Chapitre 6

Twilight avait cru qu'on ne pouvait pas faire plus petit et inconfortable qu'une cellule de prison, mais elle devait bien admettre qu'une cellule d'isolement, cela battait des records. La planche qui servait de lit lui ruinait le dos, à tel point qu'elle arrivait mieux à dormir enroulée dans sa couverture, blottie dans un coin de la pièce. Couverture que les matons avaient mis deux jours à lui fournir, la laissant greloter tout ce temps dans la partie la plus mal chauffée de la prison. Twilight soupçonnait Dash d'avoir profité de l'occasion pour continuer de la tourmenter.

Sans livre, Twilight n'avait eu d'autre distraction que de déchiffrer les inscriptions et les insultes gravées sur le mur, à essayer de les analyser, de comprendre leur histoire et celles de leurs auteurs. La plupart étaient des obscénités à l'encontre de surveillants ou d'autres détenues, mais il y avait aussi un chapelet de haïkus, quelques mots d'amour, ou des dessins. Il n'y avait guère que l'inscription “shobedoo” gravée à même l'inox de la cuvette des toilettes qui gardait toute sa part de mystère.

Pour le moment, Twilight était allongée sur la planche, sa couverture entre elle et le bois pour essayer de préserver les nerfs de son dos. Le docteur Fluttershy restait debout, adossée à la porte blindée, son bloc et son crayon à papier entre les mains.

_On ne va pas beaucoup avancer si vous refusez de me parler, Twilight, déclara le docteur.

_Peut-être que je n'ai rien à dire, répliqua l'intéréssée. Ou rien à vous dire.

_Vous ne me ferez pas croire que vous êtes de la race des taiseuses, objecta gentiment Fluttershy en rajustant les manches de son pull.

L'asiatique avait troqué ses habituels habits verts pour un pull rose pâle, et un pantalon crème, qui s'accordait bien avec sa blouse médicale. Twilight elle, commençait à se demander quelle était la dernière fois où elle avait pu revêtir une couleur autre que l'orange fluo.

Visiblement lassée par le silence, Fluttershy recommenca à le rompre :

_Vous savez, dans l'institution où je travaillais avant de venir ici, j'avais trois patientes...

_Détenues, corrigea Twilight.

_Je vous demande pardon ?

_Vos “patientes”. Là où vous travailliez, c'était bien des prisonnières, non ? Pourquoi ne pas les appeler comme ça ?

_Parce quand bien même demain je serais mutée dans un hara, je considère toujours les gens avec qui je travaille comme mes patients. Centre social, hôpital, établissement pénitencier. Le cadre importe peu.

Twilight n'arrivait pas à savoir si en réfléchissant ainsi, le docteur Fluttershy faisait un geste envers les filles enfermées ici, leur permettant de s'extirper de leur condition de prisonnières, ne serait-ce qu'en mots, ou bien est-ce que la psychologue n'agissait que pour elle même, et préserver un peu son mental de l'atmosphère carcérale.

_J'avais trois patientes, donc. Des filles à peu près de votre âge, intelligentes, assez brillantes dans leur genre. Elles gagnaient beaucoup d'argent en dénichant les secrets honteux des gens, et en menaçant de tout révéler sur les réseaux sociaux. Elles faisaient ça bien sûr pour l'argent, mais surtout pour le pouvoir que cela leur procurait. La plus âgée avait l'habitude de dire que quand elles tenaient une personne, elles pouvaient bien lui ordonner de se jeter dans le vide, leur victime le ferait en ne demandant qu'une précision sur la hauteur à partir de laquelle elle devait faire ce saut. Bref. Elles finissent par faire chanter la mauvaise personne, une top model dont l'amant avait de solides relations au gouvernement. Nos trois maîtres-chanteuses se retrouvent entre quatre murs, pour un sacré bout de temps.

Twilight ne l'aurait pas cru au premier abord, mais Fluttershy était plutôt douée pour raconter des histoires. La douceur, le ton de sa voix, avait quelque chose d'un peu hypnotique.

