02 - Frozen Doom

Luna était totalement endormie. Sa tête confortablement posée sur un coussin, elle profitait d'un sommeil sans rêves, chaque muscle de son corps complètement détendu. La fatigue causée par l'effort fait plus tôt avait considérablement facilité son plongeon dans les bras de Morphée. Tout semblait indiquer chez elle un état de tranquillité totale.

Aussi lorsque plusieurs étages plus bas, l'entrée principale du château fut ouverte avec une brutalité sans équivoque, elle ne broncha absolument pas. Les hurlements de la tempête ne la dérangèrent pas non plus.

Ce fut lorsque des cris commencèrent à résonner qu'elle entrouvrit son œil, encore un peu hébétée. Elle chercha à savoir si cela venait de sa tête... et jeta un coup d’œil discret à la fenêtre.

Elle vit le blizzard souffler dehors. Elle se réveilla alors brusquement, ne comprenant pas ce qui se passait. Elle se leva de son lit et s'approcha de la vitre pour s'assurer qu'elle était bel et bien consciente... et à sa grande surprise, elle comprit que ce qu'elle voyait était la réalité, froide, absolue et indivisible.

« Mais... qu'est-ce qui se passe ? »

Elle n'eut pas le temps de se répondre à elle-même qu'un cri retentit, il venait de plusieurs étages plus bas. Elle eut un mauvais pressentiment, elle n'aimait pas du tout ça. Mais alors pas du tout. Elle courut vers la porte de sa chambre et l'ouvrit d'un coup de sabot, sans chercher à faire dans l'impression. De nouveau dans le salon, elle constata que la porte qui menait aux appartements de sa sœur était ouverte... et que la pièce était totalement vide.

« C-Célestia ? Tu es là ? » Aucune réponse, si ce n'est un autre cri. « Oh bon sang... ça doit être un mauvais rêve ! »

Elle sortit du salon et descendit une nouvelle série d'escaliers qui menaient vers les étages inférieurs. Dehors, le blizzard continuait de croître en intensité, au point où il était impossible de voir à plus de deux mètres. La seule chose visible était une sorte de noir... lorsque Luna jeta un autre coup d’œil, elle détourna immédiatement la tête : la seule vision de cette tempête l'avait rendue extrêmement mal à l'aise, ne faisant qu'accroître la panique qui habitait déjà son âme. Elle devait trouver quelqu'un, elle devait avoir une explication sur ce qu'il se passait.

Au détour d'un couloir, elle croisa un groupe de quelques soldats royaux ordonnés de foncer vers le rez-de-chaussée par leur chef. Luna, sans hésiter, se dirigea vers lui, totalement étourdie.

« Ha, princesse Luna », annonça d'un ton très officiel le sous-officier en s'inclinant. « Vous excuserez ce cirque, mais au vu de la situation... »

« Est-ce que je peux savoir ce qui se passe ? Où est ma sœur ?! » demanda-t-elle avec une certaine anxiété dans sa voix.

« Nous sommes attaqués, Princesse ! Ennemi de nature inconnue, mais qui semble posséder des pouvoirs magiques extrêmement puissants au point d'être responsable de tout ce foutoir climatologique. Dame Célestia a été prévenue et doit être en bas pour l'affronter, nos éléments sont avec... hey, où vous allez ?! C'est trop dangereux pour vous ! »

Le garde s'égosilla en pure perte. Dès que Luna eut connaissance du lieu où la déesse diurne se trouvait, elle se mit à courir telle une furie. Elle prit un autre couloir en direction de l'accès au rez-de-chaussée. Elle put sentir que l'atmosphère devenait de plus en plus... froide, morbide. Du vent commençait à passer sur son échine, lui glaçant le sang. Elle s'arrêta un léger moment, tentant de deviner où se trouvait l'origine des cris de terreur et de colère qui se faisaient de plus en plus lourds. Une fois arrivée au bas des escaliers, elle tourna vers la droite, là où la morsure du froid était la plus plus forte.

Elle arriva dans un immense couloir, une des ailes latérales du château. En face se trouvait tout un bataillon de soldats royaux en formation carrée, Célestia à leur tête. Celle-ci observait avec une certaine retenue ce qu'elle affrontait...

Et Luna le vit. Tout devant Célestia était absolument gelé. Les murs, le sol, les fenêtres, tout était recouvert d'une épaisse couche de glace. Luna poussa un cri de surprise lorsqu'elle comprit pourquoi il y avait tant de cris : à terre se trouvaient des tas de gardes enfermés dans des blocs de givre, leurs faces figées dans une expression de terreur et de désespoir. Certains avaient visiblement tenté de fuir, d'autres avaient décidé de rester combattre voire de défendre leurs camarades tombées à terre dans un geste inconscient. Mais au final, ils avaient tous été frappés par la même fatalité.

