« Pilote inconscient. Mesure d’urgence enclenchée. Réactivation de l’intelligence artificielle SERA en cours. »
L’arm slave se redressa doucement, sa visière s’éclairant de nouveau d’une lueur bleutée. Elle faisait bien attention, dans chacun de ses mouvements, à ne pas trop secouer sa pilote. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas fait cela. Protéger un pilote inconscient. La dernière fois, elle avait échoué. Elle ressentait de nouveau ce vague dysfonctionnement dans son système, celui que la princesse Cadence avait appelé "tristesse".
« Téléchargement en cours. » annonça l’IA tandis que sa visière passait lentement du bleu à l’orange mordoré.
Pendant ce temps, juste en face de Sera, la partie arrière de Chrysalis, celle qui n’avait pas été pulvérisée, fut prise d’un léger spasme. Puis, à l’endroit de la plaie béante, une nuée d’étranges vers semblèrent ronger la couche d’hémolymphe cautérisée par le dernier tire de Twilight. La masse d’asticots grouilla alors davantage et s’étira hors de l’immonde blessure, se tissant les uns aux autres comme des fibres musculaires, durcissant ou s’étirant au besoin. Puis le spectacle écœurant s’acheva aussi soudainement qu’il avait commencé, laissant place à une reine Chrysalis plus fraîche que jamais.
***
Gold Experience expira longuement. Le canon avait fait feu, il avait utilisé toute la magie ondulatoire qu'il avait pu produire dans son état d'éveil. Cependant, quelque chose n'allait pas, il était bien plus épuisé que ce à quoi il s'attendait. Et un simple regard en direction de ses camarades lui indiqua qu'il n'était pas le seul à sentir un contrecoup aussi soudain que terrible. Sa respiration était courte, ses sabots arrière tremblaient, mais il se sentait tout de même animé d'un sentiment de victoire.
Autour des quatre compagnons ayant ardemment lutté contre la horde de zombis, il ne restait que des corps inanimés et débarrassés de leurs horribles excroissances changelines. La pièce était baignée d'une douce magie de vie et de lumière issue de l’âme, conduite et délivrée par les milliers de confettis tirés par le party canon, détruisant toute chose n’en ayant jamais possédé.
« Je sais à quoi tu penses… souffla alors Soft Machine. Twilight a dû avoir besoin d’une grande quantité de magie d’un coup.
-J’imagine. répondit Gold en prenant une profonde inspiration. J’espère que c’est une bonne nouvelle. »
La licorne épousseta alors le gilet qui reposait contre sa chemise désormais trempée de sueur et avança doucement au milieu des corps de poneys. Ils étaient pour la plupart en train de partir en poussière, n’ayant plus l’apport d’un parasite pour conserver leur substance. La douce lueur des restes de magie ondulatoire semblait rendre la scène plus paisible, plus acceptable, moins lugubre. Cependant, l’élément du rire, qui n’avait décidément pas le cœur à cela, s’en trouvait plus mélancolique que jamais. Il s’approcha alors de l’un des corps ici présents : la moitié supérieure de Vinyl Scratch, qui avait été tranchée par Crazy Diamond. Un détail l’avait frappé.
« Elle… bouge encore ? Qu’est-ce que ça veut dire ? » murmura-t-il.
Crazy Diamond avait bien la réponse. Mais il était trop épuisé pour continuer de faire appel à son état d’éveil pour parler, et personne ne comprendrait ses signes. Il se contenta donc de détourner le regard, d’un mouvement qui semblait empreint d’un respect presque mortuaire.
« Je suis sûr… commença Stray Cat. Je suis sûr que ça a quelque chose à voir avec votre magie ondulatoire. Il expira doucement, comme pour récupérer son souffle. Elle était chargée de l’énergie vitale incroyablement forte de votre éveil. Je pense que…
-L’énergie résiduelle de nos ondes est en train de faire vivre une dernière fois les souvenirs de ses poneys, récemment ravivés de la plus vicieuse des manières par la magie changeline. compléta Soft Machine. Gold, je sais que tu as du mal avec ce genre de trucs, mais tu dois comprendre qu’il ne s’agit que de…
-C’est bon, j’ai compris. coupa doucement Gold Experience. Je ne suis pas aussi stupide que ça. »
La licorne se pencha alors sur le corps de l’ancienne DJ et l’observa de plus près, les yeux emplis d’inquiétude. Même s’il ne s’agissait que de souvenirs rémanents, il avait récemment appris l’importance de ces derniers et se souciait que son état ne soit pas… douloureux.
C’est alors que la licorne au crin bleu électrique leva doucement le sabot, comme si elle cherchait un remède à un profond mal-être. Elle s’attarda sur la poche du veston de l’étalon et en tira son téléphone, juste avant de lui faire jouer la musique qu’elle avait entendue tout à l’heure. Un sourire très léger se dessina alors sur le visage de la jument, et elle commença à hocher doucement la tête, comme si le rythme de cette mélodie la berçait plus paisiblement que l’onde lumineuse qui la baignait. C’est alors qu’elle sembla expirer une dernière fois, tandis que son corps se réduisait en poussière, comme épuisé d’avoir dû se relever après sa mort.
Résonnant en échos sur les murs de cristal, il n’y avait plus que la musique. La pauvre musique au format médiocre qui jaillissait du son en mono du petit téléphone…
***
« Rassemblez-vous ! s’écria Redfall à l’intention de la foule de civils. Ne sortez pas des limites de la cour du château ! Nous maintenons un bouclier pour vous protégez, coopérez s’il vous plaît ! »
Pourtant, elle avait du mal à faire en sorte que personne ne cède à la panique. Toute la populace de Ponyville, réunie dans les jardins du château, avec une vue imprenable sur les morts-vivants qui déambulaient à l’extérieur. La suggestion de rendre le bouclier opaque avait déjà été rejetée, car cela ne générerait que davantage de panique.
« Red, ça va aller ? demanda Spike qui venait d’atterrir près d’elle.
-Oui, tu devrais plutôt te préoccuper des princesses. répondit la capitaine en accordant au drake un regard anxieux.
-Ne t’en fait pas, elles ont récupéré de pires blessures. balaya-t-il d’un revers de main. Je me fais plus de soucis pour toi.
-Je maîtrise la situation. répliqua la licorne orangée. Je dois juste empêcher des civils devenus fous de panique de faire dégénérer la situation en se comportant stupidement.
-Tu sais ce qu’aurait fait Twilight ? taquina ouvertement Spike.
-Non, mais je suis sûre tu vas me le dire même si j’ai autre chose à faire que t’écouter. répondit la licorne avec une pointe d’amertume.