_N'oubliez pas que l'on parle de filles qui ont grandi ensemble et toujours fait équipe depuis l'orphelinat où elles se sont rencontrées. Elles partageaient tout. De véritables soeurs de sang, qui s'étaient couvertes l'une l'autre pendant leur procès. Sans doute les personnes les plus unies à jamais entrer ensemble en prison. Et bien il n'a pas fallu plus de trois semaines pour qu'elles ne se brouillent, ne s'engagent dans des gangs ennemis et ne se retournent les unes contre les autres.

Fluttershy marqua une pause, s'humectant ses lèvres.

_Toutes leurs années d'amitié, tout ce qu'elles avaient accompli ensemble, pouf, envolé. Chacune a préféré tenter leur chance en solo, et trahir les deux autres. La semaine avant que je ne parte pour Tartarus, la plus jeune a essayé d'éborgner son amie avec une bouteille cassée de sauce piquante pour tacos. Depuis, je crois que l'administration a décidé de les transférer dans des institutions différentes, pour limiter les risques.

La psy s'arrêta un moment, les yeux un peu dans le vague.

_Ce que je veux vous dire, Twilight, c'est que je sais que la prison peut avoir un effet dévastateur sur l'esprit humain, et changer les gens. Les personnes les plus douces du monde peuvent devenir des monstres, ici, ne serait-ce que pour survivre.

_Vous pensez que je deviens un monstre, docteur ? demanda Twilight, une ombre de sourire dans la voix.

_Vous êtes en cellule d'isolement pour une raison. Vous avez attaqué une autre détenue avec votre plateau. Et arrêtez moi si je me trompe, mais ça ne colle pas vraiment au conseil que je vous ai donné de vous faire toute petite, ici.

_Glimmer a eu l'arcade fendue, et l'amour propre malmené. Je l'ai laissée dans un meilleur état qu'elle ne l'a fait avec moi.

_Ce n'est pas une compétition, répliqua un peu durement Fluttershy. Vous vous rendez bien compte que si vous continuez sur cette voie là, vous allez avoir droit à la cellule d'isolement bien plus que pendant quelques jours, mais aussi à une rallonge de peine ? Vous avez pensé à ce que dirait votre compagne ?

_Je vous ai dit qu'on ne parlait pas de Rarity ! rugit brusquement Twilight, se relevant si vite sur les fesses qu'elle manqua de tomber.

Un blanc, de l'électricité dans l'air, l'assourdissant silence. Fluttershy avait reculé jusqu'à d'écraser à moitié contre la porte. L'atmosphère de glace fut troublée par une voix derrière la porte, et un oeil au judas :

_Tout se passe bien là dedans, doc ?

_Oui, oui ! répondit l'asiatique, s'assurant que le coup de sang de Twilight n'avait été que momentané. Tout est sous contrôle, ne vous inquiétez pas.

Les pas du maton s'éloignèrent. Fluttershy reprit, tripotant toujours les manches de son long pull.

_Vous avez raison, je vous prie de m'excuser. C'était indélicat de ma part.

Twilight s'était surprise elle-même de son agressivité quand le docteur avait mentionné Rarity. Elle avait réagi au quart de tour, en serrant le poing, ses veines gonflant les petits ballons noirs de son poignet. Est-ce que la psy avait raison ? Est-ce qu'elle était en train de changer ?

Elle décida de botter en touche :

_Et vous-même, docteur ? Vous n'avez pas l'impression d'être un monstre ?

_Je vous demande pardon ? questionna Fluttershy, levant un sourcil.

_Fournir des stimulants à une gardienne connue pour ses accès de violence, quand on sait que ladite gardienne a été condamnée pour dopage dans le passé...

_Sauf votre respect, Twilight, cette histoire ne concerne que le capitaine Dash et son thérapeute, c'est à dire moi-même. Je n'ai pas à discuter de son cas avec vous, comme je ne discuterai jamais du votre avec elle. Je suis une professionnelle, et comme je vous l'ai déjà dit, je suis tenue comme telle au secret médical.

