Twilight fut tirée d’un rêve agréablement absurde – une histoire idiote de miroir magique et de chien qui parle – par la poigne énergique de sa camarade de cellule. Encore engourdie de sommeil, l'universitaire avait du mal à distinguer la différence entre les cheveux noirs d'Ember et les ténèbres du petit matin.
_Réveille-toi. Faut se grouiller si tu veux de l'eau chaude.
Twilight faillit répondre qu'elle préférait dormir encore un peu, et tenta de retrouver l'étreinte confortable de son oreiller, mais Ember ne lui laissa guère le choix, la saisissant au poignet, et la traînant littéralement hors de sa couchette.
_Tu me remercieras plus tard, lança doctement la jeune femme, qui tapait du pied d'impatience devant la porte de leur cellule.
Une sonnerie plus tard, la porte s'ouvrait, un battement de cœur plus tard, Ember et Twilight étaient dans le grand couloir. D'autres tandem de prisonnières sortaient de leurs propres cellules, l'air aussi éteintes que l'universitaire. Dans cette masse encore engluée de fatigue, seule Ember semblait à peu près alerte.
_Y rationnent l'eau chaude, expliqua t-elle alors qu'elle les guidait à pas rapide vers les salles d'eau, mais y a pas d'ordre. C'est première arrivée, première servie. Si tu veux pas découvrir le réveil aux glaçons, t'apprends à foncer dès le lever.
_L'eau froide me dérange pas, répondit Twilight, qui sentait enfin ses neurones s'aligner en un semblant de quelque chose.
_Ca se voit que t'es encore une bleue, gamine, gloussa Ember sans diminuer le rythme. Parce qu'ici, c'est pas le genre à te filer des peignoirs qui chauffaient sur le radiateur. Enfin je crois qu'y en vendent au magasin...mais ça coûte une blinde. Enfin bref.
_Je t'ai pas vue hier, au dîner ?
_Ouais, j'avais demandé l'autorisation d'aller me faire couler un peu d'eau sur la gueule, histoire que je pue pas trop la mort cette nuit, tu vois ? Normalement on a pas accès aux douches en dehors des heures du matin, mais les gardiens sont pas trop chiants. Y a toujours moyen de s'arranger.
_Mais t'as pas mangé du coup ?
_Je m'étais fait mettre une part de côté. J'ai graillé en revenant des douches. Mais c'était mieux comme ça : c'était Dash qui surveillait la cantine, pas vrai ?
Twilight hocha la tête, racontant l'incident de la veille avec la végétarienne. La langue d'Ember résonna en un claquement désapprobateur alors qu'elles pénétraient dans une pièce carrelée de blanc.
_La salope. Je te jure que si je me tapais perpet, avec aucune chance de sortir, j'aurais suriné cette pute dès le premier jour.
Twilight déglutit. Ember n'avait pas l'air de parler métaphoriquement, elle semblait des plus sérieuse. Et vu ce qu'elle avait fait à son ancienne compagne de cellule pour une histoire de lit superposé, l'universitaire la voyait tout à fait capable de poignarder une gardienne tyrannique.
Elle ne savait pas ce qu'avait fait la brune pour se retrouver derrière les barreaux, mais Twilight avait de bonnes chances de supposer que son tempérament de feu y soit pour quelque chose.
Ember avait beau les avoir pressées, elles n'étaient pas les premières arrivées. D'autres filles, dont Applejack, étaient déjà sur place.
Twilight marqua un pas en avant pour la saluer, tout de suite retenue par la main d'Ember :
_Coupe pas la file, gamine.
La sportive était intervenue à temps, car déjà, la détenue de devant se retournait avec un regard noir.
_T'es pressée la bourge ? Tu crois que t'es meilleure que nous, et que ça te donne le droit de nous griller ?
_Elle savait pas et voulait pas manquer de respect. Alors vu que t'es pas trop conne, tu comprends, tu l'excuses, et tu la laisses tranquille, Glimmer, asséna sèchement Ember, ou je botte ton sale cul de rouge.
_T'as un problème contre la redistribution des richesses camarade ? demanda l'autre, une mauvaise lueur dans l'oeil
_Et toi contre la collectivisation des bourre-pifs dans ta gueule, ma pote ?
Les deux femmes se toisèrent un instant avant que Glimmer ne jette un œil derrière elles, n'esquisse un sourire, et se détourne. Suivant son regard, Twilight vit une gardienne se positionner à l'entrée des douches, où la file commençait à avoir de l'importance.
