9. Rédemption

Quand Luna avait été bannie sur la lune, on dit que le ciel était d'encre pendant un siècle, le temps nécessaire pour que la Princesse solaire arrive enfin à se remettre de l’absence de sa sœur et à contrôler les astres de la nuit. Bien qu'elle puisse rendre les étoiles visibles, Celestia n'arrivait pas à donner à son peuple un ciel de pure beauté. Pourtant, actuellement, de l'autre côté de l'océan Maretlantique, la nuit était devenu éternelle. Malgré cette absence de mouvement du satellite, habillé de sa régente ainsi que de l'aurore constante qui brillait très faiblement à l'horizon rendant le ciel légèrement bleu, les étoiles brillaient par milliers. Il y en avait tellement que cela avait créé une lumière naturelle à tous ceux qui vivaient depuis presque un mois dans le noir, sans compter que la lune apportait aussi son lot de source lumineuse. C'était comme si Luna donnait à ses sujets de quoi s'éclairer malgré la triste place qu'elle avait déjà occupée durant mille ans.

 

Mais ça pouvait être une impression du peuple griffon à la vue aiguisée, qui s'était habitué à vivre dans le noir. Alors, était-ce Luna ou l'habitude qui rendait les nuits claires ? Telles étaient les questions que se posait une figure importante d'Eagledon, derrière sa fenêtre, observant la grande ville baignée dans le silence et le calme sous les lumières des quelques lampadaires et des bougies. Maliwan, le Roi griffon, était en passe de prendre l'une des plus grandes décisions de sa vie. Ce vieil hybride aux plumes grises et noires se devait d'agir au plus vite au nom de tout son royaume, ainsi que pour sa propre personne. En effet, il ne voyait même plus le bois de son bureau recouvert de plaintes et de rapports envoyés par la totalité de son assemblée – le manque de lumière n’arrangeait pas les choses non plus – réclamant que des mesures soient prises pour que le cours du jour et de la nuit reprenne son chemin normal. Jusque-là, il avait attendu, respectant la promesse de Celestia : ne pas intervenir lorsque les choses se gâtaient à Equestria.

 

Sauf qu'au bout de quatre semaines, attendre devenait une option de moins en moins supportable. Les gens commençaient à se demander si leur monarque était encore habile à diriger d'une serre dorée le pays comme il se doit. Les griffons étaient un peuple fier, ne pas agir tandis que les poneys faisaient n'importe quoi, c'était comme se laisser taper dessus sans protester. Heureusement, Maliwan avait pris des mesures comme l’envoi d'une patrouille en reconnaissance vers Equestria pour faire un rapport et si possible prendre des photos. Pour que tout se fasse au plus vite, il avait fait appel à sa meilleure escadrille, celle qui devait participer aux jeux olympiques de l'Empire de Cristal. Mais avec cette interruption des communications et du cycle du jour et de la nuit, tout le monde s'était accordé pour considérer que l'événement était par conséquent annulé. Quitte à avoir de bons athlètes, autant s'en servir à des fins productives.

 

Ça faisait une semaine que Maliwan avait envoyé les trois griffons en question, et ce sous la pression du peuple et des autres pays aux alentours jusqu'à l’autre bout de l'orient. Tandis que c'était la nuit constante ici, dans les pays les plus à l'Est c'était le jour qui régnait sans arrêt. Les insomnies devaient être le principal souci de la population. Le problème était global, il durait depuis beaucoup trop longtemps, même pour le Roi griffon qui était de nature patiente. Si toutes les autres nations n'utilisaient pas leur libre arbitre pour ce qui était de prendre des mesures, c'était à Maliwan que revenait la responsabilité de décider si un conflit devait être engagé ou non. Les griffons étaient l'un des plus forts royaumes, probablement le plus puissant si l'on oubliait la magie equestrienne.

 

Alors qu'il était plongé dans ses pensées, le noble entendit un toc sur sa porte avant de s'ouvrir et dévoiler une petite pégase au pelage vert et à la crinière bleue.

 

« Votre majesté, l'escadrille de reconnaissance est ici.

 

-Parfait Little Parrot, répondit-il avec entrain d'une voix creuse et lourde. Je n'attendais plus qu'eux, fais-les entrer. Lorsqu'ils seront là, je voudrais que vous restiez dans la salle pour prendre des notes de tout ce qu'il sera dit. »

 

Maliwan ne cachait pas son enthousiasme, ces photos étaient les éléments qui allait déterminer si une simple rencontre pacifique allait devoir se faire, ou dans le pire des cas une invasion forcée du pays avec l'aide des autres continents. Avant que les trois prodiges ne rentrent, le grand griffon prit soin de mettre en place ses médailles sur sa veste bleu roi. Il rangea au passage son bureau pour donner une image des plus respectables de sa personne, mais aussi pour être plus à l'aise quand il devrait observer les photographies faites à l'aide d'un appareil miniature fait spécialement pour la mission. Ce n'était pas une escadrille comme les autres, elle était composée de griffons venant de trois pays d'occident différents.

 

Le groupe se présenta devant le dirigeant, dénué de tout tissu et autres éléments pouvant les couvrir. Sur les trois hybrides, il n'y en avait qu'un seul qui portait des plumes marron tandis que les deux autres étaient gris sombre et blanc. Ils haletaient beaucoup, on les avait convoqués dès leur arrivé sans leur accorder un peu de répit. C'est avec le regard dur que Maliwan observait les dizaines de captures d'images, toutes étalées sur la table en long afin que rien n'échappe à son œil affûté. Il y eut un silence pesant pendant son observation, les trois griffons suaient de stress tels des étudiants passant un examen. Cependant, ce n'était pas un professeur mais la plus haute autorité du Royaume Griffon Uni, dont le résultat ne se résumait pas à une note mais à des conséquences pouvant déclencher une guerre.

 

« Avez vous... essayé de vous rapprocher plus près où même d'aller de l'autre côté ? »

 

La jeune ponette qui prenait des notes haussa un sourcil, ce n'était pas du tout ce qu'elle aurait deviné comme première réponse à noter. Mais le Roi avait l'air sûr de ce qu'il voyait sur les photos, comme les athlètes qui n'avaient aucunement l'air surpris de sa réaction.

 

« Impossible votre majesté, répondit le seule mâle qui constituait le trio. Irma a tenté de prendre des images en allant plus près mais...

 

-Des éclairs ont jailli des pointes de cette grande muraille. Si je n'avais pas été là ma sœur aurait fini carbonisée », enchérit l'autre en désignant la griffonne en question qui avait déplié une aile, révélant quelques plumes roussies.

 

Maliwan songea un petit instant, le temps de se faire image de ce que racontait le groupe en les associant à ce qu'il voyait sur les photos. Puis sans prévenir, il se leva de sa chaise tout en gardant l'un des clichés dans l'une de ses serres et marcha jusqu'à la secrétaire pour la lui tendre.

 

« Ajoutez ça au rapport je vous prie. »

 

C'est avec une grande surprise que Little Parrot découvrit sur l'image un paysage sombre, marqué par d'immenses falaises noires faisant probablement une trentaine de mètres ou plus, brillant au soleil en leurs hauts infiniment pointus. La ronde de bougies qui l’entourait ne pouvait pas la tromper sur ce qu’elle voyait. La façon dont ces énormes cristaux étaient là n'était pas naturelle, ils sortaient du sable et de la terre comme si quelque chose ou quelqu'un les avait fait jaillir d'un seul coup. De plus, l’érosion n'avait aucunement marqué ce mur de jais.

 

« Il est impossible de dire jusqu'où il s’étend votre majesté, fit la troisième hybride qui avait rangé son aile meurtrie. Il s’étendait d'un bout à l'autre de l'horizon.

 

-Avez-vous essayé de voir s'il n'y avait pas une entrée ou ce qu'il en était à Manehattan ou Baltimare ? demanda le Roi qui avait repris sa place mais en faisant face à la fenêtre.

