Comme prévu, le Sea Devil leva l'ancre le lendemain. Chacun avait dépensé sa solde comme il l'avait entendu, les vivres étaient chargés, en cale, et j'étais toujours à bord, prêt à reprendre la mer.
J'avais donc décidé de suivre le conseil de Windy, qui était de rester avec cet équipage, et ce capitaine, qu'elle disait digne de confiance. Si j'avais toujours du mal à confier la mienne à un pirate, il fallait admettre que je n'avais pas beaucoup d'autres possibilités. D'ailleurs, mes anciens compagnons du Ocean Rose avaient globalement pris la même décision. Trois d'entre eux avaient décidé de quitter le navire. Je n'ai jamais su ce qu'il leur était arrivé par la suite.
À ma grande surprise, et surtout à mon plus grand bonheur, Windy était venue aux docks pour assister au départ, et me souhaiter bonne chance pour la suite. Je crois qu'elle se faisait un peu de soucis pour moi. Je lui ai donc promis de revenir en un seul morceau.
Je continuais de la regarder tandis que le bateau commençait à s'éloigner, gravant son image dans ma mémoire. Plusieurs jours après notre départ, je repensais encore à elle. J'avais déjà tellement hâte de la revoir… Mais il fallait toujours que Gristle vienne me sortir de mes rêveries quand je devais retourner aux tâches routinières. C'était toujours aussi pénible, mais je mettais toujours plus de cœur à l'ouvrage. Je n'étais pas certain de ce qu'il allait advenir de moi avec ces pirates, mais j'étais sûr d'une chose : j'allais la revoir. Et cette simple pensée suffisait à me redonner courage.
Les trois premiers jours en mer étaient assez tranquilles. Le temps était nuageux, et la mer pas trop agitée. Fortune tenait à ce que j'occupe différents postes sur son bateau. Alors au quatrième jour, Gristle ne m'a, pour une fois, pas demandé de nettoyer, replier ou autre chose de ce que je fais d'habitude, mais m'a envoyé en cuisine pour assister le maître Cook, monsieur Wather Melon. Il n'aimait pas vraiment les intrus dans sa cuisine, mais a rapidement accepté mon aide. Contrairement à la plupart des autres membres d'équipages, ce dernier ne participait jamais aux combats. Mais il se disait tout de même pirate, prétextant son poste sur le bateau de Fortune, et le fait qu'il soit parfaitement capable de se défendre avec un couteau de cuisine et une pile d’assiettes. Je ne voyais pas encore en quoi cela faisait de lui un pirate, mais nous ne nous sommes pas attardés sur la question. Je suis retourné travailler avec lui plusieurs fois, épluchant les patates ou faisant la vaisselle. Au moins, ces corvées n'étaient pas trop fatigantes, comparées à ce que me faisait faire Gristle.
Six jours après notre départ, les pirates avaient repéré notre prochaine cible : un navire marchand qui revenait des pays de l'est, probablement chargé d'épices. La mer étant trop calme pour faire une attaque surprise avec un brouillard magique, comme pour l'Ocean Rose, les pirates ont opté pour une ruse plus classique. Ils ont hissé un pavillon blanc marqué d'une croix rouge en diagonale, signifiant une demande d'assistance, afin de pousser le navire adverse à s'approcher pour apporter de l'aide. Je déteste cette technique : vous trahissez la confiance d'un équipage qui ne pense qu'à faire preuve de solidarité, et vous en profitez pour leur sauter dessus et les dépouiller. La majorité de l'équipage trouvait aussi cela déloyal, mais c'était une technique efficace.
Comme Windy me l'avait assuré, Fortune ne me fit pas à participer à l'abordage. Il préférait que je me cache dans la cale en attendant la fin du combat. Personnellement, j'étais pour cette solution, mais j'ai fait la grimace quand il m'a tendu un de ses pistolets, chargé.
- Si on te trouve, ils essayeront sans doute de te capturer ou de te tuer, m'a-t-il expliqué. Si ta survie en dépend, n'hésite pas et tire.
- Jamais je ne tuerais qui que ce soit ! Ai-je immédiatement rétorqué.
- On verra bien !
Il me mit l'arme entre les sabots et s'éloigna avant que je ne puisse argumenter davantage. C'était la première fois que je touchais à une arme. Ma première idée a été de jeter le mousquet par-dessus bord, mais quand on navigue avec des pirates… il faut s'attendre à se faire attaquer à un moment ou à un autre. J'ai donc préféré le garder, au cas où. Croyez-moi, je ne serais pas là aujourd'hui si j'avais choisi la première option.