_Evite de sortir des clous pendant tes premières semaines, conseilla Ember à voix basse. T'es encore une bleue, et pas mal de filles ici sont assez chiantes quand tu te permets des trucs. Certaines plus que d'autres.
Twilight opina du chef. Se tenir à carreau, c'était à peu près ce que lui avaient conseillé Heartstrings et Massala au dîner hier soir, mais semblait-il ça s'appliquait aussi entre détenues. Avec le recul, c'était plutôt logique. La prison était un cercle social comme un autre, avec ses règles et ses codes, et il valait mieux les respecter si on voulait éviter que ça chauffe.
A bien des égards, les douches faisaient penser à celles d'un gymnase ou d'une piscine, avec des uniformes orange, et un gardien avec une matraque en plus. La partie strictement dite se composait d'un léger renfoncement avec une grande bonde grillagée, et quatre pommes de douches desquelles de l'eau coulait en permanence. Certaines détenues avaient leur propre shampoing et savon en main, quand d'autres devaient sans doute juste se contenter d'eau.
_Y a pas de rideau ? découvrit Twilight avec un frisson de malaise.
_Tu t'es crue au Ritz ? questionna sa camarade avec un ton gentiment moqueur. Y nous surveillent tout le temps quand on est dans les parties communes, pour qu'on s'entretue pas, ou qu'on prépare pas un plan d'évasion. Y a que dans les cellules qu'on est un peu tranquilles. Et encore, le rideau pour les chiottes y m'a coûté je sais pas combien de jours d'atelier.
Comme les autres prison fédérales, Tartarus offrait la possibilité à toute prisonnière de disposer d'un compte en banque interne, sur lequel on pouvait déposer de l'argent à son entrée en prison, et l'alimenter régulièrement en participant à des actions volontaires au sein de la structure, comme tenir la cuisine ou faire le ménage. Cet argent était ensuite dépensé au magasin principal, où les détenues pouvaient s'acheter de quoi améliorer le minimum fourni par l'Etat. Twilight se demandait s'ils engageaient des prisonnières comme professeurs. Elle avait toujours entendu parler de détenus qui suivaient des cours de droit, ou de langue. Y devait bien avoir quelques filles qui seraient prêtes à suivre des cours de science dans le lot.
Petit à petit, la file avançait, au déplaisir de l'universitaire. Hier, elle avait pu ravaler son malaise parce qu'elles n'étaient que trois, et qu'elle avait pu garder ses sous-vêtements, mais là, se mettre nue devant tout le monde...
Elle avait l'air d'être une des rares à se soucier de ce genre de choses, la plupart des prisonnières laissant tomber leur serviette pour aller se laver sans un regard pour leurs codétenues. Sans doute étaient elles plus habituées à la vie de groupe.
Une agitation se forma derrière Twilight, et avant qu'elle eut vraiment le temps de comprendre, deux détenues lui passaient devant. Se rappelant la réaction de Glimmer un peu plus tôt, désireuse de reproduire un comportement social qui lui semblait accepté, l'universitaire ouvrait la bouche et s'apprêtait à protester avant d'être brutalement réduite au silence par la main d'Ember sur ses lèvres.
Le look de la fille qui marchait en tête était des plus atypiques : bardée de piercings, anneau dans la narine, elle avait de longs cheveux teints en rose vif, et la tempe gauche rasée au dessus de l'oreille. Elle évoquait beaucoup plus la punkette qu'on croisait sur le parking d'un supermarché en train de descendre des cannettes de bière que la détenue d'une prison fédérale.
Malgré ce style visuellement agressif, elle ne semblait pas inamicale, si l'on exceptait le fait qu'elle remontait la file. Elle se déplaçait normalement, portant son tranquille regard bleu ciel autour d'elle. Les autres filles marquaient très clairement une distance de respect, certaines allant même jusqu'à baisser la tête en sa présence. Même Glimmer, si nerveuse un peu plus tôt semblait avoir avalé sa langue.
La détenue qui fermait la voie en revanche, géante noire à la crête iroquoise, était beaucoup moins affable. Ses muscles saillaient largement sous son uniforme orange, au matricule 9327, et elle donnait l'impression d'être capable de briser n'importe laquelle des filles présente dans les douches sur son genou.
Le duo progressa jusqu'à arriver aux douches, juste au moment où Applejack s'avançait dans le renfoncement, en compagnie de trois autres détenues.
