Chapitre 19 : Prelude to Darkness

Rarity ouvrit lentement les yeux, la vision encore un peu floue et le cerveau embrumé par la fin d’un sommeil sans rêve.
Protégeant ses yeux de la lumière qui filtrait à travers les parois de la tente en fermant les paupières, elle se rapprocha quasi-instinctivement de Loki, qui dormait encore à quelques centimètres d’elle. Elle voulait sentir la douceur des poils du coyote contre elle, et l’odeur légèrement musquée qu’il dégageait lui donnait le sentiment d’être en sécurité. La présence du prédateur à ses côtés la rassurait grandement.
En ce bref moment, elle était heureuse. Les terribles souvenirs des évènements récents qui l’accablaient sans cesse étaient loin, et elle appliquait avec ferveur l’enseignement épicurien de Loki, savourant chaque goulée d’air qu’elle inspirait et comptant chaque battement de son cœur, à défaut de sentir ceux de Loki à cause de son épaisse fourrure hivernale. Elle comptait bien chérir ce court instant de bonheur tant qu’elle le pouvait encore, là, contre celui qu’elle avait choisi entre tous.
C’était presque étrange, au final, que Loki ait été l’élu de son cœur, il n’avait pas eu complètement tort en lui faisant cette remarque deux jours auparavant. Elle qui s’était toujours imaginée au bras d’un prince qui la couvrirait de cadeaux et de tout ce qu’elle désirait, son affection grandissante pour Loki au fil du temps lui avait fait comprendre à quel point ses rêves étaient égoïstes. Elle ne désirait pas auparavant l’amour d’un poney, mais un statut, une prestance à laquelle elle n’avait pas accès en tant que roturière de Ponyville. Elle voulait montrer à tous sa noblesse inhérente, au point de pouvoir se pavaner au bras d’un noble, qui ne lui aurait servi que d’énième accessoire.
Et voilà qu’elle tombait amoureuse non pas d’un poney, mais carrément d’un coyote, n’ayant aucun statut, aucune richesse matérielle, et dont la vue provoquerait plus facilement le dégoût de la population d’Equestria que l’admiration. C’en était presque illogique, connaissant Rarity.
Mais elle avait vu dans l’œil du canidé son propre reflet, celui d’une licorne dépourvue de tous artifices, de tout ce qui lui donnait confiance en elle, et ce qui restait n’était que doute, peur, fatigue et désespoir de revoir un jour sa famille et ses amis.
Elle avait compris grâce à Loki, sans qu’il y fît quoi que ce soit, que ses rêves de grandeur, de popularité et de prestige n’avaient aucune importance. Pour se rendre compte de l’importance de quelque chose, il fallait en être privé, et Rarity souffrait de l’absence de trois de ses meilleures amies, et désespérait de revoir un jour sa sœur, ses parents, et Spike qui avait toujours été si généreux à son égard.
Peut-être était-ce cela, cette traversée du désert encore inachevée, qui l’avait encouragée, ou forcée à voir au-delà des apparences, contrairement à ce qu’elle avait toujours fait. Les épreuves qu’elle et Loki avaient partagées les avaient rapprochés, et peut-être était-ce là ce qui avait fait naître ses sentiments pour le coyote.
Mais pas seulement. Il y avait certainement autre chose.
Les moments passés ensembles chez Harmonie par exemple.
Rien que le premier jour, par une espèce d’heureux hasard, Rarity s’était installée contre le coyote dans la Clio blanche, qui devait maintenant être devenue un tas de ferraille abandonné ou qui avait été volée par un promeneur indélicat.
Même si Twilight accaparait la plupart du temps les places à côté du coyote sur les canapés, lors de visionnages de films, Rarity se rendit compte qu’elle n’avait jamais été bien loin non plus, voire assise de l’autre côté de Loki, ainsi entouré de licornes. De même, elle et lui avaient eues les discussions les plus intéressantes sur les questions sentimentales, tant soulevées par des films que par des dessins ou des livres, et ils étaient tous deux les êtres les plus sensibles à l’art , musical, pictural ou cinématographique, dans le petit pavillon qui les avait abrités si longtemps.
C’était Loki qui avait fait découvrir « While your lips are still red », chanson qu’elle chérissait à présent de tout son être. C’était elle qui avait été le plus émue en l’entendant la première fois, et qui depuis n’avait cessé de la chantonner à la moindre occasion, allant jusqu’à en apprendre les paroles grâce à internet, quand Pinkie lâchait enfin l’ordinateur.
Rarity avait également servi de confidente à Loki, qui lui avait confessé ses déboires sentimentaux à l’égard de Twilight, et l’avait soutenu quand il avait pris la plus mauvaise décision sentimentale de sa vie.
Quand était-elle tombée amoureuse du coyote, au final ? Elle n’aurait su le dire.
Dans cette cage d’ascenseur, sous l’œil cruel de la Bête qui aurait pu les tuer tous les deux sans l’intervention du démon ? En écoutant la chanson ? Ou déjà en l’écoutant discourir sur la beauté des prédateurs ?
Qu’est-ce que ça changeait ? Elle se sentait bien avec lui, et ne demandait rien de plus.
Des petits bonheurs qui en construisaient un plus grand.

