La nuit d’hiver était triste et froide. Le vent de la journée soufflait maintenant en tempête, et dans le ciel des nuages menaçants se précipitaient d’un horizon à l’autre, interceptant la lumière de la pleine Lune et projetant au sol des ombres grotesques et fuyantes qui soulignaient celles des silhouettes griffues des arbres torves. De temps à autre, une ondée de grésil tombait, qui rendait le sol humide et glissant.
Deux silhouettes ailées, dissimulées sous de larges habits sombres, atterrirent devant la grille du cimetière. Elles se regardèrent silencieusement, puis rejetèrent leurs capuchons en arrière, révélant les visages de Célestia et Luna. Célestia tira sur la grille, qui pivota en grinçant légèrement, et toutes deux franchirent l’arche de pierre. Elles poursuivirent dans une large allée bordée de stèles, avant de tourner à gauche dans une petite traverse puis de s’arrêter au bout de quelques pas : à quelques mètres, au milieu du chemin, elles avaient aperçu une forme, blottie, grelottant au pied d’une tombe imposante. Célestia avança de quelques pas. « Twilight ? » appela-t-elle doucement.
« Dégagez ! répondit sèchement la voix de Twilight. Je ne veux voir personne, vous moins que quiconque.
— Twilight, supplia Célestia. Je suis venue demander humblement ton pardon. Pourras-tu un jour me l’accorder ? »
Il y eut un long silence. « Pourquoi ? demanda Twilight en sanglotant. Pourquoi m’avoir fait ça, vous en qui j’avais une totale confiance. Pourquoi ? Je dois comprendre. Je l’aimais de toute mon âme et qu’en reste-t-il ? Un cénotaphe. Un grand vide. Une douleur insupportable. Rien que du chagrin et des larmes… des larmes pour l’éternité.
— Twilight, répondit la Princesse, je crains qu’il n’y aucune réponse vraiment satisfaisante à ta question. La meilleure que je puisse te faire est de t’avouer que je n’avais pas le choix, Twilight. Je n’avais pas le choix, car tout ça était déjà arrivé il y a plus de mille ans. Malgré toi, tu fais déjà partie de l’histoire d’Équestria, et on ne peut changer l’histoire, Twilight. » Elle prit une longue inspiration. « On s’imagine qu’en tant qu’alicornes nous sommes les créatures les plus puissantes de ce monde, et, dans un certain sens, c’est exact. Mais aussi puissantes que nous puissions être, il y a des choses qui nous transcendent, Twilight, dont le temps et le destin. » Même lui, pensa-t-elle, dans son antre nichée aux confins du monde, n’y peut rien changer. « Le temps est un fleuve infini dont les eaux coulent du passé vers le futur et on ne peut ni l’arrêter ni l’inverser. Tout ce que nous pouvons faire, nous autres alicornes, c’est pagayer à contre-courant et voir des poneys qui naissent en amont, nous côtoient quelque temps, puis filent et disparaissent à jamais en aval. Malgré toute notre magie, nous devons nous incliner devant ce tyran aveugle et implacable. Aussi coûteux que cela pût m’être, je ne pouvais que m’incliner et en subir les conséquences. Ce n’était pas la cause, Twilight, c’était la conséquence. L’horrible conséquence, plus de mille ans après, de ce jour funeste.
— Ça ne me console pas, dit faiblement Twilight. Vous en parlez tellement rationnellement. Vous n’avez jamais aimé personne comme je l’ai aimé lui. Vous ne pouvez pas comprendre…
— Ce n’est pas vrai, Twilight, je te jure que ce n’est pas vrai, protesta-t-elle. Que connais-tu de ma vie ? J’admets que j’ai renoncé, bien avant que tu ne naisses, à m’impliquer dans des histoires sans issue qui n’étaient sources que de joies éphémères, mais de tristesses éternelles. Il y a des siècles, j’ai aimé des étalons autant que tu as pu aimer Starswirl. Je n’ai pas un cœur de pierre, Twilight, et j’ai enduré les mêmes tourments que toi, encore et toujours, jusqu’à ce qu’un jour je me retrouve si déprimée que j’ai juré que ce serait la dernière. Et maintenant, tu sais ce que je voulais te dire quand j’affirmais il y a un mois que notre vie était à la fois bénie et maudite… Le poids de l’immortalité.
— Si vous m’aviez prévenue que c’était si difficile, je n’aurais pas accepté, soupira Twilight.