 

-C'est que... on ne s'attendait pas à voir une telle défense. Natalya nous a proposé de voler à une ville côtière mais avec ma blessure et la fatigue du chemin... nous n'avons pas pris le risque de plus revenir.

 

-Nous sommes désolés votre majesté, s'excusa le seul griffon portant des plumes marrons.

 

-Non, vous avez fait un excellent travail. Désolé si je ne vous montre pas plus de reconnaissance, c'est juste que... je ne pensais pas que Celestia était prête à fermer ses frontières sans nous dire pourquoi, ni nous communiquer la raison de cette interruption du cycle solaire et lunaire.

 

-Si je peux me permettre, fit la secrétaire en retrait, ça ne ressemble pas à la magie de la Princesse. »

 

Tous se tournèrent vers la jument qui avait le regard plongé dans la photo, intriguant fortement le dirigeant. Au lieu de lui poser la question, Maliwan attendit que cette dernière continue d'argumenter son hypothèse.

 

« Cette magie est plus sombre. Même si je ne connais Celestia que de vue lors de vos rencontres majesté, j'ai du mal à penser que la Princesse en vienne à utiliser de tels sorts pour fermer ses terres. Tout porte à croire que le retour de Luna sur la lune peut être la résultante d'une dispute, mais...

 

-Je vois ce que vous voulez dire Little Parrot, coupa le grand griffon. Sachez que mes propos n'étaient pas une conclusion mais des suppositions. J'en parlerai avec les autres griffons de l'assemblée royale dans les plus brefs délais si ça peut vous rassurer, mais quelle que soit la menace qui a touché Equestria nous ne pouvons pas rester les serres croisées !

 

-Je prépare les convocations immédiatement.

 

-Et voyez s'il n'y a pas un représentant bouquetin qui traîne à Eagledon, se permit-il de demander en plus. Quant à vous, continua le Roi en se tournant vers l'escadrille, vous avez mérité un bon repos dans nos quartiers. Mais votre utilité dans ce conflit ne s'arrête pas là, je vous donnerai les instructions plus tard. Le peuple vous remercie pour votre bravoure au cours de cette mission périlleuse. »

 

Après cet éloge, Maliwan salua les athlètes qui firent de même avant de quitter la pièce, tout comme Little Parrot qui s'empressa d'aller remettre à un messager royal les convocations. Et il suffit d'une heure d'attente pour voir la totalité des généraux et ministres en face de lui, tous sur leurs trente-et-un, avec assez de médailles pour rajouter deux kilogrammes aux poids de leurs vestes. Ce n'était pas souvent que le dirigeant à plumes convoquait d'urgence ses représentants en charge de s'occuper du Royaume Griffon Uni, cela n'était même jamais arrivé avant qu'il ne prenne le pouvoir. Devant son bureau, il y avait quatre mâles, tous avec la même couleur de plumes marron mais avec des gabarits différents allant du plus malingre au plus costaud en passant par les fortes rondeurs : le général des armées, le ministre des affaires étrangères, le Vice-roi et... le cuisinier ? Il était vrai que la nourriture était quelque chose d'important chez les griffons, et ce manque de soleil avait des conséquences sur les plats et leurs goûts. Mais de là à ce qu'il soit ici pour décider d'un ordre pesant sur tout le pays. Avant leur venue, il avait mis un plus grand nombre de bougies dans la pièce afin d’y voir plus clair. Si les choses continuaient ainsi, ce serait en pénurie de ressources pour s’éclairer que le peuple allait manquer. Une bonne raison de plus pour agir coûte que coûte.

 

Tous avaient entre leurs griffes les images des falaises de cristal condamnant Equestria, tous affichaient une mine sérieuse sur ce qu'ils pouvaient observer. La réaction ne se fit pas attendre, mais encore une fois, la secrétaire en retrait dut noter une réplique assez calme comparée à la situation pourtant catastrophique.

 

« J’attends toujours votre top départ majesté, fit le ministre en charge des relations extérieures qui était au bout sur la gauche du Roi. Depuis le début de cette nuit je demande à rencontrer la Princesse. Et je crois que l'excuse de laisser les alicornes régler leurs problèmes par elles-mêmes n'est plus valable.

 

-Condamner les frontières avec un système de défense aussi sophistiqué sur des alliés c'est considéré comme une déclaration de guerre ! beugla le militaire juste à côté de lui. D'abord mettre en place ce mur sans explication et ensuite riposter contre nos propres griffons, mais qu'attendons-nous bon sang !

 

-Nous ne devrions pas nous emballer, intervint le Vice-roi sur la droite. Il serait préférable de ne pas déclencher des hostilités pouvant nous conduire à une guerre totale non ? Qui sait ce dont ils sont capables s'ils peuvent dresser des falaises comme ça en si peu de temps...

 

-Nous ne pouvons plus attendre mon cher, coupa Maliwan en dressant l'une de ses ailes noires pour l'interrompre. J'ai déjà envoyé un ordre aux garde-côtes de préparer un bateau pour qu'il puisse s'approcher des frontières avec à son bord des griffons qui iront de nouveau observer ce mur et un autre pour nous envoyer des images. Il partira dans deux jours.

 

-Deux jours !? s'égosilla le général au fort poitrail. C'est beaucoup trop long majesté !

 

-Ces deux jours Général vous laisseront le temps de préparer vos troupes à combattre. Quels sont nos effectifs ?

 

-Euh... Eh bien... Pour le moment ils sont faibles, mais je suis certain qu'avec un appel au devoir nous seront prêts dès demain ! fit-il avec un enthousiasme visible.

 

-Mon Roi, souffla le griffon qui était sur la gauche du militaire. N'allons-nous pas trop vite ? Il est possible que nous nous trompions sur la situation d'Equestria, des négociations ou un pourparler doit être fait avant d'engager le moindre combat...

 

-Quand il s'agit du jour et de la nuit mon cher ami, les négociations ne se font pas ! dit le dirigeant qui commençait à perdre patience. C'est pour cela que notre cher ministre des relations extérieures ira également faire un tour avec nos troupes si l'ennemi veut discuter. »

 

Avant de continuer, le grand griffon se leva de sa chaise et se tourna vers la fenêtre avec beaucoup de mépris. Au fond de lui, il savait que lancer un conflit avec les poneys n'étaient pas une bonne chose et que cela pourrait avoir des conséquences désastreuses. Mais plus il regardait le paysage sombre, plus il en avait marre de voir son peuple privé de soleil. Et s'il y avait bien quelqu'un capable de confirmer cela...

 

« Monsieur le cuisinier...

 

-Gustave Le Grand, corrigea ce dernier situé le plus à droite du Roi avec un accent très françois. Que puis-je pour sa majesté en ces temps difficiles ?

 

-Vous êtes un grand chef chez nous, vous avez participé à des concours partout dans le monde et même chez nos regrettables amis poneys. Sans ce soleil qui nous manque tant, comment vont les ingrédients ? demanda Maliwan avec un ton presque mielleux.

 

-Je dois vous avouer que les choses ne vont pas en s'améliorant. Pardonnez mon jargon, mais le manque de soleil prive nos fruits et légumes de vitamines, ce qui ralentit fortement leur croissance et rend notre bétail faible. De plus, ce manque de ressources donne à nos plats un manque de goût et de remontant dont notre organisme a besoin pour rester en bonne santé. Je ne dis pas que nous allons devenir tous faibles ou malades, loin de là. Cependant, la fatigue se fera sûrement sentir lors de gros efforts par exemple... Avez-vous compris ? lui demanda à son tour le cuisinier voyant le silence continu de son altesse.

 

-Malheureusement oui, j'ai tout assimilé au moindre mot. Donc si je comprends bien nous ne pouvons pas nous permettre d'attendre plus longtemps.

 

-Votre majesté ! se réveilla le Vice-roi. Pourquoi ne demandons-nous pas aux serrebequois de nous dire ce qu'il en est de leur côté ?