_Place, grogna la géante d'un ton qui n'appelait aucune réponse. Madame Pie veut prendre sa douche.
A peine avait-elle parlé que les trois détenues s'éparpillaient comme une nuée d'étourneaux effrayés.
Applejack en revanche, restait en place, une petite bouteille de shampoing à la main. Quelques secondes passèrent, seconde mises à profit par la punkette pour commencer à se déshabiller.
_Tu m'as entendue ? lança la femme à la crête à Applejack qui laissait l'eau amalgamer ses cheveux en gros paquets blonds. Dégage.
_J'étais là avant, partenaire, répondit l'autre de son accent paysan, donc je me lave avant. Et puis elle peut venir si elle veut : y a encore trois douches de libre.
Son interlocutrice ferma le poing, et amorça un pas en avant, retenue presque immédiatement par la punkette, qui luttait pour se dégager de son tshirt.
_Du calme Zecora, dit-elle d'une voix très aimable, et un peu enfantine. Je crois que notre amie est nouvelle ici, elle ne peut pas encore tout savoir.
Pie était maintenant à demi-nue, révélant un corps bardé de tatouages colorés. Twilight devait bien considérer que si elles devaient faire la même taille, là où s'était toujours vue comme filiforme, la punkette était toute en courbes.
_Je m'appelle Pinkamena Diane Pie, lança t-elle, avançant doucement vers la blonde. Je suis ici depuis un peu de temps, et je ne te cache pas avoir mes petites habitudes. Par exemple, j'aime bien avoir deux parts de dessert le soir, même si c’est un plat que je n’aime pas spécialement. Je fais toujours une heure de sport le jeudi dans la cour, et je me récupère en m’allongeant par terre et en regardant les nuages. Et le matin, j'apprécie particulièrement avoir les douches pour moi toute seule. Tu sais, j'ai grandi dans une ferme, un coin paumé assez loin d'ici. Les parents, trois sœurs, ambiance livre saint, coups de ceinture et carabine...tu vois le tableau. Pas grand chose à cultiver dans les environs, m'est avis que si on aurait lancé une ferme de cailloux, on s'en serait pas plus mal sortis. Mais voilà, on était assez pauvres, et pour économiser, on se lavait avec la pluie qu'on récupérait dans un tonneau.
Pie semblait partie dans un vraie monologue, ignorant complètement qu'elle était à moitié nue devant une Applejack qui l'était tout à fait, et que l'eau des douches trempait son pantalon orange.
_Donc forcément, à six, un seul tonneau...c'était pas génial pour prendre le temps de se laver. Surtout qu'on chauffait pas, c'était une perte d'énergie, selon mon père. Alors ça a été l'eau de pluie jusqu'à...ce que je parte de chez moi. Je te jure que j'ai découvert la douche chaude qu'après avoir déménagé à la ville. Ah ! J'y ai passé tellement de temps la première fois que j'ai dû me faire des cloques. Et plus tard, même quand j'avais de gros soucis d'argent, même quand j'avais presque plus de quoi manger, je me débrouillais pour avoir ma douche chaude. Parce que c'était important pour moi, tu vois ? Ce moment où j'étais seule, tranquille, ou je pouvais me relaxer et oublier mes soucis...c'est pour ça que j'essaye aussi de retrouver ça ici. C'est une question de principe. Et comme c'est une question de principe, tu vas pas faire d'histoire et dégager vite de là, pas vrai ?
_J'ai aussi grandi dans une ferme, répondit Applejack, se shampooignant les cheveux Et ça m'est aussi arrivée de me laver avec l'eau du dehors. J'ai connu ça, et c'est vrai que c'est pas génial. Mais c'est pas ça qui te donne le droit de virer les gens pour leur passer devant. Tu veux les douches pour toi toute seule ? Lève toi à quatre heures du mat', et démène toi un peu. On a rien sans effort ma grosse. Récolter ce qu'on a semé, c'est la base de tout, tu dois connaître si t'as travaillé la terre, non ? Même si avec tes cheveux roses, tu devais être plus épouvantail que fermière.
Zecora lança un juron, mais encore une fois, fut arrêtée d'un geste par Pie, qui laissait Applejack finir sa diatribe.