Fatalité qui se trouvait au fond du couloir, sous la forme d'un blizzard. Non. Plus qu'un blizzard, quelque chose d'autre, de plus sombre, de plus effrayant, une entité puissante dont la seule trace était un œil enflammé qui les fixait au milieu des flocons de neige. Un regard tellement intense que Luna pouvait le ressentir depuis là où elle était, et en fut décontenancée. Célestia était sur les nerfs, attendant le moindre geste de cette chose pour attaquer.

« Reste en arrière, Luna », dit-elle d'un ton qui se voulait rassurant. « Tu te mets en danger énorme en venant ici... »

« Inutile de vouloir paraître en contrôle de la situation », dit une voix grave semblant sortir du néant lui-même, froide, sans vie, sombre comme les profondeurs de l'obscurité. « Car tu es complètement dépassée. »

« Nous verrons cela ! Je n'ai aucune idée de qui tu es et la raison pour laquelle tu attaques ce pays, mais je ne te laisserai pas continuer ton carnage ! »

« Je suis mort de peur. Laisse-moi te faire comprendre une chose... »

Une soudaine vague de froid se mit à foncer vers la Princesse du Jour, qui forma un bouclier défensif avec sa corne par pur réflexe. Le blizzard, néanmoins, réussit à passer et Luna put sentir une prise glaciale se poser sur ses épaules, la faisant trembler de tout son corps. Il y eut un moment où elle ne put rien voir à travers les flocons... puis lorsque la situation revint à la normale, la plupart des soldats présents avaient une partie de leurs corps envahis par la glace. Il y eut de nombreux cris de surprise et de douleur parmi les rangs si ordonnés de la garde royale. Célestia serra les dents tandis que la voix grave reprit.

« ... Le nombre de soldats que tu m'envoies combattre ne m'importe que peu. Non, faisons plus général. Rien n'importe. Cette soirée sera la fin. »

« Espèce de... je vois. Je ne vais pas me retenir contre toi, alors. Soldats ! » Les militaires recouvrirent momentanément leurs esprits. « Partez d'ici, vous n'êtes que de des mouches pour lui ! Ordonnez l'ordre d'évacuation totale de Canterlot vers Ponyville ou Cloudsdale, ce n'est plus sûr ici ! »

« Ha. Un ordre sage que tu aurais peut-être pu donner plus tôt. J'ai bien peur que cela n'ait plus d'importance maintenant... bah, dans le meilleur des cas, tu leur aurais juste donné un sursis. Rien de bien important. »

Les gardes exécutèrent les ordres et coururent dans la direction opposée, passant à côté de Luna qui resta immobile. Au bout de quelques secondes, il ne restait que trois êtres : les deux déités et l'esprit cauchemardesque qui continuait de les fixer.

« Maintenant, je te propose de régler ceci une bonne fois pour toutes. »

« Première idée intelligente que tu as eue depuis longtemps. Commençons. »

Immédiatement, une nouvelle vague de froid surgit du fond du couloir et fonça sur Célestia à grande vitesse. Celle-ci fit surgir un rayon lumineux de sa corne, transperçant les abysses glaciales qui menaçaient de lui faire subir le repos éternel. Le choc entre les deux magies résonna à travers l'allée et fit exploser plusieurs vitres, la neige pénétra dans l'allée avec une rapidité surprenante.

« Luna, suis-moi maintenant ! » ordonna la monarque à sa sœur tandis qu'elle fit demi-tour. La déesse nocturne la poursuivit.

« Ha. Cours. Mais tu sais que tu ne pourras jamais t'enfuir », répondit avec un horrible calme l'esprit.

Elles remontèrent les escaliers tandis qu'elles sentaient le froid gagner du terrain. Célestia prit un virage vers la gauche, en direction de la Salle du Trône. Après une courte course, elles arrivèrent devant l'immense porte qui menait à la pièce en question.

« Je devrais pouvoir l'affronter sans causer de soucis ici. Quant à toi... retourne dans ta chambre et quitte le château maintenant. »

« Q-quoi ?! Mais, grande... »

« C'est trop dangereux pour toi ici ! Tu dois voler vers Ponyville et prévenir Twilight Sparkle de la situation. Si je ne réussis pas à le vaincre, elles devraient pouvoir utiliser les Éléments de l'Harmonie pour sauver ce pays. Et je tiens à ce que tu sois hors de danger. Il n'y a pas de mais ! » acheva-t-elle d'un ton catégorique, voyant que sa sœur semblait hésiter encore un peu.

