Chapitre 11 : soeurs
Le docteur termina de refaire le bandage d’Aria avant de s'asseoir en face des deux sirènes.
“Vous allez beaucoup mieux, mais vous devrez continuer à faire attention. Vous n’avez plus besoin de garder votre bras en écharpe, mais évitez de forcer dessus,” expliqua-t-il à Aria. “Je dois vous avouer que j’ai rarement eu l’occasion de voir une telle blessure cicatriser aussi vite, vous m’impressionnez miss Blaze.”
“Ça doit venir des soins que j’ai reçus,” répondit la sirène violette. “Sonata a vraiment fait tout ce qu’elle pouvait pour s’occuper de ma blessure.”
“Quand vous m’aviez annoncé que votre soeur s’occuperait des soins, j’étais un peu inquiet,” avoua le docteur. “Cependant, j’ai vraiment été surpris par vos capacités, miss Dusk. Avez vous déjà envisagé des études en médecine ? “ “Je n’y ai jamais pensé,” mentit Sonata en rougissant légèrement, “mais merci. D’ailleurs docteur, j’aimerais vous parler des antidouleurs que vous avez prescrits à ma soeur. Elle ne les supporte pas.”
“Miss Dusk, je ne crois pas que vous connaissances soient suffisantes pour juger de mes décisions,” expliqua le docteur qui n’avait pas apprécié la remarque de Sonata.
“À chaque prise, elle a fait une forte baisse de tension menant à une perte de conscience, même lors de la prise de doses réduites,” reprit la sirène bleue avec confiance. “Elle se plaint également de nombreux vertiges, ainsi d’une hypersensibilité, la menant à une excitation sexuelle gênante. Le seul médicament ayant ces effets secondaires est la Péthidine, que vous lui avez prescrite. Je pense qu’il faudrait passer sur un antalgique plus léger, de préférence non dérivé de la morphine.”
Elle termina sa phrase avec un grand sourire satisfait. Elle connaissait parfaitement ces médicaments, elle les avait étudiés il y a plusieurs dizaines d’années.
“Vous êtes sûre d’être juste une serveuse ?” demanda le docteur, surpris par la précision de la sirène.
“J’aime beaucoup lire des revues médicales, ça me permet de savoir comment prendre soin de mes soeurs,” expliqua Sonata en gardant son sourire.
“Si les symptômes que vous me décrivez sont exacts, alors vous avez raison. Je vais lui donner un médicament bien moins fort, et au vu de l’avancement de sa guérison, je pense qu’elle n’en aura pas trop besoin,” accepta le docteur en se tournant vers Aria avec une ordonnance. “À prendre en cas de forte douleur. Si vous avez le moindre effet indésirable, prévenez-moi immédiatement.”
Il accompagna les deux sirènes hors de la salle d’examen, les saluant à leur sortie. Aria était heureuse pouvoir enfin bouger son bras librement, même si celui-ci continuait à la faire légèrement souffrir. Le plus important pour elle, c’était l’indépendance qu’elle venait de retrouver, même si le sourire satisfait de sa soeur qui avait passé tant de temps à la soigner la réconfortait.
Elles arrivèrent sur le parking de l’hôpital, où Sonata sauta joyeusement vers une vieille voiture bleue. Elle avait surpris Aria en achetant cette inconfortable antiquité, mais celle-ci correspondait au budget de la sirène bleue. La pauvre petite voiture, déjà remplie de nombreuses peluches, était un véritable trésor pour sa propriétaire. Toutes les heures supplémentaires qu’elle avait faites n’avaient eu comme seul but que l’achat de ce véhicule afin de transporter sa soeur plus facilement.
“Allez, on s’installe,” lança joyeusement Sonata en ouvrant la porte à Aria.
“C’est bon, je peux le faire seule,” protesta la sirène violette. “Tu n’as pas besoin d’être si attentionnée.”
“Mais, ça me fait plaisir,” répondit Sonata en faisant la moue tout en s’installant au volant.