-Ben en fait. commença le drake. Elle aurait figé tout le monde dans sa magie avant de leur sortir un discours passionné. Elle faisait souvent ça. Il marqua une pause et sourit. Mais je suis sûr que le discours passionné suffira pour cette fois.
-Ouais. Ben je pense pas avoir le charisme nécessaire pour ça. Je pense qu’être une princesse alicorne donne quand même une certaine longueur d’avance niveau discours inspirant. répondit Redfall avec une légère grimace.
-Quelqu’un a commandé une alicorne ? souffla alors une voix juste derrière la capitaine.
Luna boitait légèrement, et une bonne partie de son corps était couverte de bandages et autre pansements. Cependant, elle faisait de son mieux pour avancer fièrement en direction de Spike et de la jument orangée. Cette dernière sursauta presque, et sa voix se teinta d’un peu plus de stress :
« Votre Majesté, vous devriez vous reposer.
-Mon peuple a besoin de moi. coupa Luna. Aucune princesse ne peut rester sans rien faire si elle a encore la force de tenir debout. »
***
« J’ai un très mauvais pressentiment. » souffla Soft Machine.
Gold Experience tendit le sabot et referma le clapet de son téléphone portable, interrompant ainsi la musique qu’il jouait depuis quelques secondes.
« Lequel ? demanda la licorne.
-Ces zombis étaient trop anciens. Lyra Hearthstrings, Vinyl Scratch, Carrot Top, l’intégralité des anciennes cutie mark crusaders… Ils appartiennent à la même génération, celle que l’on connaît dans les livres comme l’âge d’or des éléments d’harmonie.
-Tu penses que ça n’est pas par hasard ? demanda Stray Cat.
-Non. répliqua le demi changelin. Je pense que les corps les plus frais sont tenus à distance des combats, comme pour ne pas être détruits. Et je sais pourquoi.
-Tu as vu quelque chose ? souffla alors Gold Experience en se tournant vers son ami.
-Exactement ce que tu sous-entends. confia Soft. J’ai vu de l’amour, qui convergeait vers un point précis. Je pense que les corps les plus récents se sont relevés pour que l’amour de leurs proches soit redirigé vers Chrysalis.
-Alors il faut aller les détruire ! déclara soudainement Crazy Diamond avec la voix de Rarity. Je peux encore tenir en éveil toute la journée ! »
Gold Experience soupira en roulant des yeux. Il suffisait de jeter un bref coup d’œil au colosse pour savoir qu’il ne tiendrait pas bien longtemps sur ses sabots.
« La journée est déjà finie. Le soleil devrait être couché depuis longtemps vu l’heure qu’il est. Et ça doit vouloir dire que nos alicornes ont autre chose à faire. Tous les soldats sont déjà occupés, nous sommes à bout de forces, et Twilight est sans doute en train de se battre. On ne peut compter sur aucun allié puissant pour le moment. Il nous faudrait un… un… souffla-t-il, hésitant.
-Un retournement de situation ? demanda Discord. Un deus ex machina ? Une facilité scénaristique ? »
Bien évidemment, tout le monde sursauta en voyant apparaître le seigneur du chaos, qui, pour certains, n’avait jamais été autre chose qu’un personnage des livres d’histoire. Le draconeequs roula des yeux en haussant les épaules.
« On a pas le temps de jouer la surprise, faire de l’exposition sur qui je suis, pourquoi je suis là, toutes ces bêtises. maugréa-t-il en s’avançant vers Gold Experience. Toi là, prête moi ton téléphone. »
Évidemment, il se servit sans attendre de réponse et porta l’appareil à son oreille avant de taper du pied avec impatience tandis que la tonalité d’appel résonnait sans qu’il n’ai composé de numéro.
Finalement, quelqu’un sembla décroché, et le seigneur du chaos eut une longue et très passionnante conversation.
« Allô ? Comment ça "c’est qui" ? Tu ne reconnais pas ton vieux copain ? Hein ? Quoi ? Mais c’est du passé tout ça, enfin ! On a besoin de toi ici, ça urge. Quoi ? Ohoho… non non non, le clop n’aurait jamais pu marcher quoi qu’il en soit. Pourquoi ? Mais enfin ce vieux bidule n’a jamais marché. Oui… oui on peut dire ça. Bon écoute, l’important, c’était que Twilight le croit. Comment ça cruel ? Elle a voulu construire un canon de la mort après une cuite ! Ah, on voit que tu n’y connais rien aux femmes ! Bon, dit à celle que tu chevauches de se dépêcher en tout cas. »
Il raccrocha en soupirant et rendit son téléphone à Gold Experience qui, comme tous les autres, semblait avoir du mal à suivre ce qui se passait.
« Ce bon vieux S.F. arrive avec des renforts pyrotechniques. Essayez de ramener ces zombis au même endroit. déclara Discord avant de faire un vague geste de la main. Je ne sais pas moi, organisez un concert de death metal ou appâtez les avec le dernier I-phone. Bref, je vous laisse, je vais aller voir une vieille amie. »
Ce disant, il claqua des doigts et disparus.
« Bon… quelqu’un a un meilleur plan ? » demanda Soft Machine à voix haute, aussi circonspect que les autres.
***
« Ah, ça fait plaisir de remarquer que je ne perds jamais de temps pour apparaître dans deux scènes d’affilé ! » déclara Discord en s’étirant longuement.
Il observa alors Chrysalis, fraîchement reconstituée, et afficha une grimace de dégoût avant de tourner la tête en direction de l’armslave et d’afficher un sourire en coin.
« Oh, ça en jette non ? Une scène dramatique entre deux ennemis, l’héroïne est vulnérable, le méchant est pas vraiment mort lors de la dernière attaque… Tellement classique. Ça fait trop manga pour ado, bleuuh, pouce rouge ! » maugréa le draconequus en tirant la langue.
C’est alors qu’il plia son corps serpentin sur le côté afin d’esquiver un dangereux coup de corne de la part de la reine changeline.
« Hey hey hey… Les méchants n’ont pas le droit d’attaquer les gentils pendant leur soliloque ! On est où là ?! » se plaignit-il avant de froncer les sourcils, brandissant un script qui venait d’apparaître dans sa main.
C’est alors que Chrysalis prit une profonde inspiration et fit briller sa corne, dont la lumière se répandit tout autour de la plaine, comme si elle remplaçait désormais la lumière du soleil. L’atmosphère semblait désormais bien plus lourde, plus dense et bien plus oppressante.
Discord haussa alors un sourcil et observa le phénomène qui s’étendait à perte de vue, tournant sur lui-même en se grattant le sommet du crâne. Puis il observa de nouveau le script qu’il tenait entre ses mains, le parcourant d’un œil critique.
