Le réveil sonna dans un tintamarre bruyant, bouillie de métal et d’acier. Je tâtonnais sur la table de chevet, jusqu’à sentir sous mes doigts gourds l’objet. Je cherchais quelques secondes le bouton pour l’éteindre, puis lassé, je le poussais purement et simplement au sol.
Dans un cliquetis reconnaissable entre mille, les piles du réveil sautèrent hors de leur logement et roulèrent à quelques centimètres de lui. La sonnerie se tut. Je poussais un grognement de satisfaction. Se réveiller tôt faisait partie de mes habitudes depuis que j’étais policier. Mais par les feuilles d’érable, que je détestais ça.
Bon, j’avais mes jours de repos pour faire la grasse matinée. Et passer mes soirées à enchaîner les bars quand j’en avais envie, ce n’était pas la chose qui rendait le plus frais au matin. Mais n’empêche.
Je me frottais plusieurs fois les yeux pour dissiper les restes du sommeil. Puis je baillais à m’en décrocher la mâchoire. Bon, assez traîné. Il était temps de se mettre en route.
J’écartais vivement les draps de mon corps nu et me dressais d’un bond sur le matelas. J’avançais de quelques pas pour que mes sabots foulent le bois chaud du plancher. Je grattais mon fanon en observant la chambre de bonne qui me servait de lieu de vie. Pas grand-chose : mon lit, un simple matelas posé à même le sol, une armoire vermoulue pour mettre mes affaires, et c’était à peu près tout. Pas de plaque électrique, pas de douche, pas de toilettes. Mon studio ne me servait à rien d’autre qu’à dormir.
Pour manger, j’avais tous les restaurants possibles en ville ou les vendeurs ambulants. Pour me laver, les douches publiques me convenaient et tous les commissariats en étaient équipés.
Et si j’avais envie d’un peu de confort pour la nuit, je me trouvais une jolie pépée à lever et on allait chez elle.
C’était aussi simple que ça.
Sans compter qu’il était important de ne posséder qu’un minimum de choses. Plusieurs de mes collègues avaient de belles maisons, avec de jolies clôtures, certains avaient même fait creuser des piscines. Le genre de baraque où tu te calais sous le porche pour voir jouer tes gamins dans la rue. Le genre d’endroit où tu faisais coucou à ton voisin en allant chercher le courrier et où tu le dépannais en promenant son chien.
La vie idéale pour beaucoup de personnes. Une vie idéale qui faisait de toi la meilleure des cibles, surtout.
Un de mes équipiers à Vanhoover avait eu une mauvaise surprise en pleine nuit. Du genre odeur de brûlé. Il s’était réveillé pour constater qu’on avait balancé des cocktails molotov sur sa maison et qu’on avait même poussé la chose jusqu’à clouer les portes de la baraque. Il avait fini rôti avec sa femme et leur môme de cinq ans.
Le type était comme tous les collègues que j’avais. Il mordait un peu de-ci de-là, tapait dans la caisse ou se faisait graisser la patte pour arrondir ses fins de mois, mais c’était pas un méchant. Il méritait pas une fin comme ça. Sa nana et leur gosse encore moins.
Alors avec les copains, on avait mis les bouchées doubles. On avait retrouvé les pyromanes et on leur avait fait regretter leur geste, à grands coups de barre de fer dans les genoux, de sel dans les plaies et de plongées prolongées dans la rivière.
On avait vengé notre collègue. Mais ça l’avait pas ramené.
Ca m’avait servi de leçon cette affaire. Ne rien laisser derrière soi que la mafia ou les gangs pourraient attaquer. J’avais pas de vraie nana, pas de vraies possessions. Si un jour je devais tomber, ils ne s’en prendraient qu’à moi.
Enfin, j’espérais. Je ne voyais pas des truands se taper le voyage jusqu’à Vanhoover pour mettre le sabot sur ma mère. Et ma soeur bougeait trop pour que je sache moi-même où elle était, alors les gangsters…mais n’empêche. Je savais que je franchissais la ligne plus souvent que les autres collègues. Pas seulement parce que c’était dur de résister quand un petit dealer vous filait de la came gratuite pour qu’on ferme les yeux cette fois-ci, mais parce que j’aimais ça. Je plongeais dans l’illégalité avec ma plaque de flic, je pouvais me faire de la thune, profiter des choses de la vie et tout ça sans finir en taule.
Je gagnais sur tous les tableaux.
Je marchais jusqu’à l’unique fenêtre de la chambre et l’ouvris. Le vent frais et matinal pénétra dans la pièce, me faisant frissonner. Je me reculais un peu, levais les yeux jusqu’à repérer une poutre de belle taille. Je me dressais sur les sabots pour m’y accrocher et commençais mes exercices.
Rien de compliqué. Quelques séries de tractions, histoire de réveiller les muscles. Le vrai sport, je le faisais au gymnase du commissariat.
C’était important de se tenir en forme. Et pas juste pour des histoires de ligne ou de bonne santé, non. Quand on naissait orignal comme moi, on était doté d’une certaine musculature naturelle. On était le genre d’armoire à glace, avec pas mal de poils et un accent que les autres races trouvaient rigolo.
Mais fallait entretenir ces muscles. Il n’y avait rien de plus pitoyable qu’un orignal qui se négligeait et dont l’armure de naissance fondait.
Tout ça pour envoyer un signal quand on marchait dans la rue : “emmerde-moi et compte tes doigts”. On y réfléchissait à deux fois avant d’essayer de se faire une masse comme moi. Et ça me convenait tout à fait, j’étais pas si bagarreur que ça. J’avais rien contre fracasser quelques minables mais dans l’absolu, si je pouvais éviter le combat, je le faisais.
Fallait pas être con. Un combat ça voulait dire des coups, des lames, des flingues parfois. Et j’avais beau avoir le cuir épais, je réagissais assez mal aux balles dans le buffet. Un genre d’allergie de naissance.