Même à la cale, je pouvais entendre le bruit du combat qui faisait rage depuis l'autre bateau. Les sabres qui s'entrechoquent, les tirs de mousquet… Je priais Celestia pour qu'il n'y ait pas trop de victimes. Et surtout, pour que le combat n'arrive pas jusqu'au bateau pirate. Je ne sais pas ce qui est pire, entre être au beau milieu d'un abordage ou être caché juste en dessous.
Heureusement, l'abordage s'est bien déroulé. Terrorisés, les marins du navire marchand n'ont pas résisté plus de quelques minutes. Un seul poney est mort pendant l'attaque. Un des nôtres, atteint à la tête par un tir de mousquet. Le capitaine a porté un toast à sa mémoire au moment du repas (il s'appelait Limbo Pacific, Paix à son âme). Plusieurs autres pirates, incluant ceux que Fortune a recruté sur le navire adverse, soufraient de nombreuses blessures, certaines tout simplement atroces à voir. J'ai été pris d'un profond malaise quand Gristle m'a demandé d'assister le chirurgien de bord pour ses opérations. C'était pratique pour moi, vu que j'apprenais les bases, au cas où je me faisais blesser à mon tour... Mais il y avait tellement de sang... Je suis retourné plusieurs fois sur le pont pour vomir par-dessus le bastingage. C'était trop pour moi, trop pour une première fois...
Trois jours après l'attaque, Fortune est venu me trouver, alors que je graissais les poulies, toujours sous les directives de Gristle. Mais c'était pour m'atteler à une tâche bien différente...
- Jolly Rodger.
- Oui capitaine ?
- Tu as bientôt fini ?
- C'est la dernière poulie.
- Bien. Alors termine et prend un coutelas. Il est temps de t'apprendre à te battre.
- Quoi ?
- Ne discute pas. Chaque poney à bord de ce navire doit être capable de se battre et de se défendre si les choses devaient mal tourner pour lui. Tu n'échapperas pas à la règle Jolly.
Anxieux, j'achevai mon travail avant de rejoindre le capitaine et le groupe de pirates qui s'était rassemblé au milieu du pont. Je reconnaissais parmi eux plusieurs de mes camarades du Ocean Rose. L'un d'eux me tendit un coutelas, que je pris entre mes dents, peu rassuré.
- Jolly, tu ne t'es jamais battu, alors c'est par toi qu'on va commencer, reprit Fortune. Place-toi face à moi.
Je trouvais cela étrange que ce soit le capitaine qui entreprenne de m'apprendre à manier le sabre d'abordage. Mais il était une fine lame, comme l'indiquait sa marque de beauté. Et son sabot de bois ne l’embêtait pas pour se battre, au contraire.
- On va commencer par les bases. Attaque-moi.
Il tira sa propre arme, prêt à me recevoir. Il voulait que je l'attaque ? Avec un vrai coutelas ? Pour qu'il réplique lui-même avec son propre sabre, tout aussi vrai que le mien ? Appréhension était un faible mot pour décrire mon ressenti à ce moment-là.
- Allez, encouragea-t-il d'un mouvement de tête. Ne sois pas timide.
J'hésitai encore quelques secondes, avant de me décider. Je balançais la tête pour essayer de frapper horizontalement. Mais, comme je l'attendais, il contre-attaqua. D'un coup de coutelas, il para mon attaque, se retourna et m'envoya un puissant coup de sabot arrière, me renversant sans me laisser la moindre chance riposter.
Je me redressai, un peu sonné. Le coup, m'avait coupé la respiration, mais c'est tout ce qui était à déplorer.
- C'est la base du combat au coutelas, expliqua Fortune. Dégager l'arme de l'adversaire pour l’assommer d'un coup de sabot bien placé. Si vous vous y prenez correctement, vous n'aurez pas besoin de l'achever.
- Mais… vous revenez souvent blessés des combats, fit alors remarquer un de mes camarades.
- C'est parce que lors des abordages, nous affrontons plusieurs poneys en même temps. Ce sont des combats de mêlée. Pour le moment, je vous parle des bases, à un contre un. Maintenant, nous allons voir si Jolly a compris le principe. Allez, relève-toi !
Je mis quelques secondes à comprendre ce qu'il venait de me dire. Il voulait déjà que je mette ça en pratique ? Alors que je ne l'avais vu faire qu'une seule fois ? J'obéis malgré-tout.
- Ornate, c'est toi qui vas l'attaquer. Face à lui. Exactement de la même manière.