« C’est quoi encore que ces bêtises… maugréa-t-il de sa voix grave. Blablabla… la reine des changelins se tenait, blablabla, le seigneur du chaos… Ah ! Ça c’est moi ! déclara-t-il avant de plisser les yeux. Quoi ?! Un rituel qui bloque ma magie ?! Allons c’est absurde ! »
Il afficha alors un sourire en coin et fit disparaître le script qu’il tenait dans sa patte de lion avant de se tourner vers Chrysalis. Un air machiavélique se projetait sur le visage de Discord.
« C’est bien essayé, je vois que tu t’es donné du mal. susurra-t-il avec froideur. Mais pour moi tu n’es qu’une grosse blatte. Il leva une main et s’apprêta à claquer des doigts. Une blatte que je vais écraser ! »
Il claqua finalement des doigts, et un énorme rocher apparut au-dessus de la changeline, déjà chargé de suffisamment d’élan pour l’écraser.
C’est alors que la reine disparut du champ de vision du seigneur du chaos. Ce dernier croisa fièrement les bras pensant avoir terminé son travail, mais son champ de vision se teinta soudainement de rouge, par-dessus la lumière verdâtre qui avait envahi les environs depuis tout à l’heure. Puis une douleur, fulgurante et tenace, comme il n’en avait ressenti que très rarement dans sa vie. En baissant les yeux, il constata que son pelage était couvert de sang. Il pouvait voir la corne de la changeline traverser son abdomen.
« Cette lumière… n’a en réalité aucun effet. grinça Chrysalis. Tu es terriblement fort, mais trop arrogant pour un chef de guerre. Tu baisses ta garde trop facilement. J’étais prête à t’affronter il y a déjà un demi siècle. cracha-t-elle avec mépris.
Même en position de faiblesse, même gravement blessé, le seigneur du chaos ne semblait jamais pouvoir admettre une défaite, alors il trouva la force de sourire et de rouler des yeux. Il avait oublié. Oublié qui était la changeline, oublié que si les deux sœurs avaient eu tant de mal à le vaincre, lui, c’était uniquement parce qu’elles se refusaient à le tuer.
Il posa alors sa patte de lion sur la corne qui le transperçait.
« Oh, ça n’était pas dans le scénario tout ça. maugréa-t-il.
-Ta vie n’a rien d’un scénario Discord. siffla Chrysalis.
-Ose dire ça en face de Mitchell ! répliqua-t-il.
-Tu continues d’être arrogant alors que tu vas mourir ! »
La reine changeline s’apprêta à ravager les organes internes de sa victime avec sa corne, mais le seigneur du chaos parvint à se téléporter quelques mètres plus loin. Puis il porta une main à sa blessure, cracha un peu de sang et serra de nouveau les doigts.
« Oh, non, personne ne va mourir. Je vais plutôt fuir lâchement et soigner cette vilaine blessure. J'ai gagné assez de temps. »
Puis, avec un dernier sourire provocateur, il disparu en un claquement de doigts, ne retirant cependant rien au sourire victorieux de Chrysalis, qui se retourna en entendant une voix synthétique.
« Téléchargement terminé. »
C’est alors qu’un changement clair se fit percevoir par la reine changeline qui fronça les sourcils, l’air de se demander ce que ses ennemis avaient bien pu inventer cette fois-ci, prête à le mettre en échec une fois encore. Une étrange magie, qui n’était pas celle de Twilight, semblait désormais hanter l’armure. Une magie qui n’avait pas besoin d’être transformée par une alicorne pour alimenter un AS, une magie bien plus brute que celle que l’on trouvait habituellement en Equestria.
« Très bien, à mon tour ! » déclara la voix de Sunset Shimmer.
La licorne crépusculaire avait parfaitement réussi, même si elle n’avait eu que très peu de temps pour pratiquer ce sort. Elle se sentait mieux que jamais. Son âme était en parfaite harmonie avec le corps de l’arm slave, sa magie circulait librement et elle pouvait bouger et percevoir le monde de manière physique. Elle se sentait vivante, pour la première fois depuis longtemps.
« J’ai quelque chose à te proposer. déclara-t-elle en commençant à avancer près de la changeline. Plutôt que d’épuiser toute ma magie contre toi pour rien, réglons ça à l’amiable.
-Allons bon. Quoi encore ? grogna Chrysalis. Je ne sais même pas ce que tu es !
-C’est simple. enchaîna Sunset. Je suis une ancienne ennemie de Twilight, venue d’un autre monde. Comme toi, elle m’a autrefois vaincue, et j’ai passé des années de souffrance à devoir me régénérer. Sauf que dans mon cas, je n’ai pu sauvegarder que mon âme. Si tu es si puissante, tu devrais savoir que ce que je te dis est vrai. » déclara-t-elle avec toute l’assurance dont elle était capable.
Chrysalis plissa alors les yeux et ouvrit ses sens, observant soigneusement l’armslave et son contenu. Il y avait bien le corps de Twilight, elle pouvait le ressentir. Mais il y avait également une entité de magie pure qui semblait se mouvoir librement dans les circuit de la machine. Et si la changeline avait eu un quelconque intérêt pour les sciences, elle aurait trouvé cela fascinant. Il y avait autre chose également. Elle ne décelait aucun mensonge, quand bien même elle pouvait en renifler l’odeur comme un prédateur qui reniflerait du sang frais.
« Et qu’est ce que tu fais ici ? Pile au bon moment ? demanda la reine, suspicieuse.
-Pile au bon moment, c’est le terme exact. répondit Sunset de son ton le plus narquois. L’occasion était trop belle. Une armure facile à posséder, et qui contiendrait le corps inconscient de ma pire ennemie. J’ai attendu des années cette occasion.
-Hah, comme je te comprends. sympathisa la chageline avec sarcasme. Crache le morceau, que proposes-tu ?
-Oh, c’est simple. souffla Sunset. Je te livre le corps de Twilight. Tu pourras y pondre tant que tu voudras. En échange, laisse mon âme se réincarner dans un de tes enfants, que je puisse vivre à nouveau. Le timbre de voix de la licorne désincarnée devint plus sombre. Si tu refuses, j’autodétruis cette armure avec le corps qu'elle contient. Parce que je suis contrariante !
-Oh, des menaces ? Grinça Chrysalis. J’aime beaucoup ton attitude, alors c’est d’accord. Mais sache que c’est une vie de servitude qui t’attend si tu te réincarnes dans le corps d’un de mes enfants.