Je soulevais mes cent kilos à la seule force des bras, jusqu’à ce que mon fanon frôle la poutre. Je maintenais la position quelques secondes avant de relâcher et de recommencer. Lorsque j’étais au sommet, je voyais largement par la fenêtre, les toits de Roussefeuille et les gens qui vivaient leur petite vie. Ici la famille qui petit-déjeunait ensemble, là l’éternel clopeur qui fumait sa tige sur le balcon. Y me manquait juste la jolie voisine qui se changeait pour aller au travail, mais je ne désespérais pas de tomber sur sa fenêtre un jour. C’était toujours plus motivant de faire des tractions quand à la clé, y avait une femelle sympa à regarder.
Mes muscles commençaient à brûler, signe que j’avais assez travaillé. Un pro en muscu vous dirait que ce n’était qu’à partir de ce moment qu’il fallait vraiment s’y mettre, mais je l’emmerdais. Encore une fois, c’était juste ma petite session du matin.
Je relâchais ma prise et tombais droit sur mes sabots. Le corps empoissé de sueur, je pris ma serviette et me frictionnais avant de la jeter dans un coin du studio.
Puis, j’allais jusqu’à l’armoire. A l’intérieur, ma tenue habituelle : le complet.
Je me saisis de mes sous-vêtements, les enfilais, de même que mon pantalon bleu nuit. Chemise blanche, cravate bleue rayée de jaune que je nouais avec soin et veste de costume bleu nuit également. J’étais paré, enfin presque. Me restait ce bon vieux trench-coat.
Je l’adorais ce manteau. C’était ma soeur qui me l’avait cousu quand j’avais été admis à l’école de police canhaydienne. Un gros morceau de cuir ocre, qui ne s’accordait pas du tout avec mon pelage très foncé. Mais qu’est-ce que j’en avais à foutre ? Il était génial ce manteau : conçu pour se salir, j’en avais rien à faire si je pataugeais dans la boue avec lui, il était imperméable et par-dessus tout, il me rendait les épaules encore plus carrées qu’elles n’étaient.
La meilleure veste du monde que j’enfilais avec un respect presque religieux. Il ne me manquait qu’une dernière chose.
Je retournais jusqu’au lit et plongeant la main sous l’oreiller, en extirpais mon S&W mod.29. Ca, c’était un cadeau de mon père. Le seul truc qu’il nous ait laissé derrière lui après qu’il se soit fait chopper par des types déterminés à lui piquer son attaché-case. Papa était encaisseur, le modèle 29, son arme de service. Sauf qu’il n’avait jamais appris à s’en servir, estimant que personne n’oserait toucher au panache d’un orignal qui travaillait pour la Banque du Canhayda.
Du coup, quand trois types l’avaient serré dans une ruelle sombre de Quatre-Rivières, il avait juste réussi à se démettre le bras avec le recul avant de finir truffé de plomb.
J’étais déjà assez âgé quand c’était arrivé, j’allais sur mes quatorze ans. Et si j’avais été triste de perdre mon père, j’avais aussi réalisé quelque chose : que mon géniteur avait été un minable, un gagne-petit. Il avait peut-être transporté des milliards dans ses valises tout au long de sa vie et jamais, pas une seule fois il avait gardé un petit billet pour lui ou nous. Avec tout ce fric, est-ce que quelqu’un aurait vraiment fait attention à quelques bits qui disparaissaient ici et là ? Et pourtant mon vieux s’était toujours refusé à piocher dans son attaché-case, pas même pour offrir un dîner sympa à sa femme à la St Galopin ou faire en sorte qu’on ait de vrais cadeaux ma soeur et moi à la Veillée Chaleureuse.
Après sa disparition, maman avait dû prendre un autre boulot en plus pour joindre les deux bouts. Et même si on avait jamais manqué de rien, ça avait jamais été la fête financièrement à la maison.
Alors je m’étais fait une promesse. Celle que je ne finirais pas comme mon père, qu’à ma mort, j’aurais pris l’adversité dans les bras, je l’aurais retournée et je lui aurais fait tendrement l’amour pour rester poli.
Je ne regretterais pas une seconde ma vie passée sur cette foutue terre et chaque occasion de se mettre à l’aise et de s’éclater, je la prendrais.
Et c’était le credo que je suivais depuis douze ans, depuis que j’avais été accepté à l’école de police. Alors oui j’étais immoral, oui je me faisais graisser la patte, oui certains de mes amis avaient passé plus de temps derrière les barreaux que la majorité de la population equestrienne. Mais par les feuilles d’érable qu’est-ce que j’étais bien !
Je glissais le mod.29 dans mon holster. Un dernier regard à droite et à gauche dans ce qui me servait de piaule. J’avais rien oublié ? Non ?
Parfait.
J’ouvris la porte d’entrée, la passais et la laissais se refermer derrière moi. Pas de tour de clé. Ca servirait à quoi de toute façon ? Un voleur se taperait tout l’immeuble jusqu’aux combles pour piquer un matelas, un oreiller et un drap ? Fallait pas déconner non plus.
Je passais devant la cage d’ascenseur, où une main malhabile avait gribouillé qu’il était encore en panne. M’en moquais. Je passais toujours par les escaliers quand je le pouvais. Ca raffermissait les mollets et ça évitait qu’on se fasse bloquer entre deux étages avant de se faire arroser à la Thompson. Des collègues pourraient en témoigner s’ils n’étaient pas endormis pour longtemps avec plusieurs kilos de bonne terre canhaydienne par dessus leurs cercueils.
Je descendis lentement les escaliers de mon immeuble. J’avais largement assez d’avance avant d’aller au commissariat, pas besoin de me dépêcher.
Passant d’un pallier à l’autre, j’entendis les cliquetis de vaisselle, les embrassades des amoureux avant d’aller travailler et les cris des enfants qui ne voulaient pas aller à l’école. Il était sept heures et demie et Ponyville se mettait en branle.
