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Chroniques de Yearling : Foyer

Une fiction écrite par EphelI.

Prologue

« Alice Yearling, ouvres tout de suite cette porte! Ton père te l'ordonne! » Ne recevant pas de réponse, le pégase déposa la paire de ciseaux qu'il tenait ouverte entre ses sabots. Il fit trois pas en arrière, bien décidé à surmonter cet obstacle. Du bout de l'aile, il souleva un tableau accroché au mur du couloir et en extraya une petite clé astucieusement caché. Le portrait d'un de ses glorieux ancêtres replacé, il s'approcha de nouveau de la porte et y enfonça son passe partout. Un simple mouvement de torsion suffit à débloquer la serrure et l'étalon pénétra brusquement dans la chambre de sa fille.

Il vit cette dernière, un sac sur les épaules et une profonde détermination creusée sur son visage ouvrir la fenêtre. N'écoutant que ses réflexes, le paternel sauta sur la jeune pégase au moment où celle ci s'élançait vers les cieux. Stoppée dans son élan, la jument eut juste le temps de crier de surprise avant de percuter le rebord de la fenêtre avec son crâne. Son sac tomba pesamment sur le sol où son contenu -à savoir plusieurs livres d'histoires- s'y répandit.

L'étalon profita de son étourdissement pour la déposer sur le lit et récupérer ses ciseaux. Encore sonnée, Alice se releva d'un bond en voyant l'instrument tranchant s'approcher d'elle. « Tu ne vas tout de même pas... » Sans aucune douceur, le pégase au pelage neige attrapa l'aile droite de sa progéniture et referma les lames avides sur ses rémiges primaires. Même si aucun nerf n'y était relié, la jument sentit une douleur sourde l'envahir. Elle regarda sans mot dire son père qui ramassait ses plumes fraîchement amputés avant de les jeter dans la corbeille. Il arborait un regard sévère qu'Alice, brûlante de colère soutint.

Poser le sabot sur l'aile d'un pégase était le pire offense que l'on puisse lui faire, et même si l’ego d'Alice n'égalisait pas avec celui de ses congénères, elle se sentait profondément humiliée. Bien que cette tentative de fugue ne jouait pas en sa faveur, elle trouvait ce geste parfaitement injuste et outrageant envers sa liberté. Être son père ne lui conférait pas le droit de la mutiler ainsi.

« Tu es odieux! Cracha-t-elle enfin. Un vague sourire glissa sur les lèvres du poney.

-Je ne fais que mon devoir de père, se justifia-t-il en refermant la fenêtre. Je ne souhaite rien d'autre que ton bien, tu sais ? Le regard noir qu'elle lui lançait était suffisamment éloquent pour comprendre que cet avis n'était pas partagé.

Un bref coup d’œil sur le réveil-matin de sa fille lui apprit qu'il n'avait que trop tardé. Il sortit donc de la pièce et se dirigea vers la cuisine, là où il avait préparé son paquetage. Bien décidée à ne pas le laisser partir comme ça, la jeune Yearling le suivit.

« Je suppose que durant ton absence, je suis assigné à cette maison ? Demanda-t-elle avec amertume.

-Ce n'est pas une punition, Alice. Je tiens simplement à ce que tu sois en sécurité.

-Peuh ! Si c'était le cas, tu m'aurais emmené avec toi sans réfléchir ! » Phileas Yearling se mordit les lèvres. Sa fille avait hérité de la perspicacité de sa mère, à son grand regret. La conférence à laquelle il allait participer accueillait les plus grands savants en météorologie du royaume. Et bien qu'il fut l'un d'eux, l'étalon aurait préféré s'exiler dans le royaume des changelins que de voir sa fille l'humilier devant tout ses confrères. Non, c'était décidé, il ne l’emmènerait pas avec lui.

Sans chercher à se justifier, il commença à harnacher son équipement. Approchant inexorablement de la cinquantaine, le dos du pégase gémit sous la contrainte. Il serra les dents le temps de trouver une posture moins épuisante, puis inspecta la pièce de son regard perçant, à la recherche du moindre oubli. Mais tout était en ordre, il allait pouvoir partir.