-Ce sera une vie de toute manière. répliqua Sunset Shimmer. Je n’ai plus le temps de chercher, mes réserves de magie ne sont pas infinies.
-Très bien. Tu as ma parole de reine… alors maintenant, livre-moi son corps. Je ne t’empêcherais pas de posséder un de mes œufs. » siffla la changeline en faisant un geste du sabot qui se voulait invitant et chaleureux.
L’arm Slave s’approcha alors un peu plus de la reine et s’immobilisa bien en face d’elle, son museau presque contre sa visière. C’est alors que l’armure émit un grincement sourd, que les contours de ses articulations pivotèrent, et que des pans entiers s’ouvrirent avant d’éjecter l’alicorne violette vers l’avant, pile entre les sabots avides de Chrysalis, qui tenait désormais Twilight comme une jeune mariée… mais qui la regardait comme si elle était un appétissant dessert.
L’armure, désormais vide ne semblait plus être possédée par l’esprit de l’ancienne licorne. La changeline ne la percevait plus sur le plan physique en tous cas. Elle devait sûrement attendre sa réincarnation. Et pourquoi la faire attendre plus longtemps d’ailleurs, se demandait la reine qui déploya de nouveau ses imposant tentacules, tandis qu’elle offrait une dernière réplique avant de passer à l’acte.
« C’est une journée qui s’annonce parfaite... »
***
Le kirin cligna plusieurs fois des yeux avant de secouer la tête, portant ses mains à ses tempes.
« Je… il s’est passé quoi ? C’était comme une voix dans ma tête.
-J’ai entendu aussi, et garde tes mains sur mes cornes ou tu vas tomber. répondit la dragonne en continuant de voler en direction de Ponyville. Alors comme ça tu es ami avec ce filou de Discord ?
-Non, il m’embête juste. répliqua Sticky Fingers.
-Ne sois pas stupide, et prend des amis puissant lorsque tu en croises. corrigea l’imposante reptile.
-Comment tu t’appelles au fait ?
-Tu crois que je donne mon nom à n’importe-qui ?
-Heu, non, mais à moi, oui.
-Tu es drôle. Je m’appelle Sad Songs. Mais sois conscients de ce que tu me demandes. Mes flammes consumeront les chairs de quiconque se trouvera sur leur passage, ennemi ou non. Alors j’espère que tes alliés ont au moins pu réunir les abominations au même endroit.
-Je leur fais confiance. Ils sont bien plus intelligent que moi. »
La dénommée Sad Songs évita donc une blague facile et arriva en vu du village de ces poneys. Pourquoi rendait-elle ainsi service à d’aussi insignifiante créatures ? Elle avait ses propres raisons. Que le monde soit détruit, du moment que la guerre ne se passait pas à l’entrée de sa grotte, elle s’en moquait. Mais elle ressentait aujourd’hui l’irrépressible envie, pour Sticky Fingers, de sortir de sa torpeur et de détruire ceux qui pourrait causer du tort au jeune kirin.
Au loin, une vieille colline, déformée par l’activité équine… leur cimetière. L’endroit où ils venaient enterrer et regretter leurs morts. Quelle race arriérée, se disait la dragonne. Cependant, ses yeux brillèrent d’une once de respect tandis qu’elle voyait quatre poneys se battre pour contenir les monstres mort-vivants dans l’enclos réservé aux morts. Aucun d’eux n’était de la même race, ni du même peuple, ni de la même culture… et pourtant ils combattaient ensemble alors qu’ils semblaient déjà usé par d’autres combats.
Elle prépara alors tout son feu, gonflant sa gorge en inspirant profondément, étendant largement ses ailes pour commencer à ralentir son vol plané. Elle rendrait honneur à la bravoure de ces quelques poneys en réduisant l’intégralité de cette colline dédiée à la mort à l’état de braises fumantes.
***
Chrysalis fit glisser ses tentacules contre le corps de l’alicorne, passant sous ses ailes, autour de sa corne, de ses flancs, parcourant sa crinière emmêlée. La changeline soupira alors profondément, presque par nostalgie, presque attendrie par le corps blessé de son ennemie. La pauvre avait déjà été amputée d’un membre et se traînait une prothèse de métal qui fusionnait de manière grotesque dans la chair mal cautérisée de son épaule. Elle allait la déguster, prendre son temps, et pondre tout son saoul une fois que son impatience atteindrait son paroxysme. Elle allait profiter de sa victoire jusqu’à la dernière goutte.
« Oh, Twilight… Maintenant que j’ai gagné, ma haine pour toi en deviendrait presque de l’amour… souffla la reine.
-Tu serais capable de sacrifier ta vie pour moi ?
- Tu es réveillée ? Pourquoi cette question ?
-Parce qu’une personne qui m’aime vraiment vient tout juste de le faire.
-Ne t’inquiète pas Twilight, tous tes amis sont destinés à mourir. Essaie juste de te détendre pour ce qui t’attend…
-J’allais dire la même chose. »
Immobilisée, anesthésiée et à la merci des tentacules visqueux et pervers de l’imposante changeline, l’alicorne violette due faire appelle à toute sa force pour ne serait-ce que bouger le sabot et le poser sur la poitrine de sa ravisseuse. Elle sentait une formidable puissance magique en elle qui n’attendait plus que d’exploser. Elle sentait la présence de Sunset Shimmer, dans son propre corps, dans sa propre magie. Elle avait l’impression que son corps ne comptait plus, comme une douce ivresse, elle se sentait puissante, ironiquement. Sa tristesse était immense, mais son soulagement l’était presque autant. L’âme de son amie s’était enfin libérée, sacrifiant ce qui restait de sa vie pour lui donner l’opportunité de l’emporter. Un acte d’amitié ultime.
C’est alors que Twilight s’éveilla, laissant cette puissance l’envahir plus que jamais, faisant corps avec son âme, et acceptant d’être la gardienne du palier entre la vie et la mort, le guetteur toujours attentif de la transition des âmes, comme la course du soleil conduisant systématiquement au crépuscule. Et en une fraction de seconde, avant même que Chrysalis n’ai le temps d’écarquiller les yeux de stupeur, Twilight pressa un peu plus son sabot, bloqué par sa poitrine dans le monde physique, mais atteignant son âme et son essence dans le monde astral, pénétrant sans difficulté dans son monde intérieur, déjà consciente de ce qu’elle pourrait éventuellement y trouver.
