Comme en avait décidé le capitaine, j'ai passé le reste de la nuit aux fers, à la cale. Ça n'a pas l'air de grand-chose dit comme ça, mais rester là pendant des heures, dans cet environnement froid, sans rien pour atténuer l'inconfort du pont inférieur… vous comprenez pourquoi on appelle ça une punition. Et en prime, vous n'avez droit qu'à un morceau de pain et un pichet d'eau pour tenir le coup. J’eus cependant l'agréable surprise de découvrir qu'on avait ouvert le mien pour y mettre des fleurs de tournesol. Ces pirates me témoignaient à nouveau de la sympathie.
Je ne savais plus trop quoi penser au sujet des pirates. Certains avaient l'air assez amicaux… mais c'étaient toujours des pirates, des bandits des mers. Deux notions qui me paraissaient encore tout ce qu'il y avait de plus contradictoire. Comment pouvait-on tuer et voler tout en étant capable de se montrer amical ? J'avais vraiment du mal à le concevoir.
Windy m'avait affirmé que la plupart des pirates avaient choisi la piraterie par nécessité. Je pouvais comprendre qu'un poney décide de voler, de s'en prendre à un autre poney, ou pire, si sa vie en dépendait. Mais de là en faire un mode de vie… Quoi qu'elle puisse en dire, c'est quelque chose que je désapprouvais.
Le lendemain, donc, Gristle est venu pour me libérer. Il me semblait moins agressif que d'habitude, étonnamment. Mais il m'a malgré tout traîné assez brutalement sur le pont, avant de me mettre sous le nez le manuel où était noté le code des pirates en vigueur sur le Sea Devil. Le but étant de me le faire apprendre avant de me permettre de retourner à terre. Les grands principes sont simples : un pirate doit entretenir ses armes et les maintenir en état, ne doit ni voler ni se battre contre un autre pirate, ne doit pas laisser une bougie sans surveillance, etc. Il ne me fallut que quelques minutes pour les enregistrer.
J'avais donc quartier libre pour la journée. Après quoi, le capitaine voulait que je revienne le voir pour lui donner ma décision finale, si je quittais le navire ou pas. Je ne savais pas encore trop quoi faire, alors j'ai décidé d'y repenser pendant mon séjour à terre. Mais avant toute chose, il y a quelqu'un que je voulais essayer de revoir.
Les rues mal entretenues du port pirate semblaient moins agitées pendant la journée. Il restait bien un certain nombre de marins et passants en tout genre, mais ils n'étaient pas aussi ivres qu'au premier soir où j'y avais débarqué. Méfiant malgré-tout, je me dirigeais vers la taverne de Windy.
Quand je suis arrivé face au bâtiment, la porte principale de « la dernière bouteille » était ouverte, mais un écriteau placé devant indiquait « fermé pour la journée ». Cela ne me surprenait pas vraiment, vu les dégâts qui étaient survenus la veille. Mais je m'inquiétais surtout de savoir si Windy arrivait à remettre de l'ordre toute seule. Peut-être pouvais-je essayer de lui venir en aide…
Je passai donc la porte. Si l'air à l'intérieur n'était pas aussi nauséabond que la veille, le reste de la pièce était toujours dans un état déplorable. J’aperçus Windy, la seule personne présente, penchée sur une table, des clous et un marteau flottant à proximité, essayant de remettre en place un pied manquant. J'étais tellement désolé pour elle, qu'elle ait à subir ça… Elle ne semblait pas m'avoir entendu arriver. Je toquai donc à la porte.
- Vous n'avez pas vu le panneau ? On est f…
Elle s’arrêta net quand elle m’aperçut, visiblement surprise.
- Oh ! C'est toi... Jolly c'est cela ?
- Oui… salut Windy.
- Désolée si tu es venu pour boire, mais…
- Non non, je passais juste… voir comment ça allait. Avec ce qu'il s'est passé hier…
- Eh Bien… ça va. J’essaie de réparer le mobilier. Mais la taverne est encore loin d'être présentable.
