Dance Dance Revolution

Coco Pommel avançait dans les ruelles au petit trot désormais. Il semblait que les blessures infligées par Rammstein se soignaient bien plus vite que la normale. Peut-être que les blessures infligées par un stand étaient vouées à s’estomper lorsque ce dernier n’était plus à porter. La pauvre jument couleur crème n’en savait pas grand-chose, elle ne comprenait pas la logique derrière les règles qui régissaient ces étranges pouvoirs, alors elle ne pouvait que les constater au fur et à mesure de son étrange aventure.
Assez rapidement, la jeune couturière avait appris à utiliser Black Velvet afin de courir plus vite, profitant de la puissance de ses sabots afin de s’élancer avec davantage de force. Elle pouvait ainsi passer plus facilement inaperçue, filant d’une cachette à l’autre, d’une ruelle sombre à une autre, se dirigeant toujours en direction du port.
D’ailleurs, elle parvint à destination bien plus rapidement que ce qu’elle avait prévu à la base. Elle prit donc le temps de faire une petite pause, se cachant derrière un immense conteneur métallique qui attendait d’être chargé sur l’un des immenses bateaux arrimés au port.

« Je sais, je vais en profiter pour réparer mon foulard. Coudre un peu me détendra. » murmura-t-elle en dénouant le tissu qui couvrait ses blessures désormais bien cicatrisées.

Elle examina alors le pauvre carré de tissu qu’elle avait utilisé pour piéger son ennemi. Elle ne savait pas vraiment comment elle avait fait tout cela. En temps normal, elle ne faisait pas vraiment preuve d’une grande sagacité. Cependant, elle en avait eu la démonstration : un poney avec une forte volonté était capable d’accomplir des choses impossibles pour lui en temps normal. Et Coco Pommel en avait, de la volonté. Elle voulait certes retrouver sa tranquillité, mais par-dessus tout, elle voulait que la boutique de Rarity soit un succès cette saison. Son admiration et son respect pour l’élément de la générosité était tel qu’elle en tirait une force qu’elle comptait bien exploiter.
Alors, afin de se changer les idées, elle sortit un petit nécessaire à couture d’une de ses sacoches et commença à travailler sur son foulard. Elle l’avait toujours porté, et aussi ridicule que ça puisse paraître, elle se sentait vulnérable s’il n’était pas autour de son cou, alors elle s’appliquait à le réparer avec soin. Cependant, elle tomba un peu trop vite à court de fil rouge.

« Mince… je ne peux pas m’arrêter en plein milieu, j’y étais presque... » grommela-t-elle à voix basse.

C’est alors que, soudainement, un bruit assourdissant se fit entendre tout près d’elle. Un grincement de métal, un rugissement de moteur, et le sol se mit à trembler. Elle se retourna alors rapidement dans un sursaut, pour constater que le conteneur derrière lequel elle avait trouvé refuge était en train d’être chargé sur un cargo. Puis, comme mue par un réflexe subconscient, son stand jaillit hors de son corps et récupéra le foulard qu’elle tenait entre ses sabots, juste avant d’utiliser sa vitesse hors du commun pour finir le travail.

« Arriarriarriarriarriarriarriarri ! »

N’attendant pas que sa cachette finisse de s’élever dans les airs au bout d’une grue, Coco Pommel galopa rapidement hors de vue des débardeurs et se cacha derrière la capitainerie. Elle voulait attendre d’avoir une vue d’ensemble avant de décider de ce qu’elle devrait faire. C’est alors qu’elle sentit quelque chose tomber sur ses épaules tandis que son stand se dématérialisait. Elle leva un sabot pour voir de quoi il s’agissait et constata que son foulard avait été recousu en un éclair. Mais comment ? Elle n’avait même plus de fil de la bonne couleur. Sa question trouva rapidement une réponse lorsqu’elle examina le tissu. Sans qu’elle n’y pense vraiment, son stand avait contourné le problème en ajoutant une broderie au fil noir, cette dernière formant le mot "Black Velvet". La jument couleur crème sentit alors un sourire se dessiner sur ses lèvres. C’était une riche idée après tout. Elle noua donc son foulard tout neuf en le faisant passer dans son col, l’attachant de sorte que les mots "Black" et "Velvet" apparaissent sur chacun des pans visibles du petit vêtement.
C’était une chose à laquelle elle n’avait pas vraiment pensé jusque là, mais elle était d’accord pour dire qu’elle pouvait tirer une légitime fierté de son stand, et afficher discrètement son nom lui semblait être élégant tout en attirant suffisamment peu le regard. La mode était ainsi faite qu’elle parlait de soi aux gens qui ne faisaient que nous regarder. Et c’était là toute la beauté du métier qui avait originellement attiré la jeune couturière.
C’est alors qu’elle se fit une réflexion qui n’était pas dénuée de logique, tout en observant les allées et venues qui avaient lieu sur le port.

