Chapitre 1. Obéis.

“C’est le seul mot durement gravé au fer rouge dans ma mémoire. Depuis ma création, je n’ai fait que suivre les ordres de ma reine. Alors pourquoi suis-je au fond d’un cachot humide et malodorant ? Car j’ai outrepassé un ordre. Ma punition, être enfermé, attaché et avoir un masque de cuir sur le museau. La peine de mort n'existe pas. Mais quand on est enfermé, blessé de plusieurs lacérations et incapable de se soigner avec sa propre gelée, on sait quelle en sera l’issue. Mais cette douleur n’est rien comparée à celle de la faim. Je suis affamé, personne ne vient me voir, me donner un peu de gelée en cristaux pour me nourrir. Après tout, qui viendrait me voir.”

Il y a deux ans de cela, j’ai été créé. Sans amour, sans douceur mais avec la haine et la colère de ceux qui m'entouraient. Celle qui m’avait insufflé la vie, m’avait longuement regardé, m’avait soulevé, écarté les membres et après de m’avoir ausculté, elle m’avait simplement dit que je serais un transporteur, la seule chose que je serais capable de faire. Sans autre mot, on m’a conduit à un grand bassin où se trouvait de la gelée fraîchement fabriquée. Puis on m’a arrimé à un vieux char où d’autres comme moi ont déposé des grands vases de cette fameuse substance. Et sans rien me dire, je savais où je devais la transporter. Deux étages plus bas, sur un chemin abîmé, je déposais ma cargaison à d’autre créatures dont le devoir était de transformer cette gelée en cristaux. C'était une façon de la préserver plus longtemps, de la transporter aussi.

Les mois ont défilé, et je me suis fait des amis, des comme moi, les autres ne nous adressent pas la parole, ils ne nous regardent pas, ils semblent nous haïr. Peut-être parce que nous n’avons pas de parents, ou bien parce que nous sommes créés par notre reine. Ils nous considèrent comme des déchets. Et des fois, je me dis que c’est vrai. À la base, nous sommes de la gelée trop vieille pour être nutritive et trop épaisse pour être transformée en cristaux. Alors la reine, selon le besoin fait un moule, déposant cette substance de couleur verte, et grâce à sa magie, elle donne la vie à un drone. Oui, je suis un drone. Incapable de penser par moi même, de prendre des décisions. Du moins, c’est ce qu’elle nous a dit un soir. Quand je regarde mes frères et sœurs, je ne remarque que peu de différences entre nous, nos couleurs sont identiques, la carapace bleue et très fine, pour le reste du corps, c’est un pelage noir. Nous sommes faibles, sûrement à cause de cette gelée qui nous a formés. Peut-être aurait-on été plus fort, plus grand si notre reine nous avait créé à partir de gelée fraîche.

Après une journée de travail effectuée, nous les drones nous réunissons dans une grande salle où se trouvaient de longs grands bacs où de la gelée est à disposition. Nous étions nourris deux fois par jour. Le matin et le soir. Bien que nous ne soyons que des créatures et non des changelins, nos rations étaient plus importantes que les sujets de la reine. Il est vrai que notre repas n’était pas de toute première fraîcheur comparée à celle des changelins. Mais ça nous permettait de pouvoir tenir la journée, surtout que la cadence avait été augmentée. La reine nous avait ordonné de vider le grand bassin, de changer cette gelée en cristaux. Nous n’avons dit mot, nous nous sommes mis immédiatement au travail et chaque jour, on pouvait remarquer que le lac de gelée se vidait, sans pour autant que le niveau remonte.

