De discrets bruits de sabots descendant le couloir. Le grincement d’une porte qui se ferme, son loquet qui se verrouille.
Lyra était toujours debout, attentive aux sons lui témoignant que Bon-Bon allait se coucher, attendant jusqu’à être sûre qu’elle ne serait pas dérangée. C’était plus pour le bien de Bon-Bon que pour le sien ; Lyra avait promis qu’elle ne l’y prendrait plus après le premier incident.
Elle était assise sur son lit, son journal sur sa table de chevet. Elle leva ses deux sabots avant face à son visage, ferma les yeux, et se concentra. Lentement, elle sentit la magie la transformer. Toute cette pratique avait rendu le sortilège nettement plus facile à incanter, avec moins d’accidents. Elle ne prêtait quasiment plus attention à la sensation désagréable pendant le processus. Il n’avait fallu que deux nuits après la crise de panique de Bon-Bon pour que Lyra ne soit tout simplement plus capable de résister à l’envie d’expérimenter à nouveau son écriture manuscrite. Voilà qu’elle le faisait à présent au moins trois nuits par semaine.
Lorsqu’elle rouvrit les yeux, elle vit une parfaite paire de mains. C’était une image qui parvenait toujours à la faire sourire. Elle fit jouer ses doigts, s’adaptant de nouveau à leur sensation. Quelles seraient les réactions si elle tentait de les conserver ainsi, tout le temps ? En effet, la plupart des poneys réagiraient probablement de la même manière que Bon-Bon… Au moins, Lyra pouvait toujours faire apparaître ses mains dans ces moments-là, quand elle se trouvait toute seule. Elle se munit d’une plume et de son journal, qu’elle ouvrit sur une page blanche.
Il n’y avait plus eu de rêves durant les quelques dernières nuits. Cependant, un des détails récurrents la faisait bien cogiter ces temps-ci. Alors qu’elle toisait le papier, Lyra se gratta le menton, songeuse, puis se mit à esquisser quelques lignes.
Tout d’abord, elle devait trouver la bonne posture. Et les courbes de la silhouette. Les humains femelles montraient quelques différences dans leurs formes par rapport aux mâles. Lyra fit courir ses doigts le long de sa crinière. Elle descendait jusqu’en dessous de ses épaules, donc elle voulut l’ébaucher ainsi sur le dessin. Cela ne faisait pas un très bon effet, alors elle la raccourcit un peu. Un cou humain n’était pas aussi long que celui d’un poney.
En outre, il y avait le problème des vêtements. Un poney n’en portait que pour des circonstances particulières, mais les humains étaient toujours vêtus de la tête aux pieds. Au quotidien ils portaient un pantalon - Lyra en dessina un sur les jambes de la silhouette, et un t-shirt à manches longues au-dessus. Oui, cela rendait plutôt bien.
Finalement, le visage. Lyra s’arrêta un moment. Ses doigts caressaient négligemment la plume. À quoi exactement pourrait bien ressembler son visage en tant qu’humaine ? Elle tenta sa chance avec un visage féminin générique. Les yeux… ils avaient l’air un peu petits, mais c’était normal. Ses oreilles ne seraient pas pointues le moins du monde et se positionneraient de chaque côté de la tête, à peu près centrées. Pas de corne.
La corne était le sujet de bon nombre de ses réflexions. Les humains n’en avaient pas, donc ils ne pouvaient pas pratiquer la magie. Ce n’était peut-être pas plus mal. Après tout, la possibilité de manipuler des objets de leurs mains se présentait comme un échange équitable. Elle tint sa main gauche immobile pour l’observer tandis qu’elle dessinait avec la droite. Cela semblait plus facile de maîtriser la plume avec cette dernière, donc elle l’utilisait tout le temps.
Et voilà. Voilà à quoi elle ressemblerait en tant qu’humaine. Lyra souleva le livre et examina son travail. Elle avait plutôt bonne figure. Tous ces détails bizarres - la station bipède, l’absence de queue, les doigts, quand ils sont tous rassemblés sur une silhouette humaine, n’avaient plus du tout l’air si étranges. Lyra se surprit à vraiment souhaiter avoir cette apparence, mais… les mains avaient déjà demandé assez d’efforts comme ça. Elle soupira. Ce serait sans doute hors de question.
Lyra ferma son journal et le reposa sur la table de nuit. Puis elle souffla sur les bougies et posa sa tête sur l’oreiller. C’était probablement un peu ridicule de s’imaginer en humaine. Savoir qu’ils existaient n’y changeait rien. Elle ne serait jamais véritablement humaine quoi qu’elle fasse.