« Mon stand est apparu devant tout le monde, et son allure est quand même tape-à-l’œil. S'il y avait eu des manieurs de stand dans la foule, ils auraient réagi. Mais personne ne semble avoir été alerté. »

À ces mots, la jument couleur crème prit soin de garder Black Velvet auprès d’elle tandis qu’elle sortait doucement de sa cachette. Si elle s’apercevait que quelqu’un pouvait voir son stand, alors elle se méfierait tout de suite. C’était une excellente stratégie à ses yeux. Voir de potentiels ennemis arriver de loin, plutôt que d’essayer de s’en cacher et de leur laisser l’occasion de la piéger.
Elle s’approcha alors doucement du bord de l’eau, cherchant du regard les grandes bouches d’évacuation des eaux sales qui traversaient la ville. À vrai dire, elle ne saurait pas reconnaître celle qui était censée être reliée à son quartier. Cependant, les larges ouvertures rejetant leur flot de pollution dans la mer étaient toutes numérotées par rapport aux rues de Manehattan. Elle n’aurait donc qu’à trouver une carte de la ville, ce qui devrait être facile si elle se rendait dans la partie touristique du port.

« Bon sang, et dire que je vais devoir chercher dans cette fange… » grimaça la jument crème, rebutée par l’odeur des égouts.

C’est alors qu’elle trotta simplement, toujours aux aguets à travers les yeux de son stand, jusqu’au port de plaisance qui se trouvait un peu plus loin. Et pour le moment, personne ne semblait l’avoir remarquée, alors elle s’estimait relativement tranquille, s’autorisant à juste titre à baisser sa garde.
C’est alors qu’elle ressentit soudainement un choc, assez léger, contre son flanc gauche. Puis un léger bruit se fit entendre en même temps qu’une petite voix infantile :

« Ouille ! Heu, pardon m’dame, j’ai pas fait exprès. »

La jeune couturière tourna alors la tête et aperçut un jeune pégase, plutôt chétif, qui portait une simple salopette un peu trop grande pour lui. Elle estima qu’il devait tout juste avoir à peine plus d’une dizaine d’années. Pourtant, elle le trouvait plutôt malingre, malgré sa fine musculature qui révélait une activité physique régulière. Attendrie, Coco Pommel l’aida à se relever en le rassurant :

« Oh, ça n’est rien, tu ne t’es pas fait mal j’espère ?

-Non m’dame, merci. couina le poulain en se redressant. Ah zut, j’ai cassé ma bretelle. ajouta-t-il d’un ton empli de déception.

-Attend, ne bouge pas. » souffla alors la jument en examinant le vêtement.

Inspirée par la générosité dont Rarity avait fait preuve envers elle, la jeune couturière avait retrouvé le plaisir d’aider son prochain au fil du temps, et ce jeune garçon semblait en avoir besoin.
Elle prit alors délicatement la bretelle de salopette cassée au creux de son sabot et hocha doucement la tête. L’étoffe en jean utilisée était très épaisse à la base, prévue pour être résistante aux épreuves des travaux les plus physiques, cependant, l’usure avait petit à petit fragilisé le vêtement. Le pauvre petit devait porter cette même salopette depuis des années déjà.
N’écoutant que son instinct maternelle, sans trop se soucier de l’étrangeté de l’expérience que devrait vivre le poulain, elle fit appelle à la vitesse et à la précision de Black Velvet. Cette dernière se saisit alors du fil le plus résistant qu’elle trouva dans les sacoches de sa propriétaire et mania son aiguille à la vitesse de l’éclair, réparant et rajustant le vêtement en moins d’une seconde.

« W-waouh ! Comment vous avez fait ? s’exclama le poulain qui se sentait soudainement bien plus confortable dans sa salopette.

-Oh, heu, c’est simplement mon métier, ça me fait plaisir. justifia un peu maladroitement la jument couleur crème.

-Merci m’dame, c’est vraiment gentil ! J’ai l’impression qu’elle est toute neuve. Comment j’pourrais vous remercier ?