 

Cela interpella également le dirigeant aussi. Le pays de Serrebec, situé au nord d'Equestria juste au-dessus du royaume de Cristal. S'il avait totalement oublié de les mentionner, c'était sans doute dû au fait qu'ils ne soient pas en bons termes. Ces griffons avaient abandonné les serres du Roi il y a des siècles de cela afin de s'installer chez les poneys où ils pensaient jouir d'une meilleure liberté. Or, Celestia employait un régime semblable à celui du Roi de l'époque tout comme Maliwan qui n'avait rien changé, laissant au final ces renégats seuls. Ce problème de soleil pouvait néanmoins permettre au Royaume Griffon Uni et aux Serrebequois de former une alliance afin de résoudre le problème, et qui sait, peut-être même ainsi mettre fin à une dispute vieille de plusieurs décennies. Il restait tout de même un énième problème.

 

« Nous ne savons pas s'ils se trouvent derrières les murailles, à moins que celles-ci ne se prolongent dans les terres sans aller plus au nord en passant juste au-dessus de Vanhoover, fit le Général. Ils pourraient être d'un soutien considérable, surtout que contrairement à nous ils n'aiment pas du tout les poneys.

 

-L'ennui c'est qu'ils se trouvent beaucoup trop loin de nous et du bateau de reconnaissance qui partira après-demain. J'aurais justement voulu qu'un représentant bouquetin soit ici car eux peuvent aller à leur rencontre en coupant directement par les montagnes de Cristal. Par ailleurs pourquoi n'y en a-t-il pas alors que j'avais formellement fait la demande ? »

 

La secrétaire qui se tenait en retrait haussa les épaules, elle n'avait fait que transmettre les messages. Mais apparemment, aucun n'avait suivi les consignes à la lettre. Bien que, honnêtement, Maliwan eût une petite idée de l'absence d'un représentant de cette espèce qui vivait au plus loin de l'orient, presque de l'autre côté de la planète, il était fort dommage qu'il ne puisse pas s'entretenir avec l'un d'eux afin de mettre au point un stratagème.

 

« Je vois... nous allons devoir nous passer d'eux, soupira-t-il. Nous aurions pu former une alliance et encercler Equestria par l'est et l'ouest en même temps ainsi que par le nord avec les concitoyens de Serrebec.

 

-Avec tout ce soleil, ce n'est pas les beaux fruits et légumes qui vont manquer chez eux. Et je pense que l’insomnie du jour est une chose qui peut s'arranger facilement, supposa le gros griffon portant sa toque de grand chef.

 

-Sauf que ce n'est pas le cas pour nous et notre bétail. Je pensais que Namar était moins égoïste...

 

-Là encore vous vous trompez peut-être votre majesté, intervint le Vice-roi. Ce n'est peut-être qu'un hasard s'il n'y a pas de grands cornus chez nous.

 

-Dans ce cas je vous mets en charge d'aller directement à leur rencontre, immédiatement ! exigea-t-il en montant la voix. Il en est de même pour les autres, exécution. »

 

Tous saluèrent le dirigeant qui ne prit même pas la peine de se retourner, et quittèrent la pièce sans tarder. Le Roi resta un long moment silencieux, puis il soupira longuement en expulsant autant d'air que de pression qu'il avait accumulée lors de l'échange. Ce qui venait de se passer dans ce bureau était historique pour le Royaume, y donner les actions était aussi lourd que de porter le pays lui-même. Et le pire, c'est que tout était sur le point de commencer. Bien qu'il soit vieux, Maliwan savait qu'il était le seul à avoir les capacités de gouverner. Et encore, il avait trop attendu à son goût. S'il avait agi plus tôt, peut-être que le jour et la nuit auraient été rétablis plus tôt sans qu'il ait affaire à ces murailles.

 

Enfin, il se tourna vers la ponette aux plumes vertes qui finit de corriger certaines phrases citées par les grands du royaume. En y repensant, personne n'avait osé s'en prendre à Little Parrot à cause de ses origines. Le moindre poney vivant sur les terres du Roi devait quant à lui subir des représailles, mais comme les griffons, ils ne savaient pas plus ce qu'il se passait de l'autre côté de l'océan. Et doute manière, le premier qui oserait s'en prendre à sa petite pégase allait avoir affaire à lui personnellement.

 

« Avez-vous tout pris en note Little Parrot ?

 

-Absolument tout votre majesté, jusqu'au moindre soupir, répondit-elle sans montrer la moindre émotion.

 

-Tant mieux ma chère, et je vous conseille de signer ces notes à votre nom. Il se peut que vous aussi vous ayez une grande place dans cette histoire qui est sur le point de tourner l'une de ses plus grandes pages. »

Au même moment, le dernier train quittant Manehattan se dirigeait vers Canterlot et son éternel soleil levant. On avait remit en service la locomotive entre ces deux villes, anciennement arrêtée par pure stratégie : laisser la grande cité dans le doute et la peur puis faire en sorte qu'elle se réveille d'elle-même en montant une armée servant le grand Seigneur une fois que son général serait corrompu. Parce qu'à la grande surprise des habitants, la troupe revint en ville avec un commandant étrange, déclarant à tout le monde que le règne de Celestia était enfin terminé. Bien sûr, tout le monde protesta, hurla son mécontentement, et les choses faillirent dégénérer lorsque Jumbo Voice ordonna à ses soldats de contenir la foule qui devint presque une émeute. Mais avant que tout ne tourne en guerre civile, le Roi lui-même intervint en apparaissant au milieu de Hooves Square.

 

Comme au château, il avait pris un habitant qu'il tortura pour exemple si un seul d'entre eux osait s'opposer à sa volonté. Afin d'être certain que tout le monde soit à son écoute, la licorne maléfique insuffla un pouvoir au général qui, à son insu, put donner des ordres incontournables. Pour finir, contrairement à toutes les villes d'Equestria, Sombra lui donna l'ordre de « trier » les poneys aptes à défendre ce lieu. En clair, les civils étaient expulsés de leurs cités pour servir le Roi dans ce qui devenait une mégalopole, et les plus costauds resteraient à surveiller les côtes. Le souverain n'était pas dupe, il savait que sa prise de pouvoir se ferait sentir au-delà des océans. Mais après presque un mois, il trouvait ça étonnant qu'aucun royaume lointain ne lance de représailles. S'il avait fait ça à une époque plus reculée, il lui aurait suffit d'attendre moins d'une semaine pour voir aux portes de ses murailles de cristal des armées entières. Comme quoi ce monde était devenu faible, tant mieux pour lui.

 

Manehattan était une ville très peuplée, le Roi aurait besoin d'une semaine avant de la vider de ses civils, avec probablement plusieurs allers-retours du train pour faire avancer les choses plus vite. On emmenait des poneys par centaines à bord des wagons, on ramenait des armures portant le blason de l'Empire d'Equestria pour les futurs soldats. Les civils les plus chanceux pouvaient avoir le train normal avec des sièges au lieu de l'autre qui n'était qu'un vulgaire porte-conteneurs. Parce que oui, avec une telle population à transporter, les cheminots avaient réussi à mettre deux locomotives sur la même ligne, sous les ordres du Seigneur bien entendu. Mais malgré le confort un peu plus présent dans les voitures classiques, aucun des soldats faisant monter les habitants à bord ne prit en compte le nombre de places.

 

C'était dans un train surchargé et bondé jusqu'à ne plus pouvoir bouger un seul sabot qu'Octavia et Vinyl Scratch étaient en route vers la même destination que les locomotives précédentes. Étant les premières à êtres montées dans le wagon, elles avaient trouvé une place à temps, surtout que la terrestre à la crinière cendre n'était pas montée avec les sabots vides. Autant que son amie, elle tenait plus que tout à son instrument. Cependant le sien était gros, encombrant, il gênait quelques passagers mais tant pis. Octavia se fichait pas mal de ce que les autres pensaient du fait qu'elle ait prit cette chose inutile. Mais une fois assise à côté de Vinyl qui était quant à elle venue les sabots vides, son ego devint en fin de compte un poids trop lourd à supporter.