_Je sais ce que tu es, Pie. T'es une de ces outres pleine de vent, tu te balades dans les couloirs avec ton air suffisant et ta chienne de garde pour foutre les jetons à ces pauvres filles. Tu vaux pas mieux que le caïd de la cour de récré, à terroriser parce que t'es trop faible pour porter tes couilles et te battre. T'es habituée à ce qu'on se couche devant toi, sauf qu'aujourd'hui, t'es tombée sur celle qui pliera pas. Alors t'attends respectueusement que j'ai fini de me laver les cheveux, et tu pourras y aller après si ça te chante, poufiasse.
Un frisson parcourut la file à l'entente de l'insulte.
_Ah là là là, se lamenta Pie, la tête entre les mains. C'est dommage. C’est vraiment dommage.
Elle se fendit soudainement, et sans prévenir, frappa d'une manchette à la gorge. Par réflexe, Applejack porta ses mains à son cou. Une frappe dans le creux du genou la fit vaciller et perdre l'équilibre, avant que Pie ne s'empare de son crâne et ne le fracasse contre le mur de la douche.
Bam, la tête de la blonde cogna avec violence contre le carrelage blanc.
_C'est...
Bam, les doigts s'ouvrirent seuls et laissèrent échapper la bouteille de shampooing.
_...vraiment...
Bam, du rouge venait se mêler à l'eau mousseuse, la colorant de rose.
_dommage.
Pie relâcha son emprise, laissant son adversaire s'effondrer à ses pieds comme une poupée de chiffon. Muette de stupeur, Twilight chercha des yeux la gardienne qui avait totalement disparu. La confrontation n'avait pas dû durer plus de dix secondes.
La punkette, entreprit de se déshabiller totalement, enjamba le corps agité de convulsions d'Applejack et se lava méthodiquement, frottant pour enlever le sang de ses mains, sous le regard médusé de l'assistance.
Une fois propre, elle retourna auprès de Zecora qui avait rassemblé ses affaires, et lui tendait un peignoir de bain épais dans lequel elle s'enroula.
_Vraiment dommage, répéta t-elle à l'adresse du corps qui bougeait de moins en moins. Je suis sûre qu'on aurait pu être copines toutes les deux. Tant pis. Dans une autre vie, qui sait ?
Elle s'éloigna à petits pas, sa garde du corps sur les talons. Ce ne fut qu'une fois le duo parti que Twilight se rendit compte qu'elle n'avait pas quitté l'emprise d'Ember de toute la scène, et qu'elle lui avait sans doute broyé le bras à force de le serrer.
Comme par magie, les matons refaisaient leur apparition, avec un brancard, des ordres fusaient, des mentions d'infirmerie. Ils chargèrent le corps sur la civière, et disparurent au pas de course. Quelques bruissements plus tard, la file reprenait son cours, comme si l'incident n'avait jamais eu lieu. Quand cela fut son tour, mécaniquement, sans penser aux autres, Twilight se déshabilla et marcha droit sous l'une des pommes de douche.
_J'oubliais la règle de base, entendit-elle Ember d'une voix un peu serrée par dessus le bruit de l'eau. T'opposes jamais à PDP, meuf. Jamais. Ou tu tiens pas cinq minutes.
Les yeux de l'universitaire accrochèrent une mèche de cheveux blonds rougis, coincés sur le bord de la bonde d'évacuation.
_Merci Ember, répondit Twilight, un peu de bile au fond de la gorge. Je crois que je m'en souviendrai.
***
Le reste de la semaine se déroula sans incident notable. Twilight commençait à trouver son rythme dans cette terre étrangère qu'était la prison. N'étant pas encore inscrite aux heures de travail volontaire, elle passait la plupart de son temps dans sa cellule, ou à la bibliothèque. Les ouvrages y étaient défraîchis, et le rayonnage des sciences, anémique quand elle repensait à celui qui était à sa disposition à l'Université. Mais c'était ça ou mourir d'ennui entre quatre murs. Les heures en commun, que ce soient les repas, ou les promenades dans la cour se passaient globalement bien, en compagnie d'Heartstrings, Massala ou Ember. La sportive n'était jamais la dernière pour montrer les dents quand une détenue cherchait des poux à l'universitaire. Twilight lui avait un soir posé la question : qu'est-ce qu'elle gagnait à la défendre dès que les choses chauffaient ?