Elle essaya de démarrer la voiture, mais celle-ci refusa, obligeant sa propriétaire à descendre pour essayer de remettre un cache sur une bougie. C’était une panne classique et Aria lui avait expliqué comment le régler. Cette voiture menaçait de tomber en morceaux, mais Sonata l’aimait bien, ce qui avait poussé Aria à commander les pièces pour la réparer malgré les protestations de sa soeur.
“Là, ça devrait marcher,” fit Sonata qui s’était réinstallée au volant.
Le moteur toussota, commença à vouloir partir, mais cala rapidement. La sirène essaya de nouveau, mais le résultat fut le même, accompagné cette fois du cri de désespoir de Sonata.
“Aria, tu peux m’aider ?” supplia la sirène, la tête posée sur son volant.
“Je croyais que tu m’avais promis que cette voiture nous ramènerait. Je t’avais dit que nous aurions dû prendre le bus.”
Les yeux de Sonata commencèrent à devenir humides, son regard suppliant Aria de la sortir de cette mauvaise situation.
“Bon, je vais voir si je peux ressusciter ce tas de ferraille,” accepta finalement la sirène violette. “Mais je ne peux pas te promettre de miracle.”
Les deux sirènes sortirent de la voiture et se penchèrent sur le moteur. Celui-ci était vraiment dans un piteux état, certaines parties ne tenant qu’avec du scotch ou étant rongées par la rouille. Aria était admirative devant ce petit moteur qui continuait à fonctionner, même si elle n’avait aucune idée de comment il le faisait.
“Dès que j’aurai reçu les pièces, ça ira mieux. Viens par ici petit démarreur,” fit la sirène violette en attrapant un tuyau. “Pourquoi tu n’es pas aligné comme il faut ?”
Sonata laissa sa soeur faire, ne voulant pas la gêner. La sirène bleue avait beau savoir comment fonctionnait ce genre de moteur, ou d’en concevoir un si jamais on le lui demandait, elle était incapable de le réparer. Ses soeurs avaient toujours été plus douées qu’elle en mécanique.
Aria se débattait dans le moteur, tout en évitant de forcer sur son bras de nouveau utilisable. Elle vérifiait toutes les pièces qui lui étaient accessibles sans démonter le moteur. Elle émettait de petits grognements à chaque fois que celles-ci lui résistaient.
“Clé de 12,” demanda-t-elle en tendant le bras.
“Ça arrive,” répondit Sonata.
Elle se dirigea vers le coffre de sa voiture pour y attraper une caisse à outils. Aria avait insisté pour qu’elle accepte de la prendre, et Sonata devait avouer que c’était une excellente idée. Elle l’ouvrit et chercha à l'intérieur. Elle ne connaissait pas tous les outils, mais elle savait ce qu’elle devait chercher.
“Voilà,” fit-elle en mettant la clé dans la main de sa soeur.
“Bien, va t’installer au volant, je crois que j’ai trouvé le problème,” répondit Aria.
Sonata se dirigea vers l’intérieur de la voiture pendant que sa soeur se pencha de nouveau sur le moteur. Elle ne voyait plus Aria qui était cachée par le capot, mais elle l’entendait travailler sur le moteur.
“Vas-y Sonata, essaie de démarrer,” lui ordonna sa soeur. “Ça devrait tenir.”
La sirène bleue tourna la clé. Le moteur toussota, suivit d’un grand bruit métallique, comme si quelqu’un tapait, qui se termina par le doux ronronnement d’une mécanique épuisé, mais toujours vivante. Aria ferma le capot et pointa Sonata avec la clé plate qu’elle tenait en main.
“Tu me dois un repas pour ce miracle,” exigea-t-elle en remontant dans la voiture.