-Ce n’est pas la peine, j’imagine que tu travailles assez dur comme ça. s’inquiéta Coco Pommel.

-Oui, j’aide ma maman en travaillant sur le port. Depuis que papa est disparu en mer, je nettoie les ponts où les coques des navires, et des fois je plonge pour récupérer des trucs. Et les marins me donnent un peu d’argent en échange. Mais j’veux vous remercier, j’ai l’habitude de travailler ! »

La jeune couturière sentait son petit cœur fondre littéralement en entendant l’histoire de ce pauvre petit pégase. Certainement qu’il ne voudrait pas de sa pitié, et puis elle ne pouvait pas aider tous les enfants malheureux de Manehattan à elle toute seule. Cependant, accomplir une bonne action de temps en temps lui était nécessaire. Et si cela faisait plaisir au jeune poulain, elle pourrait bien en profiter pour lui demander un renseignement :

« Dis moi mon petit, tu n’aurais pas trouvé une flèche dorée au fond de l’eau aujourd’hui ? C’est assez important pour moi.

-Oh, heu, non m’dame. répondit le poulain d’un air intrigué. Mais vous êtes pas la première à me poser la question aujourd’hui, y a aussi Miku-miku qui m’a demandé la même chose. Il marqua une pause. Mais si je trouve votre bidule, je vous le donnerais à vous, promis !

-Tu es adorable. commenta la jeune couturière avant de hausser un sourcil. Mais quand tu parles de Miku-miku, tu veux dire, la fille de ce milliardaire Japoney ?

-Oui ! La star de la J-pop, son yacht est amarré juste là, elle prévoit d’organiser une grande fête au large des côtes cette nuit. Elle est déjà en train d’embarquer du matériel, regardez. » fit-il en montrant quelque chose qui se trouvait derrière la jument crème.

Cette dernière se retourna alors et écarquilla brièvement les yeux. Elle voyait Vinyl Scratch, en train de faire léviter du matériel sonore hors de prix en empruntant la passerelle d’un immense yacht. Que faisait-elle ici ? Coco Pommel connaissait bien la DJ, car elle avait ouvert un club juste au-dessus de sa boutique. Et autant dire qu’elle l’avait très souvent empêché de se concentrer correctement sur son travail. Elle soupira. De tous les poneys de Manehattan, il fallait qu’elle la croise elle en particulier. Cependant, elle était particulièrement anxieuse de savoir qu’une célébrité telle que Miku-miku s’intéressait à la flèche. Faisait-elle partie de l’organisation ? Si oui, cette dernière avait bien trop d’influence pour ne pas être terrifiante.

« Merci mon petit, je vais aller voir ça, porte-toi bien. souffla la jument crème en s’éloignant.

-Merci m’dame ! J’vous tiens au courant ! » s’exclama le jeune pégase avec un grand sourire.

Il ne fallut même pas une minute à la jeune couturière pour rejoindre l’immense yacht, observant bouche bée les extravagances excentriques dont le fameux milliardaire japoney avait affublé l’immense navire, en suivant certainement les caprices de sa fille. Coco Pommel secoua alors brièvement la tête et cligna des yeux. Elle n’était pas là pour s’émerveiller ou s’exaspérer, mais pour enquêter sur la flèche d’or.
Et à peine eut-elle le temps de réfléchir sur ce qu’il convenait de faire, que la fameuse licorne blanche de tout à l’heure entra dans son champ de vision. Elle tourna immédiatement le regard, irrémédiablement attiré par la crinière bleue électrique de l’autre jument.

« Oh, bonjour Vinyl. Dis-moi, tu pourrais me faire monter à bord ? Je dois demander quelque chose à Miku-miku, c’est assez important, alors si tu pouvais me rendre ce service... »

Elle s’interrompit tandis que la DJ semblait s’interroger, passant un sabot sur son crâne comme si elle avait du mal à reconnaître celle qui habitait en dessous de son club. D’ailleurs, la jeune couturière ne comptait plus le nombre de fois où elle avait dû monter à l’étage pour lui demander de baisser le volume. Le fait qu’elle ne la reconnaisse pas était d’autant plus vexant pour le coup.
C’est alors que la licorne blanche fit claquer son sabot sur le sol, comme si elle venait tout juste de se souvenir. Puis, elle baissa brièvement ses lunettes de soleil et adressa un clin d’œil à Coco Pommel avant de prendre son sabot dans le sien et de faire léviter un tampon, avec lequel elle marqua le dos de son sabot ainsi que celui de Black Velvet.