_Meh, avait répondu la criminelle en haussant les épaules, je sais pas trop. Solidarité entre copines de cellule ? Plus sérieusement, tu vas me trouver un peu conne, mais quand je suis arrivée ici, j'étais totalement perdue. Dans mon quartier, sur ma bécanne, j'étais une putain de tueuse, mais en taule, je connaissais rien, ni personne. J'ai cassé quelques gueules pour me faire respecter, et ça a pas trop mal marché. Une fois que ça c'est calmé pour moi, je me suis dit que ce que j'avais appris pouvait bien servir à deux trois bleues. Les aider à éviter deux trois dégelées, tu vois ? Histoire que je fasse au moins quelque chose de bien une fois dans ma chienne de vie.
Ember se voyait donc en sorte de maman poule de la prison, et avait pour l'instant étendu son aile protectrice à Twilight. Pas que l'universitaire s'en plaigne.
Au sein de la prison, les détenues ne parlaient qu'à demi-mot de l'incident des douches. Heartstrings affirmait que l'infirmière avait dit qu'Applejack était dans le coma, quand d'autres prisonnières juraient que la blonde était morte. Twilight ne pouvait s'empêcher de penser à ce paradoxe du chat, à la fois mort et vivant, et de trouver que la métaphore était hélas bien trop belle.
Pie ne se mêlait que peu au reste des détenues, si ce n'était le matin, à l'heure de la douche. Plus personne ne protestait quand elle passait devant. Twilight devait bien avouer qu'elle avait toujours l'impression de voir un peu de rose dans l'eau mousseuse, ce qui lui nouait le ventre, et l’empêchait d’avaler la moitié de son petit déjeuner, à la grande joie de ses camarades de table qui se faisaient un plaisir de ne rien gâcher.
Un matin, elle somnolait sur sa couchette, une pile de livres à portée de main lorsque la porte s’ouvrit, révélant la petite silhouette de Dash.
_Sparkle, t’es attendue au parloir.
Twilight se redressa brusquement. La réalisation la frappa brusquement : on était déjà le jour des visites ? Elle sentit une pointe d'excitation naître au creux de son ventre. Ca voulait dire qu'elle allait enfin la revoir.
La gardienne en chef la guida à travers une partie de la prison qu’elle ne connaissait pas encore. Twilight profita de ces quelques minutes de marche pour observer la matonne. C’était étrange. Toutes les prisonnières décrivaient Dash comme la dernière des pourritures, mais l’universitaire avait du mal à se faire à cette idée. Elle ne collait pas au profil du tyran, mais il était vrai que les cheveux arc en ciel n'aidaient pas à bâtir une image de caïd.
Bien sûr, Twilight avait été témoin du traitement que Dash avait infligé à la pauvre Daisy, mais sorti de cet incident, Dash semblait bien se comporter. Il lui avait même semblé la voir plaisanter avec quelques détenues trois jours plus tôt.
_La visite est limitée à cinq minutes, expliqua la femme aux cheveux arc-en-ciel, ouvrant la porte d’une petite cabine. Après faut laisser la place aux autres. M’oblige pas à venir te traîner par les cheveux hors du parloir, parce que je le ferais.
Twilight la croyait sur parole.
Dash ferma la porte derrière elle. La cabine en tant que telle était un lieu exigu, d’un blanc médical, avec un tabouret chromé rivé au sol, et une vitre de sécurité qui séparait le reste de la pièce. Sur le côté, un de ces combinés de téléphones à fil qu’on ne trouvait plus que dans quelques rares endroits publics. Et en face, le diamant de Twilight. Sa petite amie, Rarity.
La couturière arborait la robe à pois qu'elle avait ramené d'un déplacement sur le Vieux Continent, ce qui lui donnait cet air fifties juste assez rétro pour être tout à fait chic. Rarity croisait les jambes, dévoilant ainsi ses bas, ces collants noirs interminables que Twilight avait adoré dès le premier jour où elle les avait vus, et qui la faisaient frissonner chaque fois que sa compagne les ôtait.
L'universitaire soupçonnait sa petite amie de s'être vêtue ainsi, juste pour la provoquer un peu. Rarity ne se lassait jamais de minauder et de séduire Twilight quand bien même elles auraient normalement bientôt dû fêter leur second anniversaire.
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La présence des barreaux de prison ne changeait semblait-il pas cette habitude.
Bien qu’elle ne puisse pas en juger, Twilight était sûre que Rarity était mille fois plus élégante que les autres visiteurs. La plupart devaient être en jogging ou en tenue passe partout. Personne ne devait avoir le chic de la couturière.
_Je suis contente que tu sois là, souffla la détenue, oreille sur le combiné et main plaquée contre la vitre de séparation.