Loki remua, et roula sur le ventre avant de redresser la tête. Toujours étendue sur le côté, Rarity l’observa sans dire un mot, par une étrange crainte de troubler le silence. C’aurait brisé la magie du moment peut-être.
Il tourna la tête vers la licorne, et lui adressa un sourire tendre, que Rarity lui rendit presque aussitôt.
Elle songea qu’il faudrait qu’elle lui fabrique un cache-œil. Les bandages qu’il portait étaient tout sauf élégants et esthétiques.
Loki se pencha vers elle, et frotta amoureusement son museau contre le sien, imitant le baiser esquimau.

- Bonjour, milady, murmura-t-il. La nuit a-t-elle été bonne ?
- Un peu fraîche, répondit Rarity avec un sourire en coin et un regard moqueur.
- Veuillez m’en excuser, j’ai dû m’endormir un peu brutalement après ma méditation.

Malgré la semi-obscurité ambiante, Rarity aperçut ce qui semblaient être des cernes sous son œil gauche, encore valide. Elle n’était pas sûre qu’ils dataient de cette nuit, mais elle ne les avait jamais remarqués avant.

- A propos, comment ça s’est passé ? demanda-t-elle en bâillant le plus discrètement possible.
- Plutôt bien, mentit Loki. Une petite discussion avec mon animal-totem fait toujours du bien. Tu te lèves ?
- Une seconde.

Avait-elle rêvé, ou Loki venait-il de lui servir un mensonge éhonté avant d’éluder le sujet ?
Rarity chassa ce doute en se redressant. Non, il avait dit qu’il serait honnête tant que ça ne relevait pas de souffrances inutiles.
Et que pouvait-il bien arriver de suffisamment grave pendant une méditation pour que les autres aient à en pâtir ?
Au dehors, Pinkie et Applejack avaient déjà préparé leurs affaires et étaient prêtes au départ. La licorne fut gênée de constater que Loki et elle, en se levant toujours plus tard, retardaient le groupe, et avant même de chercher de quoi manger parmi les provisions, s’employa à replier la tente et à empaqueter leurs affaires, au coyote et à elle-même.
Quelques instants plus tard, le petit groupe se remettait en route, suivant les directions indiquées par la lecture avisée de la carte de Loki et de la boussole.
Cependant, Loki ne put assumer très longtemps son rôle de guide. Son estomac grondant lui rappela qu’il ne pourrait pas survivre éternellement sur des réserves de barres vitaminées et de sandwiches végétariens, et il dut abandonner ses instruments de navigation pour se remettre en chasse. Il remit son matériel à Rarity, et disparut en trottant silencieusement entre les arbres des bois environnants, en quête d’une proie.
Ce que les poneys ignoraient, c’est que Loki se servait également de ce prétexte pour leur fausser compagnie.
Il était torturé par les propos que Ziri Kaar avait tenu la veille dans son esprit, et savait que son tourment finirait tôt ou tard par se voir. Il craignait que Rarity ait déjà des doutes, car il avait fort mal répondu à sa question sur le bon déroulement de sa méditation, lui fournissant une réponse qui indiquait clairement qu’il préférait éviter le sujet.
Il avait dû mentir à Rarity pour ne pas l’inquiéter, et cela avait été tellement naturel qu’il en était malade. Après ce qu’il avait dit la veille, qu’il tenterait d’être aussi honnête qu’il le pourrait…
Si Rarity l’apprenait, mieux valait ne pas savoir ce qui lui tomberait dessus.
La chassa allait être longue.