J’aimais l’idée que je côtoyais de tout dans cet immeuble. Des cadres dynamiques qui mettaient de côté le moindre bit qu’ils gagnaient et qui se retrouvaient avec un logement miteux, des familles qui héritaient de l’appartement du grand-père, le jeune couple qui ne pouvait s’offrir que ça, l’étudiant glandeur qui vivotait entre la musique et deux trois boutanches de gnôle.
Et moi au milieu de tout ça, lieutenant de police, protéger et servir. Enfin, c’était ce qu’ils pensaient. J’étais plutôt dans l’esprit de protéger et me servir.
Mais ça restait du détail. Ce n’était pas parce que je ne regardais pas la couleur de la patte qui me filait quelques bits que j’étais une enflure de a à z. Les pourris, les gros dealers, les types qui faisaient du mal à celles et ceux qui ne pouvaient pas se défendre… j’étais là pour leur apprendre la vie.
A coup de sabot au cul. On apprenait toujours mieux en se faisant botter la croupe.
Je passais devant la loge de la concierge et lui adressais un salut poli.
Une vieille dame d’Otthaywa, qui défendait l’entrée de l’immeuble crocs et ongles quand on était représentant, et gentille comme une crème quand on était locataire.
_Bonjour commissaire, me dit-elle en me rendant mon salut. Tout va comme vous voulez aujourd’hui ?
_Lieutenant madame Lévesque. Pas la peine de me donner plus de galon que j’ai, ou les collègues vont gueuler. Et oui, ça va plutôt bien. Et vous ?
_D’accord commissaire, je m’en souviendrais.
Je ne savais pas si c’était l’âge, la maladie ou juste qu’elle aimait ça, mais la vieille Lévesque était touchante à toujours me donner du commissaire.
_Moi vous savez, on fait aller avec mon âge. Surtout que je n’ai plus vraiment la force de monter au cinquième demander son loyer à monsieur Garlic.
Garlic. Le seul griffon de l’immeuble. On avait plein d’orignaux - logique à Roussefeuille -, quelques poneys et même un couple de zèbres qui squattaient les caves. Mais des gentils. Pas le genre de cette tête de bois de Garlic.
_Il est en retard ?
_De bientôt trois semaines. Si je n’envoie pas vite l’argent à monsieur Lavoie, ça pourrait retomber sur moi. Et retrouver un emploi à mon âge…
Lavoie était le propriétaire de l’immeuble et grosso-modo, de Roussefeuille tout entier. Un self-made-moose, qui avait fait fortune dans l’immobilier. A ce qu’on disait, il savait se faire très convainquant pour pousser les gens à lui céder un bail. Du genre pluie d’argent ou pluie d’emmerdes, au choix.
_J’irais parler à monsieur Garlic ce soir quand j’aurais fini ma journée, madame Lévesque. Et tenez, dis-je en ouvrant mon portefeuille et en lui tendant un billet de quinze bits. Allez vous offrir une de ces boites de biscuits que vous aimez bien. Vous m’en garderez un peu quand je viendrai vous apporter le loyer de monsieur Garlic.
_Merci monsieur le commissaire, me répondit la vieille orginale en me prenant le billet des mains. Mais je ne voudrais pas que cet argent vous manque…
Je réfléchis une seconde. Ce billet, je l’avais eu en menaçant un vendeur de sacs contrefaits d’appeler les collègues de l’inspection des fraudes.
_L’argent n’est pas un souci, je vous assure, lui dis-je dans un sourire. Mais là, il faut vraiment que je file.
_Bonne journée monsieur le commissaire !
Un dernier salut de la main à ma gardienne et j’étais dehors, pour me diriger vers la voiture de fonction. Une jolie taule, même quand comme moi on aimait pas des masses conduire. Vert pomme, gyrophare, radio reliée au commissariat, elle était quand même assez sympa.
Et je ne disais pas ça que parce qu’un fusil à canon scié se planquait sous le siège passager.
Je déverrouillais la portière, m’assis à la place du conducteur, et mis le contact. La voiture rugit alors que je quittais le bord du trottoir pour m’engager dans les rues de Roussefeuille.
Je profitais d’un arrêt à un feu rouge pour glisser une cigarette dans ma bouche. La dernière du paquet. Mince. Ce petit con de Seagul m’en avait coûté une, c’est vrai. Mais on avait eu les renseignements qu’on voulait. Le bateau avait été repéré par nos indics au port et on avait tranquillement pu filer le chargement d’alcool. Les frères FilmFlam étaient les heureux propriétaires de ces caisses de whisky et de vodka. Fallait encore qu’on décide avec les gars ce qu’on allait faire. Un assaut contre l’entrepôt où ils les stockaient me bottait bien. Ca faisait longtemps qu’on avait pas appliqué le XVIII° amendement.
“La production, la vente ou le transport de boissons alcoolisées sont interdites”. La loi la plus violée de tout Equestria.
Il était peut-être temps de rappeler aux mafias qu’avec des flics dans le coin, leur gnôle n’était pas en sécurité.
J’allumais ma sèche quand la radio crépita.
_Central à voiture deux, central à voiture deux vous me recevez ?
Je me saisis du commutateur et le plaçais devant ma bouche.
_Ici voiture deux. Je vois reçois cinq sur cinq. Ca a intérêt à être important parce que j’étais en route pour le p’tit dej là.
_A l’angle de la septième et de quatrième, on a un 10-35.
Un 10-35 ? C’était demander la présence de la police sur les lieux, ça.
_Suicidaire sur le toit, me précisa la radio.
‘chier. J’avais que ça à faire des cons qui voulaient se foutre en l’air dès le matin ?
_Y a personne d’autre sur les lieux ? demandais-je, plein d’espoir.
_Négatif voiture deux. Vous êtes la seule voiture à proximité.
_Et merde, finis-je par lâcher en tournant en direction de la quatrième avenue. Gardez moi au moins un donut.
Par chance, l’angle de la septième et de la quatrième n’était pas très loin de ma position. J’y fus en quelques minutes. Un groupe de badauds s’était rassemblé sur le trottoir, levant les yeux au ciel. Si on les imitait, on voyait la silhouette d’un poney qui se tenait sur le rebord du toit d’un petit immeuble.