_Tu veux vraiment qu'on la joue comme dans les séries policères, hein ? répondit gentiment sa petite amie en imitant son geste, superposant sa paume sur la sienne. Le coup des mains sur la vitre du parloir, c'est tellement cliché, chérie...tu voudras que je t'apportes une lime dans un gâteau d'anniversaire la prochaine fois, histoire d'aller jusqu'au bout de l'idée ?
Twilight était physicienne et connaissait les distances. Techniquement, Rarity et elle n'étaient séparées que de l'épaisseur de la vitre, soit quelques dizaines de millimètres, une poussière négligeable à l'échelle humaine. Mais c'était bien parce que cette distance était infranchissable que ces quelques millimètres auraient tout aussi bien pu être des téramètres. Twilight avait l'impression de regarder une planète à travers l'objectif d'un télescope, si proche qu'on aurait cru la toucher, mais en fait, si loin que trois vies humaines auraient à peine suffi à faire la moitié du voyage.
_Si c’est pas toi qui fait le gâteau, je ne dis pas non, pouffa Twilight.
Aucune des deux n’arrivait à comprendre comment une jeune femme aussi habile de ses mains quand il s’agissait de patrons et de tissus, devenait un tel désastre quand elle maniait des oeufs et de la farine. Toutes ses pâtisseries finissaient inévitablement gâchées, que ce soit par le mauvais dosage d’un ingrédient, ou par un oubli prolongé au four. Au fil de leur histoire, la relation compliquée de Rarity d’avec les desserts était devenue un de leurs sujets de plaisanterie récurrent.
_Tu me manques, tu sais ? Et à Opal aussi.
_La même Opal qui m'avait griffée les jambes au sang la première nuit que j'avais passée chez toi ? demanda Twilight d'un ton pince sans rire.
_Elle n'avait pas beaucoup aimé que tu la chasses de la chambre pour qu'on soit tranquilles. C'est une chatte un peu attachée à son territoire, expliqua Rarity, un sourire ourlant ses lèvres maquillées de grenat.
L'animal de compagnie de Rarity avait beau être sans doute le pire félidé jamais vu sur Terre, Twilight aurait donné son bras pour revoir la boule de poils blanche ici et maintenant. Parce qu'au moins, ç'aurait voulu dire qu'elle était à la maison.
_Tu tiens le coup ? demanda Rarity, d'un ton plus sérieux.
Twilight hésita à lui répondre. Que devait-elle citer ? La promiscuité perpétuelle avec des centaines d'autres détenues, elle qui avait toujours du mal face aux regards extérieurs ? La gardienne qui avait forcé une végétarienne à manger de la viande jusqu'à ce qu'elle en vomisse ? Le fait que la personne avec laquelle elle avait été incarcérée, et commencé à nouer un lien s'était faite fracasser la tête dans les douches par une espèce de psychopathe aux cheveux roses ?
_Ca peut aller, éluda Twilight d'une voix un peu serrée.
A quoi cela servirait-il de dire la vérité à Rarity ? Juste à l'inquièter davantage, et de là où elle était, ce n'était pas comme si la couturière pouvait faire grand chose.
_Mes livres de science me manquent. Tu crois que tu pourrais voir avec les gens de la prison pour que tu les transfères ici ?
La couturière brune hocha la tête avant d'ajouter :
_Il y a autre chose que tu aurais besoin ?
_Te toucher, répondit Twilight abruptement, sentant le rose lui venir aux joues. M'enfouir dans tes cheveux pour sentir ton odeur, t'embrasser sur le cou, et sucer ta langue.
Twilight elle même était surprise de la crudité de sa déclaration. Elle avait du mal à verbaliser ses désirs, d'ordinaire.
_Et bien, répondit sa petite amie avec un sourire entendu, tu devrais faire de la prison plus souvent. Tu es plus directe, j'aime bien.
_J'y suis déjà pour trois ans, je pense que ça suffira amplement.
Avant que Rarity ne puisse répondre, la porte derrière la détenue se rouvrit.
_Sparkle, c'est le tour de tes petites camarades, annonça Dash. Dis au revoir à ta copine et libère la place.
_Je serais là la semaine prochaine, promit la couturière. Et je vais essayer de t'apporter tes livres.
Twilight la remercia d'un signe de tête, et se prépara à raccrocher. Elle préférait encore un au revoir un peu brusque, au déchirement d'une séparation qui ne finissait pas.
