Chapitre 3 - Une mémoire d'outre-tombe

Les gouttes d'eau tombaient, glissant lentement dans le silence de la forêt miroitante. De légers bruits d’animaux se faisaient entendre dans ces fonds obscurs. Presque aucune lumière ne passait la canopée de la forêt. Et le peu de rayons qui atteignaient le sol se faisaient absorber par les roches noires de l’île. Mais malgré toute l’obscurité environnante de la forêt, certaines lumières pouvaient tout de même briller. Les pierres miroitantes de la forêt, des roches aux reflets de métal ou de verre, à la façade lisse et dure. De douces lumières teintées de violet, de rose, et de bleu turquoise qui venaient adoucir les nuits de la forêt.

Mais à travers tout ce calme, des intrus. Une forte lumière blanche commençait à approcher. Non loin de là, avançant sur une route en hauteur se trouvait un carrosse. Un carrosse de lumière.

Deux poneys tiraient ce carrosse truffé de lampes et de lumières intenses, éclairant sur le passage tous les lieux à la ronde qu'il traversait, tel un soleil. Rapidement, ils traversèrent l'obscurité, traçant dans la nuit leur route. Dans le carrosse, un groupe de quatre poneys et deux humains patientaient. Discutant entre eux, ils faisaient connaissance. 

« Donc, vous êtes un entrepreneur dans les mines de métaux, c'est ça ? » questionna Kilian, qui depuis le départ n'avait cessé de poser des questions aux couples de nobles se trouvant avec eux. Trop curieux de pouvoir enfin en savoir plus sur ce monde merveilleux qu'il chérissait tant.

Shock Stones, lui, n'était aucunement agacé par toutes ces questions. Trop heureux de pouvoir parler de ses succès.

« Oui en effet. Ma fiancée et moi-même avons un jour fait fortune dans une mine prés de Smoke Moutain. C'est ce qui a lancé notre entreprise. »

« Et qu'y avez-vous trouvé ? De l'or ? Des pierres précieuses ? » recommença Kilian.

« De l'or seulement. C'est un métal rare comparé aux pierres précieuses. Vous n'avez qu'à creuser dans un terrain rocailleux pour en trouver. Ou pire, suivre un dragon. Rubis et saphir sont chères mais pas plus que l'acier ou le fer. Dans tous les cas, grâce à notre découverte, Blue Desire et moi-même avons pu développer notre économie. »

Kilian réfléchit un instant, à savoir comment pouvait bien marcher un marché économique en Equestria. Déjà qu'il avait du mal à la maison, ça risquait d’être dur. Donc, ici, le fer et l'acier étaient bien plus précieux que des pierres précieuses, et apparemment le textile et les matières premières étaient tout aussi précieux. "Cela doit faire partie d'une culture complément différente mais néanmoins fascinante", se dit Kilian.

Pendant ce temps, Marie regardait par la fenêtre. Pensant elle aussi à la maison. Cette forêt noire était comme ses pensées, obscures et inquiètes. Comment allaient-ils faire tous les deux ? Kilian connaissait mieux ce pays qu'elle. Peut-être y aura-t-il une personne capable de les aider. Ce monde était magique après tout.

À coté d'elle se trouvait la famille Honey. Tea Honey se trouvait à l'autre fenêtre, sommeillant à moitié. Tea Honey n’avait guère discuté avec les deux humains sur ce voyage, elle ne leur faisait peu confiance. Ses anciens voyages lui avaient appris à se méfier, ce qui lui valut d’ailleurs de rester souvent seule avec son fils, ça et sa maladresse. À coté Star, lui, ses livres sur son dos, n'avait plus parlé depuis le départ, il regardait dehors l'air nerveux. Marie remarqua cela.

« Dis donc petit, ça va aller ? »

Star fût sur l'instant surpris par l’intérêt soudain de Marie. Elle qui n'avait pas cessé de rêvasser dans son coin.

« Euh oui, ça va. Je vais bien. »

Marie n'était pas convaincue. « Tu es sûr ? Tu frissonnes tellement que j'aurais cru à un tremblement. Dis-moi ce qui t’inquiète. Tu risques rien tu sais, je ne mords pas. »

« Non, non. C'est pas... euh ce que je veux dire c'est que... la forêt me fait peur. »

Marie fit les gros yeux. « Ah ... tu sais, tu n'as pas de raison d'avoir peur. Ce n'est qu'une forêt. Un peu sombre d'accord, mais rien qu'une forêt. »

Star Honey fût complètement surpris par l'euphémisme de Marie. « Une forêt !? C'est la forêt miroitante. Un des lieux les plus dangereux d'Equestria. J'y suis jamais entré, seulement pour venir à Falaise. Mais j'ai entendu des histoires terrifiantes sur elle, les mineurs se les racontaient entre eux. »

« Comment ça des histoires ? » demanda Marie.