Loki parvint à disparaître ainsi toute la matinée, retournant de temps à autres sur le chemin des poneys pour leur rendre compte du progrès de sa chasse, encore au point mort – ce qui était vrai, le froid de l’hiver ayant déserté les lieux de toute vie animale ou végétale.
Cependant, la faim le tenaillait, et il ne pouvait courir ainsi toute la journée sans se mettre quoi que ce soit sous la dent. Il faudrait qu’il revienne vers Rarity, Applejack et Pinkie à un moment ou un autre.
En fin de matinée, sa quête prit fin. Il avait fini par trouver un terrier de rongeurs. Il en fit le tour, cherchant pendant plusieurs minutes la sortie de secours que les animaux avaient aménagé. Quand il l’eut trouvé, il la bloqua avec de la neige, et fonça cueillir ses proies à l’autre bout du terrier.
Ses mâchoires claquèrent deux fois, et deux lapins trépassèrent entre ses crocs.
Les rongeurs avaient beau être rusés, Loki l’était bien plus.
Mais peut-être pas assez pour réussir à paraître serein tout en masquant l’appréhension et la douleur qui lui rongeaient les entrailles.
Son repas terminé, il frotta son museau avec de la neige pour en enlever les traces de sang, et retourna sur la piste des poneys, abandonnant les carcasses aux corbeaux.

L’après-midi se passa à peu près sans encombres pour le coyote, qui parvenait tant bien que mal à éviter les regards presque suspicieux d’Applejack et en esquivant ceux de Rarity en frottant sa joue contre la sienne ou par un timide baiser de temps à autres.
Cependant, plus le temps passait, et plus les ponettes semblaient se douter de quelque chose. La nervosité de Loki devenait de plus en plus palpable, et il sut qu’il ne tiendrait pas longtemps.
Même si Rarity répondait positivement à ses témoignages d’affection, il sentait une certaine retenue chez cette dernière, et savait qu’elle trouvait son comportement étrange. Sans parler d’Applejack qui multipliait les regards inquisiteurs, cherchant à nouveau à percer le secret qui se cachait sous le masque raté de la détente et de la sérénité.
Il ne tiendrait plus longtemps.
Mieux valait livrer la vérité dans son entièreté avant qu’on la lui extorque, se dit Loki. Elle serait plus facile à accepter que si les poneys lui tiraient les vers du nez, mais Loki en doutait tout de même.
Mais il valait mieux ne pas prendre le risque d’énerver ses amies avec un interrogatoire inutile. Ca ne rendrait les choses que plus difficiles.

- Il faut que je vous dise quelque chose, annonça-t-il gravement
- J’en étais sûre ! Ne put retenir Applejack. Depuis ce matin t’as l’air bizarre !
- Hier soir, en méditant, reprit le coyote sans relever, j’ai eu une vision effrayante, et je ne peux pas vous laisser dans l’ignorance.

La queue et les oreilles basses, signifiant sa honte et son regret, Loki conta les visions qu’il avait eues, et son entretien avec Ziri Kaar. Les poneys furent tour à tour passionnés, surpris, et pour finir profondément choqué. Le coyote se félicita intérieurement de n’avoir pas évoqué le passage où le dragon l’avait nommé bourreau par intérim.