Un jour, je me suis réveillé, entouré des autres drones, l’une d’entre elles était collée à moi, son museau délicatement placé sous ma mâchoire, je sentais sa respiration. Ses sabots avant étaient contre mon poitrail tandis que ses pattes postérieures était repliées, couvrant son abdomen. Cette drone était chargée de la toilette de la reine, elle s'occupait de la coiffer, lui posait cette longue cape de soie noir et vert. Elle ne faisait que ça de sa journée, mais elle semblait apprécier de le faire, comparé à nous, qui n’étions pas tous satisfaits de ce que nous faisions. Certains nous disaient qu’ils auraient aimé faire d’autres choses, d’autre rêvaient de sortir, voir le soleil, le ciel, ou bien la lune. Mais une règle, plus qu’un ordre : Les drones ont interdiction de sortir de la ruche et aucun drone n’aurait désobéi.

Tous les matins, à chacun de mes réveils, cette drone était à mes côtés, alors que quand je me mettais en boule le soir, avant de m'endormir, elle n’était pas. Elle ne mangeait pas avec nous et elle restait dormir quelques heures supplémentaires avant de rejoindre la reine, des fois, elle restait dans cette grande salle toute la journée. Mais quand elle était auprès de la reine, elle rentrait toujours très tard, généralement, beaucoup dormaient déjà, comme les transporteurs.

Un matin, je me réveillais un peu plus tôt que d’habitude, du bruit se faisait et je relevais la tête. Les yeux grand ouverts, je me relevais rapidement, et je fus rejoint par la drone que j'avais réveillée sans le vouloir. Elle me regarda un instant avant de regarder dans la même direction que toutes les créatures fixant. Elle était à l’entrée, droite, magnifique. Elle semblait si puissante, sa longue corne se mit à crépiter, nous éblouissant quelque secondes. Un silence s'installa, elle nous regardait, et nous ne pouvions que nous poser cette question, est-ce qu’elle nous détestait, ou nous aimait. Elle était seule, aucun de ses gardes auprès d’elle. Après quelques minutes à nous observer, elle se mit à parler. Notre reine nous annonçait une étrange nouvelle. Elle nous demandait d'agrandir sa garde. Et pour ceux qui la rejoindraient, ils seraient élevés au titre de changelin. Beaucoup tournaient la tête, regardant ceux qui étaient autour d’eux, attendant qu’un d’entre eux lève le sabot le premier. Et ce fut le cas, un drone qui se trouvait face à la reine leva le premier sa patte, il fut rejoint par beaucoup. C’est à ce moment que plusieurs gardes entrèrent, les conduisant sûrement là où les changelins s'entraînaient.

Une fois que nos frères et sœurs furent partie, la reine regarda ceux qui restaient. Elle tourna la tête vers moi, mais c’est la drone à mes côtés qu’elle regarda, elle lui fit un signe du sabot, lui ordonnant de la rejoindre. Une fois près d’elle, la reine se remit à nous regarder, il restait une quinzaine de créatures face à elle. Elle se mit à avancer, regardant chacun d’entre nous. Le reine s'arrêta auprès des femelles, leur disant qu’elles seraient maintenant à son service. Quant aux mâles, elle nous regarda un instant, avant de nous l'annoncer. Notre travail maintenant serait d’entretenir les galeries et de faire les tâches que les changelins faisaient avant. Une chose que les changelins faisaient à contre cœur. À partir de cet instant, nous étions récolteurs. Je regardais mes frères, un léger sourire au museau. Pour la première fois de notre vie, on allait sortir de la ruche.

Elle nous intima l’ordre de la suivre sur le chemin, la reine nous conduisait quelque part, c'était une galerie que nous n'avons jamais empruntée à part la drone qui dormait à mes côté, elle nous devançait pratiquement et semblait savoir où tourner à chaque intersection. Puis on se retrouva devant une entrée gardée par deux gardes. Ces insectes étaient fortement musclés, et de leur corne émanait la puissance magique qu’ils possédaient. La reine passa la première, ouvrant le chemin, toujours suivie par la drône qui lui collait aux sabots. Quand je passais devant ces monstres de muscles et de puissance, je me sentais ridiculement petit, moi, un drone avec ma faible magie et surtout ma taille. D'après ce que nous avons entendu, on était un peu plus grands que des poulains mais plus petit que des changelins, ou bien que des poneys.