Star Honey semblait frissonner au rappel de ce qu'avaient dit les habitants de Falaise. « Ils parlaient tous d'un endroit maudit. Au milieu de la forêt. Mais jamais ils ne disaient le nom. »

Marie était intriguée, et aussi un peu inquiète. « Ah bon ! Pourquoi ? »

« Ils avaient peur. Beaucoup d'histoires sur les fantômes et les monstres étaient racontés à l'auberge. Mais ils parlaient tous de cet endroit dans la forêt. »

« Mirror City, ou le village des damnés. »

Shock Stone venait soudainement de prendre part à la conversation. Le simple fait d'avoir parlé d'un ton aussi solennel avait attiré l'intention de tout le monde dans le carrosse.

Tea Honey fut la première à rompre le silence. « Comment ça ? Vous voulez dire qu'il existe vraiment ce lieu maudit ? Parce qu’avec le nombre de mineurs saoulés à la pomme dorée ... »

Shock Stone avait un regard dur, il regarda Tea Honey l'air le plus sérieux.

« Vous pouvez me croire mademoiselle Honey. Ce lieu existe bel et bien. C'était un ancien village minier au beau milieu de la forêt. Tous les experts de roches et pierres connaissent ce lieu. »

Kilian était d'un coup devenu tout palpitant, « Quoi ? Pourquoi ? »

« Pour le puits. » Desire venait de prendre part elle aussi à la conversation et tout comme Shock Stone, un air sérieux affublait son visage. « Pour l'incroyable puits. Un puits de merveilles que les mineurs auraient trouvé. Une merveille minéralogique qui rassemblerait des pierres et minerais à la valeur incommensurable. Un trésor pour les pétrologues ou les poneys en quête de richesse. »

Les quatre autres voyageurs avaient d'un coup des étincelles plein les yeux. Un trésor d'une fabuleuse richesse caché dans cette forêt. N'importe quel aventurier serait tenté par une telle histoire.

Marie se reconcentra un instant, comprenant soudain que quelque chose clochait. « Mais si ces mineurs ont trouvé un tel trésor. Pourquoi le village n'existe plus ? Que c'est-il passé ? »

Quelques grincements de bois se firent entendre dans la cabine, les bosses du chemin se faisant sentir. Un vent froid commençait à souffler dehors, refroidissant soudainement l'ambiance.

Shock Stone expira, avant de commencer à raconter l'histoire de Mirror City.

« Personne n'en est vraiment sûr. Le village de Mirror City fut créé à la même époque que Falaise ou Cap-Roc. Mais cela doit faire bien plus de cent ans qu’il est abandonné. On raconte que la tragédie se passa lors d'une soirée. Les mineurs avaient découvert dans la journée le fameux puits, regorgeant de richesses. Les poneys décidèrent de fêter cela dignement ; trompette, guitare, basse, banquet garni, avec les villageois se présentant à la fête sous leur plus beau jour. Jamais l’île Roche-Noir n'avait connu pareille villégiature. La forêt rayonnait des lumières des festivités, c'était apparemment un incroyable spectacle de son et lumière. Arrivé tard dans la nuit, les habitants firent sonner leur cloche, communiquant ainsi aux autres villages leur allégresse. Mais pour d'autres choses, cette cloche ne fut pas le retentissement d'une joie enfantine dans l'espoir d'un avenir radieux. Mais bien d'une cloche pour un dîner, leur dîner. »

Star Honey était serré fort contre sa mère, son corps frémissant de peur. Tea Honey, qui le rassurait aussi avec un sabot, le cajolait doucement sur la tête.

« De qui ? De quoi parlez-vous ? » demanda Kilian tout excité.

Desire continua à la suite de son mari. « Les effrois. Des monstres nés des ténèbres qui fondirent sur les habitants. D'un cri strident à glacer le sang qui allait précéder un massacre sans nom. Beaucoup pensent que ces bêtes seraient venues du puits, que les mineurs auraient creusé trop profondément et qu'à cause de cela, ils auraient réveillé une ancienne entité de la terre, qui les aurait maudit pour leur cupidité et leur orgueil. Il y eut très peu de survivants, on décompta deux cent victimes du massacre, sur à peine deux cents onze habitants. Cela date d’il y a tellement longtemps que beaucoup ont commencé à parler de ça comme d’une légende, ou d'un conte effrayant. Même si beaucoup de preuves sur cette histoire existent, elles ont été rarement montrées au grand jour. »

Tea Honey était choqué face à une telle histoire. Jamais elle ne serait venue ici si une telle chose s'était produite aussi près de son village. « Donc c’était vrai ?! ... Mais alors que c'est-il passé ensuite ? Il n'y a pas eu de chasse aux monstres organisée ? »

« Non. Apparemment, la chambre décida à l'époque de simplement interdire l’accès à la forêt, et d'indemniser les réfugiés. La princesse elle-même aurait approuvé cette décision. Depuis, personne ne met plus ses sabots dans la forêt, sauf pour le voyage », termina Desire calmement.