« Quoi ? Hein ? Heu, non, je ne veux pas être invitée à la fête je veux juste... »

Elle n’eut pas le temps de terminer sa phrase que Vinyl Scratch la poussait déjà sur le ponton avec un grand sourire, hochant la tête au rythme d’une musique qu’elle semblait être la seule à entendre.

« Je ne te comprendrais jamais… soupira la jument crème. Mais au moins j’ai pu monter à bord.

-Oh ! Coco Pommel ! interpella soudainement une voix très aiguë depuis l’autre côté du pont. Coco Pommel ! Viens me voir, tu arrives un peu tôt pour la fête, mais tu es la bienvenue ! »

L’intéressée se tourna alors vers l’origine de la voix et faillit s’étrangler en voyant débarquer une jeune terrestre rose à la crinière magenta. Elle était affublée de deux horribles couettes oubliées depuis longtemps par le bon goût, et une quantité d’accessoires fluorescents propre à décoller la rétine de toute personne ne portant pas de lunette de soleil.

« M-Miku-miku ? questionna la jument crème dans un souffle.

-Oui, oui ! C’est moi ! Viens, entre, je te fais visiter ! s’enthousiasma la jument fluo en faisant signe à son invitée de la suivre.

-En fait, je… j’étais juste venu vous demander quelque chose. souffla Coco Pommel au bord de l’écœurement. Ce n’est vraiment pas la peine de…

-Si ! Si ! J’étais à l’ouverture de ta boutique ! C’était formidable, on a dansé ! Alors viens, je dois te faire visiter. »

La jeune couturière suivit la jument rose, n’ayant pas d’autre choix. Cependant, elle était un peu en train de se demander si Rarity avait bien fait d’improviser sa boutique en discothèque pour en célébrer l’ouverture. Et puis, qui portait encore des guêtres à fanfreluches dans ce siècle ? Le mauvais goût tape-à-l’œil semblait être une sorte de norme dans ce genre de milieu, parmi les night-clubs et autres lieux de débauche.
La jument crème suivit son hôte à travers un escalier qui descendait jusqu’au fond de la coque du yacht, là où se trouvait une immense pièce de la taille d’un terrain de basket, recouvert de moquette. Il y avait une estrade sur laquelle Vinyl Scratch était en train de ranger du matériel et d’accrocher des spotlights à de grands montants en acier. Et autant dire que la jeune couturière n’avait jamais rien vu de tel. Une petite boite de nuit au cœur même d’un navire, censé prendre le large avant le début de la fête. C’était insensé.

« Heu… hésita la jument crème. Dites-moi, Miku-miku, pourquoi cherchez-vous la flèche d’or ? Est-ce que… vous faites partie de l’organisation ?

-Oh ! s’exclama la terrestre fluorescente en se tournant vers son invitée. Tu es très au courant des choses ! Mais en effet, je dois retrouver la flèche pour le boss.

-J’en étais sûre ! Et après quoi, vous allez essayé de me tuer vous aussi ?! s’exclama soudainement Coco Pommel en faisant appel à son stand. Je commence à en avoir assez !

-Te tuer pour ça ? Nooon, je suis une grande fan de Rarity. s’esclaffa la jument rose. Je vais te traiter comme mes invités de marque ! »

À ces mots, un pilier ovale et jaune fluo jaillit du sol, mais pas à l’aide d’un mécanisme, non, il s’agissait d’un stand. Cette espèce de monolithe aux couleurs criardes clignotait de partout et affichait un immense écran. Coco Pommel était dubitative, elle trouvait la situation dangereuse. Aussi, elle pivota sur elle-même et tenta de faire demi-tour. Cependant, elle se heurta à une barrière invisible. Elle était prisonnière d’une sorte de grosse boite.

« Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce que tu m’as fait ?! s’écria-t-elle.

-C’est l’effet de mon stand, ne t’en fais pas, je suis dans le même cas que toi. répondit la voix de la terrestre fluo qui semblait se trouver dans le même genre de prison translucide. Regarde à tes sabots, le jeu est très simple ! ajouta-t-elle.

-Quoi ? De quel jeu tu parles ? »

Et à peine eut-elle prononcé ces mots que la jeune couturière aperçut quatre flèches lumineuses qui clignotaient à ses pieds, chacune représentant une couleur et une direction différentes. L’étrange marquage semblait également réagir à la pression qu’y appliquait la jument crème avec ses sabots. Elle commençait à comprendre la situation, et cela lui faisait vraiment très peur.