Je me garais et descendis de ma voiture. Un agent en uniforme, mégaphone en patte tentait de dissuader le type de sauter, tandis qu’un autre commençait à installer les traditionnelles barrières “police-ne pas passer”.
_Lieutant Mâchefeuille, dis-je en montrant ma plaque au second poney. On a quoi ?
_Bonjour mon lieutenant, me répondit le poney en me saluant. Je suis l’agent Brave et celui qui a le mégaphone, c’est l’agent Cados. Donc pour l’instant, dit-il en consultant son carnet, on a son nom à lui : Balidir.
Je plaçais ma main en visière pour me protéger du soleil et levais à nouveau les yeux vers le suicidaire.
_Mais c’est un gamin !
_Il doit avoir seize ou dix-sept ans, monsieur. On essaye d’appeler ses parents pour les faire venir ici.
_Il a dit pourquoi il veut se foutre en l’air ?
_Négatif monsieur. D’après les témoins, ça fait depuis l’aurore qu’il est là et qu’il menace de sauter. Y a même deux trois civils qu’on commencé à prendre des paris.
_Des paris ? répétais-je, surpris.
_Bah ouais vous savez, est-ce qu’il va sauter, est-ce qu’il va s’en tirer, ce genre de connerie quoi.
Je grattais mon fanon.
_Y a moyen de rejoindre le toit ?
_Il a bouclé les escaliers depuis là haut mais si vous le sentez, vous devez pouvoir monter par la gouttière derrière l’épicerie.
_Putain, lâchais-je, retirant la cigarette de ma bouche.
J’ôtais mon trench-coat et ma veste de costume pour les confier à l’agent Brave.
_Il me manque la moindre chose quand je redescends ou si tu m’abîmes quoi que ce soit, je te fais découvrir le concept de la douleur, compris ?
_Oui…monsieur, confirma le poney d’un ton hésitant.
_Et tant que tu y es, dis-je en lui filant un billet, tu me mets cinquante sur la survie du gamin.
_Monsieur ? demanda t-il, éberlué.
_T’as raison, assénais-je avec un second billet, cent c’est plus sûr. Et tu devrais miser aussi.
Puis laissant là le policier avec mes affaires, je me dirigeais vers la ruelle la plus proche. Une ruelle comme les autres, murs de brique, odeur dégueu, poubelles bien pleines. Et derrière le magasin, une jolie gouttière jaune qui montait jusqu’en haut. Je passais mes mains autour d’elle et tirais. Elle resta en place.
Bon, heureusement que je m’étais échauffé ce matin. Jambes croisées autour du plomb pour m’assurer un minimum de sécurité, je grimpais assez vite. La gouttière grinçait mais résistait. Et heureusement.
Plus je montais, plus j’entendais distinctement la voix de l’agent Cados, portée par le mégaphone.
_Fais pas le con Balidir, l’implora t-il. Ca servirait à quoi que tu te foutes en l’air ?
_A mettre fin à tout ça, tu crois quoi bordel ? lui répondit une voix secouée de sanglots. Me tuer, ça sera la seule chose de bien qui me sera arrivée dans la vie.
Aaaah, putains de jeunes et leur crise d’adolescence de merde. Y pouvaient pas rester dans leur chambre à écrire des poèmes dépressifs plutôt que m’obliger à saloper ma chemise contre une gouttière dégueulasse ?
Une chance que je mettais pas des habits de grande marque pour aller bosser.
Mes doigts se crispaient autour du plomb glacé, mes mains s’engourdissaient. Mais je continuais mon ascension, inlassablement. Le sommet était en vue.
Je finis par atteindre le sommet de la gouttière et le toit en lui-même. Je m’y hissais à la force des bras.
Le vent balayait tout avec violence, ma cravate me revenait dans les yeux. Mais ce n’était pas un peu de souffle qui ferait vaciller deux mètres de hauteur et cent kilos d’orignal déterminé. Encore moins quand on avait ça à régler avant de se poser au poste avec une bonne tasse de caoua et des beignets.
A quelques mètres de moi, je voyais le dos du suicidaire. Petit poney terrestre, à la robe gris fer et la crinière noire. Des survêtements de sport criards, sûrement aux couleurs de son lycée.
Il avait enjambé le rebord et ne se tenait qu’à un pas du grand saut.
_T’as pensé à ce qui arriverait si tu te rates ? demanda la voix de l’officier de police. Ca te ferait kiffer de finir à l’hosto dans une chaise roulante pour le reste de ta vie ?
_Et pourquoi pas ! répondit Balidir par bravade. Au moins y aurait des gens pour penser à moi !
Mais y avait des gens pour penser à toi p’tit con. Moi pour commencer, que t’avais obligé à grimper le long d’une gouttière et à ruiner sa chemise. Les agents Cados et Brave, qui flippaient à l’idée que tu t’éclates sur le pavé pendant leur service. Les passants qui espéraient avoir quelque chose à raconter à leurs collègues ce matin.
Et sûrement ta foutue famille qui à mon avis, voulait pas que son gamin se jette du toit d’un immeuble.
Je me rapprochais du poney, le vent fouettant ma cravate contre le visage, plaquant ma chemise contre mon corps. Si je choppais un rhume, je le tuais le môme. Qu’il ait sauté ou pas.
Pas la peine d’y aller aussi silencieusement qu’un timberwolf en chasse. Le gamin était de dos et Cados l’occupait bien assez pour qu’il ne pense pas à se retourner. Et la discrétion c’était pas mon truc.
J’étais du genre à foncer droit devant et à taper jusqu’à ce que le problème s’en aille. Et si le souci était encore là, c’était une invitation à taper plus fort.
_Je vais sauter ! beugla l’adolescent. Je vous jure que je vais sauter.
_Non, dis-je en le saisissant à la capuche et en le faisant passer par dessus mon épaule.