Tous réfléchirent à ce qu'ils venaient d'entendre. Marie n'était pas sûre de savoir qui croire. Jamais aucune histoire de fantômes ou monstres maléfiques n'avait été sérieuse auparavant, mais sait-on jamais. Kilian lui aussi restait pensif, jamais dans la série il n'avait connu pareille histoire, sa sœur devait être aussi inquiète que lui à ce sujet. Ça n'allait pas être un voyage de tout repos, non vraiment pas. Tout deux se donnèrent un regard d’appréhension à cette idée.

Mais Kilian eut soudainement une question. « Attendez. Quand vous parlez de la princesse, de laquelle parlez-vous ? »

Shock Stone répondit le plus naturellement. « De la princesse Celestia bien sûr. De quelle autre monarque voulez-vous que ce soit ? »

« Pas de Luna non plus ? » s'interrogea Kilian.

« Voyons très chère, la princesse Luna est sur la Lune, bannie depuis plus de mille ans après s’être transformée en démon. Vous ne le saviez pas ? »

Kilian semblait choqué par l'annonce. « Non, non seulement... je croyais... bah laissez tomber, j'ai dû oublier. »

« Ce n'est pas grave, vous n’êtes pas d'ici après tout. Vous ne pouvez tout connaitre d'Equestria », répondit Shock Stone. Marie avait bien remarqué elle aussi la réaction de son frère, ça semblait être une autre question importante.

De son côté, Tea Honey s'inquiétait beaucoup plus pour la sécurité de leur voyage en carrosse. À l'aller, elle n'avait pas eu à entendre d'histoire si terrifiante. « Et donc, vous pensez que nous ne risquons rien dans ce carrosse ? »

« Les lumières repoussent les monstres. Si toutes ces lampes sont allumées, ce n'est pas seulement pour percer l'obscurité de la forêt. Mais pour repousser le mal qui pourrait s’y cacher. Pourtant personne n'a plus vu ces bêtes de légende depuis belle lurette à ce que nous avons entendu à Falaise. La dernière attaque remonterait à une dizaine d'années », rassura Desire.

Tea Honey renchérit, « Donc nous ne risquons rien ? »

Shock Stone sourit gentiment à Tea Honey, « Mademoiselle, nous voyageons avec des passeurs experts qui pratiquent cette route depuis des années. Vous n'avez pas à vous inquiéter pour vous et votre fils, soyez-en sûre. »

Tea Honey renvoya le sourire à Stone tout en jetant un regard prudent à la fenêtre du carrosse. Dans la forêt, aucune forme menaçante n'était visible sous les projecteurs du carrosse, seuls les quelques oiseaux nocturnes gênés par la lumière, les reflets miroitants, et le mouvement de branches dans le vent. Peut-être n'y avait-il vraiment rien. Pour son fils, il y avait tout intérêt à ce qu'il n'y est rien.

Beaucoup dans la cabine avaient été atteints par l'histoire qui venait d’être dite. La famille Honey s'inquiétait pour leur sécurité, tout en se disant que, finalement, quitter un tel endroit était vraiment pour le mieux. Les deux nobles n'étaient pas spécialement inquiets à ce sujet mais semblaient être préoccupés par leurs affaires courantes à Manehattan, tandis que nos deux humains se sentaient plutôt perdus. Kilian et Marie se sentaient de plus en plus mal, ce monde n'était pas le leur. Marie semblait calme d’apparence mais au fond, elle était horriblement nerveuse au sujet de leur avenir, cette histoire de fantôme n'ayant pas aidé plus que cela à la rassurer. Kilian lui était inquiet, désormais il savait des choses qu'il aurait préféré ignorer. Mais qui sait ce qu'ils trouveront d'autre par la suite ?

Pendant un moment, seuls les bruits des roues et le clapotement de l'eau sur le toit meublaient le silence de la cabine. Après un court laps de temps, sans coup férir, le carrosse s’arrêta.

Tout le monde dans le carrosse était étonné de l’arrêt soudain du véhicule. Que se passait-il ? Dehors, on entendit un gros râlement de colère venant d'une voix grave.

« Non ... NON NON NON !! »

Dehors c'était toujours la nuit noire, et la forêt ambiante, une grande paroi rocheuse montrait le bout de son nez face au carrosse.

« On est au ravin je crois. Mais qu'est-ce qui se passe ? » dit Tea Honey, légèrement agitée.

« Ça ne me dit rien qui vaille », soupira Marie.

Shock Stone ouvrit l'une des fenêtres, passant la tête à l'extérieur pour interpeller les carrossiers. « Monsieur et madame Bright ? Que se passe-t-il ? » appela-t-il, toujours de manière très classe.