« Je te présente mon stand : Dance Dance Revolution ! déclara Miku-miku avec un enthousiasme fou.

-Oh non, je suis nulle à ce jeu ! Je déteste ce genre de choses ! protesta la jeune couturière qui tentait vainement de frapper les murs translucides de sa prison avec son stand.

-Tu ne peux pas t’échapper avant la fin de la partie. expliqua la jument rose. C’est joué en trois manches, et à chaque fois, le perdant reçoit une décharge électrique selon la différence de score avec le gagnant, à chaque manche. Et si ton score est trop faible par rapport au mien, tu risques de mourir ! Alors tu vois, je te laisse une chance, même si je suis imbattable à ce jeu.

-C’est monstrueux ! protesta Coco Pommel avant de tourner son regard vers la licorne blanche qui s’affairait sur scène. Vinyl ! Vinyl aide moi ! Tu dois posséder un stand, sinon tu n’aurais pas tamponné le sabot du mien à l’entrée ! »

Pour toute réponse, la jument à la crinière bleue électrique secoua la tête et désigna la banderole accrochée derrière la scène. Il y était inscrit "DJ-pon3". La jeune couturière soupira avant de se reprendre :

« Oui pardon, DJ-pon3, s’il te plaît, aide moi à sortir de là ! »

Pour toute réponse, la licorne blanche haussa les épaules et se plaça au milieu de la scène.

« Oh non ! Ne me dis pas que tu fais partie de l’organisation toi aussi ! » gémit Coco Pommel.

Pour toute réponse, la DJ tapota sa lèvre inférieure du bout du sabot puis haussa de nouveau les épaules, invoquant son propre stand. Il s’agissait d’une énorme et improbable table de mixage montée sur roulette, équipée de haut-parleurs dont la puissance devait sûrement se mesurer sur échelle de Richter.

« Elle, de l’organisation ? gloussa Miku-miku. Nooon, son stand ne fait que de la musique, elle servirait à rien ! Par contre, je l’engage souvent parce qu’elle est discrète et qu’elle pose pas de question. »

Pour toute réponse, Vinyl porta son sabot à son front avant d’adresser un salut très formel à son employeuse du moment. Autant dire que la jument couleur crème était passablement désespérée par le comportement de la DJ. Elle ne lui viendrait donc pas en aide. Et comment pouvait-elle garder le sourire ainsi ? Ce poney vivait complètement dans un autre monde, s’en était désolant.

« Très bien, je n’ai pas le choix alors ! Il faut juste que j’appuie sur les flèches qui s’afficheront à l’écran c’est ça ? grogna Coco Pommel.

-Oh, tu vois, tu connais le jeu ! s’enthousiasma la jument rose fluo. Bien, maintenant balance-nous le son, DJ !! »

C’est alors que le sol se mit à trembler et à vibrer sous les sabots de la jeune couturière qui observait l’écran du stand de son ennemie. Cela ressemblait vraiment beaucoup au jeu éponyme. À quel point fallait-il être névrosé pour développer un pouvoir en rapport avec des jeux vidéos ?
Un rythme commença à naître, comme d’habitude avec Vinyl, les basses venaient en premier lieu, comme pour installer l’ambiance, et la musique à proprement parler, si on pouvait l’appeler comme ça, ne commençait que quelques secondes plus tard. Oui, la jeune couturière connaissait bien les pratiques de la DJ, pour devoir les subir quasiment tous les soirs depuis sa boutique. D’ailleurs, celle qui était jouée lui était familière, mais elle n’aurait pas su dire pourquoi.
Puis l’écran de Dance Dance Revolution afficha le titre de la musique et le nom de l’artiste :

["Strass et soie hivernale 21H" par DJ-pon3]

Coco Pommel écarquilla les yeux : le titre de cette musique portait le nom de la dernière ligne de vêtement qu’elle avait produite selon les schémas de Rarity. Elle avait même passé des nuits blanches à devoir s’avancer dans son travail tout en endurant en boucle la même musique sur laquelle la DJ travaillait à l’étage du dessus.

« Haha, joli titre pour cette nouvelle chanson ! J’ai hâte de l’entendre ! » s’exclama Miku-miku.

