"Est-ce que quelqu'un se souvient encore de nous ?"
"Oui. La question est : de la bonne manière ?"
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Dans une clairière non loin Canterlot, deux vieux poneys étaient assis, l'un en face de l'autre. L'un ne paraissait pas son âge, et de fait, c'était une pouliche d'après son apparence. L'autre, au contraire, portait clairement et fièrement ses années.
Screwball et Eyeone se faisaient face. Posé entre eux, un plateau. Une variante des échecs, avec bien plus de pièces. Une ultime partie à la lumière de la nuit, pour ces deux poneys qui aimaient se triturer les méninges. La dernière d'Eyeone.
"Il me semble que tu as des questions à me poser," fit calmement Screwball en déplaçant une de ses pièces. "Je t'écoute. Demande-moi ce que tu veux."
Le vieux borgne réfléchit, aussi bien au coup qu'à quelle question poser. On voyait encore au loin les désormais ruines de Canterlot au clair de lune d'une nuit bien entamée. La bataille s'était finie il y a moins de deux heures.
Eyeone déplaça un de ses pions, tout en demandant :
"Pourquoi ne vous a-t-il pas abattu ? Il en avait l'occasion, ce n'est pas nous qui pouvions l'arrêter, de quelque façon que ce soit."
Par ce "il", Eyeone sous-entendait le général-en-chef de l'Empire Solaire qui était venu freiner Screwball dans sa folie, et qui l'avait tenue, pour ainsi dire, sous son sabot.
La pouliche sourit. Elle déplaça presque immédiatement une pièce en réponse au mouvement de son adversaire, tout en répondant :
"Aucune idée. Peut-être qu'il cherche un nouveau jouet, puisqu'il a perdu son vieux rival de la Nouvelle République. Après avoir vaincu le Cruel, peut-être se rabat-il sur la Folle."
C'était un nom que Screwball s'amusait à donner aux trois généraux-en-chef : La Folle, le Brut et le Cruel. Chaque nom s'inspirait du tempérament. Screwball en folle, le général-en-chef de l'Empire Solaire en brut, à cause de sa bestialité au combat et sa tendance à toujours chercher le conflit, et feu celui de la Nouvelle République Lunarienne en cruel, pour ses méthodes contraires à l'éthique de tout un chacun.
"Ou peut-être simplement ne voulait-il pas forcer mon père à participer lui-même à la guerre," ajouta la pouliche avec un petit rire pendant que son adversaire jouait.
"Après tout," reconnut le vieillard, "les dirigeants de factions restent dans l'ombre. Si une armée est amenée à en utiliser un, cela montre qu'elle est en mauvais point. Et je ne pense pas que l'Empire sait pour votre père, majesté."
"Ce serait regrettable qu'il le sache," fit Screwball en se grattant le menton tout en jouant. "Mais je suis contente, j'ai réussi à attirer suffisamment son attention pour qu'il vienne jusqu'ici. C'est plus que ce que je pouvais espérer."
Les deux opposants restèrent un moment silencieux, à jouer simplement leurs coups. Eyeone connaissait plutôt bien le jeu de sa dirigeante. Avancer sur les plates-bandes de l'ennemi, l'énerver, faire de grands sacrifices, pour au final mener l'attaque là où il s'y attendait le moins. Elle faisait la guerre comme elle jouait.
Au moment même où Screwball fit tomber une de ses pièces maîtresses, Eyeone réalisa quelque chose d'amusant : Leur jeu ressemblait exactement à la position actuelle de la guerre. Eyeone en Empire Solaire, en supériorité numérique et possédant plus de pièces puissantes et de terrain, et Screwball représentant le reste des opposants. Ce pion isolé était sans doute la résistance, là-bas, ce très petit regroupement de pièces mal organisé, la Nouvelle République, et au centre l'Armée de Discord, compact, en sous-nombre par rapport à l'Empire, mais menaçant tout de même.