« Et pour le nourriture, comment suis-je supposée me ravitailler ? Demanda la jument d'un ton faussement innocent.

-Spitfire me devait un service, je lui ai donc demandé de te réapprovisionner durant mon absence. Elle viendra tout les trois jours. » Ce fut au tour d'Alice de se mordre les lèvres. Son père avait décidément tout prévu. Spitfire avait beau être dans la même classe et du même âge qu'elle, les deux pégases ne partageaient rien de commun. Pire, en tant que future Wonderbolt, la jument dorée voyait Alice comme une moins que rien à cause de ses piètres performances aériennes. Réciproquement, cette dernière trouvait la sportive brutale et lente d'esprit, incapable de tenir une conversation intéressante. En bref, c'était la ponette idéale pour l'isoler du monde extérieur et accessoirement lui tailler auprès de ses amis une réputation de fille à papa.

Par la fenêtre, Alice pouvait voir Cloudsdale briller sous les éclats du matin. Ses usines fonctionnaient déjà à plein régime, fournissant au pégase les matériaux nécessaires à la construction du climat. Si proche et pourtant inaccessible pour elle, tout cela à cause d'un simple coup de ciseau ! Décidément la vie des pégases ne tenait qu'à peu de choses.

Le grincement de la porte troubla ses réflexions et elle vit que son père était sur le perron, prêt à s'envoler. Il la regarda d'un air soucieux, comme s'il fouillait dans sa mémoire ce qu'il avait oublié de dire. Finalement, en bon père ayant bien appris sa leçon il récita : « N'oublies pas de te brosser les dents, couches toi à neuf heures, ne fais pas de bêtises, vérifies chaque matin l'épaisseur du nuage, je t'aime, il y a une lettre dans le salon qui t'es destinée. » Et sans attendre ni consentement, ni protestation, il décolla.

Spontanément, la pégase ocre sauta sur le nuage sur lequel reposait sa maison et se plaça sur l'extrême rebord. Devant elle, la profondeur du ciel était étourdissante, mais c'était vers le haut qu'Alice focalisait toute son attention. Prenant rapidement de l'altitude pour atteindre les grands courants aériens, son père ne fut bientôt qu'un petit point blanc perdu dans l'azur. Malgré son âge, l'étalon gardait la forme. Sa fille l'avait plus d'une fois appris à ses dépens.

Malgré la surface manquante sur son aile droite, Alice tenta de décoller. Elle atteignit trois bons pieds de hauteur avant que le déséquilibre de portance ne la fasse retomber sur la surface cotonneuse du nuage. Elle ne s'était jamais vanté d'être bonne voleuse, mais ce brusque handicap la touchait profondément dans son orgueil, si bien qu'elle se remit aussitôt en position. Tentant de se souvenir de ses maigres connaissances dans l'art subtile du décollage, elle se propulsa ardemment dans les airs… Avant de s'écraser de nouveau, avec la même violence.

Les dents serrées pour contenir sa rage, la pégase s'avoua vaincu. Elle n'était jamais allée à l'école de vol, son père n'ayant pas voulu. Il préférait qu'elle étudie ces stupides flocons, enfermée à longueur de journée dans un bureau froid et triste. Le sport, la vie extérieur, tout cela lui semblait accessoire pour son éducation. Elle avait donc du apprendre en autodidacte, sans aucune aide autre que sa volonté. Mais désormais, celle-ci ne pouvait plus rien pour elle.

Elle soupira un grand coup, comme si cela lui permettait d'évacuer ce trop-plein de rage, puis elle commença machinalement à faire le tour de son foyer devenu prison. Située à moins d'une nautique de la capitale pégase, la maison-nuage du docteur Yearling était inaccessible pour tout être dépourvu d'aile, ce que jusqu'à présent Alice n'avait jamais remarqué. Elle était décidément bien idiote de ne pas avoir envisagé cette possibilité. Si seulement son père l'avait informé une heure plus tôt de son départ, elle aurait certainement pu mieux organiser sa fuite et serait à l'heure actuelle bien cachée dans un bar de Cloudsdale. Quelle poisse !