 

« Je devrais jeter ce truc par la fenêtre ! fit-elle grossièrement.

 

-Ça doit être la première fois de ma vie que j't'entends parler de ton violoncelle comme ça, réagit Vinyl en écarquillant les yeux. Dans d'autres circonstances je t'aurais volontiers aidée mais je pense pas qu'ici ce soit la meilleure chose à faire.

 

-C'est égoïste ! Tout le monde est venu avec rien sur le dos alors qu'avec ça je dois prendre la place de deux poneys !

 

-Je pense surtout qu'il doit y avoir une raison pour qu'ils t'aient demandé de le prendre. Et crois-moi, la dernière fois que j'ai vu quelqu'un leur dire non, c'était pas beau à voir...

 

-Dans ce cas pourquoi ils ne t'ont pas laissée prendre tes platines ? C'est injuste ! râla la terrestre qui tapa du sabot.

 

-T'en fais pour mes bébés, j'ai... »

 

La licorne blanche ne put finir sa phrase. Le simple fait de repenser à son instrument abandonné à Manehattan lui donnait envie de hurler et de taper sur tout ce qu'elle voyait. Mais entrer dans une rage aveuglante n'était pas une solution, pas ici et pas maintenant. Cependant, une larme ne put s'empêcher de déborder, car après tout, abandonner sa plus grande fierté aura été la chose la plus dure à faire pour Vinyl. Ce signe de tristesse, Octavia le vit, l'obligeant alors à lui faire une petite étreinte en guise de consolation.

 

« Eh, dit la licorne avec un sourire forcé. Tu penses vraiment qu'ils m'auraient laissée entrer avec mes énormes enceintes ? Et puis je suis certaine que là-bas j'arriverai à me dégoter de quoi rejouer.

 

-Y'a autre chose qui m’inquiète beaucoup, fit la jument grise contre le poitrail de son amie. Tu sais qu'une fois là-bas, on nous séparera ? Je sais pas si j'y arriverai sans toi.

 

-On se reverra de toute façon. »

 

Elle avait dit cela comme si c'était une évidence, ni pour mentir à son amie, ni pour se donner un semblant d'espoir. Octavia avait relevé la tête afin de voir si la licorne disait vrai, et son regard le confirmait. Il n'y avait qu’elle qui pouvait le voir.

 

« Comment tu peux en être si sûre ? Tu as entendu comment ils s'y prennent pour séparer les espèces ?

 

-J'te le dis Tavi, t’as pas à t'en faire pour ça. Quand tu seras là-bas tu...

 

-J'ai du mal à te croire Vinyl ! »

 

L'émotion était trop grande à contenir pour la contrebassiste qui se mit à pleurer en tapotant sur son amie, comme si celle-ci lui disait n'importe quoi alors que le moment de se séparer approchait. Voyant qu'elle se laissait déborder par la tristesse, la musicienne moderne prit alors la tête d'Octavia entre ses sabots pour l'amener face à elle afin de braquer son regard droit dans le sien.

 

-Écoute, j'peux pas te donner plus de détails mais on se reverra, tu peux en être certaine. Pour le moment, lorsque tu seras là-bas, contente-toi de faire tout ce que l'on te dira, même si tu n'aimes pas, même si c'est au-dessus de tes forces et même si ça te fait faire des choses ignobles et injustes. Fais ce que l'on te dit, et alors il ne t'arrivera rien et nous pourrons nous revoir. Fais-moi confiance ! »

 

Elles restèrent silencieuses pendant un long moment. L'une se demandait si elle allait la croire tandis que l'autre constatait qu'elle n'avait jamais vu son amie être aussi sérieuse avant ce jour. Octavia se mit à sourire, et laissa tomber son visage sur les genoux de Vinyl qui passa affectueusement son sabot dans la crinière grise de sa plus proche amie.

 

Puis le train s'arrêta, faisant bondir de surprise tous les passagers qui n'eurent même pas le temps de se demander ce qui se passait que les portes s'ouvrirent d'un seul coup. Une horde de gardes ordonnèrent alors aux exilés de descendre et de marcher dans une grande allée, cernés par les Blackbolts présents sur terre comme dans le ciel pour avoir une totale surveillance sur les passagers. Au bout du chemin, il y avait une sorte d'aiguillage divisant le chemin en trois, fait à partir de gardes licornes et pégases à l’affût du moindre détail pouvant différencier les espèces. C'était là que les poneys étaient triés, c'était là que Vinyl et Octavia allaient se séparer.

 

« Vinyl ! cria la terrestre qui se faisait pousser par un garde. Tu es sûre que...

 

-Fais tout ce qu'ils te demandent et tout se passera bien ! Fais-moi confiance ! » hurla son amie pour se faire entendre.

 

Puis du regard, Octavia cherchait à apercevoir une dernière fois la licorne. Mais un mur aussi grand que la plupart des maisons brouilla sa vision une bonne fois pour toutes. C'est alors que la violoncelliste se mit à marcher avec un grand nombre de ses semblables dans un morceau de Canterlot devenu aussi vaste que sa précédente ville. En effet, c'était là que presque tous les poneys terrestres d'Equestria résidaient à présent, c'est-à-dire des dizaines de milliers, voire plus, et encore plus dans les temps à venir. Pourtant, le silence régnait dans les rues et les quartiers. Les passants marchaient vite avec un regard fuyant à la vue des gardes, les maisons faites de pierres grises se ressemblant ne donnaient pas de signe d'activité.

 

« Vous ! interpella l'un des Blackbolts. Vous serez ici. »

 

Elle eut du mal à voir dans les premiers temps ce que lui désignait le pégase, puis Octavia finit par reconnaître une porte et un numéro dans tout ce mur gris, « 1515, Rue 34 ». Le temps des jolis noms de rues était révolu apparemment. Timidement, elle commença à ouvrir la porte, révélant peu à peu un intérieur entièrement boisé du sol au plafond, dont les imperfections étaient visibles à vue d’œil. Cela était dû à la vitesse de construction, on pouvait voir des planches mal coupées, non parallèles et ondulées. Octavia commença à entrer dans la maison avec un grand soupir, observant alors où sa vie allait se dérouler. Que c'était moche bon sang, pâle, triste, sans la moindre présence de vie mis à part des couverts sales et usagés...

 

« Qui est là ? » fit une voix féminine dans une pièce voisine.

 

Apparemment, quelqu'un habitait déjà ici. Le garde s'était sans doute trompé d'après la musicienne, on ne pouvait pas vivre ici à deux, c'était vraiment trop petit. Une ponette arriva en trombe dans la salle principale, là où était Octavia qui s'était recroquevillée contre la porte peureuse de se recevoir des représailles. Mais la jument entièrement blanche jusqu'à la crinière pourvue de mèches crème ne montrait aucun signe de colère.

 

« Oh, bonjour, dit cette dernière avec un sourire. Tu dois être celle qui devait venir habiter ici.

 

-Ce doit être un malentendu...

 

-Je t'assure que non, insista l'hôte des lieux. Ils m'ont prévenue que quelqu'un allait habiter avec moi aujourd'hui.

 

-Mais... mais c'est trop petit ! s'exclama la terrestre grise.

 

-Probablement, mais c'est toujours mieux que rester seule non ? Tu as un nom ? Moi c'est Pink Maggit ! »

 

L'autre femelle resta pensive un moment, elle avait déjà entendu ce nom quelque part, mais impossible de dire quand et dans quoi. Prenant sur elle même, la contrebassiste s'avança et serra le sabot de ce qui pourrait être une nouvelle amie.

 

« Moi c'est Octavia Philharmonica, enchantée.

 

-Woaw, la vraie musicienne royale de Celestia ! flatta l'autre jument. Puis à ce que je vois tu as pu prendre ton instrument. »

 

C'est vrai. Malgré sa taille et son poids, elle l'avait complètement oublié à cause de ces événements bouleversants. La jument grise posa alors sa contrebasse contre un mur, tout en essayant d'oublier les minutes qui précédaient son entrée dans cette maison. La séparation avec Vinyl Scratch fut intérieurement douloureuse, elle cachait sa tristesse au plus profond de son esprit pour ne pas paraître étrange devant cette ponette accueillante.