Hésitant, Ornate Prize se plaça face à moi, son propre coutelas entre les dents. C'était le pégase vert qui m'avait appris à replier les voiles sur le Ocean Rose, mon ami.
- Jolly, souviens-toi qu'il va attaquer horizontalement. Ton but, c'est de l'éviter pour pouvoir lui mettre un coup de sabot.
- Mais… Si ça rate ?
- Essayez juste de ne pas trop vous amocher mutuellement.
Je jetais un coup d’œil inquiet à Ornate. Il semblait aussi inquiet que moi.
- V'effaierais d'y aller doufement, prévint-il.
- D'accord… ve vais faire attenfion.
J'aurais vraiment préféré commencer avec des épées en bois, mais selon Fortune, on est tout de suite plus prudents avec une vraie arme dans la bouche.
Ornate attaqua. Rapidement, je penchai la tête sur le côté, stoppant son mouvement. Je poussai son coutelas avec le mien, essayant de l'éjecter. Ce n'est pas ma force, bien inférieure à la sienne qui me permit de l'emporter, mais le mouvement que je donnais à mon sabre, et qui obligeait Ornate à tordre le cou pour garder sa saisie sur l'arme. Je profitai de ce déséquilibre : d'un mouvement, je me retournai, poussant le sabre de mon ami vers l'extérieur, et lui mit un coup de sabot dans le poitrail. Je n'ai pas frappé très fort, mais ce fut suffisant pour le faire reculer d'un bon mètre.
- Tu vois ? Tu y arrives, dit alors le capitaine, encourageant. Mais tu n'es pas obligé de forcer autant pour le désarmer. Un bon mouvement suffit. Maintenant, Hazy Might, à ton tour.
Après s'être assuré que tout le monde avait compris le principe et essayé au moins une fois, Fortune nous a fait continuer l’entraînement, deux par deux, nous montrant progressivement de nouvelles techniques. Par exemple, en enroulant son coutelas autour de celui de l'adversaire pour le lui arracher. J'ai fait des progrès rapides selon lui. Mais… au prix de plusieurs écorchures. Tout comme moi, mes camarades n'étaient pas encore à l'aise avec les armes. Et ce n'était pas plus simple pour les licornes. Faire léviter sa lame donnait de nombreuses possibilités, ce que son second, Gristle démontrait lors de ses propres leçons, mais encore fallait-il connaître les bonnes techniques pour parer correctement un autre coup.
Il me fallut une bonne semaine d’entraînement à la dure pour arriver à enregistrer complètement les bases. Mais mes réflexes de me cacher derrière mes sabots pendant un combat avaient du mal à disparaître. Régulièrement, donc, le capitaine tirait son coutelas et m'obligeait à contre-attaquer avec mon propre sabre. Il me renversait environ une fois sur quatre, mais cela semblait le satisfaire. C'est Gristle qui m'avait confié cette arme, me rappelant que je devais l'entretenir pour éviter qu'il ne rouille. Après les entraînements au corps-à-corps, C'est également lui qui m'apprenait à recharger mon mousquet. On le fait rarement en plein combat, mais au cas où, il valait mieux savoir le faire rapidement. Il était toujours assez brutal, mais je commençais à m'y habituer.
Si j'admettais l'utilité d'avoir une arme sur un bateau pirate, je n'aimais pas les porter sur moi. Je préférais souvent les laisser à côté de mon hamac. Heureusement, le combat n'était pas le seul type d’entraînement que Fortune voulait me faire suivre : quelque temps après avoir commencé celui au sabre, le capitaine voulut m'initier à la navigation. Étant lui-même bon navigateur, il n'avait pas eu besoin d'engager de pilote sur son navire.
- Et maintenant, tu pointes cette étoile, là-bas. C'est l'étoile du nord. Le sextant t'indiquera notre latitude.
- D'accord.
Imitant Fortune, je mis l'instrument face à mon œil, et essayai de m'en servir, comme il me l'avait indiqué. Par chance, je connaissais assez bien les constellations. Retrouver l'étoile en question serait facile par la suite.
- Trente-six degrés, capitaine.
- Bien. Maintenant, regarde cette carte. Ici, c'est notre point de départ. Hook Bay. Nous sommes partis avec un angle de quarante cinq degré vers le sud ouest, rejoindre les routes marchandes, dans ces environs. Une fois arrivé à la bonne latitude, nous nous trouvions à cet endroit. Après l'attaque du navire, nous sommes revenus vers l'ouest. Comme les vents soufflent généralement en sens contraire, nous avons dû faire un trajet en tirant des bords, comme ça, et en changeant régulièrement de direction. Si tu connais ta position de départ, ta direction, et ta latitude, tu retrouves facilement ta position actuelle.