Une démangeaison la saisit derrière l’oreille, elle leva sa patte pour se gratter… et réalisa qu’elle avait gardé ses mains. Il s’en était fallu de peu. Lyra avait beau les aimer, Bon-Bon pourrait bien la jeter dehors si elle les gardait : celles-ci devaient donc disparaître. La lueur verte émanant de sa corne les éclaira alors qu'elles disparaissaient dans ses sabots.
***
Le matin suivant, Bon-Bon préparait le petit-déjeuner, comme chaque weekend. Durant le mois qu’elle avait entre les deux fêtes les plus importantes de l’année, son travail se déroulerait à une cadence plus détendue, lui permettant de se reposer un moment. Sans parler de toutes les folles manies de Lyra qui semblaient aussi s’être calmées récemment. Bon-Bon serait très heureuse si elle ne revoyait plus jamais une autre paire de mains.
« Bonjour, Bon-Bon, salua Lyra.
— Bonj… » Bon-Bon se retourna, vit Lyra, et se figea. « Heu… C’est quoi ce… »
Lyra était vêtue d’une chemise blanche et – chose particulièrement étrange pour un poney – d’un pantalon noir. Une cravate pendait librement autour de son cou. Bon-Bon eut la désagréable impression de connaître la raison de cette tenue, mais elle espérait se tromper.
« Je vais bientôt me rendre chez Rarity, déclara Lyra. Je pensais que tu savais que j’irais récupérer ma robe pour le Gala aujourd’hui. »
Bon-Bon poussa un soupir de soulagement. « Ah, oui. J’avais quasiment oublié que tu lui en avais demandé une. »
La corne de Lyra scintilla alors qu’elle se reportait sur sa cravate pour l’ajuster. « De toute façon, les humains s’habillent tout le temps comme ça, et j’envisagerai bien d’en faire une habitude. Personnellement, je trouve que ça me va assez bien. »
Bon-Bon la dévisagea. Elle commença à parler – ou à balbutier plutôt, ne sachant pas quoi dire. Elle baissa les yeux sur les sabots de Lyra pour s’assurer qu’ils étaient bel et bien toujours des sabots. « Hum, c’est…
— Tu n’aimes pas ? » demanda Lyra.
Bon-Bon plissa du nez. « Ce n’est pas ça, c’est juste… Ben, que ça doit être assez incommode de devoir s’habiller tous les jours. Tu es sûre de vouloir t’embarrasser avec ça ?
— Nan, ce n’est pas vraiment un problème. C’était très vite fait. » Lyra s’assit devant le petit-déjeuner. « Bref, bon appétit ! »
Prenant une profonde inspiration, Bon-Bon la rejoignit. Les habits n’étaient pas vraiment un souci. Certains poneys les aimaient. Et Lyra finirait peut-être par se lasser après quelques temps et laisserait tomber cette fantaisie.
Mais elle s’était une fois de plus assise de cette façon, s’appuyant sur le dossier de la chaise. C’était comme si elle s’imaginait faire partie des leurs.
***
Lyra sortit peu après le petit-déjeuner. Il faisait assez frais dehors. Les feuilles commençaient déjà à tomber, mais les arbres ne se dévêtiraient pas complètement avant les deux prochaines semaines, jusqu’à ce que la Course des Feuilles ait lieu. L’orange et le rouge des arbres contrastaient totalement avec le ciel gris.
Porter des vêtements était une bonne façon de rester au chaud. Cela aidait très bien à se protéger du vent. Ça pouvait être une bonne habitude à prendre, finalement. Lyra commençait à se demander pourquoi cet aspect particulier de la culture humaine n’avait pas été retenu par les poneys.
Lyra remarqua que quelques têtes se tournaient pour la regarder tandis qu’elle trottait à travers la ville, en direction de la boutique de Rarity. Dans ses rêves, les humains portaient des vêtements tout le temps, mais il n’en était pas du tout ainsi dans la culture équestrienne. Un poney vêtu se démarquait fortement des autres.
Lyra toqua à la porte de chez Rarity et attendit patiemment, fredonnant un air avec complaisance et se balançant d’avant en arrière sur ses sabots.
La porte s’ouvrit, et lorsque Rarity s’aperçut de qui il s’agissait, elle lui adressa un sourire.
