C’était un bel après-midi de printemps et la sonnerie venait juste de retentir. Sortant de l’école, Scootaloo, Sweetie Belle et Apple Bloom avaient pris la direction du Sugarcube corner, discutant – eh, bien, discutant de ce dont les pouliches de leur âge discutent habituellement : mathématiques, géographie, littérature… enfin, voilà quoi –
— …
— Hein ? Comment ça c’est du grand n’importe quoi ? Qu’est-ce qui ne va pas ?
— …
— Ah, ça ? Ouais… bon d’accord, on oublie tout, je recommence. »
* * *
Or donc, c’était de nouveau un bel après-midi de printemps. Sortant de la classe, chacune des aventurières de notre trio d’intrépides casse-cou, auto-baptisé « le club des démarquées® » [1], s’apprêtait à relever un nouveau et périlleux défi : engloutir le plus possible de sucreries du Sugarcube corner dans le peu de temps qui lui était imparti, avant de devoir rentrer chez elles pour la soirée.
Mais alors qu’elles étaient encore assez loin du centre-ville, Scootaloo s’arrêta soudain et lâcha un « Beeeerrrkkk » avec dégoût.
« Qu’est-ce qui se passe ? demandèrent les deux autres d’une même voix. Tu te sens mal ?
— Mais non, répondit-elle en haussant les épaules. Regardez, là ! » Elle pointa avec son sabot un petit bosquet de saules dans lequel, presque invisibles depuis la route, deux jeunes poneys – à peine plus âgés que nos héroïnes – flirtaient et se bécotaient à l’abri des regards.
« Oooohhh ! s’émerveilla Sweetie Belle, fascinée. C’est si mignon !
— Pffff… qu’est-ce que tu peux être gnangnan, grogna Scootaloo. C’est dégueu, je dirais, plutôt !
— Je ne vois pas ce qu’il y a de dégoûtant, protesta Sweetie Belle. Ce sont juste deux poneys qui s’aiment. L’amour et l’affection, c’est génial, non ?
— Oui, mais pas comme ça, expliqua Scootaloo. Moi, ça, ça me débecte. Et puis, tiens, pourquoi est-ce que les juments et les étalons tombent amoureux au fait ? Moi je trouve qu’on est déjà très heureux tout seul, sans s’encombrer avec ces salades !
— C’est une bonne question, intervint Apple Bloom. Tu sais quoi ? On va demander au seul poney capable de nous répondre !
— Et c’est qui ce poney-je-sais-tout ? demanda Scootaloo, toujours aussi bourrue.
— Twilight évidemment ! Twily’ ! One two twi’ ! se mit-elle à couiner en cabriolant d’un coup à l’entour, comme si elle voulait imiter Pinkie Pie.
— Oh noooon ! Pas elle ! supplia Scootaloo. Elle va encore nous bassiner avec une de ses histoires rocambolesques sorties de je ne sais quel bouquin poussiéreux. Pas cool…
— Allez Scootaloo, arrête de te plaindre. Allons-y et voyons donc ce qu’elle a à nous dire, proposa Apple Bloom gaiement. On ira au SugarCube après. D’accord les filles ?
— Okay, okay, acquiesça Scootaloo, sombre. De toute façon, ça ne sert à rien de protester…
* * *
Toc ! Toc !
« Oh, mais c’est notre gang des redoutables pirates d’eau douce ! s’exclama Twilight en ouvrant la porte de sa bibliothèque-maison. Vous ici ? Qu’est-ce qu’il se passe ? Vous vous êtes perdues ? Vous vous trouvez en plein milieu d’une de vos innombrables crises existentielles ?
— … (silence gêné)
— Beuh ! De nos jours, les jeunes pouliches ont un sens de l’humour vraiment très limité, se lamenta-t-elle. Bon allez, ne restez pas là les trois grâces. Entrez et installez-vous ! »
Elles pénétrèrent donc dans la bibliothèque et vinrent s’asseoir autour de la table. « Bien ! reprit Twilight. Que me vaut l’honneur de cette visite impromptue ?
— In… quoi ? répondirent-elles ensemble. » Twilight leva les yeux au ciel : « Rien ! Oubliez ce mot ! Je ne vous attendais pas, voilà. Donc, c’est pourquoi ?
— Nous aimerions savoir, exposa Apple Bloom très sérieusement, pourquoi les poneys tombent amoureux : les étalons et les juments, et parfois les étalons avec d’autres étalons et des juments avec d’autres juments.