— Mais tu l’as fait, Twilight, et il n’y a plus de désaveu possible. » Elle se tut, sembla chercher ses mots, reprit : « Tu sais, Twilight, ça n’a pas été facile pour moi non plus. Depuis ce jour, je n’ai jamais cessé de sentir le poids de ta malédiction. J’ai perdu un de mes amis les plus chers, et j’ai dû vivre avec un sentiment de culpabilité qui ne m’a jamais quitté, alors que je n’avais rien fait. Le château de Canterlot m’est devenu odieux, à cause de ce vitrail où je le revoyais sans cesse et sans cesse se jeter. Luna m’a accusée de pourrir, voire de détruire, la vie de ceux que j’aimais, et quand elle s’est finalement transformée en Nightmare Moon et que j’ai dû la bannir, je n’ai pas cessé de penser que tout cela y était pour quelque chose. Dans notre bataille, nous avions détruit le Château des deux Sœurs, j’ai donc dû retourner à Canterlot, et ce fut comme une double peine. Et puis il y avait toi, Twilight. Je savais que tu accomplirais de hauts faits – comment aurais-tu pu devenir une alicorne autrement – mais je ne savais pas quand. Alors j’ai créé l’École royale des licornes surdouées, en me doutant que tu tenterais d’y entrer ; et toutes les semaines, je scrutais les inscriptions, jusqu’à ce que je tombe sur la lettre de tes parents. Le reste, tu le connais aussi bien que moi… »
Il y eut un nouveau silence. Le vent agitait les branches des arbres dénudés et hurlait lugubrement entre les tombes. « Je suis fatiguée, déclara Twilight, je ne veux pas en parler davantage ce soir. Bonne nuit ! » Elle se leva, et disparut dans un éclair éblouissant.
Célestia se retourna, rejoignit Luna ; elles reprirent toutes deux le chemin de la grille. « Cela prendra du temps, diagnostiqua Célestia, mais elle s’en remettra, j’en suis sûre. Il y a trop de joie et d’optimisme en elle.
— Hon hon ! opina Luna. Il le faudra bien. Bien avant que même toi tu le penses.
— Pourquoi dis-tu ça, sœurette ? demanda Célestia intriguée.
— Tu n’as rien remarqué ? répondit Luna.
— Non, pourquoi ? »
Elles s’arrêtèrent au milieu de l’allée. « Je ne sais pas, expliqua Luna. C’est peut-être mon millénaire dans la Lune, ou peut-être autre chose. Depuis mon retour, j’ai découvert que j’étais devenue extrêmement sensible à la physiologie des autres poneys. Ce n’est pas un sort, c’est automatique, comme une sorte de sixième sens. Si je m’en approche suffisamment, je peux dire si un poney est malade ou non et, s’il l’est, de quoi il souffre presque sans me tromper.
— Tu veux dire que Twilight est malade ? s’exclama Célestia.
— Non, non ! Enfin, pas comme on l’entend d’ordinaire.
— Quoi alors ? » rétorqua Célestia inquiète.
Luna ne répondit pas de suite, mais fit quelques pas en avant, remit sa capuche et déploya ses ailes. Alors seulement elle se retourna vers sa sœur qui la suivait du regard : « Elle est enceinte », lâcha-t-elle. Et elle s’envola.
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Le temps me manque là, mais je ferais une critique total de cette fic, promis.
Merci ! Le concept de tragédie a peu évolué depuis la Grèce antique, hein. Sophocle avait presque déjà tout dit. Shakespeare a juste rajouté un glaçage.
Pour la suite de cette fiction il faudra attendre un peu… En fait, j’ai déjà commencé à rédiger une autre fic’ (en anglais) avec une Twilight maman. Ça n’avait rien à voir avec celle-ci, mais, a posteriori, ça pourrait servir de suite. Ce n’est pas très gai non plus. Cependant, d’une part, il faudrait que je finisse de rédiger l’orignal anglais puis que je l’adapte, et, d’autre part, je suis tombé récemment sur le « More most dangerous contest » par Obselescence (http://www.fimfiction.net/blog/425925/the-more-most-dangerous-game-contest) pour lequel j’ai une bonne idée en tête. Donc, jusqu’au 21… On joue à guichets fermés, et en langue de Shakespeare seulement ! ;)
Et puis bha [lien] elle restera toujours le tout premier troll de l'histoire de l'internet . Et ça , C'EST BEAU !
@fredericdu2375 : prêt à écrire la suite ? ;)