- Loki, pourquoi ne nous as-tu rien dit plus tôt ? dit Rarity, sur un ton témoignant une grande déception.
- Je ne voulais pas vous inquiéter, répondit-il avec amertume.
- Et tu penses pas qu’Harmonie devrait être mise au courant de ça, par hasard ? s’emporta Applejack.
- Si, mais qu’est-ce qu’on peut faire ? Elle est partie, nous arriverons sûrement trop tard pour la prévenir.
- Et alors ? Je préfère prendre le risque d’arriver trop tard qu’en avoir la certitude ! tonna la ponette orange.
- On ne doit jamais abandonner ses amis dans une telle situation ! renchérit Pinkie.
- Loki, nous avons beau nous être brouillés avec les autres, nous ne pouvons pas risquer de les perdre définitivement, expliqua Rarity. Je sais que c’est tout comme pour l’instant, mais nous pensions qu’elles seraient plus en sécurité. Leur vie est en danger, Loki, et nous n’avons peut-être plus beaucoup de temps. Nous devons y aller.

Loki eut un moment de silence.

- De toute façon, je ne peux pas dire que mes dernières décisions aient été judicieuses, soupira-t-il. J’ai brisé le cœur de Twilight, notre groupe, et maintenant à cause de moi il est peut-être trop tard.
- Il n’est peut-être pas encore trop tard, Loki, le rassura Rarity. Mais il faut que nous nous dépêchions.
- On a quand même un sacré problème : on n’sait pas dans quelle direction elles sont parties, souleva Applejack en regardant Loki de travers.
- Si on retourne là où on s’est séparées, peut-être qu’on arrivera à remonter leur piste depuis le camp, proposa Pinkie.
- Ca m’a l’air d’être un bon plan, approuva la fermière.
- J’en doute, fatalisa Loki. Le vent aura sans doute effacé leurs traces.
- Il doit bien y avoir un moyen de savoir où elles sont parties, enfin, s’inquiéta Rarity.
- Non, dit Loki. Elles n’ont pas de traîneau comme nous, tout ce que nous avons, ce sont des empreintes dans la neige probablement effacées, tout comme leur odeur.

Applejack le regarda avec des yeux ronds.

- T’es en train d’me dire qu’elles sont définitivement perdues ?

Loki ne répondit pas.
Ce fut la goutte de trop pour l’honnête Applejack.

- T’as vu où tu nous a menées ?! explosa-t-elle. On est perdues, elles sont perdues, et elles vont sûrement crever avant qu’on ait eu le temps de faire quoi que ce soit, sans qu’on sache comment ni pourquoi, et tout ça par TA FAUTE !! cracha-t-elle en pointant le museau de Loki avec son sabot. Parce que t’es pas foutu d’être honnête avec nous ! Parce que tu nous cache des infos capitales ! Tu gardes tout pour toi pour soi-disant pas nous faire du mal, pour être sympa, mais tout ce que t’as réussi à faire c’est peut-être de condamner nos amies ! Quand est-ce que t’apprendras à vivre au grand jour, pas caché comme tu le fais tout le temps ?! Tu caches tout ! Tu nous cache tes sentiments ! Tu nous cache la vérité ! Il y a quoi d’autre qu’on sait pas encore ?!

Loki encaissa le déluge de reproches sans dire un mot, la tête basse, l’œil fixé sur le sol. Il avait les oreilles plaquées autant qu’il le pouvait sur la nuque, et la queue entre les pattes. Il tenta un instant de chercher le soutien de Rarity, mais celle-ci détourna les yeux, la tristesse et la déception de lisant sur son visage.

- T’avais raison, tes décisions sont franchement pas judicieuses, loin de là, continua Applejack sur un ton plus calme, mais tout aussi chargé de reproches, et au final causant encore plus de dégâts que si elle avait continué à hurler. Tu fais comme tu veux, tu viens nous aider à partir à leur recherche ou tu te casse, je m’en moque. Je te dis ça parce que moi, j’suis honnête. Mais je te jure que s’il leur est arrivé quoi que ce soit, je te retrouverai, et je te préviens : je mets les sabots où je veux, et ce sera dans ta gueule d’amour.