Sonata fit un grand sourire approbateur à sa soeur avant de faire vrombir le moteur pour être sûre de ne pas le faire caler. Elle relâcha doucement l’embrayage, mais la voiture se leva tout en refusant d’avancer. Aria tendit le bras pour desserrer le frein à main, mais celui-ci n’était pas mis. Sonata mit alors un énorme coup de pied dans la pédale de frein qui libéra le véhicule qui se mit à bouger.
“Il faut que je répare les freins aussi ?” désespéra Aria. “J’espère que ce n’est rien. Au moins ça m’occupera jusqu’à ce que je reprenne le travail.”
“Je suis désolée,” répondit Sonata d’une voix triste. “Je pensais avoir fait une bonne affaire en achetant cette voiture, mais je me suis encore trompée.”
“Elle est très bien,” la réconforta Aria. “Il lui faut juste quelques réparations. Je vais les faire et tu verras, elle tournera parfaitement. Je reçois les pièces demain normalement.”
“J’ai vu le prix que tu as payé pour les pièces. J’ai payé cette voiture moins de la moitié. Je ne sais pas quand je pourrais te rembourser.”
“Ne t’inquiète pas pour ça, tu n’as pas besoin de me rembourser.”
“J’y tiens,” affirma une Sonata déterminée. “J’étais super contente quand Star m’a félicitée d’avoir pris la responsabilité d’acheter une voiture. J’étais contente d’avoir pris cette initiative avant d’aller la voir en fait. Mais j’ai fait une erreur, et j’ai envie d’en subir les conséquences. J’ai pas envie que tu me protèges de ça.”
“Tu as vraiment l’air d’apprécier le docteur Star,” répondit Aria. “Je ne sais pas ce que je dois penser d’elle. La dernière fois que je suis allée la voir, elle a passé la moitié de la séance à me hurler dessus.”
“Tu avais frappé Adagio,” lui reprocha Sonata.
“Pour tout te dire, quand je suis arrivée à la séance, je ne m’en souvenais pas. En fait, j’étais incapable de me souvenir de ce qui s’était passé à la clinique ce jour-là,” expliqua Aria avec un ton morose. “Je me souvenais juste de Crystal Prep, de la Dean Cadance, d’avoir volé ses dossiers. Mais j’étais incapable de dire comment j’y étais arrivée. Le docteur Star a dit que c’était normal, que c’était ma manière de me défendre. Elle a commencé à me parler de mon arrivée, et tout est revenu d’un coup. Je me suis mise à...”
Sonata freina brusquement, évitant une voiture qui venait de lui couper la route. Une fois arrêtée, elle se tourna vers sa soeur, paniquée.
“Aria, ça va ? Tu n’as rien ?”
“Non, ça va, je n’ai rien,” répondit la sirène violette en se frottant l’épaule. “Au final, les freins fonctionnent bien. Par contre, qu’est-ce qui lui a pris à ce connard ?”
“J’en sais rien,” fit Sonata qui avait retrouvé son calme. “Mais le plus important c’est que tu ailles bien.”
La voiture repartit tranquillement, Sonata faisant bien attention à la circulation. Au bout de quelques mètres, Aria se mit à rire.
“De qui tu te moques ?” demanda la sirène bleue.
“De personne Sonata,” répondit l’autre sirène. “Tu es toujours si calme au volant, alors que moi, je ne serais pas restée aussi calme. Ces différences m’ont toujours amusée, même si d’habitude je laisse ma colère parler. Tu te souviens de la première fois que je t’ai vu conduire ?”
“Un homme nous avait percutées, je m’en souviens. J’avais eu si peur, j’étais complètement paniquée. J’étais persuadé que tu allais m’engueuler pour avoir abîmé ta voiture. Puis je t’ai vue sortir de la voiture et aller hurler sur cet homme.”
“J’étais vraiment énervée contre lui, et un peu contre toi aussi.”
“Tu m’avais dit que c’était rien,” répondit Sonata.
“Je n’étais pas énervée pour la voiture, enfin pas seulement. J’étais surtout déçue que tu m’aies menti pour te payer ton permis.”