« Ah, je t’attendais bien aujourd’hui. Entre donc. Jolie tenue, au passage.
— C’est vrai ? s’enquit Lyra, la suivant dans la boutique.
— Oh, mais bien sûr ! Le classique noir et blanc, et cette cravate qui rehausse parfaitement le tout… Tu es bel et bien originaire de Canterlot, n’est-ce pas ? » Rarity l’examinait d’un air approbateur. « C’est pour une occasion spéciale ?
— Nan, ça m’est venu comme ça, répondit Lyra. Je trouve les pantalons très confortables en fait.
— Tu sais, ma mère semble les aimer aussi, bien que je les aie toujours trouvés un peu… étroits, je suppose », avisa Rarity en fronçant des sourcils. Elle reporta son attention sur Lyra. « Oh, mais ils te vont très bien par contre !
— Merci ! » Rarity lui avait semblé assez sincère.
« Mais ne nous laissons pas distraire pour autant. Je suis sûre que tu vas adorer ce que j’ai confectionné pour toi, clama Rarity, la dirigeant à travers un désordre chaotique de croquis et d’ustensiles pour s’arrêter devant une toute nouvelle robe exposée sur un mannequin. Comment la trouves-tu ? »
La robe de Lyra était d’une pure blancheur à part pour quelques broderies et ornements turquoise au niveau du dos. L’arrière se courbait de façon harmonieuse. Les manches et le cou étaient emprunts de tons dorés, et une broche semblable à sa cutie mark en forme de lyre se trouvait sur le devant.
« Elle est… géniale ! » s’enthousiasma Lyra. Cela lui rappelait une toge plus qu’autre chose – c’était un ancien style de vêtement humain, bien qu’elle doutait que Rarity n’en ait jamais entendu parler.
« Pourquoi ne pas l’essayer ? proposa Rarity. Il faut que je m’assure qu’elle soit absolument parfaite. Oh, et n’oublie pas les chaussures qui y sont assorties et la pince à crinière. Mieux, je t’ai fabriqué un ensemble complet.
— Waouh, c’est vraiment impressionnant, s’émerveilla Lyra, admirant les détails de la broche.
— Alors vite. J’aimerais voir comment elle te va », pressa Rarity. Sa corne scintilla alors qu’elle soulevait l’habit du mannequin pour le tendre à Lyra.
« Bien sûr, répondit-elle. Hum… tu permets ? » Elle alla changer son haut et son pantalon contre la robe derrière un paravent.
Rarity rejoignit Lyra qui examinait son reflet dans le miroir. « Alors, la trouves-tu à ton goût ?
— C’est excellent », estima Lyra. Elle se tourna d’un côté puis de l’autre, allongeant son cou afin de s’observer par tous les angles. Puis, elle se leva délicatement sur ses pattes arrière.
« Hum… que fais-tu ? demanda Rarity.
— Je voulais juste voir à quoi ça ressemblerait… » répondit Lyra. Elle essaya de rester en équilibre, mais il était difficile de se tenir sur deux pattes très longtemps.
Rarity se mordit la lèvre. « Lyra, j’ai remarqué que tu t’asseyais parfois de manière un peu étrange, surtout lorsque tu joues de la lyre. Au Gala, peut-être devrais-tu essayer de te comporter un peu plus… » Elle chercha les mots. « …comme une lady. »
Lyra retomba sur ses quatre pattes. « Ah ? Oh. D’accord…
— C’est un événement officiel. Tu as beaucoup de chance d’y avoir été invitée. Tu devrais savoir qu’ils s’attendront à toutes les formalités à Canterlot, l’avertit Rarity.
— Tu t’es déjà rendue au Gala avant, n’est-ce pas Rarity ? » questionna Lyra.
Rarity se crispa. « Eh bien… oui, mais j’ai bien peur de ne plus y retourner de nouveau. Cependant… n’hésite pas à dire à tout le monde d’où vient ta robe sur-mesure. Et si jamais tu repères n’importe quelle célébrité importante de Canterlot…
— Je ne les reconnaîtrais sûrement pas même si j’essaye. Je n’ai jamais vraiment fait attention à ce genre de chose… objecta Lyra. Merci encore, en tout cas.
— Il n’y a pas de quoi. » Rarity retrouva son sang-froid. « Aimerais-tu que je te l’emballe ? »
***
Lyra sortit de la boutique et traversa Ponyville pour retourner chez elle, songeant aux dires de Rarity. Le paquet lévitait à ses côtés.