_Juste...demanda sa compagne avant qu'elle n'ôte le combiné de son oreille. Dis moi. Faire ce que tu as fais, sachant que ça t'éloigne de ta vie là dehors, et de moi pendant trois ans...si tu avais le choix, tu le referais ? En sachant finalement comment ça se terminerait ?
Twilight n'allait pas mentir, elle se posait la question depuis qu'on lui avait passé les menottes. Elle ferma les yeux une seconde, s'immergeant dans la prison, dans son odeur d'amoniaque, dans ses murs défraichis et dans ses détenues hors de contrôle.
_C'est pas comme si j'avais eu le choix, répondit-elle laconiquement en reposant le téléphone sur son socle.
***
La cellule de Pinkamena Diane Pie évoquait l'union baroque entre le monde idéal d'une petite fille de six ans, et les tréfonds de l'âme humaine : l'essentiel de la pièce était couverte de tafetas rose bonbon, de dessins d'arc en ciel et de licornes, et une armée de peluches était allignée le long de la fenètre. Cela aurait été simplement puéril, si un mur entier de la cellule n'était pas placardé de polaroïds, représentants des gens déchiquetés après un accident de la route, des victimes de tueries de masses aux quatre coins du monde, ou des timelapse de corps qui se décomposaient à la morgue.
Twilight était très loin de se sentir à l'aise. Le malaise avait commencé quand la garde du corps de Pie était venue la chercher pour lui dire que sa patronne voulait la voir. En suivant Zecora jusqu'à la cellule de Pie, Twilight avait eu l'impression de monter à l'échafaud.
Allongée sur un grand lit recouvert d'une couverture rouge sang, la punkette était absorbée dans la lecture d'un roman dont Twilight ne pouvait voir le titre, mais qui, si elle en jugeait par la quatrième de couverture représentant un belâtre ténèbreux, enlacer une pimbèche à forte poitrine, devait être digne des meilleurs romans de gare jamais rédigés.
_Boss ? Sparkle est là, annonça l'africaine de sa voix caverneuse.
_Ouais, ouais, une seconde, Zec, lui répondit sa patronne, agitant une main l'air de dire “un moment”. Laisse moi finir cette scène. C'est là où la nana comprend que le type l'a trompée avec sa soeur quand ils étaient partis à Venise négocier le contrat pour sauver leur entreprise des magouilles de son ex.
Twilight fit la moue. Cette intrigue à tiroir ressemblait bien trop aux soaps idiots que Rarity avalait par paquets entiers – avec autant de pots de glace sans jamais dépasser ces petits kilos en trop qui faisaient tout le charme de ses hanches – pour qu'elle s'intérésse à cet erzast de scénario. Même la garde du corps de Pie n'avait pas l'air spécialement enchantée :
_Je préférais l'histoire où le zèbre était sa propre monture, déclara t-elle cryptiquement.
La cellule plongea dans le silence, régulièrement troublé quand l'occupante des lieux tournait les pages de son roman. C'était à se demander si elle avait oublié la présence de Twilight.
Puis soudainement, Pie expédia le livre à terre, et d'un bon, se projeta quasiment sur Twilight, qui dut faire de son mieux pour ne pas hurler, écouter son instinct et se dégager d'un coup de poing.
La femme aux cheveux teints la scrutait avec attention, un peu comme si elle avait été un genre d'animal sauvage inconnu. Twilight croisa son regard et fut impressionnée par le bleu absolu de ses yeux. Elle sentait la farine et le sucre.
Brusquement, aussi soudainement qu'elle avait quitté son lit, Pie retourna s'y allonger, fouillant dans un sac plastique accroché à l'un de ses montants.
_On va pas tourner trop longtemps autour du pot parce que j'ai pas ton temps, annonça t-elle en se saisissant d'une poignée de bonbons et les avalant tout ronds. J'ai besoin de quelqu'un pour faire un travail, et je pense que t'es la plus qualifiée. Donc je t'engage.
_Quoi ? répondit une Twilight incrédule, alors que Zecora lui remettait un petit carnet à spirales, ainsi qu'un crayon à papier.
_Vérifie que les comptes du mois dernier et de ces dernières semaines correspondent à ce qui est marqué à la fin. Si y a une erreur, trouve moi la somme qui manque, et où est-ce qu'elle est passée.
_Vous voulez que...je fasse un travail de comptable ?
_Bah oui, répondit Pie d'un ton d'évidence en haussant les épaules. T'es tombée pour fraude fiscale, non ? Et je crois que t'étais prof de calcul dehors ? Les maths ça te connait.