 

« Tu me fais visiter ? demanda-t-elle.

 

-Je sais pas si c'est vraiment utile. Je peux te le faire ici sans même bouger : là c'est le salon qui fait presque tout, là-bas ce sont les toilettes, montra-t-elle en désignant un porte vers la droite. Et de l'autre côté c'est la chambre avec un seul lit. On va devoir trouver une solution pour ça par contre, il ne fait qu'une place.

 

-Ça n'aurait pas dérangé mon amie... »

 

C'était plus fort qu'elle. Octavia n'arrivait pas à sortir Vinyl de sa tête. Le simple fait d'y penser comme à cet instant la rendit aussitôt silencieuse et fermée. Mais à sa grande surprise, Pink Maggit savait ce qu'elle ressentait.

 

« Toi aussi tu as été séparée de quelqu'un avec cette stupide loi ? fit la jument blanche en posant un sabot sur l'épaule de l'autre terrestre qui se retenait de verser quelques larmes. J'ai été séparée de mon groupe aussi, ça fait un mois que je ne les ai pas vus.

 

-Tu... tu joues de la musique ?

 

-Évidemment, je pensais que ça se voyait, confirma-t-elle en montrant sa cutie mark en forme de guitare sur l'un de ses flancs. Je fais du rock moi ! J't'avouerais que le classique c'est pas trop mon truc, mais je respecte quand même surtout si c'est toi.

 

-On dirait mon amie, elle était pareil, continua Octavia qui se mit à glousser. Jamais je n'oserais déranger quelqu'un qui m'a accueillie à bras ouverts chez lui.

 

-J'avais pas le choix en même temps, puis ça fait un mois que j'avais pas eu de compagnie, se justifia Pink Maggit alors qu'elle était partie dans la chambre pour en ressortir avec une guitare sèche dans la bouche. 'omme on a 'as de licorne, dit-elle avant de poser la guitare, j'ai plus d'autre choix que de jouer à l'ancienne, et si ça peut te rassurer je connais des morceaux calmes.

 

-Ce serait avec joie. »

 

Elles se regardèrent un instant avec un grand sourire, aucunement faux et plein de complicité. L'une venait de perdre une amie et l'autre n'avait pas vu qui que ce soit de conviviale depuis trop longtemps. À cet instant, chacune d'elles était heureuse d'avoir une présence chaleureuse. Puis la jument banche commença à passer la lanière de son instrument autour de son épaule et se dresser sur ses deux jambes arrière. C'était la particularité de ces musiciens : arriver à se tenir debout sur deux membres était la première chose à apprendre, et peut-être la plus dure. Pink Maggit commença alors à jouer quelques notes, douces et harmonieuses, une autre image de ce qu'imaginait Octavia du rock. Pour continuer, la guitariste commença à inspirer, prête à chanter.

 

Un frappement de porte fort vint tout interrompre, la guitariste se remit sur ses quatre sabots sans tarder et se dépêcha d'aller l'ouvrir après avoir posé sa guitare. Deux Blackbolts étaient sur le pallier, faisant monter d'un seul coup l'inquiétude des deux juments. Même si Octavia ne les connaissait pas vraiment, elle savait que leurs présences n'annonçaient rien de bon juste avec leurs allures.

 

« Octavia Philharmonica est-elle ici ?

 

-Je suis là, fit cette dernière dans le dos de Pink Maggit qui se retourna avec un regard inquiet.

 

-Veuillez nous suivre sans poser de question et immédiatement.

 

-Et prenez ça avec vous. »

 

Le grand pégase sombre désignait la contrebasse, ce n'était alors pas difficile de deviner pourquoi on allait avoir besoin d'elle. Sans un mot, elle le prit, le remit sur son dos et quitta la maison escortée par les deux gardes. Elle fit un signe d'au revoir à Pink Maggit qui lui rendit avant de rentrer. Dommage, les deux juments auraient voulu faire connaissance un peu plus longtemps mais elles allaient devoir attendre que l'une ait fini de jouer pour une personne importante, voire même le Roi. Encore fallait-il espérer que celui soit satisfait et qu'il la laisse rentrer. Trop de rumeurs avaient couru sur lui pour ne pas nier qu'il était facile de le contrarier, comme se faire enfermer au cachot à la moindre fausse note ou parce qu'il n'aimait pas la chanson, sans qu'il le dise histoire de se donner un malin plaisir à punir.

 

L'allure fourchue du château aussi en disait long, il était difficile de penser que qui que ce soit aurait pu en sortir vivant. Toutes ces pointes, toute cette architecture violente et anarchique. Quel genre de Roi pouvait donc apprécier habiter dans un endroit pareil ? L’édifice lui cachait le soleil, tous ces détails effrayants ne lui donnaient même pas envie d'imaginer l'intérieur. Octavia n'avait qu'une seule envie : faire demi-tour ou se fracasser la tête contre un mur quitte à prendre tous les risques pour ne pas aller dans ce sombre château. Mais elle repensa à Vinyl, à ce qu'elle lui disait. Et puis elle allait se contenter de jouer, rien de plus. Ça ne pouvait pas être si terrible que ça.

 

La jument déglutit juste avant de passer les grandes portes, s'attendant à rencontrer un intérieur aussi effrayant que le Tartare. À la place, ce n'était que sobriété et froideur que le décor faisait ressortir. La couleur noire des murs, qui donnait l'impression d'avoir déteint sur le sol blanc en lui donnant une teinte fumée, rendait le lieu plus glacial et légèrement plus hostile, mais pas de quoi se jeter d'un balcon. Octavia était déjà venue ici, peu de choses avaient changé si on oubliait les tableaux et statues à l'effigie d'une étrange licorne qui devait sûrement être le Roi.

 

« Mademoiselle Octavia ? fit un étalon gris et cornu portant un monocle. Veuillez me suivre je vous prie. »

 

Les deux gardes s'étaient retirés, il n'y avait plus que cette licorne à la crinière verte qui l'avait invitée à le suivre vers les escaliers principaux. C'était déjà plus rassurant, mais ce poney dégageait comme quelque chose de malsain, l’intuition de la terrestre ne trompait jamais pour ce genre de choses surtout en cet endroit devenu presque inconnu. Et son mutisme confirmait le tout, il ne disait pas un seul mot, ne se retournait même pas. Il se contentait simplement de jeter un œil à chaque tableau avec un léger sourire, des peintures représentant encore une fois ce « Sombra » qui n'avait pas du tout l'air chaleureux contrairement à sa nouvelle amie.

 

« Nous y voilà, dit-il devant une petite porte. Soyez prête dans dix minutes pour jouer devant sa majesté lors du dîner. »

 

Il n'ajouta rien de plus, et se retira vers un autre couloir. Octavia connaissait bien cette pièce malgré les quelques changements, c'était là que l’orchestre royal se préparait avant de jouer pour les Princesses Celestia et Luna lors d'un grand bal ou un concert. Avant, il y régnait une bonne humeur afin d'évacuer le stress, une atmosphère bon enfant parce qu'ils allaient jouer pour quelqu'un d'important. Là... c'était comme si leurs vies n'allaient tenir qu'à la corde ou la touche de leurs instruments, que de jouer devant ce tyran était comme tacher les sonates sur lesquelles ils avaient tant travaillés.

 

Elle n'était pas seule bien sûr, la terrestre grise reconnaissait bien ses camarades de musique symphonique, dont le chef qui vint lui faire une étreinte et lui demander si tout allait bien. Fort heureusement, au grand bonheur de la jument, il n'était rien arrivé à ses camarades du conservatoire, seule la tristesse de devoir s'humilier devant Sombra et la déception d'être considéré comme des jouets régnait au sein du groupe.