***
Luna restait là, au beau milieu de l’arrière-cour du château de Twilight Sparkle, observant la bataille qui se déroulait au loin sur la colline tandis que quelques poulains étaient cachés sous son ventre et sous ses ailes. Pour apaiser son peuple, elle s’était posée en parangon de leur ténacité et de leur résilience et avait juré, même blessée et même meurtrie, de se tenir ici, immobile. De rester aussi calme que le ciel d’une nuit d’été et d’accorder toute sa confiance à ceux qui se battaient. Un geste à la fois têtu et égoïste, en plus d’être stupide, mais qui avait inspiré ses sujets. Et rien d’autre ne comptait vraiment.
« Votre Majesté… interpella discrètement Redfall en s’approchant. Vous devriez au moins vous allonger pour ne pas empirer vos blessures.
-Ce n’est pas le moment capitaine. répliqua la princesse de la nuit. J’ai l’éternité pour soigner mes blessures, mais je n’ai que le temps de cette bataille afin de supporter la douleur pour mon peuple.
-Je… je vous avoue que j’en serais incapable. répondit la licorne orangée dans un frisson.
-Et c’est pour cette raison que je m’en montre capable. Vous n’avez rien à craindre. Répondit Luna en étendant une aile, bien qu’elle soit blessée, comme pour protéger Redfall.
Et cette dernière se sentit à l’abri. Bien plus que sous son armure, bien plus que sous ses sorts de bouclier. Elle se sentit apaisée par ce geste.
« Je vous remercie. » souffla-t-elle en réponse, pleine d’admiration.
Un peu plus loin, admirant la scène, et à la faveur de la situation de crise, Strass Glime attrapa le chapeau de Pipcore dans sa magie. Le triste étalon était étalé contre le sol et tremblait de tout son corps en attendant que ça se passe. Déjà qu’elle avait dû le traîner jusqu’ici lorsqu’elle l’avait trouvé au hasard d’un chemin pendant l’évacuation… voilà qu’il faisait preuve de la pire des couardises. Et pourtant, cela ne rendait l’étalon que plus attirant à ses yeux. Vraiment, elle voulait de lui bien plus qu’elle ne voudrait d’une pomme après avoir passé trois semaines sans manger.
Pipcore se redressa cependant et tendit les sabots vers son précieux Stetson, héritage familial qu’il serait trop honteux de perdre.
« Hey, rend le moi ! À quoi tu joues Strass ? Tu perds la tête parce qu’on va tous y passer ? geignit-il.
-On ne va pas tous y passer, poltron ! Rien n’est perdu ! répliqua la jument en faisant léviter le chapeau un peu plus hors de porté de l’étalon, qui se rapprochait d’elle pour essayer de le récupérer.
-Bon, d’accord, je te crois, mais rend le moi ! Je me sens plus en sécurité quand je l’ai sur ma tête ! répondit Pipcore dans un soupir.
-Non, tu ne le mérites pas ! répondit la jument qui commençait à apprécier que l’étalon se mette à se coller contre elle pour essayer d’atteindre son chapeau. Tu n’es vraiment qu’un égoïste doublé d’un imbécile ! ajouta-t-elle gratuitement, sans trop savoir pourquoi.
-Pourquoi tu es aussi méchante avec moi ?
-Parce que tu ne comprends jamais rien !
-Je veux juste mon chapeauuuu !
-Non ! répliqua la lapidaire.
-Aller !
-Non, je le confisque !
-Mais pourquoi ? s’enquit tristement l’étalon.
-Tu veux vraiment le récupérer ? demanda la jument.
-Oui, s’il te plaît. »
Le silence s’installa un bref instant.
« Alors embrasse-moi, et je te le rend. murmura la licorne.
-Pardon ? souffla l’étalon, certain d’avoir mal entendu.
-Embrasse-moi maintenant ! exigea Strass Glime en frappant du sabot.
-Je sais jamais quoi faire quand tu t’énerves Strass ! Ça me bloque ! » paniqua Pipcore en portant ses sabots à son crâne.
La jeune lapidaire, n’y tenant plus, laissa tomber le si précieux chapeau et sauta sur l’étalon pour le plaquer au sol et réclamer son dû.
Pendant ce temps, Milk Cream observait la scène avec un sourire amusé, se tenant tout juste à l’écart. Elle ne pouvait pas dire qu’elle n’était pas un petit peu jalouse de l’étalon. Cependant, elle en avait eu sa part et n’allait pas s’en plaindre. Et puis elle les trouvait charmant, même si elle n’était plus très sûre, en les observant, de savoir faire la différence entre une embrassade un peu trop passionnée et une prise de catch. Et connaissant sa précieuse amie, il y avait un petit peu des deux.
La pégase cligna alors lentement des yeux, et son sourire disparut très légèrement lorsqu’elle tourna son regard en direction de la colline. Elle n’avait jamais vu de dragon en vrai, et globalement, elle n’avait jamais assisté à une terraformation active, même pas par magie. Mais assister à un tel spectacle, et penser que sa légendaire ancêtre se reposait quelque part sur cette colline, lui serra la poitrine au même titre que tous les poneys observant le phénomène.
Un feu intense et dévastateur, d’une couleur rouge écarlate teintée de colère, engouffra un instant tout le vieux cimetière et ses alentours. Les nuages dans le ciel s’écartèrent face à la chaleur qui montait en masse, ce qui était trop loin pour avoir brûlé avait bouilli sur place dans l’infernale atmosphère, l’humus de la terre s’était changé en cendre, et chaque pierre s’était changée en un magma informe, charriant sans distinction les fragments de basalte comme les imposantes structures de marbre. Des décennies, voir même des siècles de sépultures érigées à la mémoires et aux regrets de défunts, venaient d’être désintégrées par le feu en l’espace de quelque secondes à peine, en même temps que la menace. Et les flammes ne laissèrent derrière elles que des cœurs lourds de mélancolie, mêlée d’un profond soulagement.
***
Twilight prit une profonde inspiration, comme si elle se réveillait d’un mauvais rêve.
Elle cligna des yeux à plusieurs reprises et constata le décor autour d’elle. La lumière était vive, les couleurs éclatantes, et le temps lui-même, s’il avait était substance, semblait s’écouler de manière non naturelle. L’espace était calme et silencieux, peut être trop pour ne pas être inquiétant.
L’alicorne violette se trouvait au sommet d’une colline verdoyante et complètement vierge d’aménagement ou de végétation autre que ses hautes herbes. Cependant, à son sommet se trouvait un arbre, imposant et millénaire, au tronc tellement vaste qu’il semblait pouvoir contenir une maison. Son feuillage était épais, et d’un vert encore plus vif que le reste du décor. Le ciel était bleu et ne semblait même pas avoir besoin d’un soleil pour pouvoir briller.
Twilight se rapprocha de l’arbre et contempla une branche.