_J'ai été condamnée pour détournement de fonds, rectifia Twilight, et j'étais directrice du département de physique à l'Université. Les mathématiques que je connais n'ont rien à voir avec de la comptabilité. Et encore moins avec une comptabilité criminelle !
_Ouais c'est ce que je dis, tu connais les maths, répondit Pie, ça ira très bien. Vérifie ces carnets là, et après on causera paye d'accord ? Je suis une bonne patronne, t'auras pas à te plaindre. Par contre, tu me laisses tomber, ta photo va sur le mur avec les autres.
Twilight sentit la bile lui brûler l'estomac. Les photographies, c'étaient les victimes de Pie ? Non impossible, certaines étaient très anciennes, en noir et blanc, datant du début du siècle. La punkette ne pouvait pas être vivante à cette époque, elle avait juste dit ça pour lui faire peur...et pourtant...Twilight la voyait très bien déambuler dans les tranchées, chantonnant une comptine macabre, une machette à la main.
_Oh, une dernière chose : ça me regarde pas, mais si t'aimes un peu trop faire des câlins aux enfants, tu évites de le dire aux autres, d'accord ? La fille qui tenait les comptes avant toi, une ancienne institutrice, Cheriquelque chose, une comptable géniale, elle a finie surinée dans la cour pendant la promenade par une dizaine de nanas un peu nerveuses. Façon salade césar, du sang partout, genre fluides abondants. Les pointeuses sont moyennement populaires en taule., comme quoi y a p'tet une justice après tout. Allez, à plus !
Sucette à la bouche, elle se replongeait dans son roman d'amour, sans un regard pour le monde extérieur. Twilight, tenant toujours le carnet serré contre sa poitrine. Elle venait donc de recevoir un genre de...conseil de la part de la tueuse ?
_Elle ne me connaît même pas...marmonnait-elle alors que Zecora la reconduisait à l'extérieur.
_Madame Pie connait tout le monde ici. Si elle t'a choisie, c'est qu'elle a une bonne raison. Ou alors juste parce que tu lui plais, des fois c'est dur de faire la différence entre les deux. Dans tous les cas, t'es embarquée avec elle maintenant, petite. Je te déconseille de déconner, parce que notre boss aime pas trop quand on se plante.
Et dire que l'universitaire avait stupidement pensé ces dernières semaines que ce qui finirait par la tuer ici, c'était l'ennui ! Et bien à moins que Pie ne se soit amusé à baptiser ses lames ainsi, ça ne risquait plus trop d'arriver.
Twilight s'éloignait à peine que Zecora lui lançait :
_Ah et bien sûr, t'en parles à personne, hein Cause avec ta copine la bikeuse, je te couds les lèvres avec du fil de pêche et je lui tranche les oreilles. Passe une bonne soirée, Sparkle. Bienvenue dans l'équipe.
Ce qui glaça le plus Twilight, au delà des menaces, ce fut le ton sur lequel elles avaient été énoncées. Pour la première fois depuis qu'elle connaissait l'africaine, Zecora lui avait semblé chaleureuse.
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On essaye de finir 2016 en beauté :)
A la base, ça devait pas se terminer aussi mal pour Applejack dans mes premiers brouillons, mais je me suis dis que quitte à introduire Pinkie, autant y aller à fond. Et pour les jours de coma...j'en sais absolument rien. J'espère que oui ? Parce que si le type a été condamné à genre vingt ans et qu'il se tape dix ans de coma non comptés, ça lui fait bonus moyennement sympa.
Oulà, bien vu. On remercie l'autocorrect qui a mis "poitrine" à la place de "patronne". Et oui effectivement, là étant loin de ma tour et de son super correcteur de la mort, je me suis borné aux correcteurs d'Open Office et de googledoc qui sont assez laxistes. Je corrigerai le texte en profondeur dès que je rentre d'Espagne, soit début de semaine.
Mais c'est que ça devient particulièrement actif maintenant que le paysage et les personnages sont dépeints :p.
Bon, ça m'attriste un peu qu'Applejack s'en soit autant prit sur le coin d'la tronche, mais honnêtement, pour l'introduction de PDP, ça valait le coup :D. J'espère tout de même qu'on la reverra ^^.
Note : Est-ce que les jours passés en prison alors que l'on est dans le coma, peuvent être réellement comptabilisés comme faisant partie de la peine attribuée ?