La poney terrestre s'approcha de Shock Stone, le visage embarrassé. Elle semblait aussi aux aguets. « La route, Monsieur Stone. La route. Le passage du ravin est bloqué. Mais ne vous inquiétez pas, nous allons trouver une solution. »

Tous entendirent la réponse de Shadow Bright, ce qui eut pour effet d'angoisser immédiatement les passagers.

Tea Honey ne l’était pas moins « Bloqués ?! Mais ce n'est pas le seul chemin pour Cap-Roc !? »

Shadow entendit la question, et un léger sourire de gêne se montra sur son visage. « Eh bien pas exactement, je pense. »

Marie se cogna la tête contre sa vitre, comme si décidément la poisse les suivait partout.

« On pourrait peut-être vous aider à dégager ? Je descends voir », déclara Kilian qui lia la parole au geste.

Il descendit du carrosse, dehors l'air était froid, presque glacial. Le vent et la pluie continuaient leur duo ensemble et pour Kilian, il semblait qu’il n’arrêterait jamais de pleuvoir sur cette île. Ses vêtements commençaient à en pâtir, surtout qu'un jean, t-shirt et veste n'étaient pas la meilleure des combinaisons pour une aventure dans un autre monde. La boue était encore pire pour ses chaussures, la pluie est sympa mais quand même. Il se frotta un peu les bras histoire de se réchauffer.

« Eh Kilian ! Ne crois pas que je vais te laisser seul ! » Marie descendit à la suite, elle aussi un peu glacée au contact de l'air ambiant. « Raaaah quel temps ! Bon, finissons vite puis retournons dans la voiture. »

Ensemble, ils rejoignirent l'avant, les projecteurs étaient vraiment d'une grande puissance. À tel point qu'ils en étaient aveuglants même quand on ne les regardait que de côté. Sur le carrosse se trouvaient les projecteurs mais aussi une machine étrange qui avait un trou en son milieu, une sorte de siphon lumineux. Mais une chose vivante se trouvait aussi sur le carrosse.

« Eh ! Que faites vous dehors ? C'est dangereux vous savez, vous devriez retourner dans le carrosse », interpella Shoes Bright.

Marie grommela « Plus vite on vous aide avec votre problème, plus vite on partira de ce trou. Et vous, vous faites quoi au juste ? »

« Je recharge le générateur. Il ne tiendra pas bien longtemps sinon. Allez rejoindre Shadow, ne vous éloignez pas d'elle surtout », conseilla Shoes de sa voix grave.

La poney terrestre au sombre pelage intervint. « Shoes a raison. La forêt n'est pas très amicale avec ses visiteurs. Et puis, je ne pense pas avoir besoin de votre aide. »

Marie s’égosilla « Quoi ? Pourquoi ? Vous n'avez pas dit que la route est bloquée ? »

« Oui justement. » Shadow présenta le passage aux deux humains. Face à eux se trouvait une énorme paroi de roche de dix mètres de haut, qui s'étendait des deux côtés de la route. Et au milieu de ce mur de pierre, une fissure était éclairée par les lampes de lumière. Remplit de roches et de caillasses. Le passage était clos.

« Ah oui... en effet. C'est pas petit comme éboulement », commença Marie un peu dépitée. « Qu'allons nous faire désormais ? » dit-elle en se tournant vers Shadow.

« Rentrer à Falaise. Là-bas, on organisera une équipe de déblayage pour dégager la route. Je suis désolé, j’espère que vous n'étiez pas pressé ? »

« Si nous le sommes ! »

Tous trois se retournèrent, l'air surpris.

Desire était descendue, elle était vraiment impatiente, à la limite de la colère. « Nous ne pouvons pas attendre de tels travaux ! Nous ferons bouger ces rochers coûte que coûte ! »

Shadow était calme, elle ne laissait pas son sang-froid s'évaporer si facilement face à ce saut d'humeur de Desire. « Madame Stone, vous devriez rester dans la cabine. Et ça ne serait ni raisonnable, ni même prudent de vouloir bouger ces rochers ici et maintenant. »

« Je vous ferais rappeler que je suis experte en roches. Ce ridicule amoncellement de pierres ne résistera pas à mon mari. Shock Stone ! »

L'étalon vint de derrière, un peu en retrait au départ, agacé d'avoir à faire encore face à l'un des caprices de sa femme.

« Ma chère, je ne pense pas que ça soit réellement une bonne idée. Cela serait vraiment trop risqué, puis au beau milieu de la forêt ... »

Desire était déjà en colère avant. Mais là, elle semblait devenir presque hystérique.