 

Et ce fut l'heure. En file indienne, avec leurs instruments sur le dos sauf pour le pianiste, ils allèrent vers la salle à manger où une scène les attendait. Il y avait déjà du monde à la table, dont une jument qu'elle avait déjà aperçue avec sa crinière arc-en-ciel. Le reste était composé d'autres pégases, une griffonne, de quelques étalons cornus et d'un minotaure. En bout de table se trouvait un plus grand fauteuil avec dedans une licorne sombre muni d'une armure en acier et d'une grande corne rouge fourchue et pointue. Ça devait être lui, Sombra, qui jeta un rapide coup d’œil sur elle avant de repasser à son assiette. Il ne prêtait pas la moindre attention, totalement différent de Celestia qui n'hésitait pas à discuter avec eux. Enfin, lorsque le chef d’orchestre se mit en position dos à la table, tous attendirent qu'il commence à bouger la baguette après avoir énoncé le nom de la musique. « La 7ème symphonie » de Hoovetoveen, Octavia la connaissait par cœur, il n'était pas utile pour elle d'ouvrir les yeux pour la jouer et juste pour ne pas à subir le regard malveillant du souverain, rien que pour se concentrer uniquement sur le son de sa contrebasse, et rien d'autre.

 

S'il n'y avait pas la musique, le début du repas n'aurait été que silence de mort. Pourtant ce n'était pas les convives qui manquaient à la table, il y avait l'élite de l'Empire d'Equestria, les plus grosses têtes du continent à l'heure actuelle et ceux qui avait permis à Sombra de le faire monter en puissance : Iron Wild, Sully Corpse, Fancy Pants à son grand regret, Gilda, Lightning Dust, Rainbow Dash et enfin le Roi lui-même. Mais pour la pégase aigue-marine, il manquait quelqu'un, une licorne qui avait permis au souverain d'être encore plus fort. Et avec ce qu'elle avait vu ces derniers temps, il était peut-être temps de réagir.

 

« Où est Trixie ? demanda-t-elle.

 

-Notre très chère amie n'est plus... « opérationnelle », répondit Sombra. Elle aura cependant rendu un grand service à l'Empire en se débarrassant de nos plus grands obstacles en accomplissant ce que j'ai tenté de faire il y a une année. Mais son corps n'encaisse plus ce je lui envoie, c'est regrettable...

 

-Mais enfin ! s'indigna Lightning Dust en se levant de sa chaise. Pourquoi vous ne la soignez pas ? N'est-ce pas à elle que vous devez votre place ? Pourquoi n'a-t-elle pas le droit au même traitement de faveur que nous ?

 

-On ne fait pas d'omelette sans casser des œufs, affirma le Roi en faisant étinceler ses yeux. Mais si ça peut te rassurer, tu vas probablement la rejoindre. »

 

Mis à part la musique, il y eut un silence oppressant durant quelques secondes où la Blackbolt sentit sa sueur froide lui couler dans le dos. Il était temps pour elle de prendre la tangente, de fuir avant qu'il ne soit trop tard. Mais elle n'eut pas le temps de battre une seule aile qu'un puissant sort vint la projeter contre l'un des murs de la salle.

 

Sous cette action facilement audible malgré l'air de musique, Octavia sentait que les membres de son orchestre se déconcentraient et perdaient le fil. Mais la jument se mit alors à jouer plus fort, cassant quelques crins de son archet, pour ne pas que le terrible tyran entende la moindre imperfection et se défoule sur eux, comme il était en train de le faire sur cette jument à la crinière d'or qui rampait en criant de douleur.

 

L'une de ses ailes n'avaient plus le même sens que d'habitude, Lighting Dust avait si mal qu'elle cherchait à fuir cet endroit par la seule force de ses membres avant, la douleur lui paralysait le reste du corps. Mais un sabot se posa sur ses plumes, celle qui était meurtrie, l'empêchant d'aller plus loin. Sombra s'était levé et précipité sur elle, le regard luisant la colère, comme si l'heure de sa victime avait sonné.

 

« Tu empestes le manque d'hygiène et la tromperie ! lui hurla-t-il. Toi qui m'as fait confiance jusqu'à aujourd'hui, tu te permets de me dire comment je me dois d'agir alors tu salis mon image et la rend puante ! Je vais...

 

-Calmez-vous mon Roi ! cria Rainbow Dash qui n'avait pas bougé de sa place. Je porte toute responsabilité sur mes pégases. C'est ma faute si elle n'est pas propre, c'est à moi d'être puni. »

 

Le Roi ne répondit rien, il s'était retourné pour savoir qui avait osé hausser le ton sur lui. Par la suite, il commença à s'avancer, lentement vers la Blackbolt en chef qui déglutit en voyant ce regard rempli de mille terreurs l'observer, surtout que Sombra y mettait du sien en rendant ses pupilles et sa corne plus brillante. Ce que lui préparait le Roi allait être dévastateur, mais tout ce qui préoccupait le plus Rainbow Dash n'était pas de finir grillée, c'était qu'il lui efface sa mémoire. Alors qu'il n'était plus qu'à quelques mètres d'elle, Sombra se ravisa d'un seul coup en stoppant sa magie et en baissant le museau avec un soupir souriant.

 

« Il faudrait que je tienne mes ardeurs de temps en temps, pardonnez ma violence, ma chère. »

 

La jument arc-en-ciel ne dit rien, n'émit aucune émotion sur sa chaise, tandis que tous les autres poneys de la tables eux, eurent la bouche grande ouverte en voyant la licorne la plus puissante du monde se courber devant elle. Même Lightning Dust eut le souffle coupé devant un tel acte venant du Roi. La musique ne s'était pas tue par contre, seul le violoncelle retentissait par contre. Octavia ne voulait rien entendre de ce qui se tramait à la table, jouant son solo tellement fort et rapidement que la moitié de sa propre crinière présent sur son archet avait cédé, mais ce n'était pas ça qui allait l'arrêter. Elle était prête à tout pour ne pas que l'un de ses amis présent sur scène ne finisse comme la ponette blessée.

 

« Que cela serve de leçon ! Une chance que je ne t’emmène pas au cachot ! dit-il en ré-haussant la voix.

 

-Iron Will n'aurait pas aimé emmener l'une de ses amies en prison de toute façon, fit le minotaure qui se rendit bien compte de son erreur quand il vit le regard du souverain se poser sur lui.

 

-En parlant du cachot... Tu vas me mener à une cellule bien particulière. Quant aux autres, il est temps de vous réveiller ! N'oubliez pas que vous représentez l'image toute entière de l'Empire, et je compte sur toi Rainbow Dash. »

 

Dans un mouvement de cape, le Roi se retira tout en étant escorté par Iron Will. Lorsqu'il quitta la pièce après avoir fait claquer les grandes portes, Fancy Pants se leva à son tour et se dirigea vers la scène ou rien ne semblait pouvoir arrêter la violoncelliste qui était en train de jouer si fort que son instrument n'allait pas tarder à céder sous les assauts de la jument qui versait quelques larmes par nervosité. Délicatement, la grande licorne posa un sabot sur l'épaule de cette dernière qui sursauta d'abord, puis qui expira un grand souffle de soulagement en voyant que ce n'était pas Sombra qui avait mit fin à son terrible solo.

 

« C'est fini ma chère, c'est terminé. Vous avez été remarquable. »

 

La voix du gentlecolt était apaisante, mais le regard de ses amis de l’orchestre était bien différent par contre. Tous étaient choqués, ils n'avaient jamais vu la terrestre jouer ainsi. Etaient-ils bluffés ? Horrifiés ? Octavia ne voulut pas le savoir, elle laissa tomber sa contrebasse et se mit à galoper pour fuir le plus loin possible. Elle crut entendre une voix l’appeler mais peu importe ! Sortir d'ici était sa priorité et ça même si elle devait y passer. Mais Octavia galopait si vite que personne n'osait faire quoi que ce soit, pas même les gardes qui se demandèrent pourquoi une terrestre courrait à vive allure dans le château pour sortir. Peut-être devait-il l'arrêter, mais leurs ordres étaient d'empêcher de ne pas faire entrer n'importe qui et non de bloquer la sortie.