Ses sabots s'enfonçaient avec un léger bruit dans l'épaisse couche nuageuse, et la jument fut soulagée de constater que son amputation n'avait en rien altéré sa légèreté de pégase. Dans le pire des cas elle pourrait donc fuir à dos de cumulus… Pour peu qu'une âme charitable accepte de la tracter, ce qui en l’occurrence n'arriverait pas.

À cours d'idées, Alice se décida à rentrer. Les derniers mots de son père lui revinrent subitement en mémoire et sa curiosité dirigea ses pas vers le salon. Là, trônait en effet une enveloppe à son nom. En l'attrapant, la jument constata l'extraordinaire qualité du papier. Qui pouvait bien lui avoir écris ? Avide de réponse, elle déchira soigneusement un des rebords et extraya le contenu de l'enveloppe. Plié avec soin, le papier tout aussi riche que son réceptacle était recouvert d'une encre rouge maladroitement étalée, mais lisible. Au fur et à mesure de la lecture, Alice hésitait de l'attitude à tenir. Devait-elle en rire ou en pleurer ?

Ordonnées pour former une prose étonnamment maîtrisée, ces mots provenaient d'un admirateur de son corps et de son esprit. Apparemment, il l'avait rencontrée quelques semaines plus tôt lors d'une cérémonie à Canterlot et était tombé sous son charme. Usant et abusant de métaphores en tout genre, il demandait -ou plutôt implorait- un rendez-vous où ils apprendraient à mieux se connaître, voir d'avantage si le cœur lui en disait.

Alice eu beau fouiller dans sa mémoire, une licorne au pelage « aussi blanc que le marbre » et à la « carrure d'acier » ne lui disait rien. Même en enlevant toutes les hyperboles et exagérations, elle ne voyait pas lequel des étalons croisés à Canterlot avait été attiré par sa personne. Elle envisagea un instant, en se souvenant du dédain qu'ils avaient portés sur son physique de laideron, que cet lettre d'amour était hypocrite de bout en bout. Mais après une relecture attentive elle écarta à regret cette hypothèse. Il n'y avait aucune ironie cachée entre ces mots, juste une sincérité mièvre.

La jument jaune tira sur un de ses crins argentés, un tic trahissant chez elle une réflexion prononcée. Bien qu'elle soit très à l'aise avec la littérature, Alice était une novice en terme d'écrits amoureux, et plus généralement en terme d'amour. Comment pouvait-elle répondre à cette déclaration sortie de nulle part ? La première idée qui lui vint fut de ne simplement par répondre. Soit son adorateur prendra cela comme un refus, soit elle passera à ses yeux pour une garce, mais dans tout les cas le message passera : Elle n'en avait strictement rien à faire de lui.

Convaincue par son idée, Alice récupéra cette paperasse dégoulinante et se dirigea vers la cuisine. Elle n'était pas dupe. Toutes ces réceptions , ces cérémonies où son père l'emmenait depuis quelques temps avait un objectif. Même s'il le niait catégoriquement, la pégase en était sûre : Son père souhaitait la marier. Et cette lettre, écrite par un crétin certainement aussi moche qu'elle, ne faisait que la conforter dans cette idée.

Arrivée au niveau du broyeur à ordure, Alice l'actionna et y fit tomber le poème. Juste au moment où elle voulait faire subir le même sort à l'enveloppe, elle remarqua que celle ci n'était pas vide. Cachée dans un de ses coins, la photo d'un étalon blanc lui souriait. Ce fut un déclic immédiat pour la jeune ponette.

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Note de l'auteur

Ne sachant quelle unité de mesure est en rigueur chez les pégases, j'ai opté pour celles utilisées aéronautique (3 pieds~1 mètre d'altitude ; 1 nautique~1,85 km de distance).

Je sais très bien que le verbe « extraire » ne se conjugue pas au passé simple. Luttons contre cette injustice !

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EphelI
EphelI : #43665
speedangel02 novembre 2016 - #43664
Tres bon chapitre :)
euh, merci ^^
Il y a 1 an · Répondre
speedangel
speedangel : #43664
Tres bon chapitre :)
Il y a 1 an · Répondre

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