“Tu commençais à nous refuser des choses à l’époque,” remarqua Sonata un peu déçue. C’est pour ça que j’ai dû te mentir. Tu voulais pas que je passe mon permis, mais moi je voulais. Comme je savais pas comment on gagnait de l’argent à l’époque, ben j’ai gardé une partie de ce que tu me donnais. J’ai fini par réussir à me le payer. J’étais trop fière en arrivant devant toi au volant de notre ancienne voiture..”
“Et moi, j’ai juste vu tous les ennuis que ça risquait de nous attirer,” répondit Aria d’un ton mélancolique, “mais j’étais aussi très fière de toi, même si je ne te l’ai jamais dit.”
“Au fait Aria, pourquoi tu avais décidé qu’on devait dépenser moins d’argent ?”
“Parce qu’on en avait moins, tout simplement.”
“Pourquoi ?” demanda Sonata, heureuse de voir sa soeur enfin lui parler de ce qui se passait à cette époque après avoir refusé pendant des années.
“Je ne sais pas si je devrais t’en parler,” répondit la sirène violette avec un sourire.” On va simplement dire que j’ai arrêté une activité particulièrement lucrative en arrivant à Canterlot.”
“Pourquoi tu n’as pas continué ?”
“C’était…” hésita Aria. “C’était devenu trop difficile à supporter. Quand j’ai annoncé à Adagio que je souhaitais arrêter, ça ne lui a pas plu, on s’est encore engueulées, mais elle a fini par accepter ma décision.”
Sonata voulait en savoir plus, mais le ton de sa soeur lui avait fait comprendre que ce sujet était encore beaucoup trop sensible. Elle devait changer de sujet pour éviter de saper son moral. Elle ne savait cependant pas de quoi parler.
“Dis-moi, Sonata,” reprit Aria, coupant la sirène bleue dans ses pensées, “tu es toujours d’accord pour la semaine prochaine ?”
“Bien sûr,” répondit Sonata joyeusement. “Ça va être une super fête, tu vas voir.”
“Je ne parlais pas de ça, Sonata.”
“Ah, ça,” fit la sirène d’un ton tout d’un coup mélancolique. “Je ne sais pas.”
“Sonata, s’il te plait,” la supplia Aria, “J’ai vraiment besoin de toi.”
“Je… je n’ai pas vraiment envie de la voir,” répondit Sonata avec de la tristesse dans la voix.
“ Adagio traverse des moments vraiment difficiles, elle a besoin qu’on soit présentes pour elle.”
“Je ne sais pas. J’ai jamais eu l’impression qu’elle m’aie jamais aidée. En mille ans, j’ai toujours eu l’impression qu’on devait être là pour obéir à ses ordres, mais qu’elle n’a jamais tenu compte de notre avis. Elle n’arrête pas de remettre en doute tout ce qu’on fait, alors qu’elle se disait parfaite. Je vois pas pourquoi je devrais l’aider.”
“Sonata, arrête,” la coupa sèchement Aria.
“Non, toi arrête de la protéger comme ça,” s’énerva la sirène bleue. “J’ai juste l’impression qu’elle ne nous a causé que des problèmes, que c’est elle qui est à l’origine de tout ce qui nous arrive. Si on ne l’avait pas écoutée et suivit son plan, on aurait pas perdu nos pouvoirs. Elle n’a même pas voulu t’écouter quand tu as douté de son plan. Peu importe ce qu’on disait, c’était toujours elle qui avait raison. Aria, j’ai relu mes journaux intimes. En les lisant, j’ai eu l’impression qu’à chaque fois qu’on déménageait, c’était de sa faute. J’ai tellement eu l’impression d’être conne en me lisant. J’avais l’air si heureuse à chaque fois qu’on déménageait, alors qu’en fait, on fuyait. On a passé notre vie à fuir, et je suis la pire. J’ai fui la réalité, je me suis réfugiée derrière mon petit monde depuis… depuis…”
La sirène bleue avait réussi à garer la voiture pendant qu’elle parlait. De grosses larmes coulaient maintenant sur son visage habituellement si joyeux. Aria la prit dans ses bras.