Une fois arrivés dans la pièce, la reine s'installa sur un grand coussin, invitant les femelles à l’entourer, mais seule la drone qui dormait à mes côtés et qui était au service de la grande jument insectoïde monta sur le coussin, se plaçant entre les pattes de la reine, contre son abdomen. Nous les mâles étions en rang, devant elle, ne sachant pas quoi faire, ou comment agir, hormis rester debout et ne plus bouger, on restait droit comme des statues. Quand sa voix se mit à résonner dans nos têtes. Elle nous parlait, mais sans ouvrir la gueule, dans nos tête, par magie. Elle nous demanda de changer d'apparence, que ceux qui y arriveraient auraient le droit de quitter la ruche pour aller récolter des sentiments dans les villages. Nous nous regardions quelques instant, se demandant en quoi elle voulait que nous nous changions, la raison et comment ? Quand une créature apparut de derrière la grande jument. Ça nous ressemblait, mais il ne possédait pas d’ailes ni de carapace. Son corps était recouvert de fourrure et sa corne était droite. De couleur mauve, il semblait que c’était une femelle. La reine se remit à nous parler, nous demandant d’utiliser notre magie, et de faire une parfaite copie de cette créature appelée poney. Chacun d’entre nous se mit à la regarder, observant chacune de ses caractéristiques, sur ses flancs, je pouvais remarque un dessin, c’était une étoile. Après quelques instants, je fermais les yeux, visualisant son apparence, sa chevelure à la frange mauve foncée, sa marque et son visage. Pendant ce laps de temps très court, je ressentis quelque chose, comme un fourmillement qui émanait de ma corne, descendant le long de mon encolure puis prenant tout mon corps. C'était étrange, cette sensation que mon corps se modifiait de l'extérieur. Je rouvris les yeux, secouant la tête pour atténuer cette sensation avant de regarder mes frères. Deux étaient complètement changés, des parfaites copies. Quant aux autres, certains avec une chevelure, d’autres le dessin, ou leurs pattes n’étaient plus percées. Ils n’avaient pas réussi. La voix réapparut, et nous nous mîmes à regarder la reine. Elle nous félicitait, elle demanda à ceux qui n’avaient pas réussi de sortir, que des changelins les conduiraient à leur nouvelle tâche.

Sans même me regarder, je me tournais après de m’avoir incliné, quand la voix se fit entendre à nouveau dans ma tête. Il semble que je n'étais pas le seul à l’avoir ressenti, les deux autres créatures avaient relevé la tête en l’entendant. Les autres quittaient la pièce, ceux qui n’avaient pas réussi à se transformer. Seuls restaient les femelles, les deux mâles et moi, sans oublier cette étrange créature. Mes deux frères et moi nous retournions, faisant face à notre reine quand la ponette se recouvrit d’une lueur verte. Quand elle disparut, c’était un changelin, il s’inclina et sortit de la pièce, sans même nous regarder. La reine se leva, et se rapprocha de nous, posant son sabot sous son museau l’air pensive. Puis la reine se pencha au-dessus de nous, elle nous déposa un baiser, le premier depuis notre création. À ce moment là, quelque chose en moi se mit à battre, ça faisait mal et pourtant, c’était agréable, chaud. En même temps, je me sentais différent. Elle se remit à nous parler, mais cette fois-ci, elle ne passait plus par la magie. Elle nous disait qu’elle était fière de nous, et que maintenant, on pouvait sortir, et aller dans les villages, mais que l’on devrait réfléchir à une apparence, que nous devions prendre avant notre sortie de la ruche, et que nous devons la garder. Que jamais on devrait se faire voir sous notre vraie apparence par les poneys. Ils auraient peur de nous, nous jugeraient comme dangereux. Et si nous rencontrions un poney, même si celui-ci nous semblait fiable, que nous ne devrions pas lui faire confiance, il nous trahirait, que les poneys étaient dangereux.