Twilight grimaça. Fluttershy avait l'air d'y tenir à son satané secret médical. Pas que ce soit son genre de critiquer l'intégrité professionnelle des gens, mais dans le cas présent, ça ne l'arrangeait pas.

Il était temps de commencer à agir.

_Puisqu'on parle médicaments, vous pensez que vous pourriez me fournir quelque chose pour dormir ? Je passe pas de très bonnes nuits ici.

Fluttershy fit la moue.

_En général, je préfère éviter de fournir des somnifères à mes patients. Ce ne sont pas des bonbons, et il y a toujours un risque d'accoutumance.

_Je ne vous demande pas une dose de cheval. Juste de quoi m'aider à fermer l'oeil tant que je suis ici.

_Il vous reste encore beaucoup de temps à passer en isolement ? demanda le docteur, se mordillant le bout du doigt.

_Trois jours en comptant aujourd'hui.

Fluttershy parut s'égarer un moment dans ses pensées, laps de temps durant lequel son mordillement de doigt s'intensifiait.

_Si vous pensez vraiment en avoir besoin, je peux vous donner un relaxant. Ca ne va pas vous assommer, mais ça devrait vous détendre assez pour que vous trouviez le sommeil.

Le docteur griffonna quelque chose sur son bloc.

_Je ferais transmettre à l'infirmerie, qui joindront le médicament à votre plateau-repas. Le gardien vérifiera que vous l'avaliez bien : c'est une simple mesure de sécurité qui évite la revente de tout médicament entre détenues.

_Je comprend, opina Twilight.

C'est vrai que maintenant qu'elle y repensait, Ember lors de son premier jour, lui avait proposé de la fournir en produits, si elle le désirait.

D'ailleurs, la bikeuse devait se trouver pas très loin. Il faudrait que Twilight trouve un moyen d'identifier sa cellule. La sportive pourrait lui être d'une grande aide dans son plan à venir.

_Autre chose avant que notre séance ne se termine ?

_Je pense que c'est tout, répondit l'universitaire, plaquant son dos contre le mur.

_Si vous êtes d'accord, ajouta Fluttershy en frappant à la porte blindée pour qu'on lui ouvre, je vous verrais dans quelques jours, quand vous serez retransférée dans votre cellule habituelle. Même si vous vous bornez qu'à la physique quantique, je pense que ça vous fera de bien de vider un peu votre sac.

Un sourire, une poignée de main, une porte qui se refermait, et Twilight retrouvait le grand luxe de ses six mètres carrés.

Elle ferma les yeux un instant, essayant d'apprécier le calme et le silence qui l'entourait. C'était compliqué. Une prison n'était jamais vide de sons : on entendait forcément des détenues qui parlaient entre elles, le bruit des clés dans les serrures, les bottes des matons qui claquaient contre le sol. Mais depuis qu'elle était là – est-ce que ça faisait déjà plusieurs mois ou bien est-ce qu'elle perdait vraiment toute notion du temps ? -, Twilight avait appris à tous les connaîtres. Il n'y avait jamais un son nouveau, ou plutôt, elle ne retrouvait pas les sons dont elle avait l'habitude : la craie ou le feutre sur un tableau, le ronronnement de la machine à café, le brouhaha des élèves en cours magistral. Quelquefois, elle se demandait si ces bruits, si cette vie avait vraiment existé. Si elle n'était finalement pas née entre les murs de cette prison, avec ses bleus et son tatouage, coincée quelque part entre les folles qui voulaient la tuer et les folles qui l'aimaient bien.

Elle comprenait plus que jamais maintenant. Toutes ces évasions. Bon sang, ça ne faisait que trois jours qu'elle était à l'isolement et elle aurait donné un bras pour sentir le vent souffler sur son visage !

Elle comprenait même ces émeutes, ces prises d'otages qui lui faisaient toujours changer de chaîne quand ces événements faisaient l'actualité. Parce qu'au fond, quand un prisonnier était à bout, il ne lui restait plus que ça. Et c'était du gagnant-gagnant : soit il obtenait ce qu'il voulait, soit il se faisait tuer. Et au moins, il sortait de ces murs, fut-ce dans un sac mortuaire.