“Tu n’es pas la pire, Sonata,” fit-elle tendrement. “On a toutes eu à gérer beaucoup de choses depuis notre bannissement, et tu as géré les évènements à ta façon. Tu as toujours été dans ton monde, même avant que l’on se fasse bannir. C’est vrai que des fois tu t’y perds un peu, mais c’est toi, c’est ta façon d’accepter tout ce qu’il t’arrive. Je sais que les évènements avec l’église ont été très durs pour toi, et que tu es encore plus enfermée dans ton monde depuis, mais tu es toujours là pour nous. C’est de notre faute si tu as vécu ça, et on s’est promis avec Adagio de tout faire pour t’en protéger.”
Sonata continuait de pleurer sur l’épaule de sa soeur, mais semblait commencer à se calmer. Elle essayait de caler sa respiration haletante sur celle d’Aria, pendant que celle-ci lui caressait tendrement le dos. Aria laissait un peu de temps à sa soeur pour reprendre le contrôle de ses émotions, comme l’avait fait Midnight Star lors de leur précédente séance. La thérapeute des sirènes avait permis à Aria de s’ouvrir un peu plus à sa soeur, mais lui avait expliqué que Sonata gardait beaucoup de choses pour elle, et qu’elle risquait de tout lâcher d’un coup. Star avait aussi demandé à Aria d'arrêter de traiter Sonata comme une enfant, et d’accepter de répondre à ses questions.
“Et tu peux me croire,” reprit la sirène violette quand sa soeur fut enfin calme, “Adagio a fait plus de choses pour toi que tu ne le crois. C’est grâce à elle que tu as pu étudier ce que tu voulais. Elle était très douée pour falsifier les documents officiels, et s’est servie de ce talent pour que tu sois acceptée dans toutes les écoles que tu voulais. Elle a ses défauts, mais elle a toujours été là pour nous. Tu te souviens de l’Espagne ?”
“Oui,” répondit Sonata en sortant sa tête de l’épaule de sa soeur pour la poser sur ses genoux. “J’avais vraiment fait n’importe quoi à l’époque, comme à chaque fois.”
“On a pris des décisions bien pires avec Adagio, surtout avant que tu ne nous rejoignes, crois-moi,” la rassura Aria qui posa une main sur la tête de sa soeur, “et on s’en est sorties, principalement grâce à Adagio. Elle a toujours été douée pour nous sortir des problèmes dans lesquels on se mettait. En tout cas, j’espère que tu avais apprécié la nuit que tu avais passée dans le lit de la reine.”
“Pas vraiment,” répondit la sirène bleue avec un petit sourire gêné. “C’était vraiment bizarre, et j’étais super mal à l’aise. Je sais pas comment vous faites avec Adagio pour apprécier ce genre de chose. C’est… ”
“Tu n’as peut-être pas encore trouvé la bonne personne, où tu n’es pas faite pour ça, j’en sais rien. Mais on a dû déménager juste après ça, tu te souviens ?”
“Oui, et c’était ma faute,” fit Sonata tristement, ne comprenant pas où sa soeur voulait aller avec cette histoire.
“Donc, après qu’Adagio ait négocié ta libération, on t’a fait organiser notre déménagement,” continua Aria en réprimant un sourire amusé. “Tu étais si perdue, et je ne suis pas sûre que Discord aurait réussi à faire un déménagement aussi chaotique. Adagio et moi ne savions plus s’il fallait rire ou pleurer devant ta prestation. J’ignore encore comment tu as fait pour que toutes nos affaires arrivent. Heureusement, tu n’as jamais eu à en organiser un nouveau.”
“Organiser un nouveau ? Tu veux dire que…” répondit Sonata en commençant à comprendre ce que voulait lui montrer sa soeur.