- Mais… Il ne vous arrive jamais de vous tromper ?
- Ça arrive parfois à de mauvais navigateurs. Mais ça fait plus de quinze ans que je navigue. J'ai de la pratique. Allez, c'est tout pour ce soir.
Fortune roula la carte, et la rangea dans un étui. Il était toujours préférable d'avoir quelque chose pour la ranger et la protéger de l'humidité. Je lui rendis son sextant.
- Tu m'as l'air plus joyeux, depuis quelque temps, commenta-t-il.
- Oh, disons que… je m'habitue à cette nouvelle vie.
- Et plus rêveur, aussi. Tu as commencé à poursuivre un rêve ?
- Euh… non, pas vraiment.
- Non ?
Le capitaine me regarda quelques instants, pensif. Visiblement, ma réponse ne lui convenait pas. Il détourna le regard, faisant mine de changer de sujet.
- Gristle m'a laissé entendre qu'il t'avait retrouvé à la taverne de « la dernière bouteille » quand tu avais essayé de te faire la malle. Tu sais qu'elle appartenait à la jument d'un de mes amis ?
- Oui, Windy me l'a expliqué quand je l'ai rencontrée.
- Elle a été emportée par la maladie l'année dernière. Une perte malheureuse.
- Oui, c'est tragique.
Je soupirais alors que les souvenirs de mes conversations avec la jeune licorne me revenaient en mémoire. La pauvre… Condamnée à rester à terre pour vendre de l'alcool à des marins ivrognes, dans une ville de hors-la-loi… Je voulais tellement y retourner, pour la voir, la soutenir…
- Elle est mignonne, hein ?
- Ouais…
Je redressai subitement la tête en réalisant ce que je venais de dire. Je me tournai vers Fortune. Il me regardait en souriant bizarrement… Il avait compris ? Je plaquai mes oreilles en arrière, soudainement nerveux.
- Euh… non…
- Si.
- Non, non non non non…
- Moi, je crois que si.
- Non ! Juste… laissez tomber !
Je m'appuyai sur le bastingage, boudeur. Fortune, lui, continuait de sourire. Il s'approcha pour se mettre à côté de moi et reprendre la conversation.
- Tu sais, rêver, c'est ce qui fait vivre beaucoup de pirates. Ils naviguent, et espèrent qu'un jour, leur rêve deviendra réalité. Et que leur plus grand trésor leur apparaisse, au détour d'un récif.
- Je ne rêve pas de trouver un trésor !
- Tous les trésors ne sont pas d'or et d'argent.
Je restai silencieux quelques instants. C'est vrai… depuis que j'avais cessé de voir mon avenir en tant que marin de la marine marchande, je m'étais senti complètement perdu. Et depuis que nous avions quitté Hook Bay, je n’espérais plus que retourner là-bas, pour retrouver Windy… Était-ce de cela qu'il voulait parler ?
Fortune s'éloigna du bastingage, prêt à partir. Je commençais à m'interroger : J'avais mes rêves, mais… Ces pirates, quel genre de rêves avaient-ils décidés de poursuivre, en bandits des mers ? Je me retournai vers le capitaine.
- Dites, c'est quoi votre rêve, à vous ?
Fortune s'arrêta. Il se retourna, stupéfait. Puis, il baissa la tête, pensif, cherchant sûrement comment m'expliquer ce après quoi il courrait, en tant que capitaine du Sea Devil. Après quelques secondes, il releva la tête et répondit :
- Ce dont je rêve… ce serait de pouvoir m'acheter une petite maison dans un coin tranquille. Et profiter de ma retraite, loin des problèmes. Quand il sera temps pour moi d’arrêter de naviguer.
Sur ces mots, le capitaine se retourna, et s'éloigna vers sa cabine. Me laissant là, à méditer sur notre conversation. Au fond, les pirates entretenaient les mêmes rêves que n'importe qui. Paix et tranquillité. Je repensais de nouveau à Windy. Je nous revoyais, tous les deux, pendant notre pique-nique sur la plage, seuls, loin de nos problèmes quotidiens, heureux… Oui. Ça, c'était mon rêve. Étais-je tombé amoureux ? Oui, sans aucun doute.
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Si tu veux des terme technique pour ta fiction demande moi en mp ^^
Mais je ne suis pas sûr de comprendre : le "très" devant quoi ?
On dit "tirer des bords" ou même "louvoyer"
Sinon bon chapitre(j'ai retirer le "très" devant pour la faute de vocabulaire ;-p)