La jument crème n’eut pas le temps de réfléchir davantage au sens de tout cela, qu’une nuée de flèches apparurent sur l’écran, défilant vers la ligne censée marquer le rythme de ses pas.
Instinctivement, elle fit appel à Black Velvet pour appuyer sur les bonnes touches en rythme. Elle-même n’aurait jamais pu être suffisamment vive pour exécuter ces pas de danse insensés. Pourtant, vu les scores qui s’affichaient en haut de l’écran, la jument aux accessoires fluo y parvenait très bien par elle-même.
Plus la musique avançait, et plus le rythme se complexifiait. Mais plus il se complexifiait, plus Coco Pommel semblait le reconnaître, comme s’il était familier.
Puis finalement, le score final s’afficha.

« Yaaay ! J’ai gagné ! Avec une différence de deux-cents points ! Ce n’est pas beaucoup, tu as de la chance. »

À ces mots, la jeune couturière sentit un choc électrique fulgurant parcourir son corps, comme si chacun de ses muscles était soudainement affligé d’une crampe, comme si elle brûlait de l’intérieur.

« Aaaaah ! » s’écria-t-elle pendant la demi-seconde que dura le supplice.

Heureusement qu’elle ne se servait pas de son propre corps pour mener ce duel de danse, sinon, elle aurait été largement désavantagée par ses muscles tétanisés. Cependant, elle comprit rapidement que si la jument rose parvenait à élargir le fossé de leurs scores, elle aurait peu de chance de survivre à une deuxième, puis une troisième décharge. Alors comment faire ?
De nouveau, elle tourna un regard suppliant vers Vinyl Scratch qui était simplement appuyée sur sa table de mixage/stand en hochant la tête d’un air rêveur au rythme d’une musique inexistante.
Personne ne pouvait être aussi détendu en assistant à l’agonie de quelqu’un d’autre. Et puis elles n’étaient pas de parfaites inconnues non plus, même si leurs rapports étaient parfois un peu houleux en tant que voisines. Et d’ailleurs, que signifiaient ces manières ? Prendre le nom de la collection sur laquelle elle l’avait empêché de travailler pendant des nuits entières. La musique que la DJ avait confectionnée ce jour-là, elle la connaissait par cœur tellement elle avait entendu en boucle. Au bout d’un moment, elle bougeait son aiguille et cousait au rythme de la musique sans s’en apercevoir tellement cela l’avait intoxiquée. C’est alors qu’elle fronça les sourcils et se mit à réfléchir…
Oui, elle connaissait la musique qui venait de passer ! C’est sans doute pour cela que l’écart de point avait pu être aussi faible. Cependant, vu la réaction de Miku-miku, cette dernière devait la découvrir pour la première fois.
L’écran du stand afficha alors le titre de la prochaine musique :

["Strass et soie hivernale 00H" par DJ-pon3]

« Yay ! Trop cool ! Un remix de la précédente ! J’adore toutes les créations de DJ-pon3 ! » s’égosilla la jument rose.

C’est alors que Coco Pommel compris la manœuvre. Cette composition était celle qu’elle avait été forcée d’écouter en boucle lors de sa nuit blanche de travail sur sa ligne de vêtement hivernal. Et celle qui allait passer ensuite serait la version plus travaillée qu’elle avait commencé à entendre vers minuit. En réalité, Vinyl Scratch lui faisait passer un message, elle était de son côté !

« Très bien, je suis prête ! » s’écria la jument crème, espérant que son plan colle à celui de la DJ.

La musique se lança alors. Black Velvet tentait d’exécuter un maximum de pas de danse avec le bon rythme, et la jeune couturière, plutôt que de stresser en regardant l’écran, ferma les yeux et tendit l’oreille. Son stand se chargeait déjà de voir et de bouger. En ce qui la concernait, elle devrait surtout écouter attentivement et faire appel à sa mémoire associative. Elle se rappelait très bien de ce qu’elle faisait à minuit lorsqu’elle entendait cette musique, et chacun de ses souvenirs de couture se traduisait en phrase musicale qui lui était associée par la force des choses. Elle parvenait presque à anticiper le rythme.
Aussi, à la fin du morceau, le score qui s’afficha était en faveur de Coco Pommel, avec une différence de trois-cents points.
Miku-miku éclata alors de rire et sautilla sur place avant de s’exclamer :

« Youhou ! Ça va me donner la pêche ! »

Et au lieu de se tordre de douleur, le choc électrique qu’elle reçut sembla lui procurer de l’excitation, voir même un certain plaisir malsain. À quel point cette jument était-elle dérangée ?
Coco Pommel secoua la tête. Elle devrait faire beaucoup mieux si elle voulait au moins mettre son ennemie KO avec un choc électrique. Dans le cas contraire, rien ne l’empêcherait de déclencher une nouvelle partie.