Le gamin roula sur la pierre froide du toit de l’immeuble. Avant qu’il ne se relève, je fis un signe du pouce aux agents en bas, signe que je maîtrisais la situation. Et c’était vrai. Si le môme avait vraiment eu le cran de sauter, il l’aurait fait sans attendre. Il n’aurait pas les couilles d’enjamber une seconde fois le rebord.
Encore moins quand entre lui et le rebord, se tenaient deux mètres et cent kilos de muscles et de graisse.
Roulé en boule, le poney sanglotait. Je m’approchais de lui.
_Pourquoi…pourquoi est-ce que vous m’avez pas laissé sauter, merde ?
_Parce que j’aime pas voir des gosses crever, répondis-je en le remettant sur sabot. Pas quand ils le méritent pas.
_Mais je mérite quoi d’autre ? demanda t-il, en larmes. Je suis censé faire quoi quand Mivia m’a plaqué ?
_Attends…dis-je avec un sifflet de stupéfaction. Tu voulais te foutre en l’air pour une nana ?
_Pour Mivia ! rectifia t-il comme si j’avais dit une énormité. Elle m’a plaqué pour ce connard d’Ulf, sous prétexte que lui au moins, il joue quaterback. Je fais quoi, moi sans elle ?
Je lui expédiais une paire de claques retentissantes, qui laisseraient sûrement de belles marques. Mais quand on était aussi con, on le méritait.
_Arrêter d’être faible pour commencer, dis-je en prenant Balidir par le bras et en nous dirigeant vers la sortie, une simple cage d’escalier fermée à double tour. Tu croyais faire quoi en te bousillant ? Passer pour un héros auprès de ta nana ?
_Je sais pas, avoua t-il penaud. Je voulais juste que…
_Les hommes, les vrais s’écrasent pas devant les problèmes. On est pas des lâches, on choisit pas d’en finir parce que c’est la merde.
Je déverrouillais la porte et l’ouvris, poussant le gamin à l’intérieur.
_On accuse le coup et on lui rend le double. C’est comme ça que ça marche, petit.
_Mais…mais…et Ulf ? Et Mivia ?
_J’ai rien à foutre de ces deux cons. Mais si tu veux récupérer ta pépée, va falloir te battre. Alors tu vas aller dans ton école, tu vas trouver ce Ulf et tu vas lui foutre une trempe. Devant tout le monde.
_Hein ? me demanda t-il, les yeux écarquillés alors que nous descendions les escaliers.
_Tu lui mets sa race devant toute l’école. Tu lui montres qu’on te pique pas ta nana sans morfler derrière.
_Mais je vais me faire exclure ! Mes parents vont…
_Tu te poses en dominant, dis-je sans me soucier de son objection. Et si le prix à payer, c’est quelques jours au placard, t’en as rien à foutre. Parce que quand tu reviendras dans ton bahut, tu verras trois choses : la peur dans les yeux d’Ulf, le respect dans les yeux des autres. Et l’envie dans ceux de Mivia. Si tu veux la reprendre, après ça dépend que de toi.
Le terrestre hocha lentement la tête. J’aurais dû faire psy tiens.
Je le tenais toujours par le bras quand nous sortîmes de l’immeuble. Les badauds m’applaudirent tous, même les agents vinrent me gratifier d’une tape dans le bras. Je confiais Balidir à l’ambulance qui était arrivée entre-temps, enjoignant les infirmiers de le surveiller. Des fois les pulsions suicidaires reprenaient le dessus au dernier moment. On avait eu le cas d’un gars qui avait ouvert le gaz dans sa cuisine, qu’on avait dissuadé de craquer une allumette, et qui s’était jeté sur l’autoroute depuis l’arrière de la voiture qui l’amenait à l’hôpital. Ca faisait tache sur le rapport ce genre de conneries.
Ils enveloppèrent Balidir dans une grosse couverture. La gamin était encore blême mais j’avais l’impression que mon petit discours l’avait marqué.
_M’sieur ? me demanda t-il alors que j’allais m’éloigner. Comment je fais…rapport à Ulf ? Il est vachement plus baraqué que moi, vous savez.
Je me penchai et lui glissais à l’oreille.
_Cache une pierre dans ta main quand tu lui porteras le premier coup. Frappe à la tempe, ici, dis-je en pointant l’endroit du doigt. Il sera sonné. T’auras le temps de planquer la pierre dans ta poche et de le mettre KO sans que personne ne remarque quoique se soit. Et attaque par surprise s’il le faut.
_Mais c’est tricher, m’sieur ! s’offusqua t-il.
_C’est contourner les règles, nuance. Au final, ce que ton bahut verra, c’est Balidir, vainqueur du duel contre le quaterback Ulf. Et crois moi que pour un résultat pareil, on s’en fout si tu aides un peu la chance.
Il hocha la tête et me murmura un merci. Je souris en réponse et m’éloignais de l’ambulance, m’en retournant à ma voiture. L’agent Brave était près d’elle, tenant toujours mes affaires qu’il me rendit.
_Super travail lieutenant ! dit-il, la voix vibrante de fierté.
_C’était pas si compliqué, répondis-je en reboutonnant ma veste de costume et en renfilant mon manteau. T’as mon fric ?
_Oui lieutenant, dit-il en me tendant un petit tas de billets. Vos cent bits et cent de plus pour le pari gagné.
Je comptais rapidement et lui confiai un billet de vingt.
_Merci garçon, dis-je en lui glissant dans la poche. Toi aussi t’as assuré.
_Je ne peux pas accepter mon lieutenant, m’objecta t-il alors que j’entrais dans ma voiture. C’est de la corruption d’agent de police…
_L’argent vient d’un flic à la base, non ? dis-je en mettant le contact. Et ça reste dans la police. J’appelle pas ça de la corruption, j’appelle ça de la circulation de devises. Bonne journée agent Brave.
_Bonne journée monsieur, répondit-il, l’air un peu idiot.
Je démarrais et quittai la place où j’étais garé. Ah ces jeunes agents, du genre à penser qu’on ne devait pas toucher au fric. Ils étaient mignons.