Je m'approchai, regardant autour de moi. Effectivement, mise à part les débris de verre qui ne traînaient plus au sol, et les quelques meubles qui avaient été déplacés, l'état de la pièce n'avait pas vraiment évolué.
- Euh… tu veux peut-être un coup de sabot ? Lui proposai-je alors. Je suppose que ça ira plus vite à deux.
Windy se mit à sourire. Sans doute flattée que pour une fois, un de ses clients décide de lui venir en aide après que la salle ait été dévastée.
- Ce n'est pas de refus.
Par magie, elle me passa sa boîte de clous et son marteau, et se servit pour elle d'un débris de tabouret irréparable. J'entrepris alors de rafistoler un autre pied cassé. J'avais un peu l'habitude de ce genre de bricolage, ayant participé à la construction d'un faux navire corsaire dans le jardin de la maison familiale…
- Alors, comment ça s'est passé avec Fortune ? Me demanda-t-elle en travaillant.
- Je m'en suis bien sorti, je pense. J'ai passé le reste de la nuit aux fers. Mais il n'avait pas l'air de m'en vouloir.
- Tu vois qu'il n'est pas si terrible comme capitaine.
- Oui… mais je préfère rester méfiant… au cas où.
Windy faisait relativement confiance aux pirates, contrairement à moi… même si elle a affirmé qu'elle conservait un pistolet sous son comptoir au cas où l'un d'eux aurait l'idée de s'en prendre à elle.
- Mais…dis, il n'existe pas un sortilège pour réparer des objets ? Lui demandai-je un peu plus tard.
- Si, mais à force d'être réutilisé encore et encore sur le même objet, il finit par perdre en efficacité. Alors on finit par revenir à des méthodes plus classiques : des clous et un marteau.
- On dirait que la magie ne peut pas tout résoudre.
- Eh non...
Il nous fallut deux bonnes heures pour redonner à la salle un aspect correct. Plusieurs tables et tabourets étaient maintenant bancals, mais fonctionnels.
- Merci pour le coup de sabot Jolly, conclut Windy en remettant le dernier tabouret sur ses pieds.
- Ah, c'était naturel.
- Euh…il est presque midi. Je t'offre quelque chose ?
- Oh, je ne voudrais pas faire couler ton commerce…
- Oh, non. Je vais pouvoir ouvrir plus tôt que prévu grâce à toi. Je peux bien en profiter pour te récompenser.
- Oh, bien… d'accord dans ce cas.
- Allez, je t'invite.
Je la suivis jusqu'à l'arrière-boutique, où elle semblait habiter. La pièce principale devait servir en même temps de salon et de cuisine. Windy ne vivait pas dans le grand luxe, mais elle ne semblait manquer de rien. En entrant, elle se dirigea immédiatement vers le garde-manger, mais au lieu de mettre la nourriture sur la table, elle commença à remplir un panier posé à proximité. Je la regardai faire, intrigué.
- Je préfère pique-niquer d'habitude quand il y a du soleil, expliqua-t-elle. Tu vas voir, je connais un coin assez sympa à deux pas d'ici. Tu préfères de l'avoine ou des marguerites ?
- Plutôt les marguerites s'il te plaît.
Windy acheva de remplir le panier. Elle le souleva par magie, et ressortit de la salle, s'arrêtant au comptoir de la taverne pour y prendre deux bouteilles.
- Allez, tu viens ?
Je la suivis quelques minutes, quittant le village pour traverser la végétation dense qui poussait sur l'île, jusqu'à rejoindre une petite plage, dans une crique proche. L'endroit ne manquait pas de charme. Le sable était fin, accueillant, les nombreuses plantes qui la bordaient, des broussailles, des palmiers, nous protégeaient du vent d'ouest, et au loin, on pouvait voir les navires qui partaient et revenaient au port. La scène devait être encore plus magnifique lors d'un coucher de soleil. C'est dans ce décor paradisiaque que nous nous sommes installés pour manger.
- Alors, qu'est-ce que tu en penses ? Me demanda alors Windy.