Twilight esquissa un sourire. Ce serait quand même un peu minable d'en arriver là. Elle n'était pas réduite à une adolescente gothique en mal d'affection qui remplissait Internet de pathos quand même.

Plus tard dans la soirée, vint le repas, passé par la trappe de communication de la porte. Twilight accueillit avec un enthousiasme modéré son plat de raviolis, et sa salade verte. Un minuscule gobelet dans lequel on avait déposé un cachet, reposait sur le plateau. Sous les yeux du gardien, Twilight le glissa entre ses lèvres, et d'un coup de langue, le coinça contre sa gencive avant de déglutir et d'ouvrir les mâchoires. Visiblement satisfait, le maton referma la trappe et s'en alla. Twilight cracha immédiatement le médicament dans sa paume, et le cacha dans sa combinaison.

Bon. Elle aurait préféré quelque chose de plus puissant, histoire d'être sûre, mais elle aurait tout de même assez de cachets à la fin de sa période d'isolement.

Elle finit rapidement son repas avant de remettre le plateau à proximité de la trappe. Le gardien le récupérerait lors de sa ronde. Twilight retourna se pelotonner dans son coin. Elle n'avait pas vraiment sommeil, mais il n'y avait pas grand chose d'autre à faire en isolement. Enfouissant sa tête entre ses genoux, Twilight essaya de se mettre du baume au coeur en se disant qu'au moins, dans trois jours, elle sortirait de l'isolement.

Elle se réveilla en sursaut, ses yeux s'ouvrant sur la silhouette d'un maton qui la secouait doucement. La porte de la cellule était entrouverte.

_Qu'est-ce que...

Il lui intima de se taire en posant son index sur ses lèvres.

_Silence Sparkle. Tu viens avec moi. Je dois t'amener à la grande salle.

Qu'est-ce que c'était encore que cette histoire ? Twilight n'avait aucune espèce d'idée de l'heure qu'il pouvait bien être, mais reconnaissait l'éclairage de nuit dans le couloir. Elle suivait le maton en restant sur ses gardes. Etre tirée de sa cellule en pleine nuit ne lui disait rien qui vaille. Est-ce que Dash avait encore prévu un mauvais coup ? C'était plausible, mais inutilement compliqué de la faire sortir. Elle aurait sûrement préféré venir la rosser en isolement.

Non, il n'y avait qu'une seule autre personne ici qui avait le pouvoir de demander à un gardien d'escorter une détenue hors des quartiers d'isolement.

_C'est un coup de Pie, c'est ça ?

Le maton ne répondit pas, se bornant à lui demander d'avancer en silence.

Ses soupçons se confirmèrent quand ils atteignirent la grande salle, qui était partiellement éclairée. Une dizaine de filles se trouvaient là, entourant en demi cercle une table sur laquelle on avait hissé une chaise de bureau avec quelqu'un dessus. Tout autour, cinq ou six gardiens semblaient plus surveiller que personne ne s'approche de la pièce que de vérifier ce qui se passait à l'intérieur.

Twilight reconnut certaines filles dans le public : elles passaient de temps en temps à la cellule de Pie, ou s'entretenaient avec Zecora dans les couloirs. L'universitaire ne fut pas particulièrement surprise de voir les ballons sur l'avant-bras de celles qui avaient les manches retroussées. Elle se retrouvait donc en compagnie des cadres de la bande de Pie. Twilight nota que ni Heartstrings, ni Massala, ni Ember ne se trouvaient ici.

Pie elle-même était en pleine discussion avec une détenue, qui portait un seau noir, et une bouteille en plastique, remplie de poudre blanche. Le visage de la caïd s'illumina quand elle vit la nouvelle arrivante.

_Ah t'es là, génial ! On va pouvoir commencer.