Cette constatation arracha un sourire au vieux général. La pouliche l'avait-elle fait volontairement ? Il leva son œil vers son adversaire, chose rare lors de leurs parties. La pouliche le regardait aussi. Lorsque leurs regards se croisèrent, elle gloussa. Bien évidemment que c'était volontaire.
"Puisque tu t'en vas, tu ne verras pas la fin de la guerre, pas vrai ?" susurra Screwball. "Je ne te garantie pas que ce sera exact."
Elle lui proposait donc d'assister à la fin de la guerre ici-même, sur ce plateau. Soit alors, cela allait être plus qu'une partie dans ce cas. Le vieux général se redressa et fit craquer ses os usés, un sourire se dessinant sur sa face ridée, reportant son attention sur le plateau.
Le dernier mouvement représentait la chute de Canterlot. Ils se trouvaient donc dans l'instant actuel.
Les pièces se mirent en mouvement sous les coups des deux joueurs, mais les mouvements ne parurent pas cohérents. Du moins, ils l'auraient été pour n'importe qui, mais Eyeone comprenait le jeu de la petite. Cependant, certaines choses l'étonnaient quelque peu : le pion solitaire qu'il pensait pourtant être la résistance venait d'être rejoint par une pièce assez importante de la supposée Armée de Discord. Et quel était donc ce petit regroupement en haut ? Il y avait un petit renforcement de pièces vers ce qu'Eyeone reconnaissait comme l'Empire de Cristal, et une pièce solitaire. Cette dernière représentait sans doute Sombra, et peut-être que le petit attroupement était la position de Spike ?
"Comment savez-vous ce genre de choses, majesté ?" ne put s'empêcher de demander le vieux général.
"Ce ne sont que des suppositions et prévisions. Mais pour l'instant, je pense être juste. D'ici deux coups par contre, je pense entrer dans le faux. Et puis, après tout, je ne peux pas attaquer mes propres pièces."
Le général soupira, déçu.
"Il faut croire que je n'étais pas né pour voir la fin de cette guerre."
"En effet," commenta la pouliche. Puis elle posa sa tête sur un sabot, regardant le plateau, réfléchissant. "De toute façon, quelque chose cloche. Je sens que mon plan va bientôt se retrouver compromis. Il doit y avoir une donnée que je n'ai pas prise en compte..."
"Laquelle à votre avis ?"
"Aucune idée..." soupira Screwball. "La stupidité de l'Empire Solaire, la trahison, Spike, Sombra, la résistance, nos recherches sur les éléments de l'harmonie, la nomination d'un nouveau général-en-chef par Luna similaire au précédent..."
La pouliche s'arrêta soudainement, son regard divaguant sur le côté. Elle fronça les sourcils et se redressa. Puis, elle murmura plus pour elle-même que pour Eyeone :
"Je ne peux pas attaquer mes propres pièces..."
Le vieux général regardait la dirigeante, étonné, et assez impatient de voir ce qu'elle venait de comprendre.
La pouliche saisit alors les pièces de la résistance et de la Nouvelle République et les rassembla. Puis sortit de nulle part un genre de pièce qu'Eyeone n'avait jamais vu, et la plaça avec le nouvel attroupement.
"Après tout, pourquoi pas... ?" fit-elle en se rongeant un sabot tout en fixant le plateau.
Elle était en pleine réflexion intense, semblant à la fois anxieuse et excitée. Eyeone se faisait le plus discret possible pour la laisser dans ses pensées. Après un moment de silence, finalement Screwball remit les pièces comme avant tout en disant :
"Non, non... Je suppose trop."
Elle rigola un peu.
"Mais ce serait amusant que ça se passe comme ça. Je crois que je me laisse un peu trop entraîner par mon envie d'être surprise, et je me mets à prévoir l'impossible. On arrête ?"
Le vieux général approuva. Tant pis si cette partie n'était pas finie, après tout.
"N'aviez-vous pas des questions à me poser, majesté ?"