 

Les larmes aux yeux, Octavia galopait toujours à vive allure. Elle cherchait désespérément sa nouvelle demeure, cherchant au mieux le numéro de la rue et de la maison. 1515 rue 34, elle n'avait pas oublié. Les rares passant ne réagissaient pas plus que ça, une jument qui courait en pleurs était devenu banale, même une habitude ces temps-ci. Après avoir tourné en rond au milieu de toutes ces maisons ressemblantes, elle trouva enfin son nouveau chez-soi, où elle entra sans frapper en déboulant en furie dans la salle principale. Par la suite, elle ferma à double-tour la porte, respirant, haletant et reniflant bruyamment.

 

« Que se passe-t-il ? lui fit une jument dans son dos. Tu es déjà revenue ?

 

-J'ai... J'ai fui ! J'ai fui aussi vite que possible ! Je sais c'est pas bien maintenant tous les gardes vont venir et nous embarquer en prison alors que tu n'as rien fais ! Je...

 

-On se calme, fit Pink Maggit en posant un sabot sur l'épaule de la paniquée. Laisse-moi voir. »

 

Elle commença à ouvrir la porte tandis qu'Octavia elle se réfugia sous la table, les pattes sur le visage de peur de se recevoir une furie magique. Fort heureusement, la rue semblait quasiment déserte, aucune alarme ne retentissait et les seuls gardes présents patrouillaient avec un seuil de réaction égal à celui d'un légume.

 

« Tu n'as rien à craindre. Je pense que s'ils avaient voulu t'arrêter, tu n'aurais même pas pu venir jusqu'ici. »

 

Mais malgré ses douces paroles, la terrestre grise était encore cachée, tremblante comme une feuille, sanglotant silencieusement. La ponette blanche choisit alors de faire pareil, s'allongeant sur ses quatre pattes aux côtés de la contrebassiste. Elle lui prit ensuite l'un de ses sabots pour le caresser affectueusement afin de la rassurer, lui montrer qu'ici elle était en sécurité.

 

« Que s'est-il passé ? Où est ton instrument ?

 

-Là-bas, répondit-elle après s'être essuyé le visage. Mais je m'en fiche, j'en jouerai plus jamais !

 

-Oh mais ne dis pas ça voyons, consola l'autre jument.

 

-Tu ne comprends pas ! se rebiffa-t-elle. On... On m'a obligée à jouer une musique que j'aime devant ce... ce Roi qui n'en n'avait que faire sauf si je jouais mal. Alors j'ai fait ce que j'ai pu, j'ai joué aussi fort que possible pour ne pas qu'il entende les autres faire des erreurs à cause de la pression. J'ai joué de tout mon cœur quand il était en train de massacrer l'une de ses gardes ! Je n'arriverai jamais à rejouer sans penser à ça ! »

 

Elle fondit en larmes, pleurant fortement au point qu'il était possible de l'entendre dehors. Mais là encore, les poneys en pleurs avaient comme remplacé le chant des oiseaux dans le grand quartier.

 

« Tu as fait ce qu'il fallait. Imagine ce qui se serait passé si tu avais refusé.

 

-Mon amie me disait exactement la même chose, enchérit Octavia qui commençait à se calmer. Elle me disait de faire tout ce qu'on me dirait de faire. Je ne sais pas si je serais capable de recommencer... »

 

Pink Maggit releva une oreille. À leur première rencontre, elle avait déjà mentionné cette jument, mais pour une raison plus sérieuse cette fois-ci.

 

« Je ne voudrais pas être indiscrète, mais qui est donc cette amie ? »

 

-Vinyl, répondit-elle. Vinyl Scratch. Ça te dit quelque chose ? »

 

La ponette blanche ne fit rien à part écarquiller les yeux et entrouvrir la bouche. Pour Octavia c'était certain, elle en avait déjà entendu parler ou elles se connaissaient déjà. Puis elle lui sourit, confirmant bien que ces deux juments avaient déjà eu un contact. Après tout ce n'était pas très étonnant dans le milieu de la musique.

 

« Elle a raison dans ce cas, mais ce n'est pas uniquement pour ta sécurité. Je vais t'expliquer. »

Alors que la contrebassiste venait de quitter la salle en galopant, Sully Corpse s'était également levé de table tandis que Gilda aidait Lightning Dust à se relever. Il ne restait plus que Rainbow Dash à la table, paralysée par ce qui venait de se passer : elle avait dominé le Roi. La réaction ne se fit pas attendre plus longtemps dans son entourage, mais pas par la licorne gris tourdille qui était plus réticent par rapport à la musicienne qui s'était enfuie.

 

« Comment t’as fait ça Dash ? lui fit la griffonne qui avait la patte de la pégase aigue-marine autour de son cou.

 

-Ça commence à aller trop loin ! s'exclama cette dernière. Après tout ce qu'on a fait po-*AÏE* pour lui c'est comme ça qu'il nous traite ?

 

-J'en ai aucune idée... dit la jument arc-en-ciel avec un regard vide.

 

-Fancy Pants pourquoi ne l'avez-vous pas arrêtée ? lança le secrétaire. Elle...

 

-Elle va faire quoi d'après vous mon cher Sully ? Dire à tout le monde que notre bon Roi se charge lui-même de corriger ses gardes ? Croyez-vous que cela aura un impact sur sa « notoriété » après ce qu'il a fait à cette pégase sur la place royale ? Écoutez, continua la grande licorne en se rapprochant de l'autre étalon, je me fiche de savoir ce que vous pensez de moi en ce qui concerne Sombra. Tant que je fais ce qu'il ordonne je me permets de faire ce qui me chante, quitte à cracher sur lui en votre présence du moment que ce n’est pas fait devant le peuple.

 

-Lighting a raison Dash ! ajouta Gilda. Nous traiter comme ça juste pour une foutue douche...

 

-Faites ce qu'il dit la prochaine fois ! ordonna la chef à la grande surprise des deux femelles. Lavez-vous !

 

-Qu'est-ce qui te prend Rainbow ? lui demanda la pégase. Toi aussi tu vas nous prendre pour des chiens ?

 

-Vous ne comprenez pas, si vous ne faites pas ce qu'il dit, si on ne le satisfait pas, ce n'est pas nous qui allons prendre ! D'autres vont subir sa colère !

 

-Vous devriez appliquer ce conseil mon cher... » fredonna Sully.

 

Cette ordure avait raison. Sombra savait que Fancy Pants le détestait plus que tout, mais il ne pouvait pas se risquer à pousser le bouchon trop loin. Sa douce était enfermée quelque part dans ce château, une fausse note venant de lui et ce serait elle qui en subirait les conséquences. La licorne blanche se retira à son tour, le visage grave contrairement à celui de Sully Corpse qui affichait de la satisfaction.

 

« Regarde dans quel état il a mis Lightning ! cria Gilda indignée. On va pas se laisser faire, que ça te plaise ou non !

 

-S'il te plaît... supplia Rainbow Dash les dents serrées avec une voix moins forte. On met des poneys en danger si on ne le fait pas.

 

-Plus facile pour toi Rainbow ! Toi ça ne te brûle pas quand...

 

-Tu n'as même pas idée de l'atroce douleur que je ressens chaque fois qu'une seule goutte d'eau me touche. »

 

La pégase s'était subitement rapprochée de sa semblable, le museau presque collé au sien. Son regard était dur, ressemblant presque à celui de Sombra quand il avait les yeux normaux. La Blackbolt en second ne dit pas un mot de plus, pas même Gilda qui comprit alors qu'elle se trouvait dans une situation beaucoup plus délicate que n'importe qui. Puis sans prévenir, Rainbow Dash prit entre ses sabots l'aile cassée de Lightning Dust, la jugeant d'un œil expert.

 

« Tu iras à l'infirmerie après t'être douchée. C'est pas grand-chose, dans deux semaine ça devrait aller je pense.