Je roulai quelques minutes avant de brancher la radio.
_Ici voiture deux à Central, je répète voiture deux à Central. Le 10-35 à l’angle de la septième et de la quatrième, c’est réglé et tout va bien. Je vais au poste. Si y a plus de café, je vous bute. Terminé.
_Reçu voiture deux. On vous a même gardé un donut au chocolat. 10-04.
10-04 pour reçu terminé. Ca voulait dire que j’aurais la paix. Enfin, j’espérais.
Je roulais tranquillement jusqu’au commissariat et garais ma voiture dans le parking des officiers. Y avait des avantages à être lieutenant.
Le bâtiment était grand et du genre majestueux. Bâti au cœur du quartier d’affaires de Ponyville, dans un monde d’acier et de miroirs. Ca ressemblait d’ailleurs plus à une banque qu’à un nid de flics. Il n’y avait que les grandes lettres de bronze “Commisariat central de Ponyville” devant la porte d’entrée qui annonçait clairement la couleur.
On était encore tôt et les bureaux ne grouillaient pas de monde. J’avais un peu le temps avant le coup de feu. Au pire, je ne passais pas mes journées vissé sur une chaise à faire de la paperasse : pour moi, le commissariat était là où je vivais, où je faisais du sport, où je plaisantais avec les collègues. C’était ma maison.
Le seul truc que je n’y faisais pas, c’était de dormir. Fallait quand même marquer la rupture avec le travail et passer vingt-quatre heures sur vingt-quatre là bas, ça n’aidait pas.
Je sortis de ma voiture, la fermais à clé (avec le nombre de truands qu’il y avait dans le coin, le commissariat central craignait plus que d’autres endroits de la ville) et marchais jusqu’à la porte de service.
Les couloirs du bâtiment étaient propres et bien entretenus, le genre de lino dans lequel on pouvait se voir. Plusieurs collègues, en civil ou en uniforme vaquaient à leurs occupations, dossier sous le bras ou suspect menotté au poignet. C’était selon.
Je fis un détour jusqu’à l’entrée pour dire bonjour à notre charmante secrétaire.
_Comment ça va aujourd’hui, Monhaypenny ?
_Vous êtes là, alors ça va lieutenant.
Monhaypenny était une pégase tout ce qu’il y a de plus sympa. Pas vraiment jolie avec son long museau, sa paire de lunettes et son souci de dents de travers, pas le genre de ponette que je lèverais en soirée. Mais elle était gentille avec tout le monde et plutôt blagueuse. Je l’aimais bien pour ça. Elle savait se mettre les collègues dans la poche très rapidement.
_Vous avez un bon quart d’heure de retard, lieutenant, me dit-elle en regardant sa montre. Y avait des embouteillages ?
_Aucun embouteillage ne pourra m’empêcher de venir vous dire bonjour et vous le savez, répondis-je en me grattant le fanon. Mais j’ai eu un 10-35 à résoudre.
_Tout s’est bien passé ? me demanda t-elle.
_Le môme va bien, moi aussi. Et j’ai pu avoir cinq minutes pour vous voir alors tout va bien, dis-je dans un clin d’oeil.
Je m’interrompis moi-même par le long grognement de mon estomac. Je souris un peu bêtement à ma collègue.
_Manque de donuts. Bonne journée Monhaypenny.
_Bonne journée, lieutenant me répondit-elle.
Sifflotant, j’allais jusque dans la salle de repos. Une grosse boite de beignets recouverts de sucre glace était posée à côté d’une cafetière remplie à ras bord.
Et il en restait ! Celestia bénisse les collègues. Ils savaient ce que c’était que de veiller sur les copains.
Je plantais les dents dans un gros donut, qui projeta du sucre partout sur moi. Mais je m’en moquais. J’avais besoin de mes deux mains. Dans la gauche vint se loger un second beignet, dans la droite, une tasse de café bien chaude.
J’allais me taper un petit déjeuner de tartare !
Je poussais la porte de la salle du pied et m’engageais dans les couloirs du commissariat. Mon but, mon petit bureau, bout de table dans un coin perdu du bâtiment.
Le genre d’endroit où je me calais tranquillement quand j’avais besoin de faire une pause. Et celle du matin, c’était sacré chez nous.
Je déposai mon café à côté des dossiers en cours et de ma machine à écrire. Les donuts sur un morceau propre de la table. Puis, je laissais mon trench-coat reposer sur le dossier de ma chaise et déboutonnais ma veste de costume, sans l’ôter. Voilà.
Maintenant, je serais bien.
La chaise grinça sous mon poids, encore plus quand j’étendis les jambes pour les poser sur le bureau. Je pris une première gorgée de café bien noir et fermai les yeux. Ouais, ça faisait du bien.
Je sentis le liquide presque brûlant faire tout le trajet jusqu’à mon estomac. Je mordis dans un beignet, en arrachais un gros morceau et avalais goulûment. J’émis un claquement de langue de satisfaction.
La vie était belle quand on avait des plaisirs simples.
Je mis une bonne demi-heure à prendre mon petit déjeuner puis je rédigeais mon rapport sur l’incident de ce matin.
Pas grand-chose à dire. J’évitais toutefois d’expliciter la paire de claques que j’avais flanquée au môme. Les chefs aimaient pas quand on frappait les civils. Enfin surtout quand c’était enregistré dans le dossier. Fallait savoir quoi marquer.
Mon rapport terminé, je le relus, corrigeais quelques fautes de frappe et rédigeais une version propre, en trois exemplaires.
Allez ça, ça partait droit chez le chef.
Je coinçais les trois feuillets sous le bras et traversais le commissariat pour les apporter à mon supérieur, le capitaine Emil. Poney de cristal à la robe verte, le genre à fermer les yeux tant qu’on faisait pas trop de vagues. Un bon chef.
Je frappais à la porte de son bureau et attendis qu’il me donne l’autorisation d’entrer. En bras de chemise, savourant un de ses éternels cigares, il avait l’oreille collée au combiné de son téléphone.