"Hmmm... Non. À la base, je voulais juste te titiller un peu, au sujet de ta nièce par exemple, mais je pense que je vais m'abstenir. Ce n'est pas les jouets qui vont manquer dans les prochains jours."
Elle prononça la dernière phrase avec un petit sourire.
"Alors j'ai encore quelque chose à vous demander."
"Je te l'ai dit, demande ce que tu veux."
"Que voulez-vous faire des éléments ?"
"Moi qui croyais que ce serait ta première question."
Screwball repoussa légèrement le plateau et s'étendit en arrière, s'allongeant sur le sol, le regard dans les étoiles. Ce ciel, qui ne changeait pas malgré les années, gardait quand même le pouvoir de la calmer. Elle se sentait épuisée après la bataille. Ses blessures avaient été guéries, mais son corps restait fragile, et son esprit avait pris un sacré coup lorsqu'il avait cédé à la folie. C'est pour cela qu'elle était plus calme ce soir, voire même presque normale. Elle cherchait à l'être.
"Sais-tu ce qui est arrivé à mon père ?" demanda-t-elle d'une voix assez vague.
"Il a disparu il y a trois mille ans," répondit le général, un peu intrigué par la question.
"Pas tout à fait," nuança la pouliche. "Mais ça, personne à part moi le sait. J'étais la seule présente ce jour-là. Il y a 2983 ans pour être exact, je compte les années depuis ce jour."
Screwball remonta dans ses souvenirs. Des souvenirs qu'elle gardait toujours prêt d'elle, car ils représentaient tous ses buts.
Elle se revoyait trotter après de cette grande silhouette pourtant voûtée par une sorte de tristesse omniprésente. Ce Draconequus. Le dernier. Son père. Le paysage était flou dans son souvenir tellement elle n'avait d'yeux que pour lui.
"Papa !" hurlait la petite pouliche désespérément. "Mais où tu vas ? Attends-moi papa !"
Mais il marchait vite. Trop vite. Screwball, encore jeune d'âge, peinait à le rattraper.
Soudain, il s'arrêta brusquement, sa fille le heurtant, mais il n'y fit pas attention.
Après s'être remise du choc, elle contourna son père et vint s'asseoir devant lui, devant lever sa petite tête très haute pour pouvoir regarder celle de son père.
"Qu'est-ce qui ne va pas papa ? Pourquoi tu m'ignores tout le temps ?"
Discord ne la regardait pas, il avait le regard braqué sur le bâtiment à une centaine de mètres de lui, une ferme rouge. C'était une des rares fois qu'il revenait à Ponyville depuis la mort de Fluttershy, d'habitude il passait son temps seul, à l'écart de la ville, et Screwball le cherchait sans cesse. Pour une fois, elle l'avait trouvé alors qu'il se rendait à Ponyville.
On entendit un cri au loin, un pleur. Discord se fit à lui-même :
"Alors ça y est... La dernière est morte... Applejack."
Screwball tourna la tête vers la ferme, curieuse de savoir ce que son père voulait dire. Puis elle entendit un petit "pouf" magique derrière elle, et quand elle se retourna, son père avait de nouveau disparu.
"Papa..." se lamenta la pouliche, les larmes aux yeux.
Elle passait son temps à lui courir après, il l'ignorait sans cesse, ne semblait même pas faire attention à elle. Elle en avait assez d'être rejetée par sa seule famille, ce père qui ne semblait pas la voir.
Une détonation tinta aux oreilles de Screwball. Elle tourna les yeux et aperçut de la fumée en provenance du sud, de l'Everfree Forest. Très vite, la fumée se transforma en flamme, et les flammes en véritable incendie qui commença à consumer la forêt entière. Mais ce n'était pas ça qui avait attiré l'attention de Screwball. Juste avant la fumée, elle avait vu un reflet arc-en-ciel s'élever de la forêt. Elle était presque sûre que cela venait de là où l'arbre de l'harmonie se trouvait.
