Bleu

Le crépuscule tombait sur Canterlot. Un silence de mort régnait dans les couloirs de l’hôpital. Dans l’aile des chambres, seul devant la porte, un couple de licornes quittait sans un mot le chevet de leur fille, à qui ils venaient de faire leur dernier adieu. Derrière eux, muré dans un silence respectueux, le médecin ne put que regarder, impuissant, la jument tomber dans les pattes de son mari.

- Elle n’a pas souffert, fit l’étalon en blouse. Elle est partie en paix.

Le couple ne répondit pas. Alors que le praticien s’éloignait pour les laisser à leur chagrin, un bruit éthéré s’éleva près d’eux, tel des étoiles s’allumant dans la nuit. Le couple en pleurs leva les yeux pour découvrir, médusé, une grande silhouette blanche s’avancer vers eux, un triste sourire aux lèvres.

- P… Princesse… commença l’étalon, déjà prêt à s’incliner.

- Pas de cela aujourd’hui, fit l’alicorne d’une voix douce. C’est à moi de vous adresser mes plus profonds respects, en cette heure si sombre.

En entendant leur princesse leur parler ainsi, la jument ne put retenir un nouveau sanglot. Tandis qu’elle cherchait un peu de réconfort dans l'encolure de son mari, celui-ci adressa à l’alicorne un regard où se mêlaient surprise et incompréhension.

- Je suis la marraine de cette hôpital, expliqua-t-elle, bienveillante. Je félicite les parents lors des naissances, je leur apporte mon soutient lors des temps plus durs et je tente de les réconforter... lorsqu’ils se font plus durs encore.

Elle tourna alors le regard vers la vitre de la chambre, avant d’ouvrir la porte et de s’avancer face au lit, dans la mi-clarté du soir. La jeune jument reposait sur le dos, le visage pâle, blême de fatigue et d’épreuves, que ne ravivait qu’à peine la teinte bleutée de sa crinière. Au dessus des cernes, sous leur linceul de paupières, les grands yeux de l’adolescente s’étaient fermés pour toujours. L’alicorne resta un instant muette face à cette triste scène, puis, dans un halo doré, elle leva sa corne et courba le cou pour en toucher le front de la jeune ponette. Sous les yeux émerveillés des deux parents, la magie enveloppa le corps de sa lumière, illuminant pendant quelques secondes la pièce de sa chaude lumière. La princesse du jour releva ensuite la tête et rouvrit les yeux, son regard bienveillant posé sur le lit.

Ce n’était plus le cadavre blême et cireux d’une jument morte qui reposait devant elle, mais celui d’un adolescente au teint frais et clair, aux traits apaisés, au visage serein.

- Ce sera comme si elle n’était qu’endormie, fit-elle à mi-voix. Ainsi, c’est l’image d’une enfant vivante que vous garderez d’elle.

Tandis que la mère essuyait ses larmes, le père se tourna vers la princesse, son regard fatigué mais reconnaissant levé vers elle.

- Merci, votre altesse, murmura-t-il.

L’alicorne blanche s’inclina légèrement, puis quitta sans bruit la pièce. Au dehors, la nuit était tombée. Éclairée par la Lune, elle s’en alla à pattes vers le château, dans le silence de la ville qui glissait dans le sommeil. Elle sentait cependant un regard qui l’observait. En haut d’une des tours de la citadelle, une silhouette sombre et sévère se dressait, ses yeux de saphir braqués sur elle. Célestia soutint un instant le regard d’acier de sa soeur dans le lointain, puis reprit en silence la route du château.

Trois jours plus tard eurent lieu les funérailles de la jeune ponette. Sous les arbres sans âge qui bordaient le cimetière, dans le silence respectueux de la famille en deuil, le cercueil fut mis en terre, une rose blanche posée dessus, avant que les premières pelletées ne viennent le recouvrir. Mais nul ne vit, entre les planches de bois verni, le corps au teint encore clair s’effacer et disparaître, tel un mirage emporté par le vent.