- C'est… Vraiment magnifique.
- Je viens souvent ici quand j'ai envie de me détendre. Je reste assise là, à regarder les bateaux passer, et j'essaye d'imaginer à quoi ça ressemble là-bas, derrière cet horizon.
- Tu aimerais ? Partir au loin et ne jamais revenir ?
- C'est mon rêve parfois. Mais… Je ne sais pas si je pourrais vivre en pirate et risquer ma vie sur les mers. Pour le moment, j'ai ma taverne, et une affaire qui tourne. Ça me suffit.
Elle soupira, visiblement ennuyée. Puis se tourna pour me regarder droit dans les yeux.
- Mais parle-moi plutôt de toi. Pourquoi est-ce que tu voulais devenir marin à la base ?
- En fait, je voulais suivre les traces de mon père, qui travaillait dans la marine marchande. Souvent, il nous racontait ce qu'il lui était arrivé en mer, quand il rentrait. Les paysages qu'il a vu, les tempêtes qu'il a essuyées, et… tous les autres trucs qu'il faisait avec le reste de l'équipage.
- Tu as l'air de l'admirer.
- Oui. Et toute ma vie, j'ai rêvé de partir à l'aventure sur l'océan. Mais… Je ne m'attendais pas vraiment à ce que ça prenne cette tournure.
- La vie nous réserve de drôles de choses parfois.
- Ouais.
Je soupirai à mon tour, me demandant encore une fois comment j'avais fait pour en arriver là. Windy, elle, prit une bouchée de fleurs avec du pain, avant d’enchaîner :
- Et autrement, tu as de la famille ?
- Juste ma mère, mon grand frère et ma petite sœur. Ils habitent toujours à Baltimare, sauf mon frère qui s'est engagé sur un galion il y a un an.
- C'est déjà pas mal, comparé à moi.
- Euh… oui, c'est vrai… Désolé.
- Ah, t'en fais pas. Je commence à avoir l'habitude.
Windy regarda autour d'elle, essayant visiblement de changer de sujet. Par magie, elle attrapa une des bouteilles qu'elle avait apportées, et me la tendit.
- Tiens, goûte-moi ça. Tu m'en diras des nouvelles.
- Qu'est-ce que c'est ?
- Un nouveau cocktail que je vais essayer de mettre en vente à la taverne. Je l'ai appelé « Citrus up ». Dis-moi ce que tu en penses.
Je pris la bouteille, et, intrigué, humai l'odeur du mélange avant de me risquer à en prendre une gorgée. Le goût était acidulé, sucré, mais pas trop. Il y avait plusieurs agrumes, de l'orange, du citron… et une autre saveur que je ne connaissais pas encore.
- Pas mauvais, dis-je après avoir avalé ma gorgée. On sent bien les agrumes. Mais il y a autre chose dedans…
- C'est du rhum. Il n'y en a pas beaucoup, juste assez pour donner du goût. L'ensemble n'est presque pas alcoolisé.
Je lui rendis la bouteille. Elle en but elle-même quelques gorgées avant de reprendre la conversation.
- J'essaye généralement de proposer des boissons diluées pour éviter que mes clients ne se saoulent trop vite, expliqua-t-elle. Mais ils préfèrent souvent des alcools forts.
- D'où les bagarres, répondis-je en mettant quelques fleurs sur un morceau de pain.
- Entre autre. Mais c'est souvent comme cela dans les tavernes proches de la côte.
Nous sommes restés silencieux quelques minutes, pour profiter du repas et du paysage. Mais mon regard se perdait surtout sur la jeune licorne, assise dans le sable fin à côté de moi. Sa robe d'un azur lumineux, sa crinière blonde qui semblait scintiller au soleil…
- Hey !
J'ai sursauté en m’apercevant que Windy me regardait aussi. Pendant combien de temps l'avais-je fixée aussi bizarrement ? Je m'affolai, cherchant une explication.