« Tu savais très bien que mes affaires m'attendaient à Manehattan !! Tu m’as traîné ici dans ce trou visqueux et sombre alors maintenant la prochaine chose que tu auras à faire. C'EST DE NOUS SORTIR D'ICI ! »

Le cri de colère de Desire avait fait taire tous les bruits aux alentours. Plus un oiseau nocturne, même plus le vent qui semblait s’être arrêté aussi. Kilian et Marie faisaient les gros yeux, ils ne voulaient certainement pas avoir à faire à cette jument hystérique. Shadow elle, était soudainement très inquiète et plaqua son sabot sur la bouche de Desire.

Elle chuchota doucement mais avec une pointe de fureur « Sainte Celestia ! Mais fermez-là ! Vous voulez nous tuer !? »

Desire retira avec dédain et colère le sabot de Shadow « Vous le poney de trait, vous n'avez aucuns ordres à me donner ! »

Shoes Bright appela d'en haut.

« EH ! Personne n'insulte ma fiancée de cette manière. » Shoes descendit du toit, abandonnant toutes tâches pour venir défendre sa bien-aimée « Présentez tout de suite vos excuses, miss ! »

Shock Stone intervint à son tour, « Toutes nos excuses ! Non vraiment, ma femme n'est pas très patiente, elle a parfois du mal à garder son calme. Elle dit alors des choses sans les penser. » Stone fit un sourire embarrassé, il ne pensait pas que tout ça irait aussi loin.

Shoes ne semblait pas convaincu, il était tout le contraire de sa moitié. Brusque et téméraire.

« Ce n'est pas de vous que je veux l'entendre, monsieur Stone. »

Desire était complètement désintéressée, le regard tourné, l'air hautaine, ne voulant aucunement se faire pardonner pour quoi que ce soit, bien au contraire.

« Vous pouvez toujours vous brosser. Je ne présenterai mes excuses à personne, et sûrement pas à un serf. »

« COMMENT ?! »

Ce fut la goutte de trop. D'un coup, ce fut un charabia sans nom. Shock Stone défendit tant bien que mal sa femme qui ne faisait qu’aggraver la situation tandis que Shoes était en pleine explosion, sa corne commençait à briller de plus en plus tant sa colère montait. Shadow était la seule à rester plutôt calme, du moins de façade, elle laissait parler son mari pour elle. À coté, nos deux voyageurs humains étaient complètement spectateurs de la scène. Marie riait presque en voyant cela, des poneys multicolores parlants qui se disputaient entre eux. Ça, c'était du jamais vu.

À côté, Kilian remarqua quelque chose, en plus d’être embarrassé de voir une telle scène devant lui, un long filament lumineux était à peine visible. Il s'étendait de la corne de Shoes jusqu’à la drôle de machine sur le toit du carrosse. Ça ne disait rien qui vaille.

« Eh oh ! Que ce passe-t-il ? Il y a un problème ? » Tea Honey les interpella depuis la fenêtre, depuis le début, elle patientait dans la cabine avec son fils. Mais les chamailleries de dehors l'avait interpellée.

Marie s'avança pour aller lui expliquer. D'un coup, quelque chose bougea. Dans les fourrés, non loin de là, à l'abri, de la lumière qui... vacillait ?

Les lampes. La lumière des lampes vacillait ! Dans les bois des choses approchaient. Kilian aussi avait vu, il s'empressa de prévenir Shadow.

« Shadow ! Shadow ! Vos lampes ! Elles ... ! »

Elle n'écoutait pas, mais au moment même où Shoes termina une réplique sanglante envoyée à Desire, sa corne s'intensifia et, dans un éclatement de lumière blanche, les lampes grillèrent toutes en même temps.

D'un seul coup, tout fut plongé dans le noir. Le carrosse, les passagers, tout le monde se trouvaient dans la nuit noire. L'explosion des lampes avait fait taire d'un seul coup la dispute.

« LE GENERATEUR ! SHOES TU ÉTAIS ENCORE CONNECTÉ AU GENERATEUR !! » hurla Shadow, presque paniquée. Shoes était tout hébété face à sa bêtise.

Mais soudainement une griffe agrippa Shadow la traînant à pleine vitesse dans la forêt « AAAAAAAH SHOES ! » La jument avait été complètement surprise, personne ne pouvait voir la bête mais tout le monde savait où était Shadow.

Shoes hurla de fureur avant d'envoyer avec sa corne un flash lumineux puissant qui chassa la griffe du monstre du sabot de Shadow, cette dernière rejoignit directement le groupe apeuré, tous étaient en alerte désormais. La famille Honey venait de descendre du carrosse, eux aussi tout autant paniqué.

« Nom d'une pomme pourrie ! Mais qu'est-ce qui se passe ?! » demanda Tea Honey tout proche de paniquer.

Dans la nuit, un cri strident se fit entendre, la forêt prenant soudainement vie. Le feuillage des arbres, les buissons, les ombres bougeaient.