Puis, après quelques secondes, elle hocha la tête. « Il arrive, va-t'en ! » murmura Célestia en voyant le blizzard apparaître au coin d'un couloir. Sans mot dire, Luna fonça vers un croisement et disparut de sa vue, afin de trouver la sortie la moins envahie par le gel.

La déesse du Soleil, elle, ouvrit la porte de la Salle du Trône et y entra rapidement, voyant que l'esprit était à ses trousses. Elle referma l'entrée par magie et se plaça près de son trône, en position de combat.

Comme prévu, sa précaution de fermer la porte fut totalement inutile : elles volèrent en miettes face au souffle de son adversaire, dont l'œil de feu continuait de la fixer, imposant et absolu.

« Je suis prête. Plus aucune échappatoire, pour aucun de nous deux. »

« Bien. Je vois que tu sembles déterminée à lutter contre moi. Hélas, tu vas perdre. »

« ... Pourquoi fais-tu tout ça ? Que veux-tu à ce pays ? Que me veux-tu à moi ?! »

Il y eut un moment de silence. Puis la voix éclata de rire. Un rire froid, sans aucune joie, sans aucune vie. Un rire jaune.

« Alors, tu as vraiment oublié, hein... pas étonnant. Laisse-moi alors te montrer... les sinistres ténèbres de ton passé. »

Il y eut un grand bruit. Un bruit de sabot qu'on pose à terre lourdement.

Un sabot entièrement constitué de glace, qui laissa apparaître une jambe. Puis quatre. Puis un bas de corps. Puis un flanc, sans aucune cutie mark dessus. Puis un cou. Puis enfin la tête.

Son adversaire avait enfin pris forme, il s'agissait d'un cheval entièrement fait de givre, de la même taille que Célestia. Un seul œil était illuminé sur son visage, le fameux regard de feu qu'il utilisait depuis le début. Son autre œil était absent, remplacé par autre chose que la déesse ne pouvait pas deviner de sa position. Une corne de glace surplombait le tout, de par laquelle sortait la neige tourbillonnante.

« Cela faisait longtemps, Célestia », dit-il, d'une voix moins froide, un peu plus normale.

Et alors elle comprit qui il était.

La révélation détruisit toute son estime d'elle-même.

« Non... toi... c'est impossible... pas toi... »

« Ha », reprit-il de sa voix glaciale habituelle. « Cela fait toujours un choc de revoir un visage qu'on avait préféré oublier. Enfin... qui suis-je pour parler ? Je ne peux même plus ressentir la moindre surprise... ce genre d'émotion est morte en moi, gelée. »

La Princesse fit un pas en arrière, prise d'une panique soudaine. Elle regarda ses sabots et vit qu'ils commençaient à être attaqués par le gel. Sa panique monta en crescendo, tandis que son corps devenait de plus en plus froid.

« ... Même si, je dois avouer une chose. Après toutes ces années, j'aurais au moins une légère satisfaction, quelque chose que j'espérais voir depuis si longtemps et qui devient enfin concret. »

Le regard, implacable, tétanisa la déesse totalement désemparée. Son corps et son âme étaient en train de se congeler. Son corps était la victime de la glace, son âme la proie du désespoir absolu. Tandis que le cheval continuait de s'avancer vers elle, chacun de ses pas résonnant avec force dans la pièce, tel un tambour de l'Apocalypse, elle sentait de moins en moins ses muscles et articulations.

Puis il fut quasiment face à elle, il ne restait que son cou et sa tête de libres. Elle n'osait même pas dire un seul mot.

« ... De savoir que la dernière expression qui sera figée sur ton visage sera celle de la terreur... cela me rend... »

Célestia voulut utiliser sa magie, rien à faire. Elle voulut avoir un élan de courage, de force, mais son esprit refusait d'initier la moindre action. Au final, elle sentit sa vision être bloquée par une couche de givre, puis tous ses sens s'engourdir, avant de tomber dans le coma.

« ... assez content », acheva-t-il en observant son ultime œuvre.

Le bloc de glace où se trouvait la Princesse était achevé. Le sinistre cheval fit un signe de dédain et tourna la tête vers la fenêtre. En réalité, il n'était pas content au sens propre du terme, il ressentait une pâle imitation de la joie. Un simulacre sans chaleur. La vraie émotion, il l'avait oubliée depuis des siècles...

Il s'avança vers un des vitraux, et derrière il pouvait voir la tempête battre son plein.

Rien n'était encore fini.