Canterlot.
Lyra éprouvait des sentiments partagés à l’idée d’y retourner. Comme l’avait dit Rarity, tout y était très formel. Superficiel et ennuyeux conviendraient mieux. Cependant, le Grand Gala Équestre restait un honneur. Y être invitée représentait une reconnaissance de son talent de musicienne.
Elle arriva à la maison et ouvrit la porte. Sa tête était plongée dans ses pensées alors qu’elle se rendait comme d’habitude dans le salon.
Rarity l’avait vraiment assimilée à un « poney de Canterlot ». Quelle ironie. Ces vêtements allaient bien mieux à un humain qu’à la haute société. Lyra ne s’était jamais sentie à sa place à Canterlot, ce qui expliquait pourquoi elle avait été si heureuse de quitter la maison de ses parents.
« Ah, elle est là ! Tu nous as manqués, Heartstrings ! »
Lyra releva brusquement la tête à la voix de son père. Bon-Bon était assise dans le salon en compagnie d’une licorne bleu foncé et d’un pégase mauve. Lyra en fut bouche-bée. Ses… parents ? Ici ? Maintenant ? Le paquet tomba par terre. « Papa ? Maman ? Qu-qu’est-ce que vous faites ici ?
— Ils sont arrivés il y a quelques minutes. Je leur ai dit que tu n’en aurais pas pour longtemps, répondit Bon-Bon.
— Nous t’avions avertie que nous te rendrions visite aujourd’hui, déclara sa mère. Tu as dû recevoir notre lettre. Tu es même habillée. Très charmant.
— Oh… bien sûr », esquissa Lyra, souriant nerveusement. Elle n’avait reçu aucune lettre. Elle desserra sa cravate ; il semblait faire de plus en plus chaud là-dedans. Bizarre, elle grelottait encore dehors quelques secondes plus tôt. « Laissez-moi juste poser mes affaires et je reviens tout de suite. »
Quittant la salle peut-être un peu trop rapidement, Lyra se dirigea vers sa chambre. Elle jeta d’abord le paquet dans son armoire, puis fit léviter son journal pour le cacher sous son lit. Se précipitant dans le bureau, elle retira tous ses vieux livres des étagères et les regroupa derrière le sofa.
Lyra inspecta la salle, satisfaite de ses efforts. Devrait-elle enlever ses vêtements d’humain ? Non, cela prendrait trop de temps. De plus, sa mère avait déjà donné son avis dessus. Lyra se retourna, uniquement pour se retrouver nez à nez avec Bon-Bon.
« Tu ne m’as jamais dit que tes parents nous rendraient visite, Heartstrings, grommela Bon-Bon, en plaçant un accent singulier sur le nom. C’est quoi cette histoire de lettre ?
— Je n’ai jamais rien reçu. Elle a dû se perdre dans le courrier », se défendit Lyra. Ses yeux faisaient le tour de la salle, cherchant le moindre signe d’omission. « Tu connais bien ce pégase qui nous délivre toujours le courrier. Elle est complètement tête en l’air. Elle égare des trucs tout le temps.
— C’est peut-être le cas, Heartstrings. Mais qu’importe, j’étais justement sur le point de préparer le repas. Je serai dans la cuisine. Pourquoi ne tiendrais-tu pas un peu compagnie à ta famille ? Ils t’attendaient avec impatience. »
Les yeux de Lyra firent à nouveau le tour de la salle. « Super ! On est d’acc- » Elle s’interrompit. « Attends, pourquoi tu répètes mon nom comme ça ?
— Comme quoi, Heartstrings ? demanda Bon-Bon, avec un rictus.
— Je… » amorça Lyra. Elle cligna des yeux. « Je ne t’ai jamais dit quel était mon vrai nom, c’est ça ?
— En effet. J’étais persuadée qu’ils avaient dû se tromper de maison quand ils ont voulu voir “Heartstrings”. Si tu avais pu voir la tête qu’ils ont faite quand je leur ai dit que ma colocataire “Lyra” était de sortie ! Pourquoi ne m’as-tu jamais dit que “Lyra” n’était qu’un surnom ? » s’emporta Bon-Bon.
Lyra soupira. « Soit… Je me suis fait appeler par un nom humain depuis mon arrivée à Ponyville. »
La mâchoire de Bon-Bon tomba raide ouverte, mais elle n’ajouta rien. « Le réflexe n’a pas été acquis par mon entourage à Canterlot autant que je l’espérais, mais… je n’ai jamais aimé mon vrai nom.