Elle sauta sur la table, se mettant bien en vue. La détenue assise avait l'air verte de peur. Twilight ne la connaissait que de vue, ses cheveux couleur bleu électrique étaient assez durs à ignorer. Se rapprochant, elle remarqua que la fille avait les mains reliées dans le dos par une paire de menottes, et qu'une chaussette lui entravait la bouche.

Bon Dieu, dans quoi est-ce qu'elle mettait les pieds ?

_Si tout le monde est prêt, je pense qu'on peut s'y mettre, annonça Pie à l'assemblée. Déjà, je voulais toutes vous remercier d'avoir pris un peu sur votre temps de sommeil pour venir à cette petite réunion. C'est important que vous soyez là.

Si ça c'était passé comme pour Twilight, les autres n'avaient guère eu le choix.

_C'est de professionnalisme qu'il sera sujet ici, dit Pie, déambulant sur la table comme si elle faisait une présentation dans une salle de travail. Et de sanction disciplinaire.

Un murmure traversa l'assemblée.

_Vous le savez, nous faisons toutes partie d'une même équipe. Presque d'une famille, j'ai envie de dire. Et c'est parce que nous nous consacrons à 300% à ce que nous faisons, que nous en sommes là où on est aujourd'hui, et que j'ai pu améliorer votre ordinaire. Berry, rappelle-moi, c'est qui qui t'a fourni de quoi distiller la meilleure gnole de toutes les taules de l'Etat ?

_C'est toi, répondit une détenue au nez anormalement rose.

_Florina, c'est grâce à qui que tu as ce joli noeud dans tes cheveux ?

_Grâce à toi, répliqua une prisonnière qui avait effectivement une décoration dans sa chevelure.

_Sparkle !

Twilight manqua de sursauter.

_Tu peut dire aux filles ici présentes grâce à qui tu as pu avoir une heure de visite conjugale avec ta copine ?

_Toi, répéta à son tour l'universitaire, quelque peu gênée qu'un moment aussi agréable soit finalement dû à une criminelle.

Pie ouvrit les bras en signe d'évidence.

_Vous le voyez, je ne suis pas une mauvaise patronne. Je me soucie de vous, parce que je sais que si vous êtes bien dans votre peau, vous ferez du meilleur travail. Et je pensais que c'était aussi ton cas, dit-elle en posant sa main sur l'épaule de la fille entravée. Vous voyez, notre amie ici présente est une grande fan de musique. Elle en vivait à l'extérieur, c'était une DJ. Assez douée d'après ce que j'ai cru comprendre, je crois que plusieurs d'entre vous l'ont déjà vue mixer dehors.

Quelques voix confirmèrent.

_Je me suis débrouillée pour lui fournir des CDs du monde entier. Des sons si expérimentaux que je ne sais même pas si on peut encore appeler ça de la musique. Des magazines spécialisés. Des enregistrements pirates de concert. Et beaucoup, beaucoup de rendez-vous conjugaux avec sa copine violoncelliste.

Quelques rires gras traversèrent l'assistance. Twilight n'était pas du nombre.

_Tout ce que je demandais en échange, c'était que les stocks soient correctement vendus. Alors oui, ça, les stocks étaient vendus. Mais tu as commencé à rogner quelques pourcents. A te garder une plus grosse part des ventes pour toi. Et à oublier comment fonctionne cette entreprise.

Pie marqua une pause, le visage empli de gravité.

_C'est le respect qui fait tourner le monde, même ici, même entre nous. Surtout entre nous, Mais quand tu gardes de l'argent des ventes pour toi, grimaça la caïd, tu manques de respect à cette entreprise, à tes collègues, et à moi.

La criminelle claqua des doigts. La fille à la bouteille versa la poudre blanche dans le seau avant de s'armer d'une tige de bois, et de se mettre à tourner.

_C'était plutôt malin, ta combine. Profiter que je n'avais plus de comptable pour lancer ta petite affaire. Mais tu es tombée sur plus maligne que toi.

Pie adressa un clin d'oeil à Twilight, qui se sentait plus mal à l'aise que jamais. Cette gêne ne fit qu'augmenter quand Pie lui tendit la main pour l'inviter à grimper sur la table.