« Encore ! Encore ! Je la veux encore ! Un autre remix ! » s’écria Miku-miku, littéralement survoltée, plus motivée que jamais, sautillante sur place.

Pour toute réponse, Vinyl Scratch hocha la tête et leva le sabot tandis que son stand s’illuminait en produisant un son de basse. Et alors que la DJ exécutait ce geste, le titre de la prochaine musique apparaissait à l’écran :

["Strass et soie hivernale 06H" par DJ-pon3]

C’est alors que la jument couleur crème écarquilla les yeux. La version définitive, celle qu’elle entendait aux alentour de six heures du matin, elle s’en souvenait plus que parfaitement, car elle était même montée à l’étage pour supplier Vinyl de mettre sa musique en sourdine. Ce matin là, elle était à bout de nerfs, et la colère qu’elle avait ressentie à ce moment aidait très largement ses souvenirs à se faire plus vifs et plus précis que jamais. Elle prit donc une profonde inspiration, laissant son stand se focaliser sur le visuel de l’écran pendant qu’elle-même tendait l’oreille, et elle plaça ses propres sabots en position.
Au lancement de la musique, Coco Pommel se mit à bouger, parfaitement synchronisée avec son stand, offrant deux autres paires de sabots dédiées à la pression des flèches, laissant Black Velvet intercepter celles qu’elle aurait loupées seule. Et le duo fonctionnait parfaitement bien, surtout grâce aux souvenirs très vifs de la jeune couturière.
Aussi, lorsque le score final s’afficha, se fut sans surprise. La jument crème avait exécuté un score parfait, conservant son multiplicateur de points jusqu’au bout, creusant l’écart avec son ennemie avec plus de mille points.
Miku-miku afficha un visage un peu paniqué juste avant de recevoir sa décharge électrique, car elle ne devait pas avoir l’habitude de perdre à ce point. Elle se plia et se contorsionna de douleur sous l’impulsion de son propre stand, puis ce dernier disparut en même temps que les prisons qu’il avait générées.
C’est alors qu’un invité inattendu se fit entendre en dévalant les marches du pont supérieur jusqu’à la petite salle de spectacle.

« M’dame, m’dame ! s’écria le jeune poulain en salopette. J’vous ai vu monter sur ce bateau alors j’suis venu vous trouver ! J’étais en train de nettoyer la coque et j’ai trouvé ça, c’est le truc que vous cherchiez non ? »

Le petit pégase de tout à l’heure trottait allègrement en direction de la jument couleur crème qui reprenait encore son souffle, et cette dernière remercia la providence, se disant que sa générosité était sans doute récompensée. En effet,elle reconnaissait parfaitement bien la pointe de flèche que tenait le poulain. Elle la récupéra alors le plus délicatement possible et afficha de son mieux un sourire bienveillant.

« Oui, merci beaucoup mon petit, c’est exactement ce que je cherch- hey ! s’interrompit-elle en voyant Miku-miku s’emparer du jeune pégase.

-Espèce de petit morveux ! s’énerva la jument rose dont les accessoires fluo semblaient avoir grillé sous la décharge électrique. Je t’avais dit de la donner à moi cette flèche !

-Arrête ça ! Lâche-le tout de suite ! s’écria Coco Pommel.

-Donne-moi la flèche, où je lui brise le cou ! menaça la jument rose.

-Qu’est-ce qui se passe ?! paniqua le jeune poulain. J’ai peur, lâchez-moi ! Ouiiiin ! J’ai rien à voir avec ça ! Lâchez-moi, lâchez-moi !! »

Et le petit pégase se débattait tellement, son angoisse était si forte et ses pleurs si bruyants qu’il déstabilisa toutes les juments présentes dans la pièce. Tant et si bien qu’elles ne virent pas du tout arriver le colosse de métal qui ouvrit le yacht en deux, comme s’il s’agissait d’un fruit bien mûr. Des griffes, ou plutôt des mains énormes arrachèrent l’acier comme si ça n’était rien, et l’appendice géant se saisit immédiatement de Miku-miku qui eut à peine le temps de hurler de terreur.
Puis, la main colossale porta la jument rose à hauteur de son inquiétant visage et, dans un hurlement semblable à celui du métal que l’ont broie, le stand géant resserra ses doigts autour de sa victime une première, puis une deuxième et une troisième fois. La faisant hurler et cracher du sang, broyant ses os et ses organes internes.