Les deux carrossiers partirent prendre des lampes dans un des compartiments du carrosse. « Bordel, il fallait que ça arrive ! Les effrois sont en chasse ! » jura Shadow.

Tous avalèrent d'un coup leurs salives de travers.

« Et alors qu'est-ce qu'on fait ? On court dans les bois ? On se sépare ? On reste ici ? On va mourir dans tous les cas, non ? » dit Marie, plus que pessimiste.

Shadow lui donna une lampe en aluminium, grosse avec un gros interrupteur, du moins pour un homme.

« On est proche de Cap-Roc. On court dans la forêt et on espère rejoindre à temps le chemin qui longe la falaise. C'est notre seul espoir. Même de jour, la forêt est sombre, il faut en sortir et le plus vite possible. Les lampes rejetteront ces saletés. Les licornes ont leurs sorts sinon. »

Ça ne rassura pas vraiment Marie, ni même le reste du groupe.

Les bruits se rapprochaient de plus en plus, les ombres grouillaient. Des cris stridents comme des cris de peur n'étaient plus très loin d'ici.

Marie ne mit point longtemps à se décider « Ok, d'accord, on y va. »

Dans la précipitation, le groupe partit le plus vite possible en direction du chemin ; les quelques bagages furent emportés sur le dos de chaque poney. Kilian et Marie aidèrent les Honey avec leurs affaires.

Le groupe était lent. À travers les bois de la forêt, ils s'embourbaient ; les branches, les cailloux, la boue, tout autant d'obstacles pour nos aventuriers qui étaient désormais traqués. Les cris monstrueux se rapprochaient.

« Maudit soit le temps de cette île ! On arrivera jamais à temps à Cap-Roc », se désespéra Shadow.

« Comment ça ?! On est perdus, c'est ça ?! » cria Desire.

Shoes soupira de colère « Non, pas perdu dans la forêt, mais le temps nous manque. »

Star Honey était collé aux pattes de sa mère, le pauvre petit était recouvert de boue avec les larmes qui lui montaient presque aux yeux. Tea Honey serra fort son enfant dans les pattes, puis regarda d'un air déterminé vers Shadow « Et une diversion ? Si l'un de nous les attire, les autres pourront fuir. »

Tous se regardèrent entre eux, chacun se jaugeait. Qui serait assez fou pour faire un tel sacrifice ? Les hurlements de terreur n'étaient plus qu'à quelques mètres désormais, dans leurs dos des yeux brillants de feu les regardaient. Les ténèbres allaient les engloutir.

« Je m'en occupe ! Vite partez vers... » Avant même que Shadow ne puisse finir, Kilian s'était élancé, lampe en mains, il courut en direction des profondeurs de la forêt.

Marie fut complètement abasourdie, mais pire encore « NON ! KILIAN T'ES DEVENU FOU ! »

« COUREZ VERS LE VILLAGE ! VITE ! » cria Kilian, il n'était pas du tout sûr de ce qu'il faisait, mais maintenant, c'était fait. Ses appels de lumière commencèrent à attirer la masse ténébreuse de monstres.

Le groupe fut impressionné mais ne prit pas un temps de réflexion, tous suivirent l'ordre de Kilian.

Marie, elle, n'était pas en reste. « SI TU CROIS QUE JE VAIS TE LAISSER !! TU TE GOURES COMPLÈTEMENT !!! » Elle partit en trombe, lampe en main elle aussi, envoyant des signaux en rafale vers les monstres. Le reste des bêtes était désormais tous en train de suivre les deux humains, délaissant le groupe de poneys pour une toute nouvelle sorte de proie.

« ET MAINTENANT GÉNIE !?! » hurla Marie.

« TU COURS !!! » hurla à son tour Kilian.

Jamais leurs jambes n’avaient trouvé une telle énergie. Comme renouvelés d'une force complètement nouvelle, ils coururent, par-dessus roches, branches, flaques. Pendant plusieurs minutes, ils coururent des minutes qui parurent des heures. La mort était à leurs trousses. À toute vitesse, ils parcoururent la forêt, évitant de peu de se blesser ou de tomber. Marie commençait à se sentir fatiguée. Elle s’arrêta soudainement alors qu'ils venaient d'arriver près d'un précipice.

« Ki... Kilian ! Attends... une seconde », suffoqua-t-elle.

Kilian aussi était au bord de l'épuisement. L'adrénaline dans leurs sang était encore sous ébullition. Il s’arrêta à son niveau, les mains sur les genoux, leurs lampes ayant été posées à terre. Leurs corps étaient parsemés de boue, des éraflures causées par quelques ronces mal placées les avaient blessé.

« Ouuuuuuuuaah ! ... Bor.. del. Eh ! Une minute ! »

Kilian se redressa. Il regarda vers la forêt, ils avaient couru complètement à l'aveuglette, ne sachant aucunement dans quelle direction ils allaient. Mais, c'était étrange, plus aucun bruit, le silence venait de s'installer.