— Cela fait déjà plusieurs années qu’on vit ensemble. Tu aurais au moins pu me révéler ton nom, quoi !
— Désolée… Mais là j’ai vraiment besoin que tu m’aides ! Je t’en supplie, ne dis rien à mes parents sur les recherches que je mène.
— Tes… recherches ? lâcha Bon-Bon, fronçant les sourcils.
— Sur les humains. Mes parents… Ils n’ont jamais vraiment apprécié mon projet. Ils pensaient que ça me passerait. Tout ce qu’ils ont toujours voulu pour moi se résume à ce que je sois une “licorne normale”. Tout ce qui touche aux humains… Pour eux c’est du grand n’importe quoi.
— Lyra, pour moi c’est du grand n’importe quoi.
— Combien de fois devrais-je le répéter ? La réaction de Luna prouve qu’il y a là de la matière à creuser ! Je vais faire une découverte. » Lyra pris une grande inspiration. « Mais… Je t’en supplie. Juste pour aujourd’hui, pourrais-tu agir comme si j’étais… normale ?
— Tu as conscience d’à quel point ça va être difficile, remarqua Bon-Bon d’un air consterné.
— Je suis désolée. Je sais que je t’en ai fait voir de toutes les couleurs dernièrement », répondit Lyra. Elle regardait par terre, se voulant le plus désolé possible. Elle espérait avoir l’air convaincante.
« Normale, répéta Bon-Bon. Tu te rends compte de ce que tu me demandes, j’espère ? Tu m’as même caché ton vrai nom ! Et après ce coup avec ces mains…
— Pas si fort, par pitié ! » La voix de Lyra s’était transformée en un murmure forcé. Elle jeta un œil au salon, nerveuse.
« Tu es complètement folle, affirma Bon-Bon en secouant sa tête. Je ne sais pas encore combien de temps je vais pouvoir supporter tout ça.
— Je suis vraiment désolé, crois-moi. C’est juste que… ils étaient si fiers quand ils ont su que j’avais été engagée pour le Gala, et ils ont toujours voulu que je me concentre sur ma carrière musicale… dit Lyra. Ils ne comprennent pas ce que les humains représentent pour moi.
— Moi non plus.
— Juste aujourd’hui. On ne parlera pas d’humain.
— Ça semble merveilleux, Heartstrings. Tu pourrais peut-être en faire une habitude, suggéra Bon-Bon.
— Je suis sérieuse, ne dis rien. » Elle pointa son sabot vers Bon-Bon. Elle ne voulait plus en parler. Elle se dirigea vers le salon tandis que Bon-Bon rentrait en cuisine.
« Désolé de vous avoir fait attendre », s’excusa Lyra auprès de ses parents. Elle était sur le point de prendre place sur le canapé mais elle s’arrêta. Elle ne pouvait pas s’asseoir comme elle en avait l’habitude. Pas en face d’eux. Doucement, maladroitement, elle s’étendit comme le ferait la plupart des poneys. Ce n’était pas une position habituelle pour elle.
« Cela fait longtemps que tu n’as plus écrit. Nous n’avons pas eu de nouvelles depuis des mois, reprocha sa mère. Qu’est-ce que tu deviens ?
— Oh, j’ai beaucoup... étudié… » Sa voix s’estompa, puis reprit vite le dessus. « La musique, bien sûr.
— Ta colocataire nous en a parlé, intervint son père, remontant ses lunettes. Je n’arrive toujours pas à croire que tu aies été acceptée pour le Grand Gala Équestre. C’est un immense honneur.
— Nous avons toujours su que tu étais un prodige, ajouta sa mère. Au fait, quand nous sommes arrivés, ta colocataire nous a dit que tu te faisais encore appeler par ton vieux surnom. Je pensais que tu avais dépassé ce stade.
— Ah, ça ? » dit Lyra. Sa voix était tremblante. « Ouais, ce surnom est devenu populaire, en quelque sorte. C’est comme ça que les gens… » Elle se corrigea. « C’est comme ça que tous les poneys m’appellent, maintenant.
— Tant que tu en as terminé avec ces vieilles histoires ridicules », conclut son père.
Lyra contint un accès de colère, sachant que cela n’en valait pas la peine. Leur scepticisme était immuable. La note qu’elle avait obtenue pour son rapport sur les humains il y a bien des années avait été brandie par son père comme preuve que les humains n’existaient pas. Qu’en était-il des preuves tout autour d’eux, de toutes ces reliques de la société humaine en Equestria qui étaient si évidentes, si l’on savait où chercher ?