Ce fut confirmé plus tard lorsqu'on annonça que l'arbre semblait avoir été calciné. Mais personne n'avait vu le reflet arc-en-ciel, ni le lieu de départ du feu, et Screwball garda ça pour elle. De toute façon, elle était mal vue à Ponyville, tout comme son père depuis la mort des éléments.
Eyeone se racla poliment la gorge. Screwball s'était perdue dans ses pensées durant plusieurs minutes après son récit. Reprenant conscience du présent, elle sourit, toujours allongée, regardant désormais la lune au-dessus de sa tête.
"Mon père a disparu en même temps que l'arbre, et en même temps que le dernier élément de l'harmonie," continua la pouliche. "Pour moi, l'arbre est encore en vie, et il retient mon père prisonnier."
"Pourquoi ferait-il cela ?"
"Mon père est un danger pour l'équilibre et l'harmonie. Les éléments morts, l'arbre a sans doute jugé que plus rien ne retenait mon père de semer à nouveau le chaos, alors il l'a enfermé et emmené loin avec lui."
"Vous parlez de l'arbre comme s'il était vivant..."
"C'est sans doute le cas. Quelque chose d'aussi puissant doit pouvoir contenir un genre de conscience, ou une notion de danger."
"Donc votre père serait enfermé par l'arbre ?"
"Exactement. Et je suis certaine que si j'arrive à rassembler les représentants des éléments, en ces temps troublés, l'arbre leur montrera l'accès aux pierres pour qu'ils rétablissent l'harmonie à Equestria. Qui dit pierres, dit arbre, et qui dit arbre, dit mon père."
Tout en parlant, Screwball tendit le sabot vers la lune, semblant vouloir l'atteindre.
"Et quand j'aurai libéré mon père, je lui offrirai Equestria sur un plateau. Un pays prêt à subir tout le chaos dont Discord est capable, sans aucune possibilité de s'y opposer."
"Et que ferez-vous des éléments alors ? Et de l'arbre ?"
"Je les brûlerai moi-même. Pour m'avoir privé de mon père si longtemps."
Un petit silence. Temps durant lequel Eyeone s'allongea à son tour, sur son ventre, respirant tranquillement, sentant sa fin arriver.
"Si vous me permettez, majesté..." souffla le vieux général, se doutant qu'il arrivait dans un terrain sensible. "Votre père étant le dernier de son espèce, comment pouvez-vous être sa fille tout en étant une pouliche ? A-t-il eu une compagne ?"
Le sourire de Screwball devint une grimace.
"Je suis sa fille, mais pas vraiment au sens où le commun des poneys l'entend. Il n'a pas eu de compagne, mais une amie. Une très bonne amie. À sa mort, il est entré dans une sorte de colère, sans personne sur qui la déverser."
La pouliche fit une petite pause, elle ne racontait pas souvent cette histoire, puis reprit :
"Alors une vague de chaos s'est propagée autour de lui, pour relâcher sa rage. Une petite pouliche sans nom passait par là, faible, aussi bien mentalement que physiquement. La vague de chaos l'a pénétrée sans aucun mal et a été jusqu'à modifier son être, sa pensée, et même sa durée de vie. Elle oublia tout de sa vie passée. Elle était désormais partisane de ce grand Draconequus, fille du chaos. Touchée par une rage chaotique, elle préférerait donc l'annihilation pure et simple de toute chose au chaos même. Elle s'appellerait maintenant Screwball, et considérerait le responsable de cette magnifique métamorphose comme son géniteur."
Eyeone médita un peu ces paroles, allongé dans l'herbe. Certaines choses devenaient plus claires à présent. Le but de Screwball derrière cette soudaine participation à la guerre, la recherche des éléments. Tant de choses. Il pouvait partir l'esprit tranquille maintenant qu'il avait ces réponses. D'ailleurs il était en train de partir. Il sentait son cœur ralentir doucement, sa respiration faiblir.