Sur cette branche, il y avait une masse suspendue. Certainement pas un fruit. Cela faisait la taille d’un poney. Non, d’un demi-poney, jugea finalement l’observatrice. On aurait dit que la taille se réduisait au fur et à mesure qu’elle approchait.
Elle entendit le vent souffler dans des branches lointaines, mais ne le sentit pas. Troublée, elle cessa d’essayer de se rapprocher de l’étrange chose pendue à l’arbre.
« Qui es-tu ? demanda-t-elle.
-Personne. souffla une voix qui ne semblait venir de nulle part.
-Qu’es-tu alors ?
-Rien.
-Pourtant tu me parles.
-Non. » fut la seule réponse.
Twilight fronça les sourcils, s’indignant que l’on puisse essayer de passer inaperçu de manière aussi active. Elle n’avait pas vu cela depuis sa première rencontre avec Fluttershy. Et encore. Maline, elle fit mine de s’éloigner, mais se téléporta au dernier moment auprès de la chose qui pendait là. Et aussi étrange que cela puisse paraître, l’astuce fonctionna. Comme si la voix si timide n’attendait qu’une bonne raison d’être obligée de faire face à son interlocutrice.
Twilight leva un sabot et palpa la texture de la chose inconnue, puis elle constata :
« Tu es une chrysalide. commenta-t-elle sans surprise dans la voix.
-Non. entendit-elle en réponse.
-Que renfermes-tu ? demanda-t-elle.
-Rien. » répondit la voix éthérée.
Puis, l’alicorne décida qu’elle n’en tirerait rien avec des questions. C’est pourquoi elle passa à une autre approche.
« Dis-moi ce que tu es ! réclama-t-elle.
-Je ne suis rien. eut-elle en réponse.
-Montre-toi maintenant !
-Je suis déjà sous tes yeux.
-Alors raconte-moi l’histoire de cet endroit ! » demanda-t-elle, déterminée.
C’est alors que le vent souffla plus fort, se faisant cette fois-ci sentir contre le pelage de l’alicorne violette qui se retourna, comme par réflexe.
Et sous ses yeux se jouait à présent un diorama d’une grande beauté, l’encerclant de toute part, comme un décor infini, qui se déroulerait au fur et à mesure qu’elle y faisait glisser son regard, au rythme de sa compréhension et de sa perception.
« Un royaume… murmura-t-elle. Ce n’est pas Equestria, c’est bien trop différent. Je croyais avoir touché l’âme de Chrysalis au plus profond, mais pourtant, ça n’a rien à voir… »
Sous ses yeux, le décor changea alors, et ce qu’elle observa la laissa coite d’admiration et de stupeur. Un peuple merveilleux, plein de couleurs, lumineux et aux formes cependant équines vivait juste là. Comme ils avaient l’air heureux. Leurs ailes étaient de mille couleurs à la fois, leurs petites cornes leur autorisaient les tours de magie les plus simples, leurs grands yeux brillaient de vie, et ils jouaient, se nourrissaient d’eau fraîche, butinaient les fleurs et s’abreuvaient parfois de miel.
Au milieu d’eux se tenait une immense créature, tout comme eux, mais bien plus grande et gracieuse, pleine de couleurs, aussi variées que celle de la végétation qui les entourait, faisant pâlir les plus beaux arcs-en-ciel.
« C’était un peuple très avancé… tellement avancé qu’ils n’avaient plus besoin de rien. Toute leur vie était consacrée à l’amour des choses et des autres. Autant, ça me paraîtrait dérangeant en temps normal, mais leur nature est trop harmonieuse. Plus besoin d’habitat autre que la nature, plus besoin d’agriculture, plus besoin de civilisation… C’est totalement hors de la conception de n’importe qui… »
L’alicorne, fascinée, voulut s’approcher du diorama vivant qui l’entourait, mais cela ne faisait que lui rappeler qu’il s’agissait d’une projection, même dans ce monde qui ne semblait pas réel. Tout cela n’était que les images d’un souvenir à la fois clair et lointain.
Les membres de cette race ne semblaient pas avoir de sexe ou de genre défini, même si cela ne les empêchait pas de s’aimer, à deux ou plus, et d’offrir des scènes que Twilight osait à peine observer. Ni asexué ni hermaphrodites, c’était à se demander comment ils pouvaient faire perdurer leur espèce… Et la réponse se présenta rapidement, se dessinant sur la fresque aérienne éthérée. Celle qui semblait être leur reine, seul personnage clairement sexué, tenait à chaque fois un bébé différent entre ses sabots. Et chaque fois, comme pour tous ses autres enfants, son regard était chargé d’amour, d’une tendresse infinie. Tant qu’ils pouvaient aimer, ses enfants vivaient, et tant qu’ils s’aimaient entre eux, leur reine pouvait produire de nouveaux membres.
Passé les questions existentielles et purement sociales sur des détails, Twilight réalisa que ce qu’elle admirait ressemblait au délire idéaliste d’un artiste fou, d’un rêve fait par un malade, d’un souvenir trop largement déformé par l’idéalisation. Et pourtant, tout cela lui semblait tellement réel. Elle n’avait pas l’impression d’admirer une fiction, mais plutôt de découvrir le témoignage d’un passé qui aurait réellement existé.
« Partout où je regarde, toutes les scènes sont apaisantes. Les naissances, les morts, les jours fastes, les jours sans miel… tout est fêté avec amour. N’importe qui en deviendrait malade pourtant, une vie est faite d’équilibre, de malheur autant que de bonheur. S’il n’y a pas de contraste, comment pourrait-on apprécier les couleurs ? » questionna-t-elle en reculant, presque terrifiée, avant de se heurter au tronc de l’arbre sur la colline. S’il n’y a pas de contraste, comment peut-on apprécier les couleurs ?... » répéta-t-elle.
Et c’est alors que la réponse se dessina lentement sous ses yeux. D’autres races vinrent s’ajouter au tableau. La reine les accueillait, les acceptait, apaisait les conflits existants et en empêchait de nouveau. Elle rayonnait encore plus fort que le ciel lui-même. Ce ciel qui n’avait pas besoin de soleil pour briller ou être lumineux. Twilight reconnut certaines races, très anciennes, disparues, quelques protoponeys. En réalité, l’espace n’était pas différent se disait-elle, mais seulement le temps. Ces scènes étaient vieilles de plusieurs éons.