“Que celle qui nous oblige à fuir doit tout organiser,” termina Aria. “La fuite de Las Pegasus, c’est de ma faute.”
Le regard de Sonata se fixa dans le vide alors qu’elle repensait à tous les déménagements qu’elles avaient faits au cours de leur vie. Elle revoyait chacun d’entre eux, et commença à comprendre quelle sirène était responsable de chacune des fuites. Elle comprit aussi tout ce que ses soeurs avaient fait pour elle, pour la protéger de la réalité derrière ces déménagements. Elle se sentait bête de ne jamais l’avoir compris.
“Et pour Paris ?” demanda-t-elle en sortant de ses pensées. “Je n’arrive pas à comprendre qui l’a organisé.”
“Celui-là, ce n’était pas notre faute. On avait beau être puissantes, on ne peut pas tout contrôler, et il arrive que des choses dérapent,” expliqua Aria en réprimant un sanglot.
“Oh, désolée,” s’excusa Sonata. “Je voulais pas…”
“Ce n’est rien,” l’interrompit sa soeur. “N’en parlons plus.”
“D’accord.”
Le levier du frein à main faisait mal à l’épaule de Sonata, mais avoir sa tête sur les genoux de sa soeur lui faisait du bien. Elle ne voulait pas les quitter, elle voulait que l’agréable sensation de la main d’Aria dans ses cheveux continue pour toujours. Une peluche termina dans ses bras, l’autre occupante de la voiture lui ayant tendu. C’était sa peluche préférée, Aria l’avait faite juste pour elle, et n’en a pas refait depuis. La sirène violette prétendait ne pas aimer en faire, mais elle avait quand même fait bien attention à faire une peluche parfaite pour sa soeur. Sonata lui avait demandé de refaire sa vraie forme dans cette peluche, et tout y était. La seule différence était la douceur du tissu utilisé qui n’avait rien à voir avec la rugosité des écailles de leur forme de sirène.
“Tu penses quoi de ce qu’a dit le docteur sur le fait de reprendre tes études en médecine ?” demanda Aria en coupant le silence. “Tu essayes de te maintenir à jour en permanence, et tu ferais une super doctoresse.”
“Je veux pas redevenir docteur,” affirma Sonata. “Je ne veux plus être responsable de la vie de quelqu’un d’autre, en dehors de la tienne. De toute façon j’ai déjà mon diplôme de docteur.”
“Je ne suis pas sûre qu’un diplôme datant de 1860 soit encore valable,” fit Aria en riant.
“En plus, je suis sûre que les profs seront moins doués que moi, et que je serais capable de faire le cours à leur place.”
“J’en suis certaine,” répondit la sirène violette. “J’ai vu comment tu étais heureuse de faire les cours à Dash.”
“Elle avait tellement de retard,” se lamenta la fille bleue en se relevant. “J’ai fait ce que j’ai pu, mais je suis pas sûre d’avoir réussi à la remettre à niveau. J’espère que ça suffira à la faire gagner quand même.”
“Je l’espère aussi. Elle a mis tellement d’énergie pour y arriver.”
“Au moins, elle aura appris plein de choses,” fit Sonata en reprenant son sourire innocent. “Elle évitera peut-être de faire exploser son expérience de chimie.”
“J’ai toujours pas compris comment elle a fait,” avoua Aria. “Je n’ai pas tes connaissances, mais je ne vois pas ce qui a pu réagir comme ça dans ce qu’elle a utilisé.”
“Euh,” répondit Sonata en baissant la tête,” c’est ma faute. Je lui ai donné une éprouvette que j’utilise pour doser les produits quand je développe mes photos, et il devait rester du révélateur qui n’a pas aimé être chauffé.”
“Mais en attendant, elle a beaucoup progressé en deux semaines avec toi. Tu avais vraiment l’air heureuse de l’aider. Je pense que tu devrais devenir prof.”
Sonata se mit à rire fort, mais s'arrêta en voyant que sa soeur était sérieuse.