_Faut pas déconner avec les maths quand t'as une espèce de génie sous la main, championne, lança la criminelle en donnant une petite tape sur la joue de sa victime. J'ai pas mal réfléchi à la punition que tu devais subir. Ca aurait pu se règler avec ça...

Son scalpel fétiche apparut comme par magie entre ses doigts.

_Un bon coup entre les côtes, feula t-elle en mimant le geste. Ou bien à la cuisse, que je te tranche la fémorale ? Y a tellement de moyens de s'amuser quand on est créatif...

La caïd eut un haussement d'épaule.

_Et puis je me suis dit que l'important, c'était que tu enregistres le message... morte, tu ne risques plus de comprendre grand chose.

Elle claqua une nouvelle fois des doigts et la fille au seau déposa l'objet sur la table. De ce que pouvait voir Twilight, l'eau au fond du récipient avait pris un aspect visqueux.

_Pour être tout à fait honnête, poursuivit Pie en sortant des gants de vaisselle rose d'on ne sait-où et en les tendant à Twilight qui s'en empara machinalement, l'idée n'est pas entièrement de moi. J'ai vu ça dans un film. Un truc vraiment pas mal, où ces types montent un club de combat et y a ce moment où on découvre que le héros...

Pie plaqua sa main sur ses lèvres.

_Oups, j'ai failli vous gâcher la fin du film. Heureusement que je vous ai pas dit qu'à la fin y meurt et y devient une licorne ailée, hein ?

A en juger par les regards du public, les autres filles étaient aussi perdues que Twilight sur ce coup là.

_Bref, déclara Pie en frappant dans ses mains, Sparkle, si tu peux mettre les gants...je ne voudrais pas qu'il ait des accidents ce soir. D'ailleurs si le premier rang veut bien reculer un peu...

Sans trop comprendre, Twilight obéit.

_Je pense que l'honneur te revient, déclara Pie en lui tapotant l'épaule. Après tout, rien n'aurait été possible sans toi. C'est normal que ce soit toi qui le fasses.

_Qu'est-ce que tu veux que...

_Balance lui le seau à la gueule, glissa Pie avec excitation à son oreille.

Twilight déglutit. Elle n'avait aucune idée du mélange qui se trouvait dans le seau mais ni l'aspect, ni l'odeur, ni le fait que la caïd lui ait demandé de mettre des gants ne lui donnait particulièrement envie d'obéir, et de faire du mal à une pauvre fille qui ne lui avait rien fait.

_Tu vois, reprit Pie en s'adressant à nouveau à la détenue attachée, je pense que ton erreur, c'est de t'être dit que c'était un genre de risque calculé. Que ça valait le coup. Que t'aurais pu être la première qui fait la nique à Pikamena Diane Pie. Et ben non, ma vieille. T'as oublié ta place dans la chaîne alimentaire. C'est à moi de te le rappeler.

Elle fit un pas de côté, et un mouvement de tête.

_Allez Sparkle, on y va.

Comme fondue dans du béton, Twilight refusait de bouger. Les mots du docteur Fluttershy résonnaient dans sa tête. Devenir un monstre pour survivre.

Là, il y avait une grosse différence avec Glimmer. L'ancienne DJ ne lui avait rien fait, elle ne la connaissait même pas. Mais elle aurait du mal à refuser un ordre direct de Pie, surtout au milieu de ses fidèles.

L'universitaire regarda aux alentours, espérant voir un gardien intervenir, peut-être même Rainbow Dash, tiens ! Mais rien. Les matons tournaient ostensiblement le dos à la scène, comme lors de l'incident des douches. Quand Pie faisait son show, on ne la dérangeait pas.

_Sparkle ? répéta Pie, un peu d'impatience dans la voix.