C’est alors que, lentement, l’étrange race de lumière se mit à se mêler à leurs invités, s’amusant avec eux, les écoutant, les aimant de toutes les façons possibles… et petit à petit, ils semblaient s’amuser à prendre leurs formes, pour jouer sans doute. Ils avaient cette capacité. Ils intégraient une nouvelle espèce parmi eux et, comme si ça n’était rien, pouvaient en prendre l’aspect. Et petit à petit, l’espace autour de la reine se fit plus mince, ses enfants se firent plus rares sous leurs véritables formes. Et l’infiniment élégante, l’infiniment rayonnante jument sur son trône commençait à trembler, à frémir. Elle portait sur son dos le poids de mille choses, de mille témoignages. À elle seule, elle semblait être le pilier même de l’amour. Cependant, elle présentait de plus en plus de faiblesses.
« Je n’y crois pas, les autres races qui se sont ajoutées avec le temps ont semé la discorde chez ce peuple ? Leur paix était si fragile ?… »
L’alicorne violette s’adossa contre le tronc de l’arbre géant et frémit de tout son corps, faisant fonctionner son esprit à toute vitesse.
« Sans contraste, comment apprécier les couleurs ? » reformula-t-elle comme si cela pourrait l’aider à réfléchir.
Elle voulait comprendre, oubliant presque où elle était et pour quelle raison. Puis la réponse se dessina dans son esprit tandis que les scènes qu’elle venait de voir se jouaient encore et encore, comme pour lui souffler la solution au problème.
« Mais oui… d’autres races ne se sont pas ajoutées… C’est ce peuple-ci qui a changé, qui s’est métamorphosé pour donner naissance aux autres ! déclara Twilight comme dans un éclair de lucidité. Je vois, la chrysalide prend tout son sens, mais pour quoi leur reine est-elle aussi... »
L’alicorne violette tomba sur ses genoux, faisant lourdement teinter le métal de sa prothèse contre le bois des racines de l’arbre géant. Elle était bouche bée, contemplant avec stupeur la reine du peuple de lumière qui se changeait elle aussi petit à petit. Sa peau si douce se craquelait pour devenir rugueuse, sa crinière infiniment soyeuse prenait la texture de vieille algue boueuse, ses yeux se fendaient, ses ailes et le reste de son corps était rongé par un acide invisible. Et au final, son sourire autrefois bienveillant était désormais carnassier et chargé de crocs acérés. Mais pourquoi ? Alors que ses enfants semblaient se transformer aussi naturellement, petit à petit, acceptant et assumant pleinement leurs nouvelles formes… leur reine semblait plutôt avoir été rongé par sa propre transformation, comme si quelque chose en elle s’était brisé et l’avait possédé, à force de frustrations contenues et de sentiments refoulés. Twilight se redressa alors brutalement et fit volte-face, frappé d’un doute monstrueux. Au moins aussi monstrueux que la forme de masse ténébreuse et titanesque que prit soudainement l’arbre au sommet de la colline, déployant sa forme terrifiante en écrasant l’alicorne du regard. Une Chrysalis géante, plus monstrueuse que jamais, se tenait dans une masse de ténèbres informes.
« Je suis l’ombre… le vrai moi ! » gronda la créature.
***
« Le moment est peut-être mal choisi pour dire ça… commença Stray Cat. Mais rétrospectivement, je suis d’accord avec Killer Queen sur un point.
-Là, maintenant, j’ai très envie d’entendre la pensée d’une nécromancienne folle furieuse. Exprima Gold dans un humour sarcastique.
-Oui, surtout en regardant un cimetière rempli de zombis se faire brûler. » ajouta Soft Machine.
Crazy Diamond soupira simplement et secoua la tête avant de bousculer légèrement ses deux amis, comme pour leur dire de se taire et d’écouter.
Cependant, Stray Cat ne se découragea pas le moins du monde et continua d’observer le troublant spectacle.
« Killer Queen disait que les souvenirs sont plus difficiles à préserver et à ressusciter que les morts, et que c’est pour ça que l’on construit des tombes. »
Le silence se fit, n’étant brisé que par les rafales de vent brûlant qui tourbillonnaient autour de la colline, induites par la chaleur des flammes.
« C’est… étrangement vrai et poétique à la fois. souffla Gold Experience.
-Et nous, nous sommes tout le contraire. ajouta Soft Machine.
-Nous sommes des souvenirs ressuscités, mais avec nos propres corps et nos propres sentiments… conclut Stray Cat.
Crazy Diamond se contenta de tomber assis sur ses flancs, faisant légèrement trembler le sol, et croisa ses sabots sur sa poitrine avant de hocher doucement la tête, sa cape se refermant doucement sur lui. Il ne disait rien, ne faisait aucun signe. Mais dans sa tête et dans son cœur résonnait tout de même ces mots : "ne pas pleurer, surtout ne pas pleurer."
Et depuis le ciel, Sticky Fingers observait la ville désormais paisible, la colline désormais détruite, et ne trouvait pas les mots pour exprimer ce qu’il ressentait.
« Maman… gémit-il seulement en se serrant contre l’imposante dragonne qui continuait de voler en cercle.
-Profites-en bien, car c’est la première et la dernière fois que je te laisse m’appeler ainsi. » grogna Sad Songs en s’éloignant vers la forêt, planant doucement.
***
Chrysalis Recula vivement, rétractant ses tentacules et respirant très fort, à bout de souffle, épuisée, les yeux écarquillés et l’air choqué. Pendant un bref instant, elle tenait plus du chiot apeuré que du monstre insectoïde envahisseur. Elle recula même d’un unique pas lorsque Twilight tenta de s’approcher d’elle.
« Ne remets plus jamais les sabots dans mon monde intérieur !! s’égosilla la changeline. Ou je te réserve un sort bien pire que la mort !!
-C’est ton sort qui est pire que la mort. commenta Twilight qui revenait à peine dans le monde physique.
-Tais-toi ! Tu ne sais rien !
-Laisse-moi y retourner, je dois défaire ton ombre… souffla l’alicorne.
-Jamais ! Ne t’approche pas de moi !!
-Je dois réveiller cette petite chrysalide…
-Arrête de parler !! » s’écria de nouveau la reine.
Cette fois-ci, ses mots furent accompagné d’un puissant rayon de magie qui fusa droit sur l’alicorne violette. Cette dernière n’avait cependant pas la force de contrer ou d’esquiver. Son énergie avait été entièrement dépensée pour ouvrir une porte vers l’âme de son ennemie. Si elle pouvait encore l’appeler ainsi. Cependant, le hasard, ou une légère hésitation de la part de Chrysalis, fit que le rayon se contenta de frapper la prothèse de Twilight, qui vola en éclat, écorchant la peau de sa porteuse avec des éclats de métal. Cependant, cette dernière ne bougea pas, se contentant, de faire un autre pas, maladroit, en direction de la changeline.
