qu’une épidémie de peste.

- Tu es si méchante avec moi, Celestia, pleurnicha le monstre. Moi qui ne demande qu’à aider et à me rendre utile…

- Tu n’as jamais été utile à mon pays, et ne le seras jamais, Discord.

- Oh, c’est ce que nous verrons, fit le draconequus avec un sourire énigmatique, avant de se retirer dans les ténèbres et de disparaître à la vue de Celestia.

A nouveau seule dans le noir, la princesse du Soleil entendit le ricanement si caractéristique de Discord s’évanouir petit à petit dans le lointain.

Puis elle ouvrit les yeux.

Ca n’était qu’un rêve.

Au dehors, les étoiles brillaient toujours, plus fort que jamais, alors que Luna surveillait probablement le départ de la délégation des loups.

Celestia se glissa lentement hors de ses couvertures, et alla se placer à sa fenêtre. Elle s’assit devant la vitre, et plaça ses sabots antérieurs sur la pierre froide du rebord.

Derrière le verre froid, elle imagina le vent du Nord souffler, apportant avec lui les échos des notes lugubres du hurlement des loups.

Elle sut que bientôt, cette mélodie sinistre servirait de requiem pour son peuple, au-dessus de la clameur des batailles et des cris de souffrance et d’agonie.

Et comme si cela ne suffisait pas, elle découvrait que son plus vieil ennemi n’avait toujours pas été mis hors d’état de nuire. La situation était critique.

Même si les guerres entre les différents peuples ne nourrissaient pas autant Discord que les conflits intestinaux, le frère se dressant contre le frère, elle craignait que les énergies dégagées par les conflits à venir puissent venir à bout de l’enchantement des Eléments d’Harmonie. Si Discord recouvrait la liberté dans un tel contexte, ce serait la fin de toute chose. Il fallait prendre les devants, et trouver un moyen de se débarrasser définitivement de lui.

Et pourtant, quelque chose lui disait que ce serait commettre une erreur.

La princesse enfouit sa tête dans ses sabots. C’était trop, beaucoup plus qu’elle ne pouvait gérer.

Cette fois, comme un appel à l’abandon, un glas funèbre annonçant la fin des tourmentes, elle entendit distinctement un hurlement.

Celui qui bercerait Equestria pendant ses nuits les plus longues.

L’hiver arrivait.

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