Screwball roula sur le côté, se mettant sur son flanc, observant l'herbe sous le clair de lune d'un air distrait. Elle soupira tout en affichant un sourire un peu déçu.
"En y repensant, c'est peut-être pour ça qu'il ne m'aime pas... Je dois lui rappeler son amie perdue..."
Eyeone n'entendit qu'à moitié cette phrase. Son esprit déjà s'embrumait. Il garda la tête levée quelques instant, disant :
"Je crois qu'il est temps pour moi de vous dire adieu, majesté."
La pouliche cligna des yeux affichant une expression neutre.
"Adieu dans ce cas, mon vieux Eyeone."
Le général posa sa tête sur ses pattes croisées, fermant son œil.
"Ce fut un plaisir de servir à vos côtés."
Un coin de la bouche de Screwball se releva un peu, tandis qu'elle jouait avec un brin d'herbe.
Après quelques instants de silence, Screwball sembla se souvenir d'une chose. Elle se redressa et se mit assise.
"Au fait, tu voudrais savoir ce qui a déclenché cette guerre ?"
Pas de réponse. La respiration du vieux général s'était arrêtée depuis quelques secondes déjà. La pouliche eut un sourire navré.
"Dommage, je pense que cela t'aurait intéressé..."
À quelques lieux de Canterlot, dans un lieu davantage couvert par les nuages que celui où Eyeone s'était éteint, deux silhouettes un peu trop grandes volaient au-dessus de la forêt. Elle se rapprochaient de la terre. L'une d'elle se sépara en deux, une partie basse soudainement comme larguée, alors que l'autre plongea brusquement et heurta violemment le sol. La deuxième grande silhouette atterrit non loin, plus doucement.
Deux pégases portant deux autres poneys. Blessé, l'un des pégases n'avait pas pu tenir plus longtemps son bagage et avait lâché son passager, avant de tomber à son tour d'épuisement.
Le poney largué se releva sans trop de difficultés et vint voir son compère, rejoint par les deux autres.
Dans l'obscurité du ciel couvert, on ne distinguait que de vagues formes. Deux pégases, un terrestre, et une licorne.
Le pégase ayant chuté semblait avoir du mal à se relever. Et les deux autres étaient également blessés. Seul le licorne paraissait indemne.
Les trois compagnons aidèrent le pégase à s'asseoir contre un arbre. Le terrestre ramassa quelques brindilles et alluma un feu tandis que le pégase et le licorne s'adossaient également à un arbre.
Des petites flammes montèrent.
"Jamais un soir sans feu, pas vrai ?" rigola faiblement le pégase blessé.
"Comme toujours Twinkle," répondit le terrestre avec un sourire.
Dans la lumière dansante du feu, les blessures se révélaient. Le premier pégase, Twinkle, était gravement touché à la tête, le sang avait laissé une importante trace sur son crâne et son cou. Sa crinière elle-même était entachée.
Le terrestre, quant à lui, portait d'importantes contusions, dont certaines saignaient encore.
Le deuxième pégase arborait plusieurs blessures et plaies profondes.
Et le licorne n'était qu'éraflé à certains endroits. Rien de grave.
Ils avaient été attaqués lorsqu'ils essayaient de s'enfuir de Canterlot. Tout ne s'était pas vraiment bien passé pour eux, pourtant de simples habitants de l'ancienne ville.
Le terrestre s'adossa à son tour à un arbre. Tous faisaient face au feu crépitant, le regard perdu pour la plupart dans les flammes.
"Et maintenant... ?" demanda finalement le terrestre.
"Comme chaque soir, bien sûr !" sourit le licorne, les yeux fermés.
Sa corne s'illumina, et une vieille guitare apparut dans ses sabots.
Les trois autres sourirent à leur tour.
"Une dernière fois," toussa Twinkle. "Le ciel se dégage, on voit les étoiles."