« Marie ? Tu... tu entends ? On les a semés Marie ! OUAIS ! »

Une forme sombre bondit des fourrés. Comme un guépard, il était sorti tel un éclair. Elle agrippa Kilian à l'épaule, le mettant à terre. En un instant, Kilian se retrouva en bien mauvaise posture.

Marie fut complètement surprise, elle tomba à la renverse en criant. Sur le ventre de son frère se trouvait une bête difforme, elle ne semblait pas physique mais comme un nuage de fumée ; on pouvait distinguer deux yeux brillants à travers la noirceur de la bête ; ses pattes étaient des sabots, mais d'un seul coup, il fit un cri si strident qu'il força presque Marie à se boucher ses oreilles sous la douleur. Une tête difforme ressemblant à un crâne sans peau ni chair d'un loup se présenta aux deux humains. Kilian semblait paralysé de terreur face à cette abomination, le souffle de la bête était semblable à un blizzard. Cette dernière commençait à ouvrir sa mâchoire, prête à asséner le coup de grâce. Mais, sortie de son tétanisme, Marie attrapa sa lampe à l'écart et d'un pressement de bouton envoya un flash d'une lumière presque incandescente, si forte qu’elle brûla le monstre sous ses yeux, qui s'évapora.

Kilian était par terre. Ses mains étaient crispées, le jeune homme était comme pétrifié. Son regard complètement perdu vers le ciel, il ne se posait même pas la question de ce qui s'était passé. Marie, elle, était épuisée sous la terreur de ce qui venait d'arriver.

Elle regarda ses mains, elle avait senti quelque chose d'étrange qui en émanait, ce n'était pas sa lampe qui avait causé ça, elle en était sûre. Elle vit que ses mains étaient d’un rouge brillant, une chaleur en émanait, sa peau s'était durcie comme si c’était de la corne. Bon sang, mais que s'était-il passé ?

« Merci sœurette ... Non vraiment, j'ai cru que j'allais y passer. »

Marie était toujours expectative devant ses mains, elle sentait une force étrange qui circulait le long de ses veines, jamais elle n'avait connu ça auparavant.

« Kilian, je ne comprends pas. Qu'est-ce que j'ai fait ? » dit-elle, dubitative. Elle n'attendait pas de véritable réponse.

Des hurlements stridents se firent à nouveau entendre. Juste devant eux.

Tout deux se redressèrent sous la peur, l'adrénaline encore active, ils se préparaient à courir.

« Je croyais qu'on les avait semés !? Bon sang on fait quoi, on est blo... » Kilian regarda en arrière, le précipice n'était pas bien raide et il semblait mener vers une clairière, c'était préférable si le soleil se levait. « Marie, suis-moi ! Le matin pourrait bientôt arriver ! »

Sans même ronchonner ni grimacer, Marie le suivit.

Tous deux sautèrent sur la pente, glissant rapidement vers le bas. D'un coup, des présences menaçantes se montrèrent du haut de la pente. Les bêtes étaient là, désormais bien visibles sous la lumière de la lune, les yeux brillant de mille feux. Leurs corps étaient tellement abstraits qu'ils ne semblaient faire qu'une masse unie, donnant lieu à un monstre d'une horreur sans nom.

Alors qu'ils couraient, nos deux humains virent qu'au fur et à mesure de leur course le terrain s'aplanissait, l'herbe devenait moins haute et leurs chaussures ne touchaient plus de la terre, mais des dalles. Leurs courses se ralentirent, derrière les monstres s'étaient fait moins agressifs. Peu à peu, des formes commencèrent à se montrer dans la nuit noire. Ce n'était pas d'immenses rochers ni de grands arbres, ni même des monstres terrifiants. C'était des maisons. Nos deux aventuriers arrivaient dans un village.

Étonnés, ils arrêtèrent peu à peu jusqu'aux portes du village. Pas par curiosité, mais parce qu’une étrange sensation émanait du lieu.

Les effrois à l'arrière s'étaient tus. Ils ne semblaient plus les poursuivre, mais leur présence pouvait être ressentie tout autour.

« C'est bizarre... Les monstres ne nous poursuivent plus. » Kilian regarda vers les bâtisses abandonnées. Des maisons en pierres, aux toits de chaume troués et aux murs délabrés. Le lieu était complètement abandonné.

Kilian avala sa salive nerveusement « Attends ! Tu crois qu'on est ... »

Marie aussi était plus que nerveuse, mais restait tout de même prudente « Je pense que oui. Ça pourrait bien être la ville de cette histoire. »

Tous les deux approchèrent lentement et rentrèrent dans le village. Inutile de reculer, les effrois les attendaient dehors, il ne restait plus qu'à se réfugier dans cet endroit maudit. Jamais ils n’auraient cru pouvoir tomber sur ce lieu.