« Petit, tout va bien ! C’est bon maintenant ! s’exclama Coco Pommel. Calme-toi maintenant, ça va aller… personne ne te fera de mal. »

C’est alors que le colosse disparut en s’effaçant, comme n’importe quel stand, laissant sa victime inanimée sur le sol, tandis que son manieur tremblait et reniflait, apeuré.
La jeune couturière se précipita alors en direction du petit pégase et le prit entre ses sabots afin de l’éloigner de la jument rose, inconsciente, mais qui respirait toujours difficilement.

« Là, là… tout va bien maintenant. murmura-t-elle en caressant la crinière du petit poulain. C’est fini, ça va aller. continua-t-elle tandis qu’elle sentait les tremblements du petit pégase s’apaiser. Merci de m’avoir ramené la flèche, tu as été très courageux, je suis désolée que Miku-miku s’en soit pris à toi, c’est de ma faute…

-N-non, snif, c-c’est pas votre faute m’dame, snif… assura le poulain en secouant doucement la tête. Vous, vous êtes gentille, mais j-j’ai eu peur, et je sais pas ce qui s’est passé, j’ai eu comme l’impression d’écraser la vilaine jument, je sais pas ce qui s’est passé, snif.

-Ne t’inquiète pas pour ça, tu es juste quelqu’un avec une gigantesque volonté, ce n’est pas grave. rassura Coco Pommel. Tu as dû t’écorcher en ramassant la flèche, et tu as réveillé le pouvoir qui dormait dans ton cœur. expliqua-t-elle en comptant sur la vivacité d’esprit du petit pégase.

-Snif, et qu… qu’est-ce que je dois faire maintenant ? C’est ma faute tout ça, je vais avoir des problèmes.

-Non non, ce n’est pas ta faute. C’était de la légitime défense. Tu dois juste apprendre à maîtriser ton pouvoir mon petit, et tu dois me promettre de ne jamais essayer de faire le mal avec…

-Promis m’dame, je serais aussi gentil dans la vie que vous l’avez été avec moi. Je veux juste que ma maman soit heureuse, je ferais de mal à personne, snif.

-C’est très bien, tu es un bon petit poney. Maintenant, laisse moi donner un nom à ton pouvoir, à ton stand, pour que tu puisses mieux faire connaissance avec lui, heu... »

La jument crème observa autour d’elle, puis elle croisa le regard de Vinyl Scratch qui avait réussi l’exploit de rester relativement impassible du début à la fin. La DJ sembla alors comprendre ce que demandait la jeune couturière et elle lui fit signe de patienter, tandis qu’elle fouillait dans un large carton rempli de vieux disques en vinyle.

« Heu, dis-moi mon garçon, comment tu t’appelles ? demanda Coco Pommel avec un doux sourire.

-Snif, je m’appelle Mercury m’dame. répondit l’intéressé.

-C’est un très joli nom. murmura la jument d’un ton maternel. Très bien, alors ton stand… Elle marqua une pause en attrapant la pochette d’album que Vinyl Scratch avait fait léviter dans sa direction. Il s’appellera News Of The World. Un pouvoir aussi puissant et terrible qu’il devra être bienveillant, d’accord ?

-News Of The World… répéta Mercury. D’accord, je comprends, sniff. » affirma-t-il en observant à son tour la pochette de l’album.

Coco Pommel se redressa alors, après avoir caressé une dernière fois la crinière du jeune poulain, et se tourna vers Vinyl Scratch avant de lui demander une faveur :

« Rend moi service une dernière fois s’il te plaît… emmène le poulain chez sa mère, et assure-toi qu’une ambulance vienne chercher Miku-miku. Moi, je dois partir le plus vite possible. Le comportement de cette organisation, c’est… c’est... »

Pour toute réponse, la jument blanche hocha la tête avec un sourire et fit léviter le petit pégase afin de l’installer sur son dos.
Désormais, la jeune couturière n’avait plus seulement envie que l’organisation la laisse tranquille. Elle souhaitait retrouver ce fameux boss et l’arrêter une bonne fois pour toutes. La pourchasser elle, et essayer de l’assassiner pour une histoire de flèche mystique était une chose… mais si des enfants étaient blessés dans cette folie, alors il n’y avait pas d’autre option possible pour Coco Pommel :

« C’est une déclaration de guerre ! »

                                                                            <=[to be continued]