Le licorne commença doucement à jouer, entonnant un petit chant, les paupières closes. Puis il laissa la voix au deuxième pégase, qui chantait le mieux. Le premier couplet se chantait seul. Une vieille musique en souvenir des nuits passées dans cette grande et magnifique ville qu'était Canterlot, sous les étoiles et la lune, dans la quiétude et le bonheur. Le premier couplet évoquait les soirées d'hiver, le bruit du vent dans la forêt en bas, les chutes de neige recouvrant les maisons et se reflétant à la lumière de l'astre nocturne.
Le premier refrain, parlant de la chanson elle-même et des soirées passées à la chanter, sans tenir compte du temps qui s'écoulait. Les quatre amis l'entonnèrent en chœur, comme ils le faisaient tout le temps. Leurs voix étaient brisées par la fatigue et les blessures, mais aussi par l'émotion de ne plus jamais revoir un jour cette cité au temps de sa gloire, la fin de leurs vies passées.
Deuxième couplet, rappelant la beauté des lumières de la ville, les âtres de cheminées, et les traditionnels feux devant lesquels les quatre amis se réunissaient. Le pégase continua doucement de chanter sur l'air de guitare du licorne.
Deuxième refrain. À nouveau, tous chantaient à l'unisson. Mais le dénommé Twinkle s'était tu. Il ne chantait plus. Cela n'arrêta pas la chanson pour autant.
Le refrain, cette fois ci chanté plus lentement et uniquement par le pégase, d'une voix plus douce et calme.
À nouveau le refrain, et cette fois-ci dit trois fois, pour la conclusion de la chanson. Mais déjà, dès le premier refrain, le terrestre ne chantait plus, lui aussi. Il ne restait que le pégase et le licorne pour finir ces trois refrains.
Et le pégase finit à son tour par se taire à la fin du deuxième. Le licorne chanta donc le dernier seul, concluant la chanson dans un dernier mouvement de guitare. D'habitude ils sifflaient et applaudissaient à la fin de la chanson, et quelques habitués qui venaient les voir faisaient de même. Alors le licorne applaudit, tout en lançant d'une voix qu'il voulait joyeuse :
"On en aura vécu des bons moments, pas vrai ?"
Pas de réponses. Le licorne sourit pourtant, les yeux fermés, posant sa guitare près de lui. La lumière du feu commença doucement à baisser.
"Au moins nous pourrons nous targuer d'avoir vécu dans la plus belle cité d'Equestria."
Le feu s'éteignit dans un ultime crépitement. Le licorne ouvrit alors les yeux. Une ombre semblait approcher d'eux discrètement, sans doute attirée par la lumière qui s'était maintenant éclipsée. Il s'écoula plusieurs instants durant lesquels les seules choses à se passer furent la silhouette qui ne fit qu'approcher avec précaution le petit groupe, et les braises du feu qui s'estompaient à leur tour.
Le premier sur son chemin était Twinkle. Après une hésitation, le poney toucha l'épaule du pégase. Ce dernier bascula d'un seul coup sur le côté, s'écrasant lourdement le sol.
"Un peu de respect pour mes amis je vous prie," fit le licorne d'une voix calme et douce.
"Ils sont morts," annonça l'ombre d'une voix grave, semblant malgré tout désolée.
"Je le sais bien." sourit tristement la licorne. "Jamais ils ne m'auraient laissé chanter seul."
"Désolé."
"Vous n'avez pas à l'être. Rien ne pouvait les sauver de cette folie. C'est déjà un miracle que je m'en sois sorti..."
L'ombre s'approcha du licorne qui n'avait pas bougée d'un poil.
"Vous êtes une licorne ?" demanda-t-elle sans le brusquer.
"Oui, bien que je préfère qu'on le dise au masculin. Et vous ?"
"Pégase. Vous pourriez faire un peu de lumière que je puisse rallumer ce feu ?"
"Je ne sais pas faire de lumière. Je ne sais même pas ce que c'est."