“Aria, je ne serais pas capable de gérer les élèves,” protesta-t-elle.
“Tu as réussi à garder l’attention de Dash sur ce que tu voulais, et ce n’était pas si facile que ça. Tu ferais une super prof,” expliqua Aria avec un sourire. “Et tu serais bien mieux dans une salle de classe plutôt que dans ton petit diner.”
“Mais je l’aime bien ce diner. Max est cool comme patron, et les filles sont super sympa.”
“Moi aussi je l’aime bien, comme j’aime bien les filles qui y travaillent. Mais aucune d’entre elles ne prévoit d’y rester longtemps. Tu devrais faire comme elles.”
“Je… je vais y penser et j’en parlerais à Star,” termina Sonata.
Elle se réinstalla sur les genoux de sa soeur, voulant profiter de ce moment plus longtemps. Aria protesta pour la forme, mais elle aussi appréciait ce moment entre soeurs, même si ce n’était que de coeur. Caresser ses cheveux bleus lui faisait aussi du bien, lui rappelait tout ces moments passés avec des personnes qu’elle avait appréciée au cours de sa longue vie dans ce monde, mais aussi en Equestria. Elle repensa à chacun des poneys qu’elle avait rencontrés, qu’elle s’était amusée à manipuler. Elle avait adoré cette sensation, mais maintenant elle se sentait coupable de les avoir fait souffrir pour se nourrir de leur haine. Ce sentiment avait commencé à s’installer bien avant leur défaite, mais était devenu bien plus présent depuis qu’elles avaient été touchées par ce rayon magique invoqué des Rainbooms. La sirène s'interrogeait sur les effets qu’avait eus cette attaque en plus de leur perte de pouvoir. Elle se demandait si celui-ci ne les avait pas changées.
“Aria, j’ai une question à te poser,” fit Sonata après quelques minutes de silence
“Qu’est-ce qu’il y a ?” demanda Aria calmement.
“En relisant mes journaux, je me suis souvenue que tu parlais souvent avec Adagio de s’occuper de certaines personnes. J’aimerais savoir ce que ça voulait dire exactement,” répondit la sirène bleue d’un ton un peu sombre.
“C’est… compliqué,” fit Aria en détournant la tête.
“Tu ne veux pas m’en parler ?” s'énerva Sonata. “Tu ne veux jamais m’expliquer ! Je ne suis pas idiote et je peux comprendre. Je veux comprendre. C’est pas comme si tu les avais tués.”
Aria serra le poing autour des cheveux de sa soeur, tout en essayant de ne pas s’énerver.
“Si !” avoua-t-elle. “Tu veux tout savoir ? Très bien. Dès qu’une personne était trop dangereuse, je la tuais. J’essayais avant de la raisonner, mais très souvent, je n’avais pas le choix. Tu es contente maintenant ? Tu sais que j’ai tué trop de gens, es-tu heureuse de le savoir ?”
Sonata se releva et serra sa soeur dans les bras. Elle ne savait pas comment réagir, Aria n’avait jamais été aussi franche avec elle, mais la nouvelle était aussi difficile à accepter. Les sirènes s’étaient toujours accordées pour éviter de tuer les humains. C’était une règle simple, mais nécessaire un humain mort ne produisait plus de nourriture. Imaginer Aria tuer n’était pas difficile pour elle, mais elle était persuadée que sa soeur n’avait plus eu à le faire depuis leur départ de Paris.
“Je suis heureuse que tu m’en aies parlé,” fit finalement Sonata d’une voix calme. “J’aurais aimé que ce soit faux, mais je suis heureuse que tu me l’ai dit.”
“Désolée,” répondit Aria en s’essuyant les yeux, “je n’aurais pas du m’énerver. Tu ne pouvais pas savoir.”
“Non, c’est moi qui suis désolée. J’aurais pas dû insister. Si tu veux pas en parler, c’est pas grave.”