— Tiens ! Une question inattendue mais intéressante. Je connais une histoire qui va tout vous expliquer. Spike ! » hurla-t-elle. Quelque part dans les étages, la voix de Spike répondit : « Oui Twilight ! Qu’est-ce qu’il y a ? J’ai oublié de nettoyer le miroir du bas ? » Puis, plus bas, comme pour lui-même : « Non, pourtant, j’ai bien coché cet item. » Plus fort de nouveau : « Tu veux une plume ? De l’encre ?
— Non, peux-tu me chercher le livre appelé Symposion ? Il est ancien et usé ; sa couverture est rouge et il est rédigé dans des caractères bizarres. Apporte-le moi dès que tu l’auras trouvé !
— D’accord Twilight, tout de suite ! » Des sons bizarres se firent entendre, comme lorsqu’on traîne un objet lourd ; un cliquettement de serrure que l’on ouvre ; le froissement de livres que l’on remue. Puis, soudain : « Je l’ai ! Mais sa couverture est verte, pas rouge ! »
La corne de Twilight se para d’un halo évanescent, et soudain, au-dessus de la tête des poneys, un Spike effrayé descendit tout doucement dans le vide, accroché désespérément au vieil ouvrage. À un mètre du sol, Twilight rompit le sort, et Spike atterrit brutalement sur ses fesses dans un boum étouffé. « Outch ! » lâcha le pauvre dragonet. « Oh Spike ! rigola Twilight, comme c’est gentil de te joindre à nous. Assieds-toi donc aussi !
— Merci Twilight, trop aimable ! » fit Spike en frottant ses écailles.
L’alicorne ouvrit le livre, toussota pour s’éclairer la voix, puis commença : « Il y a longtemps, si longtemps que la mémoire s’en est perdue, bien avant l’interminable tyrannie de Discorde, avant même la naissance de la princesse Célestia, les poneys d’Equestria menaient une vie bucolique et insouciante. Les poneys terrestres et les licornes vivaient en petites communautés et tiraient l’essentiel de leur subsistance de la terre, alors que les pégases s’occupaient, comme elles le font encore, des nuages et des pluies. Tout était pour eux source de joies et de délices : leur union avec la Nature, la beauté des saisons, les odeurs de la terre et des plantes, la magie des nuits étoilées.
Cependant, ils n’étaient pas exactement comme nous : ils étaient bicéphales et octopèdes –
— Bicé… quoi et octo… quoi ? interrompit Scootaloo.
— Bicéphales et octopèdes, répéta Twilight amusée. Ça veut dire qu’ils avaient deux têtes et huit jambes. En outre, à cette époque, à côté des juments et des étalons, il existait un troisième type de poney, jument et étalon à la fois, qu’on appelait les amphiges. Ces amphiges constituaient d’ailleurs la majorité de la population.
— Pffff… reprit Scootaloo. Des poneys à deux têtes et huit pattes, des amphitrucs. Qu’est-ce que c’est que toutes ces salades ?
— Ne peux-tu pas te taire deux minutes et écouter toute l’histoire ? gronda Twilight.
— D’accord… Promis, je ne dirai plus rien ! » soupira Scootaloo. Twilight poursuivit alors d’un ton plus apaisé : « Je pense que, de nos jours, on parlerait de poneys “androgynes” ou “hermaphrodites”, mais je continuerai à utiliser le nom que leur donne cette vieille histoire, amphiges.
« Ces poneys vouaient une vénération simple mais profond à leurs deux divinités, le Soleil et la Lune. Ils fêtaient le printemps, le début de l’été, la fin des moissons et la nuit la plus longue. En ces occasions, ils offraient de nombreux présents à leurs divinités, sous la supervision d’un grand prêtre, qui était leur seul guide. En échange, le Soleil et la Lune leur octroyaient des moissons généreuses et des fruits à foison.
« Or il arriva un jour qu’un de ses grands prêtres fut frappé de déraison et qu’il quitta le chemin de la sagesse : il devint hautain et arrogant, et décréta que la religion de ses ancêtres n’était qu’une superstition absurde, une hérésie ridicule ; il décida que, désormais, ce serait lui et lui seul que l’on devrait implorer. Les poneys, qui étaient humbles et serviles, se détournèrent alors de leur ancienne croyance et ne révérèrent plus que leur grand prêtre. Bientôt, ce dernier ordonna également qu’on lui livre ou qu’on lui sacrifie de jeunes pouliches, parmi les plus belles du pays.