Ils traversèrent tous les deux, petit à petit, des sueurs froides leur glaçant le dos. Aucun des deux ne voulait parler, de peur d'attirer un nouveau danger.

Le village n'était pas grand, seulement une allée de quelques maisons basiques menant à une grande place. C'est sur cette grande place que nos deux aventuriers la virent. La tour de la légende, le clocher de la malédiction se trouvait au beau milieu de la place ; une grande tour de cinq étages faite entièrement de pierres polies, différentes fresques colorées parsemaient la tour de long en large et en haut la cloche, à peine perceptible mais présente.

Tout autour de la tour se trouvaient des tables, certaines retournées, d'autres aux pieds fracassés, des nappes et des plats en terre cuite ou de métal recouvraient le sol ou certaines des tables. Au pied de la tour se trouvait aussi une scène aux bois légèrement pourris, des instruments tels qu'un tambour, trompette, et guitare se trouvaient dessus.

"C'est tout comme dans la légende", se dit Kilian. Las habitants furent complètement surpris par l'attaque. En plein milieu de leur fête, ils abandonnèrent tout.

Marie se posa une question « Où sont les corps ? La jument avait dit qu'il y aurait eu deux cents victimes du massacre. Pourtant, il n'y a rien. »

Kilian frissonna un peu à la remarque de sa sœur. Elle est vraiment trop froide parfois. « Aucune idée. Peut-être les effrois... »

Leurs lampes éclairaient peu, elles commençaient même à faiblir, tout comme le courage des deux humains.

« On devrait peut-être rentrer dans l'une de ces maisons. La mairie peut-être, si on la trouve. »

Marie n'en pouvait plus, c’était sûrement l'une des courses les plus extrêmes qu'elle n'avait jamais faite de toute sa vie.

« Tout ce que tu voudras. Je pense être trop choquée et exténuée en ce moment pour choisir quoi que ce soit. »

Ensemble, ils traversèrent la place. Tous leurs sens étaient aux aguets, ils n'étaient pas encore remis du face à face avec le monstre. Ayant trop peur de se faire surprendre une seconde fois par les bêtes, et le silence pesant du village n'était pas en aidant.

À travers la place, leurs pas cognaient parfois contre quelques détritus, ce qui les glaçait de peur, croyant pouvoir alerter une quelconque présence. Marie regarda son frère, alors qu'ils venaient de traverser toute la place vers un bâtiment plus massif que les autres, elle remarqua que Kilian était devenu étrangement pâle. Et le froid ambiant n'en était pas la cause. Kilian devenait bleu à vue d’oeil.

« Kilian ça va ? Ta peau, elle est bleue comme de l'eau, de l'eau glacée. »

Le jeune homme frissonna aux dires de sa sœur. Il ne le sentait pas mais lorsqu'il regarda sa peau, il comprit ce qu'elle voulait dire.

« Oh ouais, c'est vrai. Je... je pense que ça doit être avant avec... la chose. Son souffle était froid, un froid mordant qui m'a pénétré dans la peau pendant un instant. J'ai bien cru être pétrifié, figé comme un glaçon. Mais il y avait autre chose. Quand j'étais sous le choc, j'ai l'impression qu'il tentait de... de... »

Marie devenait inquiète pour son frère, ça ne la rendait que plus impatiente.

« Que quoi ? » ordonna-t-elle presque.

Kilian avala sa salive maladroitement. « Qu'il tentait de m'aspirer. Un truc du genre. Je crois que je vais en cauchemarder un moment... », frissonna-t-il à nouveau.

Marie était triste de voir son frère ainsi. Jamais une quelconque créature n'avait intérêt à lui faire une chose pareille.

Elle mit son bras autour des épaules de Kilian, le serrant amicalement comme une bonne amie. Oui parce qu’il ne fallait pas trop en faire quand même. Kilian connaissait sa sœur de toute manière, il savait que cette accolade signifiait beaucoup de sa part, et ça lui convenait.

« C'est la dose quotidienne que tu me donnes, c'est ça ? » ricana Kilian. Marie lui fit une tape derrière la tête avant de partir elle aussi en riant. Mais ça n’empêcha Marie de penser elle aussi à quelque chose d'étrange. Lorsqu'elle avait sauvé son frère, cette chose était sorti de la lampe, ou de ses mains elle n’en était pas sûre mais elle préférait s’en préoccuper pour plus tard.

Cet endroit était affreux, mais pourtant il n’empêchait pas deux jeunes aventuriers de se détendre un peu. Du moins, c'est ce qu'ils crurent. Car une voix étrange, une voix de nature féminine résonna en ces lieux.

" À l'aide ! À l'aide ! Il y a quelqu'un ? Je vous en supplie, aidez moi ! "