Bon-Bon sortit de la cuisine, tenant soigneusement un plateau d’amuse-bouches entre ses dents. Elle le déposa sur la table. « Quand nous avons appris que vous veniez, j’ai voulu préparer quelque chose de spécial. » C’était les restes du petit-déjeuner qu’elle avait cuisiné ce matin. Elle avait fait un travail extraordinaire pour arranger le tout et le rendre attractif. « Au fait, je ne pense pas avoir retenu vos noms, tout à l’heure.
— Dewey Decimal, répondit le père de Lyra.
— Et mon nom est Cirrus », dit la mère. Elle prit une assiette. « C’est délicieux. Vous aviez dit être un Chef ?
— Juste pâtissière, précisa Bon-Bon. À vrai dire, je n’ai obtenu ce travail que récemment. »
Lyra émit un soupir de soulagement. Elle n’était plus le sujet de la conversation – du moins, pour l’instant. De plus, tant que ses parents ne parlaient pas de son surnom, tout irait bien et elle pourrait apprécier leur compagnie.
« Tu as de la chance, Heartstrings. Tu dois avoir des bonbons fait maison tout le temps, dit Dewey.
— Oui… Tout est super ici, répondit Lyra.
— Bien sûr, enchérit Bon-Bon.
— Tout est parfaitement normal », ajouta Lyra.
Son père hocha la tête pour acquiescer. « Ravi de l’entendre. Au fait, il s’est passé beaucoup de choses à Canterlot depuis que tu es partie, Heartstrings. »
Lyra se crispa. Elle savait qu’elle allait souvent entendre ce nom ce jour-là. Mais franchement, elle avait seize ans. C’était une adulte désormais, et cela faisait plusieurs années qu’elle vivait par elle-même. Ses parents la traitaient encore comme une pouliche.
Les prochaines heures s’écoulèrent péniblement. Sa mère commença à parler du plan météorologique pour l’hiver qui approchait. Son père, lui, voulait juste parler de la société de Canterlot, ce que Bon-Bon appréciait beaucoup. Lyra étouffa un bâillement.
À un moment, ils demandèrent à Lyra de leur jouer ce qu’elle avait préparé pour le Gala. Elle sortit sa lyre et leur joua un morceau. Elle s’arrêta vers la moitié de ce dernier – la seconde partie n’étant qu’une reprise de la première de toute façon – puis rangea sa lyre dans son étui.
« Ce serait bien si tu pratiquais un peu plus ton talent, avança Bon-Bon en hochant la tête. Peut-être que tu devrais t’y consacrer d’avantage.
— Eh bien, j’ai été occupée par… d’autres choses. » Lyra remarqua le regard que lui adressait Bon-Bon, et elle savait exactement ce que cette dernière insinuait.
« Comme quoi ? » demanda Dewey en se penchant. Lyra ne savait pas quoi répondre.
Puis on frappa à la porte.
« Il y a quelqu’un ? » Lyra réagit au quart de tour. « Je vais ouvrir. »
Elle était contente de pouvoir s’éloigner un tant soit peu. Qui que ce fût, cette distraction était la bienvenue.
Quand Lyra eut quitté la pièce, Cirrus se tourna vers Bon-Bon. « Nous étions inquiets, cependant. Heartstrings ne vous a pas parlé d’humains, n’est-ce pas ? Quand elle était une pouliche, elle en était tout simplement obsédée, et ce n’était vraiment pas bon pour elle. Dire qu’elle utilise encore ce nom. »
Une partie de la jument voulait exploser et exposer à ces poneys de Canterlot étonnamment normaux les horreurs dont elle avait fait l’expérience à cause de leur psychopathe de fille. À la place, à contrecœur, elle répondit simplement : « D’humains ? Non, bien sûr que non. Qu’est-ce que c’est ? Je n’en ai jamais entendu parler, c’est certain.
— Nous sommes rassurés. Elle a dû les oublier, » déduisit Cirrus.
Bon-Bon jeta un œil en direction de l’entrée.
« Bonjour Lyra, j’espérais que tu sois chez toi. Je peux entrer ? » C’était la voix de Twilight.
« Bien sûr. Euh, cela dit, mes parents sont venus me rendre visite.