Personne ne pipa mot.

- Tu peux nous faire un hurlement victorieux, boule de poils, lâcha Applejack en donnant une bourrade de l’épaule au coyote qui le fit chanceler. T’as réussi à briser la confiance qu’on avait en toi. J’espère que Rarity pourra te le pardonner, parce que moi je vais avoir du mal.

Loki leva l’oeil vers la licorne, qui ne voulait toujours pas le regarder. Il sentit son monde s’effondrer. Que pensait-elle ? Qu’allait-elle dire ?
Alors que la caravane se remettait en marche, Loki se plaça en traînant misérablement les pattes au niveau de Rarity, et ils reprirent la route en sens inverse, conformément à l’idée de Pinkie, avec une légère déviation vers le Sud, là où on trouvait le moins de traces de civilisation humaines d’après la carte.
Loki espérait que c’était bien dans cette direction qu’étaient parties sa sœur et les trois poneys.

Il essaya de trouver un peu de réconfort auprès de Rarity, mais la licorne blanche le repoussa.
Le coyote était désemparé. Ses propres erreurs, ses propres idées saugrenues sur la protection de ses proches lui avaient coûté leur confiance. Au bout de seulement deux jours de relation, il avait trouvé le moyen de profondément décevoir Rarity, et ça le rendait malade.
Il s’en voulait horriblement. Alors qu’il pensait qu’il n’avait qu’à se libérer du poids qu’il avait sur la conscience pour se sentir mieux, cela avait eu l’effet totalement opposé.

- Je suis désolé, dit-il, toujours la tête basse.

Personne ne lui répondit.
Le reste de la journée se passa dans un silence de mort, chargé du poids de la rancœur, et Loki crut qu’il allait devenir fou.
Tout cela à cause d’un unique mensonge.
Qu’arriverait-il s’il devait exécuter Harmonie ?

Lorsque la nuit fut bien avancée et que les poneys se retirèrent dans leurs tentes, Loki resta à l’extérieur. Il ne s’estimait pas digne de partager la couche de Rarity ce soir.

- Tu viens ? demanda pourtant celle-ci, d’un ton qui se voulait neutre.

Le coyote ne bougea pas et ne répondit pas plus.

- Viens, ça ne sert à rien de rester dehors tout seul, insista-t-elle. Ne fais pas comme si c’était ta pénitence.

Toujours sans un mot, Loki consentit à se lever, et à rejoindre Rarity sous la toile. Une pointe d’espoir jaillit dans son cœur, mais il évita de s’emballer. Il avait commis une faute grave, elle ne pouvait pas le lui pardonner si facilement.

- Tu me pardonne ? demanda-t-il tout de même.
- Je ne peux pas dire ça, répondit tristement Rarity. Tu m’as menti, et tu nous a caché quelque chose qui nous concernait tous. Et j’ai un peu perdu confiance.

Loki comprenait parfaitement cette réaction. C’était normal, après tout. Néanmoins, constater que Rarity réagissait avec justice et mesure le rassura, et il se sentit mieux. Elle n’était pas en colère contre lui, et la confiance, même si elle était difficile à installer à nouveau, pouvait être rachetée.

- Mais je t’aime, Loki, et comme tu le dirais toi-même, nous n’avons vraiment pas besoin de penser à ce genre de choses en ce moment.

Loki acquiesça d’un mouvement de tête.

- Il y a autre chose que tu ne nous a pas dit ?
- Pas qui vous concerne directement.
- Plus de mensonges, trancha Rarity fermement.

Loki poussa un long soupir, avant de lui avouer la dernière des vérités occultées.

- Si Discord ne tue pas Harmonie, c’est moi qui suis chargé de le faire.

Rarity ne put retenir une exclamation étouffée par un sabot qu’elle plaça devant sa bouche.
Soudain, elle comprit pourquoi le coyote avait masqué cette partie de la vérité.
Ca n’était du ressort de personne, il avait raison.