« Mais la colère du Soleil et de la Lune fut telle qu’une nuit longue et obscure ils se réunirent secrètement et décidèrent de punir le prêtre et son peuple de leur folie devenue sanguinaire. Ils conjurèrent toute leur magie, et leur courroux s’abattit sur Equestria. Le grand prêtre fut jeté dans le Tartare. On dit que, pour toute l’éternité, il est enfermé dans une vaste cave ténébreuse ; au loin, une arche illuminée ouvre sur un escalier qui mène à la sortie. Mais à chaque fois qu’il s’en approche, celle-ci se déplace immédiatement de l’autre côté de la cave, si bien qu’il ne peut que la regarder de loin, sans jamais pouvoir la franchir.
« Quant aux poneys doux et obéissants, ils furent moins sévèrement châtiés. Ils furent tous profondément endormis, puis coupés en deux, si bien que chacun hérita d’une seule tête et de quatre pattes ; les pégases conservèrent chacun deux ailes, faute de quoi ils n’auraient plus jamais pu voler et le pays serait mort de soif. Enfin, leurs villages furent détruits, et ils furent disséminés dans tout le pays, si bien que, à leur réveil, chacun se retrouva seul et isolé. Le Soleil et la Lune espéraient ainsi que les poneys réfléchiraient à leurs méfaits, même passifs, tout en se montrant cléments, puisqu’ils étaient autant acteurs que victimes.
« Mais tous gardèrent la mémoire de leur passé, et surtout une nostalgie, qui devint bientôt un puissant désir de retrouver celui ou celle qui avait été, jusqu’ici, son jumeau siamois. Alors, ils se mirent à rechercher leur moitié perdue ; et, quand, par hasard, ces deux moitiés – maintenant simples étalons ou juments – finissaient par se rencontrer, alors ils se précipitaient l’un vers l’autre, se serraient, se cajolaient, s’embrassaient, puis ils vivaient leur reste de leurs jours ensemble, tentant ainsi de ressusciter le bonheur des jours anciens, où ils n’étaient qu’un.
« Et voilà pourquoi, mes petites pouliches, depuis lors, quand les poneys atteignent un certain âge, ils ressentent une sorte de vide, un manque, et se mettent en quête de leur moitié perdue depuis si longtemps, avec laquelle ils espèrent secrètement partager leur existence ; on appelle ça “l’amour”. »
* * *
Twilight referma son livre.
« Je n’ai jamais rien entendu d’aussi débile, grommela Scootaloo, grincheuse. Encore un tissu de crétineries à l’eau de rose.
— C’est une belle histoire, estima Sweetie Belle émerveillée. Jolie, mais pas très réaliste.
— Comme toutes les légendes, explique Twilight, celle-ci mélange vérité et imaginaire. À vous de deviner où se cachent l’un et l’autre !
— Super, mais pas cette après-midi ! lança soudain Apple Bloom. Ne devait-on pas passer au Sugarcube Corner pour goûter aux nouveaux bonbons que Mrs. Cake nous avait promis ?
— Ouuuaaiis ! répondirent en chœur les deux autres pouliches. Salut Twilight ! Merci pour la lecture ! »
Elles partirent au grand galop ; immobile sur le seuil, Twilight les regarda s’éloigner avec un air un peu désabusé. Quand elles furent hors de vue, elle soupira, se retourna, rentra et referma la porte.
« Twi’ ? l’interpela Spike
— Oui, Spike, qu’y a-t-il ?
— Crois-tu qu’il y avait également, à cette lointaine époque, des dragicornes ? Je veux dire, moitié dragon, moitié licornes ?
— Je ne sais pas, sourit Twilight. Mais, dis-moi, pourquoi cette question ?
— Oh, laisse tomber… » conclut Spike, ramassant le livre pour le ranger.
[1] Traduction personnelle et à usage unique de Cutie mark crusaders™.
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PS2 : pour le cours de latin : bicéphale, bi = deux, c'est d'ailleurs aujourd'hui un préfixe, céphale = tête. Simple non ^^
Avec plaisir ! :)
C’était une galéjade !
@cocolicoco : merci à vous deux pour vos commentaires sympas au sujet de cette petite histoire sans prétention !
Un petit texte tout ce qu'il y a de sympathique, bien écrit, léger et agréable à lire. Je recommande.
Je connaissait déjà cette légende - je sais plus d'où, d'ailleurs -, mais la version ponifiée est convaincante.
Ça se laisse lire tranquillement, c'est plutôt bien écrit, et je n'ai pas vu de fautes.
Un bon texte, court et honnête, pourquoi se priver ?
A lire ! :)