— Pas de problème. » Twilight suivit Lyra et toutes deux se dirigèrent vers le salon. La licorne à la robe mauve s’arrêta dès qu’elle vit le père de son hôte. Un large sourire se dessina sur son visage. « M. Dewey ? De Canterlot ?
— Twilight Sparkle ! Cela faisait longtemps que je ne t’avais pas vue, dit-il en hochant la tête. J’avais quasiment oublié que tu vivais à Ponyville, maintenant.
— Lyra, tu ne m’avais pas dit que ton père était M. Dewey, se réjouit Twilight.
— Tu ne m’as jamais demandé », répondit Lyra.
On aurait dit que Twilight avait la larme à l’œil. « La bibliothèque de Canterlot me manque beaucoup. C’est la plus grande d’Equestria. J’y passais des heures entières.
— Alors, comment vas-tu, Twilight ? Toujours à étudier pour la Princesse, je présume, devina Dewey.
— C’est exact. D’ailleurs, elle m’a confié une nouvelle mission. Je suis venue car je dois récupérer un livre que Lyra a emprunté, dit Twilight. J’ai pensé que tu avais oublié. Il s’agit de L’Étude Illustrée des –
— Ah, ce livre ? coupa Lyra. Je n’ai pas oublié. D’ailleurs, il est dans le bureau. Allons le chercher. » Le livre en question était caché derrière le canapé avec tous les autres. Elle inventa rapidement une histoire – elle était terriblement désordonnée, il avait dû atterrir là par hasard… avec tous les autres livres, alors que les étagères étaient vides ? Non, cela n’aurait pas été cohérent.
« C’est parfait, dit Twilight. Je ne me le serais probablement pas rappelé non plus, mais la princesse voulait que je lui rassemble des informations dans un rapport. »
Elle constata que ses sabots s’étaient mis à glisser sur le sol. Lyra était passée derrière elle et la poussait en direction du bureau. « C’est très intéressant, Twilight. Allons chercher ce livre, je suis sûre que tu es très occupée.
— Ça ira, Lyra, je peux marcher toute seule », fit-elle remarquer.
Lyra déambula dans le couloir. Twilight la suivit, perplexe. La musicienne se dirigea sans un mot vers le canapé et sortit un livre coincé entre ce dernier et le mur.
« C’est marrant, comment est-il arrivé là ? se demanda Lyra d’un ton monotone. Bien, voilà ton livre. En fait, on est un peu occupés, alors si tu pouvais partir et –
— Juste pour savoir, tu en as fini avec lui, n’est-ce pas ? Tu as pu étudier ce que tu voulais ? demanda Twilight.
— Oui, bien sûr. Tu peux le récupérer, c’est bon, assura-t-elle en agitant un sabot.
— Eh bien… merci ! » Twilight se retourna et traversa le salon en direction de la porte d’entrée.
Le père de Lyra les interpella. « Je ne savais pas que vous étiez amies. Nous aimerions beaucoup savoir ce que vous avez fait ensemble, Heartstrings.
— Ah, oui… Désolé », dit Lyra. Elle espérait vraiment que Twilight partirait rapidement, avant qu’elle ne puisse dévoiler quoi que ce soit sur le sujet dont traitait le livre.
« C’est bizarre, je n’ai jamais vraiment eu besoin d’un livre sur la cryptozoologie, mais j’ai regardé dans ma bibliothèque et celui-ci est le seul en ma possession que je puisse utiliser pour mon rapport. »
Lyra commençait à sentir un mal de tête arriver.
« Vraiment ? Qu’est-ce que la Princesse veut te faire étudier, cette fois ? » demanda Dewey en remontant ses lunettes.
Twilight marqua une pause. « En fait, Lyra, peut-être que tu pourrais m’aider. Je n’avais jamais entendu parler d’humains avant ton arrivée. »
Dewey fut soudain prit d’une forte quinte de toux. « Tu as bien dis… humains ? »
Lyra commença à décrire de très rapides mouvements oculaires. « Euh, bien sûr que non, Twilight, je ne sais strictement rien à propos de…
— Je pensais t’avoir entendu dire que tu en avais fini avec cette obsession pour ces “humains”, Heartstrings, dit Cirrus.
— Mais oui ! Bien sûr que oui ! insista Lyra.
— Mais tu es passée à la bibliothèque pour me poser des questions sur eux il y a quelques semaines. » Twilight pencha la tête en fronçant les sourcils. « C’est ce livre que je suis venue chercher. Je n’ai rien trouvé de plus concernant les humains dans mes autres livres. À propos, je vois que ton sabot va mieux maintenant. »
Bon-Bon s’étouffa avec un morceau de nourriture.