_Oui chef. Je sais chef. Non chef. J’en sais rien chef.
Il me fit signe d’avancer et de poser les papiers devant lui. Il y jeta un oeil sans cesser de parler au téléphone.
_Le problème est pas là, chef. Voyez ça avec le maire, chef. Oui chef. Au revoir, chef.
Il raccrocha dans un ding très distinctif.
_Le chef fait chier, souffla t-il bruyamment. J’y peux quelque chose moi si deux inspecteurs se sont fait serrer avec leurs greluches quand les moeurs ont fait une descente dans un bordel de la Bute aux Songes ?
_Normalement les moeurs préviennent quand ils font une descente, non ? demandais-je.
_Ces deux cons étaient trop occupés à profiter des gâteries des filles pour penser à se faire la belle. Et vous lieutenant, vous m’apportez de quoi redonner le sourire au chef ?
_Un gamin qui saute pas, dis-je en tapotant les feuillets. C’est pas l’arrestation des caïds du coin, mais c’est déjà ça.
_On va faire avec, dit-il en classant les trois feuilles. Vous avez entendu ce qui s’est passé hier dans le Plateau Immaculé ?
_Pas vraiment monsieur. C’est pas mon secteur.
_Une maison résidentielle qui crame, treize morts, on y retrouve des armes, des drapeaux, des livres de prière…
_Ben quoi, les fanatiques ont merdé leur soirée barbecue ?
_Plutôt leur soirée billard, rectifia le capitaine en ouvrant un court dossier et en faisant glisser une photo sur le bureau.
Je me penchai sur la photographie et me mordis les lèvres par réflexe en voyant ce qu’avait subi la victime.
_Blessures à la main, sans doute par une dague, lésions majeures à l’anus causées par une queue de billard, dents brisées et déchaussées par l’action d’une boule blanche, sexe sectionné et enfoncé dans la gorge. Le légiste pense qu’il est mort par étouffement.
D’instinct, j’avais croisé les jambes pour protéger mon appareil génital. J’avais mal pour le pauvre type, aussi con ou fanatique était-il.
_Le vrai souci, dit le capitaine, rangeant la photographie dans le dossier, c’est que ce monsieur et son groupe, les Gardiens des Bonnes Moeurs, étaient protégés par nous. Un peu quoi. On savait qu’ils chassaient les putes sous couvert de leur morale et nous on fermait les yeux. Tant qu’ils faisaient pas trop les cons.
_On dirait qu’ils ont énervé la mauvaise personne.
_Je me balance qu’ils se tuent entre souteneurs et fanatiques. Mais les Gardiens étaient censés être sous notre protection, on va passer pour des branques dans les bas-fonds. Et puis…
Il se pencha en avant.
_La petite nièce du chef était dans les Gardiens. La môme a été poignardée dans l’oeil jusqu’à ce qu’elle crève. Vous comprendrez que le chef est pas jouasse, même si la gamine était une timbrée…
_Je comprends monsieur, lui assurais-je. Vous voulez me mettre sur le coup ?
_J’ai pas encore décidé à qui je confiais ça. Déjà qu’on a ce serial-killer à la mords-moi le noeud…
_Dites pas ça.
_Lieutenant ?
_”Mords-moi le noeud”. S’il vous plaît chef, ça me fait repenser à la photo.
Emil eut un mouvement affirmatif du museau.
_Donc ce gars qui trucide les putes dans les bas-fonds. Ca commence à grossir cette connerie et si les filles prennent peur, ça sera mauvais pour le business. Et des filles qui font plus de business sont plus disposées à être gentilles avec nous quand il le faut. On perdrait pas mal d’indics, hein lieutenant ?
_C’est sûr, chef.
_Bon, alors je vous retiens pas plus longtemps. Traitez vos dossiers en cours mais si vous mets sur l’affaire des Gardiens, vous me ramenez votre cul ici direct. Entendu ?
_Oui, chef, répétais-je avant de sortir de son bureau.
Marchant dans les couloirs du commissariat, je ne pouvais m’empêcher de repenser au type de la photo. La violence des blessures me stupéfiait. Le sexe dans la bouche, OK, c’était le message traditionnel. Mais le reste ? Les dents pétées, l’anus violé ? Ca ressemblait pas au travail d’un gros bras habituel. C’était putain de sauvage.
Plongé dans mes pensées, je ne fis pas attention au moment où j’atteignais la bifurcation du couloir. Je pilai juste avant de percuter la personne qui passait à ce moment là, et qui stoppa de la même façon. Mes yeux s’arrêtèrent sur la taille fine, la poitrine attirante. De jolis yeux noirs, une bouche plutôt charmante que j’avais déjà eu l’occasion d’embrasser, et une peau rayée de noir et blanc.
_Mademoiselle K’sea, dis-je sans cacher mon plaisir.
_Moi aussi je suis contente de vous revoir lieutenant, tomber ainsi l’un sur l’autre est plutôt plaisant.
_Qu’est-ce que vous faites là ? lui demandais-je.
_Je suis venue enregistrer ma déposition, rapport au malfaiteur de notre wagon.
Ah oui, le type que j’avais capturé avant même d’arriver à Ponyville. J’aurais du le remercier ce gars, il avait été l’excuse parfaite pour me rapprocher de la zébrelle.
_Tout c’est bien passé ? questionnais-je alors qu’elle reprenait sa marche vers l’extérieur du commissariat.
_A merveille, me sourit-elle. Il est bon de savoir que dans le monde qui est le nôtre, certains veillent.
_Protéger et servir mademoiselle, rappelais-je en lui rendant son sourire. C’est notre devise.
Nos pas nous conduisirent jusqu’à l’entrée principale du bâtiment. Nous prîmes bien cinq minutes pour parler de choses et d’autres avant qu’elle ne fasse mine de s’en aller.
_J’ai une réunion importante ce matin, mais vous revoir a été un plaisir, soyez-en certain.
_Plaisir partagé, dis-je avec une petite courbette. Dites-moi, est-ce vous êtes libre ce soir, pour dîner ?