Le licorne, puisque c'était l'habitude des habitants de Canterlot de le mettre au masculin, leva les yeux vers l'ombre. La lune se refléta dans ses pupilles, révélant des yeux au iris et pupilles totalement blancs.
"Vous êtes aveugle ?"
"Comme je vous le dis, c'est un miracle que je m'en sois sorti."
"Bon, eh bien je crois que nous resterons dans le noir alors," conclut le pégase en s'asseyant. "Comment vous appelez-vous ?"
"Apple Flower. Et vous ?"
"Sentry Way. Vous étiez habitant de Canterlot ?"
"Allons, vous n'avez pas entendu la chanson ? Qui d'autre chanterait ainsi ?"
Le pégase soupira.
"C'est juste. Désolé d'avoir demandé. J'allais pour rendre visite à un cousin quand j'ai vu que la ville était complètement ravagée. Cela n'a pas dû être facile, pas vrai ?"
Le licorne se contenta de faire un geste large.
"Regardez autour de vous. Je suis entouré de mes amis. J'ai passé leurs derniers instants avec eux, dans la même bonne ambiance que chaque soir. Que puis-je demander de plus ? Et vous, que faites-vous ? Vous n'êtes pas allé voir votre cousin ?"
"Je l'ai trouvé," fit Sentry. "C'était votre ami terrestre."
"Eh bien désolé dans ce cas," répondit Apple Flower d'une voix calme et posée.
"Il n'y a pas de mal. On est tous dans le même bateau, si vous voyez ce que je veux dire."
Apple Flower arqua un sourcil et leva les yeux vers Sentry. Ce dernier se rendit compte alors de son petit bafouillage et s'apprêta à s'excuser, mais le licorne l'en dissuada d'un geste avant de répondre.
"La guerre affecte tout le monde, c'est comme ça. Vous faites quoi dans la vie ?"
"J'étais soldat... Un des gardes de la capitale de la Nouvelle République."
"Étais ?"
"J'en ai eu assez de leur façon un peu trop... immorale de traiter leurs sujets. Je croyais que ça allait s'arranger avec la mort du général-en-chef, et voilà que Luna nomme cet ignoble pégase à sa place. Il est aussi cruel que l'ancien, et en plus c'est un fourbe qui cache son jeu !"
Sentry cracha de dégoût par terre.
"Je crois bien que je vais rejoindre la résistance. Et vous, qu'allez-vous faire ?"
"En premier lieu enterrer mes amis. Après, je n'en ai aucune idée, mais peut-être rejoindre la résistance. Quitte à repartir de zéro, autant que ce soit du côté libre."
Le silence s'installa. Les deux poneys restèrent assis dans le noir. Tout était calme. Rien ne laissait douter qu'un massacre s'était produit à quelques lieux d'ici il y avait à peine trois heures.
Sentry frissonna et se frotta les ailes pour se réchauffer, avant de se lever, grommelant :
"Bon, je crois que je vais quand même tenter de rallumer ce feu dans l'obscurité."
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Je me posais la même question sur Screwball qu'Eyeone. Merci pour la réponse du coup (sur ça naissance).
Quand à la raison du début de cette guerre je me suis fais une petite théorie, je suis bien curieux de savoir si c'est le cas :D
Ps: je trouves pas ça incohérent qu'elle en dise autant...je veux dire, c'étais son plus fidèle soldat et il va mourir dans le quart d'heure. En plus on voit bien qu'elle l'apprécie, folle ou pas, je trouves pas ça illogique qu'elle s'ouvre un peu. En plus personne n'en saura rien quoi qu'il se passe.
(j'adore vraiment ta scewball :D)
Vivement la semaine prochaine.
Et puis, elle devait bien ça à ce cher vieux Eyeone ^^ (que je regrette un peu de ne pas avoir exploité plus que cela)
En tout cas, merci de cette fidélité ^^ Je pense qu'une fois que j'aurais fini de rédiger cette fic complètement, j'augmenterais le rythme de diffusion.