- Je suis désolée, Loki…
- C’est pas à toi de l’être.

Sans ajouter quoi que ce soit, Rarity étreignit le coyote, touchée par son sort. Loki la serra à son tout contre lui, si fort qu’il lui bloqua partiellement la respiration.

- Je suis désolé, Rarity, avoua-t-il, un léger trémolo dans la voix.

Elle ne répondit que par un « chut » glissé au creux de l’oreille, qui se voulait apaisant.
Elle ne savait pas quoi penser.
Laissant de côté sa rancœur, elle s’allongea, le serrant toujours contre elle, et le fit caler sa tête dans le creux entre ses épaules et son cou, après l’avoir embrassé sur le front. Elle espérait que cela suffirait à l’apaiser.
La licorne tenta de s’imaginer ce que le coyote pouvait ressentir en l’instant présent, en transposant sa situation de manière à l’adapter à elle-même.
Elle comprit ce qui l’avait motivé à finalement divulguer les informations qu’il avait si longtemps retenues. Le poids du mensonge lui causait trop de douleur, et il sentait que ses amies cherchaient à savoir ce qui le troublait. Il était acculé, et avait préféré se rendre sans combattre, afin de causer un minimum de douleur. Même dans le mensonge et la tromperie, il trouvait le moyen de penser encore à ses proches.
Rarity s’imagina ensuite la manière dont elle réagirait si elle devait tuer Sweetie Belle, sa jeune sœur. Bien sûr, elle était parfois insupportable, et l’envie de la noyer dans le Froggy Bottom Bog lui avait traversé l’esprit plusieurs fois, mais elle avait également partagé de grands moments d’émotions avec elle, et s’amusait bien en décompressant de temps en temps avec elle.
Et elle avait juré devant Celestia que jamais plus elle ne perdrait sa sœur, comme elle l’avait fait peu avant la grande compétition du Sisterhooves Social par de constantes remontrances alors que Sweetie essayait d’aider sa grande sœur.
La simple pensée de faire disparaître cet élément perturbateur mais néanmoins joyeux de sa vie fit monter les larmes aux yeux de Rarity. La pensée qu’elle-même pourrait en être responsable les libéra.
Elle serra Loki un peu plus fort contre elle.



Twilight observait le ciel, étendue sur le dos dans une clairière herbeuse couverte de neige et de cendres, comme le reste du monde, formant un cercle avec à sa droite Rainbow Dash, à sa gauche Harmonie et derrière elle Fluttershy, toutes trois étendues également sur le sol, les yeux perdus dans les étoiles.
Pour une fois, la chance semblait leur sourire. La Lune éclairait de son pâle éclat le campement, et un trou s’était formé dans la voûte nuageuse qui se déplaçait mollement en la quasi-absence de vent nocturne, permettant d’admirer le firmament étoilé.
La licorne était absorbée dans ses souvenirs d’astronomie, son sujet d’études favori. Elle reconnut sans peine de nombreuses constellation : Canis Major, Minor, la Grande et la Petite Ourse, le Chariot… Toutes des constellations présentant la particularité d’être observable à la fois en Equestria et sur Terre. Les deux mondes étaient donc réellement proches dans l’espace, plus que Twilight l’aurait cru.
Harmonie, elle, observait la voûte céleste, cherchant des yeux les étoiles qui avaient présidé à sa naissance, même s’il y avait très peu de chances pour que cela arrive. Si ces astres étaient les éléments d’Harmonie, ils devaient se trouver dans son âme, à présent.