Twilight réfléchissait à toute allure, envisageant les possibilités. D'une manière ou d'une autre, le contenu de ce seau finirait sur la malheureuse, que ce soit elle, Pie, ou une autre membre du gang qui fasse la basse besogne. Mais si elle refusait de le faire, elle sapait la confiance que Pie lui accordait, qui était sa clé de voute pour sortir d'ici. Sortir. Retrouver le vrai monde. Loin de toute cette saleté. Sortir et retrouver Rarity, chez elle...

Détournant la tête, Twilight projeta l'eau sur la détenue.

Un splash, et presque aussitôt, des hurlements étouffés. Des murmures de dégout montaient de l'assemblée, et de ce que pouvait en voir Twilight, certaines viraient au vert. Pie, reprenait sa déambulation, haussant la voix pour couvrir les cris sourds de sa victime.

_Ca pique la soude, hein ? J'espère que t'as pensé à fermer les yeux : de ce que j'ai lu sur Internet, ça traverse tout en quarante secondes, cette saloperie. Après, j'imagine que les yeux rouges, pour une DJ, c'est du genre tendance.

Estomac noué, Twilight ne put résister à jeter un clin d'oeil. L'eau – ou la lessive de soude plutôt – avait frappé la DJ en plein visage, et sur le dessus de la poitrine. Sa peau prenait une teinte rougeâtre là où la solution attaquait ses chairs. Twilight était quasiment sûre de voir de la fumée monter en volute au dessus de la prisonnière, mais son esprit lui jouait sûrement des tours. Il n'y avait pas de combustion, ici.

Pie elle, si elle restait à un pas de distance pour ne pas être gênée par les émanations, ne ratait pas une miette du spectacle. Elle avait la tète légèrement versée de côté, la lumière se reflétant étrangement sur son crâne rose à demi-rasé.

Puis, après un temps qui sembla éternel à Twilight, Pie s'écria : _Ca suffit. Passez moi la bouteille.

Une bouteille de verre, remplie d'un liquide rouge passa de mains en mains jusqu'à arriver entre les doigts de la criminelle, qui la vida sur sa victime. Sur le coup, l'universitaire eut peur que Pie ne prolonge la souffrance de la DJ par un autre produit chimique, mais au contraire, le fluide semblait apaiser la détenue. Ses cris se calmèrent, et si des larmes coulaient encore abondamment le long de son visage marqué de plaques rouges, la douleur semblait s'être apaisée.

_Ouh, s'exclama Pie, comme quoi ça marche le vinaigre. Ce film est vraiment super bien fait. Y a même des trucs vrais dedans. Tu voudras que je te prête le DVD ?

Tête baissée, la musicienne pleurait silencieusement. Twilight avait encore du mal à réaliser que ses brûlures ne partiraient sûrement jamais tout à fait, et qu'elle garderait des cicatrices à vie. Pire encore, qu'elle était directement responsable de ce fait.

_Bon, reprit la maîtresse des lieux en frappant dans ses mains, je vous chasse pas, mais je pense que vous feriez bien de retourner à vos quartiers avant que les matons qui ne sont pas nos amis n'inspectent les cellules d'un peu trop près. Ne vous inquiétez pas, on s'occupe de ranger tout ce bazar et de déposer la reine de soirée au stand. Merci encore d'être venues, et j'espère que vous avez trouvé la réunion enrichissante. Passez une bonne nuit !

C'était finalement assez clair. Pie avait fait finalement cette mise en scène moins pour punir la voleuse que pour passer un message à ses sbires, que les filles présentes ici ce soir se feraient une joie de reporter, de même que les gardiens corrompus. Twilight commençait mieux à comprendre le conseil d'Ember, aux douches. Qui s'opposait à la psychopathe ne durait pas plus de cinq minutes.

Encore choquée, Twilight posa le seau vide et les gants à même la table, et descendit de sa position surélevée, marchant comme un automate sans entendre Pie qui la félicitait encore une fois.

L'universitaire alla sans un mot jusqu'au gardien qui la reconduisit en isolement et referma derrière elle.

Debout dans le noir, Twilight était sûre d'une chose. Que ce soit sur la planche ou roulée dans le coin avec sa couverture, elle était à peu près sûre de passer une nuit exécrable.