« Ouais, je t’avais dit que c’était rien », répondit Lyra. Sa tête était remplie de questions. La Princesse Celestia souhaitait avoir une étude sur les humains, mais à en juger par les propos de Luna, elles seules devraient en savoir plus que quiconque. Et, par-dessus tout, Luna n’avait-elle pas déclaré qu’elle ne dirait plus jamais un mot sur les humains ? Pourquoi Celestia aurait-elle envoyé son étudiante fouiller des restes d’information ? À moins que...
« Heartstrings, nous pensions vraiment que tu avais retrouvé tes esprits », dit son père en secouant la tête.
Sa mère s’interposa : « Je suis sûre que tu vas avoir beaucoup de travail pour ta représentation au Gala. Tu ne disposes que de quelques mois. Il serait peut-être préférable que Twilight écrive son rapport. » Elle lui adressa un regard. « Cependant, je ne comprends pas pourquoi la Princesse te donnerait une mission aussi ridicule. »
Twilight jeta un coup d’œil à la porte. « Peut-être que je tombe mal…
— Tout va bien, trancha Lyra. J'en ai fini avec les humains. Je devrais plutôt me concentrer sur ma musique, n’est-ce pas ? » Elle n'en revenait pas de ce qu'elle disait, mais elle devait surveiller ses propos à présent. Twilight qui se pointe comme ça, c’était soudainement très louche.
« Voilà qui est rassurant », répondit Cirrus. Elle se tourna vers Dewey. « J'ai toujours dit que tu n'aurais jamais dû lui donner ces bouquins en premier lieu.
— Je n'aurais jamais cru que cela deviendrait un tel problème », se défendit-il.
Lyra sourit nerveusement. « Je n'ai même plus ces livres, de toute façon...
— Bon, eh bien merci de m'avoir rendu celui-ci, reprit Twilight, retournant doucement jusqu'à la porte. La Princesse ne m'a pas dit grand-chose en fait. Elle me donne toujours des projets de recherche supplémentaires en plus de mes études habituelles, rien de bien surprenant.
— C'est plutôt étrange, avoua Dewey, mais nous ne devrions pas te retarder plus longtemps dans tes travaux.
— Vous avez raison. Je n'ai pas à rester plus longtemps que je ne le dois », conclut Twilight. Elle se retourna brusquement et passa la porte avec précipitation.
Les parents de Lyra se tournèrent pour la regarder. Il y eut un long et douloureux silence.
« Bon, heu... qui veut du dessert ? » proposa Bon-Bon.
***
Dewey et Cirrus firent leurs adieux alors que la nuit tombait, et Lyra les salua depuis le pallier tandis que leur carriole entamait le chemin du retour vers Canterlot. Lorsqu'elle ne les vit plus, elle retourna à l'intérieur.
« Je dois t'avouer que ta famille m'a surprise, lui confessa Bon-Bon alors qu'elle passait le pallier. Ils sont tellement ordinaires. Te connaissant, je les imaginais un peu p-
— Elle nous surveille », coupa Lyra.
Bon-Bon la dévisagea. « Qui ça ?
— Princesse Celestia ! »
Bon-Bon plaqua son sabot contre son visage. « Bon sang de foin, mais qu’est-ce que tu racontes maintenant, Lyra ?
— Tu crois sincèrement que c'est une coïncidence si Twilight se ramène, en parlant des humains à tout-va ? C'est l'apprentie personnelle de la Princesse ! Elle m'espionne parce qu'elles savent que je sais ce que personne ne doit savoir ! » Lyra allait et venait inlassablement à travers la pièce.
C'était reparti. Ils avaient eu un jour à peu près normal, et Lyra avait vraiment été capable de passer pour un poney raisonnablement sain d'esprit, mais à peine ses parents étaient-ils partis qu'elle avait replongé.
« Lyra, Twilight est notre voisine depuis plus d'un an à présent. Ce n'est pas une espionne, rétorqua Bon-Bon.
— Alors pourquoi la Princesse a besoin d'un rapport sur les humains ? Connaissant Luna, je dirais qu'elle en sait probablement assez sur eux, trancha Lyra. C'est moi qu'ils étudient. »
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C'est bien dommage de voir cette traduction rejoindre le cimetière des projets abandonnés.
probablement :P