- Oh… Euh… Pardon… j'étais… Enfin…
Je devais vraiment avoir l'air débile sur le moment. Mais à ma grande surprise, Windy se mit à rire, plutôt amusée par la situation. Un rire clair et cristallin…
- Tu avais l'esprit ailleurs ?
- Euh… oui, c'est ça.
Je baissai nerveusement les oreilles, embarrassé.
- Détends-toi Jolly, me dit-elle alors. Pas besoin de te sentir gêné.
Cette remarque eut pourtant sur moi l'effet inverse. Avait-elle compris à quoi j'étais en train de rêvasser ? Au sourire qu'elle avait en coin, cela avait l'air d'être le cas. Ça commençait à devenir vraiment bizarre…
- Alors… quand est-ce que tu pars ? Me demanda-t-elle.
Ouf. Elle m'offrait une échappatoire. Mais… à vrai dire, cette question m’embêtait également.
- Le Sea Devil est supposé lever l'ancre demain, mais… je ne sais toujours pas si je vais rester à leur bord.
- Pourquoi ?
Elle semblait vraiment interloquée. Je me tournai à nouveau vers elle pour lui expliquer.
- Au début, tout ce que je voulais, c'était m'échapper, trouver un moyen de rentrer chez moi, et de me faire engager sur un autre navire marchand. Mais… Hier, Fortune m'a dit que c'était devenu risqué, à cause de mon enlèvement. Les autorités risquent de m'accuser de piraterie. Moi, tout-ce que je voulais, c'était me trouver un travail honnête dans la marine marchande. Maintenant… je ne sais plus quoi faire.
Je baissai la tête en soupirant, désespéré. Je risquais de ne plus jamais revoir ma famille, d'avoir des difficultés à trouver un autre poste, je ne savais même pas si il y avait autre chose que des pirates à Hook Bay qui possédaient un navire. J’étais complètement perdu.
Un objet vint planer en face de moi. Windy me tendait à nouveau la bouteille de « Citrus up », m'invitant à en reprendre. Je la pris en sabot.
- Merci.
J'en repris trois grosses lampées, essayant de faire passer mes angoisses. Windy me laissa finir avant de reprendre.
- Tu sais, tu n'es pas le premier à passer par là. Beaucoup de pirates tout juste recrutés se sont sentis perdus au début. J'en ai vu passer dans ma taverne.
Je me redressai pour regarder à nouveau la jeune licorne. Son expression se faisait sincère, rassurante…
- Tu finiras par te trouver une nouvelle vie. Ne t'en fais pas pour ça.
- Mais qu'est-ce que je devrais faire pour le moment ?
- A mon avis, tu devrais rester avec Fortune. Dans l'immédiat, tu ne peux pas espérer trouver de meilleur situation.
- Tu penses ?
- Allez, ne soit pas timoré ! Fortune est un vrai capitaine. À côté, beaucoup ne sont que des brutes épaisses. Lui, au moins, il a de l'honneur.
Windy m'envoya un regard confiant. C'est vrai que pour un pirate, Fortune n'était pas spécialement violent ou cruel. Même si lui et son second pouvaient se montrer brutaux. De toute façon, je ne tenais pas spécialement à quitter le navire pour trouver pire ensuite.
- Merci. C'est ce que je vais faire.
- Si tu pars du bon sabot, ça devrait s'arranger.
Le temps devint subitement plus sombre. Un nuage était en train de masquer le soleil. Windy se leva, décidant que le pique-nique était terminé.
- On dirait que le temps se gâte. On ferait mieux d'y aller. Tu vas retourner voir Fortune ?
- Oui. Il faut que je le prévienne, si je veux rester à son bord. J'espère juste qu'il ne voudra pas me faire participer aux abordages.
- Tu n'as pas à t'en faire. Fortune attendra que tu sois prêt pour les assauts.
Je l’espérais bien. Je n'avais pas l'intention de détrousser d’honnêtes marins pour mon propre intérêt. D'autant plus que je ne savais me servir ni d'un coutelas, ni d'un pistolet. Me battre était hors de question.
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