_Malheureusement non, je passe la soirée avec des investisseurs de renom…
Je cachais à peine ma déception par une moue de dépit.
_Mais si vous pouvez attendre jusque-là, me sourit-elle, demain après le dîner, un digestif…pourquoi pas ?
Elle se pencha sur moi pour glisser entre mes doigts sa carte de visite, avec l’adresse de son hôtel dans les beaux quartiers.
_Suite D, me dit-elle en gardant sa main dans la mienne un peu plus longtemps que nécessaire. Ne soyez pas en retard, ou je devrais vous gronder.
_Je ne m’y risquerais même pas, dis-je en refermant mon emprise sur la carte, serrant ses doigts quelques instants avant de les lâcher.
Un dernier salut et je la laissais grimper dans un taxi, ne la quittant du regard que lorsque elle était dans le véhicule. Pour sa sécurité bien sûr. Pas du tout pour profiter de sa démarche, ce n’était pas mon genre.
Sifflotant un vieil air de chez moi, je retournais à l’intérieur où Monhaypenny me lança une pique :
_Moi qui pensais être la seule qui trouvait grâce à vos yeux lieutenant…
_Il faut bien que je m’assure que vous êtes incomparable ! lui répondis-je, tout sourire.
Je regagnais mon bureau et me mis au travail avec une ardeur du tonnerre. Décrocher ce rendez-vous avec la zébrelle m’avait boosté pour la journée.
Tant et si bien que la nuit tomba avant que je puisse ne m’en rendre compte. La lumière des lampes se faisait plus crue et je ne réalisais qu’il était l’heure de s’en aller que lorsque je vis plusieurs collègues prendre leurs manteaux et s’en aller.
Alors autant partir moi aussi. J’hésitais alors que je m’installais au volant de ma voiture si je terminais la soirée dans un bar. Meh. Pas ce soir. Je voulais être en forme pour mon rendez-vous de demain et me coucher tôt me ferait du bien. Sans compter que j’avais mon voisin à aller voir.
Le trajet du quartier d’affaires à Roussefeuille se fit sans incident. Quelques alertes à la radio mais aucune pour moi. Je pus regagner tranquillement mon domicile.
Je sifflotais toujours en franchissant la porte d’entrée. Allez, un dernier truc à faire et puis au lit.
En quelques enjambées, j’étais au quatrième et je tambourinais devant la porte de Garlic. Le griffon vint m’ouvrit en maugréant, me révélant son plumage blanc et son oeil de verre.
_Voulez quoi ? me demanda t-il.
_Un simple rappel de la part de madame Lévesque, vous savez notre concierge ? Elle aimerait que vous payiez le loyer en retard.
_Ca a été un mauvais mois, dit-il en se grattant le bec. Elle aura son fric dans une semaine.
_Vous m’avez peut-être mal compris. Elle a besoin de cet argent. Maintenant.
_Ecoute-moi bien, grogna le griffon, j’ai rien à foutre de cette vieille peau ni de tous ces putains de caribous qui…
Je levais les yeux au ciel. Encore un.
Je frappais Garlic juste entre les deux yeux, paume grande ouverte. Il recula, moitié de surprise, moitié sous l’impact, me laissant le temps de pénétrer dans son studio et de sortir mon arme.
_Nous sommes des orignaux monsieur Garlic, dis-je en lui exhibant mon S&W sous le bec. Pas des caribous. Je sais que les gens se trompent souvent mais quand même, ce n’est pas si compliqué.
_Je vais…je vais appeler les flics ! menaça t-il.
_Et vous serez surpris de voir à quel point la police répond aux appels des concitoyens, poursuivis-je en lui montrant ma plaque de lieutenant. Alors maintenant, si ça ne vous gêne pas…le loyer.
Tremblant de peur, il hocha la tête avant de foncer jusqu’à son lit, le soulever et tirer de sous le matelas une boite à cigare. Il revint avec elle jusqu’à moi.
_Voilà, dit-il en prenant une liasse. Mon loyer.
_Il y a les indemnités de retard, dis-je, jouant avec mon revolver sous son bec.
Garlic prit une seconde liasse.
_N’oubliez pas le préjudice moral causé à madame Lèvesque. Et les frais de déplacement des forces de l’ordre aussi. En fait…
Je pris les liasses, les fourrais dans la boite à cigare et plaçais le tout dans mes poches.
_Ca devrait suffire. Bonne soirée, monsieur Garlic.
Le griffon ne perdit pas de temps avant de claquer la porte de l’appartement derrière moi. Je rangeais mon mod.29 et redescendis tranquillement jusqu’à la loge de ma gardienne. Je pris le loyer de mon voisin ainsi que les indemnités de retard de la boite à cigare et sonnais chez ma concierge. La vieille originale fut ravie que monsieur Garlic se soit montré si coopératif.
Elle me laissa même repartir avec une boite de biscuits qu’elle avait achetée spécialement pour moi.
Finalement, j’entrais dans mon studio miteux. Je rangeais chaque chose à sa place, les habits dans le placard et la boite à cigare, à même le sol. Puis je me mis nu, fis quelques pompes et m’effondrais dans mon lit.
Rabattant les draps sur moi je fis le bilan de la journée : ma concierge n’allait pas perdre sa place, j’avais évité qu’un gamin se foute en l’air pour une histoire de nana, le capitaine allait peut-être me confier une grosse affaire et demain soir, je voyais K’sea.
Une belle journée.
Seul le souvenir de la photo du fanatique et de la façon dont il avait été tué trotta quelques secondes dans mon esprit. Mais je le remplaçais vite par celui des formes de la zébrelle que je verrais dans vingt-quatre heures.
C’était quand même plus agréable.
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L'ambiance, typique d'un bon film noir de flic/mafieux est tout simplement délicieuse avec des persos dont je vais me souvenir pendant longtemps.
Et j'ai hâte de voir ce que tu vas faire avec cet espèce de Jack l'éventreur
Bref j'attends la suite avec impatience