Dans l’adversité causée par la séparation de leur groupe initial et le mal-être qu’avait causé la décision de Loki chez Harmonie et Twilight, leur groupe avait fini par se souder. Elles s’entendaient toutes les quatre à merveille, même si leurs journées n’étaient pas particulièrement trépidantes et remplies de conversations profondes ou animées. Mais la source première de cette entente était sûrement dans le fait que les trois poneys passaient une grande partie de leur temps à se remonter le morale aux unes et aux autres, et surtout celui d’Harmonie, écrasée par les responsabilités apportées par son statut de porteuse des Eléments d’Harmonie, et appréhendant grandement la confrontation finale avec le plus grand fléau de ce monde : Discord.
Mais en cet instant, étendue sur l’herbe gelée aux côtés de ses trois plus proches amies, Harmonie se sentait bien, tant qu’elle ne pensait pas au groupe de Loki et des dissidents.
Au final, ils lui inspiraient plus de peine que de rancœur. Elle avait surmonté les griefs qu’elle avait contre son frère, après quelques réflexions à froid, au calme, et avait compris ses positions et celles des autres. Il ne s’agissait évidemment pas de la sacrifier, et elle savait que la décision de Loki avait été fortement influencée par sa relation avec Rarity. Après tout, il craignait pour leurs deux vies, et faisait ce qui lui semblait le plus sécurisé. Elle ne pouvait pas lui reprocher d’avoir une logique défaillante. Au moins, Harmonie avait réussi à apaiser la rancœur que Twilight éprouvait contre Loki, sans toutefois argumenter autour du coyote, en sa faveur ou non.
La licorne, quand à elle, avait peu à peu retrouvé le sourire, cessant de penser sans arrêt inutilement à ce que Loki et Rarity pouvaient être occupés à faire pendant qu’elle se broyait du noir, désespérée par son chagrin d’amour. Elle s’aidait également de la fierté qu’elle tirait d’avoir pris de bonnes décisions concernant Harmonie, et également d’avoir découvert à partir de simples impressions fugaces qu’elle était les Eléments d’Harmonie tant recherchés. Enfin, elle n’avait aucune preuve réelle de ce qu’elle pensait, mais de nombreux indices convergeaient dans ce sens, et c’était une quasi-certitude.
Cela ne l’empêchait pas d’appréhender également le combat contre Discord, mais Twilight était persuadée que cette histoire se solderait par une fin heureuse. Au contact de leur opposé, les Eléments se réveilleraient sans doute, permettant à Harmonie de vaincre le draconequus, et de mettre un terme à cette histoire de fous. Les poneys n’étaient pas faits pour traverser tant d’épreuves.

Soudain, une sensation étrange et dérangeante fit se hérisser les crins de la licorne sur son échine. Cette sensation dérangeante, elle ne la connaissait que trop bien, et les pires souvenirs de son existence rejaillirent dans son cerveau.
Le Peuple des Ombres était là, quelque part.
Twilight se leva d’un bond, les sens en alerte, les muscles tendus, les pattes prêtes à fuir le danger.
Sous la surprise de l’étrange manège qui agitait son amie, Harmonie se redressa sur son séant, et suivait le regard mauve de la licorne, qui scrutait les arbres alentours à la recherche d’une quelconque menace qui s’y trouvait. La jeune femme avait un terrible pressentiment.

Le regard inquiet de Twilight se bloqua entre deux arbres, un nœud douloureux se forma dans son estomac, accompagné de sueurs froides courant le long de sa nuque et provoquant des frissons de terreur. Deux yeux rouges et luisants d’une lueur malsaine l’observaient sous le couvert des arbres.

Rainbow, en se relevant à son tour, prête à en découdre, sentit une douleur se réveiller brutalement dans ses ailes. Elle grimaça de douleur, et jeta un bref coup d’œil dans la direction dans laquelle Twilight jetait un regard horrifiée, tétanisée par la peur. Rien. Que le néant entre les arbres.
- Le Peuple de l’Ombre… dit Twilight d’une voix blanche.
- Quoi ? s’étonna Harmonie.
- Oh non, couina Fluttershy.