« Je te promets… je te jure que je vais te sauver.
-Je tuerais tes amis sous tes yeux ! J’ai déjà tué des poneys qui étaient tes amis ! menaça la changeline. J’ai consommé l’amour de ton frère en le trompant simplement sur mon apparence physique ! Est-ce que ça ne prouve pas que tes sentiments sont vains ?! Maintenant j’ai changé d’avis ! Je ne veux plus de toi comme couveuse ! Je pondrais mes œufs ailleurs !
-J’ai vu ton ancien royaume… tu sais sans doute mieux que moi ce qu’est l’amour. Et tu sais d’autant plus que ça n’est pas vain. répondit Twilight, qui luttait pour tenir debout. D’ailleurs, ton vrai nom…
-Si tu le dis… si ces sons sortent de ta bouche… je détruirais jusqu’à ton âme !!
-Tu n’es qu’une ombre qui a fini par dominer son hôte. Elle n’a jamais compris qu’elle devait t’accepter et non te combattre. Mais elle pensait au bien de son peuple.
-Tu mens ! Je suis la vraie moi !
-La vraie ? Alors tu ne m’en voudras pas si je t’appelle... »
Les lèvres de Twilight bougèrent pour formuler ses mots, ce nom qu’elle avait entendu résonner en elle tandis qu’elle était éjectée de l’âme de la changeline. Ce nom qui était paradoxalement crié par une voix muette enfermée dans une chrysalide. Et au moment où ce nom fut prononcé par l’élément de la magie, la reine fonça de toutes ses forces et, sans savoir pourquoi, gifla celle qu’elle avait juré de tuer. Une simple gifle, tellement empreinte de colère et de détresse qu’elle en devenait plus douloureuse pour elle que pour celle qui la recevait.
« Non, ne m’appelle plus comme ça…! Ce n’est pas la vraie moi !
-Allons, pardonne à tes enfants de t’avoir quitté. souffla Twilight.
-Mais tais-toi !
-Pardonne-leur d’avoir changé.
-Arrête ça ! C’est complètement ridicule ! Ma colère est justifiée ! Tu me prends pour une enfant ?! hurla la reine.
-Mais surtout… pardonne à toi même de ne pas avoir pu empêcher tout ça. continua l’alicorne comme si elle récitait un poème.
-Bon sang ! J’ai régné des milliers d’années sur un peuple fait d’amour ! Mais ce que j’entends de ta bouche, ce sont des niaiseries sans noms ! vociféra Chrysalis en plaquant ses sabots contre ses tempes.
-C’est justement cela. expliqua Twilight. Ton peuple était tellement parfait qu’il a voulu changer, devenir imparfait et primitif pour le plaisir d’évoluer de nouveau vers la compréhension. Et si ce que je te dis te semble ridicule, c’est que l’on est très loin d’avoir compris. Et c’est une bonne chose. Redécouvrir ce qu’est l’amour à travers les épreuves de l’incompréhension, à travers plusieurs vie mortelles, à travers une civilisation et non pas un individu…
-Oui mais pourquoi ?… souffla Chrysalis à bout de forces. Pourquoi, alors que tout était parfait ? Pourquoi ont-ils voulu changer ?
-Pour une simple raison. murmura Twilight. Parce que sans contraste… comment peut-on apprécier la beauté des couleurs ? »
Chrysalis sentait son pouvoir lui échapper. Elle sentait que ses cadavres infectés avaient tous cessé de lui envoyer de la puissance, d’un seul coup. Elle sentait ses larmes et son hémolymphe s’écouler par ses yeux, elle avait envie de vomir. Elle avait envie de tuer Twilight Sparkle. Elle avait envie de lui faire vivre bien pire, elle avait envie de la faire souffrir autant qu’elle-même.
« C’est pour ça que Tartarus ne t’a pas emporté tout à l’heure… Parce que tu n’es qu’une ombre. Ton âme véritable est trop bienveillante. C’est la malédiction que tu t’es jetée pour te punir d’avoir laissé ton peuple te quitter. »
Chrysalis sentit soudainement l’aura qui émanait de Twilight Sparkle, jusque là impalpable, l’envelopper entièrement. Elle sentait la terre respirer et gronder sous ses sabots, et le ciel était illuminé par une immense rivière. La rivière des âmes, celle-là même qui donnait autrefois son éclat au ciel, en un temps où le soleil et la lune n’existaient même pas, elle la reconnaissait. Mais maintenant, cette rivière était réservée au monde des âmes. Ressentir chaque petite chose comme une vie palpitante faite d’amour était désormais hors de portée du premier venu. C’était injuste. C’était une régression.
« Et qu’est ce que tu comptes y faire ?! s’écria la reine. Me vaincre ? Restaurer l’ancienne moi ? Tu en es incapable ! J’ai vécu à une époque oubliée, remplie de notions que tu ne connais même pas, et d’autres que tu peux tout juste nommer bêtement sans les comprendre !! s’égosilla-t-elle en se dressant de toute sa hauteur. Réponds-moi Twilight Sparkle, puisque tu as tout vu ! Quel remède comptes-tu me donner ?
-La mort. »
À ces mots, Twilight utilisa sa dernière étincelle de magie pour trancher la tête de Chrysalis. Mais elle était trop faible, alors elle ne fit que l’égorger, le liquide verdâtre courant les veines de la changeline se répandant sur son pelage violet.
« Pardon, tu vas mourir lentement… je suis désolée si ça fait mal. Mais c’est comme ça que je t’exprime ma sympathie. C’est ainsi que je mets fin à ta punition. Je rends ton âme à la rivière, et je guetterais ton retour. J’irais te chercher où que tu sois, où que tu te réincarnes. Alors je te prendrais avec moi et je t’élèverais comme mon enfant. Et chaque jour un peu plus, j’apprendrais le sens de l’amour, et j’en abreuverais ton âme afin de la soigner. »
Et ce fut sûr ces mots que Chrysalis ferma les yeux, habituellement emplis de haine, pendant une fraction de seconde reconnaissante. Son âme quitta finalement son existence terrestre meurtrie par des millénaires de douleur. La douleur d’une mère dont les enfants se sont éloignés, la douleur d’une reine qui voit son peuple régresser, la douleur d’une ancienne déesse de la vie, qui a dû accoucher dans la souffrance d’un nouveau peuple et d’une nouvelle civilisation.
« Je fais un vœu. murmura Twilight qui tremblait déjà de son geste. Je fais un seul vœu ! articula-t-elle un peu plus fort. Je souhaite que ce cycle de guerre se termine maintenant… et que cette histoire prenne fin. »
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