“On en parlera une autre fois,” promit Aria. “Pour l’instant, je pense que nous devrions rentrer.”
Sonata acquiesça et redémarra la voiture, le moteur n’opposa aucune résistance, comme s’il ne voulait pas énerver les deux sirènes. La nuit commençait à tomber, et l’éclairage du véhicule n’était pas des plus efficace, ce qui les forçait à rentrer avant que la lumière du soleil ne disparaisse complètement.
“Tu crois qu’on va avoir le droit à un restau ce soir ?” demanda Sonata.
“Dash nous a promis de nous inviter si elle gagnait, donc on n’aura pas à faire à manger ce soir,” répondit une Aria souriante.
***
Sonata s’engagea dans l’allée devant leur maison, et arrêta le moteur une fois la voiture en place. La nuit avait pris ses droits, ce qui voulait dire que la dernière épreuve des Friendship Games allait commencer. Une intense lumière s’éleva au-dessus de la ville, là où se trouvait CHS. Un de leur voisin sortit en urgence de chez lui et se dirigea vers cette lumière en voiture.
“Aria, qu’est-ce qui se passe ?” s’inquiéta Sonata.
“Je…” commença Aria avant d’être arrêtée par une intense douleur au niveau de la gorge.
Sonata ressentit elle aussi la même douleur. Elles avaient l’impression que leur magie essayait de revenir en elle, mais sans leurs pendentifs pour contenir celle-ci, elles ne pouvaient pas la contrôler.
Les deux sirènes se mirent à entendre de nouveau la mélodie de cet univers, celle qu’elles s’étaient amusées à modifier pour l’arranger à leur convenance. Chacun de ces changements leur permettait d’imposer leur volonté aux habitants de ce monde. La musique d’un autre monde qu’elle connaissait bien vint s’ajouter à celle déjà présente. Contrairement à leur souvenir, cette musique était stridente et douloureuse. Il leur était impossible de plier ces notes à leur volonté, de ne plus l’entendre. Elles avaient du mal à entendre leur propre musique qui s’était faite trop discrète depuis leur défaite.
“C’est… Equestria ?” demanda Sonata en toussant, avant de perdre connaissance à cause de la douleur.
Lorsqu’elle se réveilla, la douleur avait disparu, mais sa soeur était en larme à côté d’elle.
“Aria ?” s’inquiéta-t-elle.
“Je l’ai sentie, Sonata. Je l’ai sentie,” répondit sa soeur.
Elle la prit dans ses bras afin de la calmer.
“Je ne veux plus jamais ressentir ça, Sonata,” pleura la sirène violette. “Je ne veux plus de ces pouvoirs, ils sont trop dur à porter. Sonata, je l’ai vu, j’ai vu sa colère, je n’ai vu que ça, et sa colère n’avait rien d’agréable.”
Le téléphone d’Aria sonna pendant que sa propriétaire fondait en larme. Sonata l’attrapa pour répondre à la place de sa soeur.
“Allo, Sonata à l’appareil.”
“Sonata ?” fit la voix de Rainbow Dash. “C’est pas grave, on a gagné, enfin égalité, mais c’est comme si on avait gagné. Je vous dois un restau’, comme promis. Je vous invite au Handsome Devil. On vous y retrouve dans deux heures ? Sunset vient aussi.”
“Dash,” répondit Sonata. “Aria ne se sent pas très bien, et…”
“C’est Dash ?” demanda la sirène violette. “Passe la moi, j’ai envie de lui parler.”
Sonata prévint son amie et tendit le téléphone à sa soeur. Aria sauta dessus et se mit à parler avec la fille qui venait de l’appeler. Elle riait à travers ses larmes, heureuse de pouvoir parler à cette jeune femme. Elle raccrocha et regarda sa soeur avec un sourire.
“Ce soir, on mange au restau’. Allez, on doit se préparer,” fit-elle avant de se diriger vers l’entrée de leur maison, suivie par Sonata.
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