Quatre autres paires d’yeux apparurent, se regroupant autour de la première.
Rainbow se ramassa sur elle-même, prête à en découdre. Tant pis si ses ailes lui faisaient mal, elle avait un compte à régler avec ses salopards de planqués.
Harmonie, elle, était totalement prise au dépourvue, et gagnée petit à petit par la panique. Que faire ? Comment chasser ces créatures ? Fallait-il les combattre ? Comment étaient-elles arrivées jusque là, alors qu’elles ne pouvaient théoriquement pas s’aventurer en terrain découvert ?

Au bout de quelques instants de stress intense, pendant lesquels Fluttershy tenta de se faire la plus petite possible entre les pattes d’une Rainbow tout aussi en colère qu’effrayée, Twilight finit par se détendre un peu. Elle seule pouvait les voir, et donc rendre compte de la situation, malgré sa terreur. Sa détente semblait indiquer que le danger était écarté.

- Ils sont partis, confirma la licorne avec un air incrédule.
- Tafioles, cracha Rainbow en se détendant à son tour.

Fluttershy eut un soupir de soulagement, et se retira d’entre les pattes du pégase cyan avec un air gêné.
Harmonie, en revanche, avait de quoi s’inquiéter. Pourquoi le Peuple, d’ordinaire si efficace pour causer des psychoses monstrueuses comme il l’avait montré dans ce chalet quelques semaines auparavant, s’était-il retiré si subitement ? Comme si on l’avait…rappelé ?
Harmonie conçut une grande crainte suite à cette dernière conclusion, qu’elle savait d’instinct être la bonne.
Elle ne connaissait qu’un seul être capable de manipuler les esprits, au propre comme au figuré.





Ca y est !! Enfin, ça y est !
Ahhh, qu’il est bon de se savoir si proche du dénouement final ! Je suis sûr que vous en savez quelque chose !
Mais peut-être désirez-vous savoir ce qui cause chez moi une telle crise de joie ?
Figurez-vous que mes Ombres sont rentrées au bercail !
Elles ont mis le temps, certes, plus d’une semaine ininterrompue de traque, mais elles ont néanmoins fini par obtenir un résultat.
Vous l’aurez compris, Harmonie est localisée. Bien sûr, compter sur une Ombre pour effectuer une localisation précise est une pure perte de temps, mais elles savent retourner sur des lieux qu’elles ont déjà visité. De là, sachant qu’elles voyagent de nuit bien plus rapidement qu’un être humain ou un poney ne le fait de jour, il sera facile de remonter la piste d’Harmonie, et d’enfin lui poser la griffe dessus.
J’ai lu également dans les souvenirs de mes ombres la présence de Twilight Sparkle, Rainbow Dash et Fluttershy. Je ne sais pas où sont parties les autres, mais leur absence ne m’est que plus profitable. Si d’aventure elles avaient retrouvé les Eléments d’Harmonie, en l’absence de la moitié d’entre eux, je n’ai rien à craindre.
Oh, qu’il est bon de se savoir si proche du but !
Il ne me reste plus qu’à mettre mes armées en campagne, à retrouver Harmonie, et de là à ouvrir un portail vers Equestria.
Pourquoi n’ouvrirais-je pas le portail maintenant, me direz-vous ? J’en ai les moyens, vous avez raison. Mais j’ai un besoin presque vital de savoir après quoi je cours depuis tout ce temps. Je veux percer le secret d’Harmonie, et si d’aventure l’interrogatoire se prolongeait pendant que mes légions étaient aux prises avec Canterlot, celles-ci seraient privées de leur élément essentiel : moi.
Je veux que cette opération soit un succès. Je reconnais avoir fait mes plans un peu à la va-vite, mais admettez que mon niveau de puissance actuel est largement suffisant pour prendre la capitale d’Equestria sans avoir à trop aller dans le détail.
Concernant Harmonie, ne vous inquiétez pas, j’ai bien planifié les choses. Apparemment, j’ai prévu trois invités de trop à notre petite réception, mais au moins nos chers poneys auront un cavalier avec qui danser pendant que je m’entretiendrai avec Harmonie.

Ahh, l’odeur de la victoire est dans l’air.
Ca faisait bien trop longtemps que j’avais oublié son parfum.