 

-Elle va pas aller se laver avec une blessure pareille Dash !

 

-Dans ce cas tu l'accompagneras Gilda, ordonna-t-elle en se dirigeant vers une fenêtre. Non seulement ça évitera un accident puis... la douleur doit être plus facile à supporter quand on est plusieurs. »

 

Cela confirma les suppositions de la griffonne, son ancienne amie aussi souffrait le martyr quand elle se lavait. Et vu ce que le Roi lui avait envoyé en magie noire et obligé à faire – comme pulvériser toute une ville –, la douleur devait être terrible comparé à eux. Rainbow Dash ne se retourna pas, prit son casque sur la table, le mit et s'envola vers la seule fenêtre de la pièce. L'esprit vide, elle volait à travers ce ciel tout autant composé de néant. Pas un seul nuage, pas même une petite brume, le Seigneur de l'Empire d'Equestria ne voulait rien d'inutile dans le ciel hormis pour la pluie.

 

Les choses n'allaient pas en s'améliorant pour elle. Ce que venait de faire Sombra, lui obéir, n'était rien d'autre qu'un signe voulant très clairement dire qu'il se rapprochait d'elle, encore et encore, jusqu'à...

 

Non. Hors de question de penser qu'il irait jusque-là, Rainbow Dash se tuait à penser qu'il agissait de la sorte uniquement pour gagner sa confiance. Mais les faits étaient là, elle avait beau le nier, elle savait que tôt ou tard Sombra irait droit au but avec elle. La pégase serait-elle capable d'accepter ça juste pour le bien de ses amies ? Serait-il plus clément à les libérer si elle arrivait à le soudoyer en jouant à son propre jeu ? Ce genre de questions se répétait sans cesse dans sa tête, la rendant insomniaque. Si les choses continuaient ainsi, il était fort probable que Rainbow Dash envisage de finir les choses en commençant par elle. La vie ne valait pas le coup d'être vécue quand l'atmosphère est dénuée de toute douceur.

 

Pourtant, dans son champ de vision, un élément doux et blanc flottait haut dans le ciel, bien au-dessus de la citadelle. Un nuage ? Les pégases chargés de la météo auraient-ils mal fait leur travail ? Logiquement, ce genre de négligence aurait valu un rapport et une punition. Mais Rainbow Dash vit ce nuage comme une aubaine. Après tout, depuis combien de temps n'avait-elle pas foulé un cumulus ? Elle s'en souvenait pourtant, mais c'était loin d'être un souvenir agréable.

 

Au lieu de le supprimer, la pégase fit ce qu'elle avait l'habitude de faire quand il n'en restait plus qu'un : se poser dessus. Ça faisait si longtemps qu'elle n'avait pas senti cette douceur sur son ventre, ni trop froid, ni trop chaud. Cela la fit soupirer longuement, retirant toute la pression que Sombra lui faisait subir chaque jour. Ses muscles la tiraient, elle avait baillé, ses paupières étaient lourdes. C'était les symptômes systématiques de Rainbow Dash lorsqu'elle se posait sur de la vapeur. Comme dans le bon vieux temps, la jument se retourna pour se mettre sur le dos, croisa les sabots avant et les mit derrière sa tête. Comme si ça ne suffisait pas, elle donna un léger battement d'ailes pour faire bouger le nuage afin de se faire bercer. Que des poneys en contrebas ou même des Blackbolts puissent la voir pioncer sans se cacher, ça lui était totalement égal. Elle était la seconde autorité de l'Empire, et jusqu'à maintenant, elle n'avait subi que souffrance et douleur mélangé à du mépris. Personne n'irait la déranger, ni la dénoncer au Roi, il n'en n'aurait que faire de toute façon.

 

Elle resta une heure, peut-être deux, à somnoler en faisant le vide dans son esprit. Rainbow Dash avait pourtant l'habitude de faire cela avant, c'était ce genre de repos quotidiens qui la rendaient énergétique et joyeuse, qui la faisaient vivre tout simplement. Et lorsqu'elle se réveilla, c'était comme si son corps était redevenu neuf, prêt à nettoyer n'importe quel ciel en dix secondes chrono qu'il soit chargé ou non. Mais elle fit une chose qui lui était totalement sorti de l'esprit depuis le retour de Sombra : s'amuser. La jument s’engouffra dans le nuage afin de devenir presque invisible, ne laissant dépasser que ses ailes, sa queue et ses yeux. Au-dessus de leurs têtes, les poneys pouvaient voir un nuage bouger tout seul, ricanant bêtement. La Blackbolt ne songea pas une seule fois à son attitude indigne de son rang, au contraire, Rainbow Dash était elle-même, à cent pour cent, vingt pour cent plus cool. Mis à part son rire et des battements d'ailes, ils n'y avait pas d'autre bruit, Canterlot était si silencieuse.

 

Ils y avait des battements d'ailes oui, comme s'il y en avait plus d'une paire... La Blackbolt releva les yeux et vit Flare Chaser au-dessus d'elle, intriguée.

 

« Qu'est ce que tu fais ? demanda cette dernière.

 

-Quoi ? Tu ne faisais pas ça avant ?

 

-Avant quoi ? »

 

Encore... Cela donna à la jument pastel l’envie de soupirer sans se cacher. Chaque jour, elle essayait de raisonner cette pégase qui la suivait partout. Chaque jour, ses souvenirs étaient affectés. Chaque jour, son passé n'était plus. Mais pas cette fois, Rainbow Dash tenta le tout pour le tout.

 

« Viens t'allonger, c'est un ordre. »

 

La jument à la crinière verte et jaune se posa à côté d'elle sans broncher, il n'y avait que comme ça qu'elle obéissait, en étant ferme. Sombra en avait fait un parfais robot.

 

« Wow ! s'exclama-t-elle en posant son ventre sur ce plancher de vapeur. C'est vraiment agréable ! Je comprends pourquoi tu t'amusais avec. Dommage que notre Roi n'en veuille que pour la pluie.

 

-Je voudrais savoir quelque chose Flare. Dis-moi, commença la capitaine en prenant un ton moins militaire. T’as pas l'impression d'être dans le mauvais camp des fois ? Je veux dire, que tout ce que tu fais pour le Roi est mauvais ?

 

-Mais de quoi tu parles ?... C'est un test ?

 

-Non ce n'est pas un test Flare ! Je suis sérieuse !

 

-Oh... désolée capitaine, s'excusa-t-elle mais mettant rouge de colère sa supérieure.

 

-Non Flare ! Je ne te parle pas en tant que capitaine ! J'étais une apprentie Wonderbolt qui rêvait de te rejoindre toi et les autres ! Soit franche Flare et dis-moi la vérité ! Dis-moi que tu détestes Sombra, que tu regrettes de m'avoir suivie et de t'être laissée hypnotiser par le Roi. Dis-moi que je ne suis pas la seule à penser de cette manière, que je n'ai pas oublié le passé ! Dis-moi la vérité ! »

 

Haletante, Rainbow reprenait son souffle après avoir dit tout cela vite et fort, avec pour espoir d'avoir déclenché un déclic chez la pégase. Ce qu'elle venait de faire était un énorme risque, celui de se mettre à dos l'une de ses plus proches Blackbolts et celle qui avait le plus foi en le Roi. Mais Flare Chaser se mit à écarquiller les yeux, un visage dessinant de la surprise mais aussi de la terreur en passant par du dégoût. Puis elle explosa.

 

« Que ce soit un test ou non je vais te dire ce que je pense ! cria-t-elle en reprenant les airs. Depuis que Sombra est arrivé ici j'ai enfin trouvé un sens à ma vie, il nous donne tout ce que nous voulons car nous faisons ce qui est juste ! Ce n'était pas le cas chez les... les.. Oh puis peu importe ! Je sais pas ce qui t'arrive Rainbow mais...

 

-Tu penses que de faire du mal aux poneys est juste ? coupa la ponette arc-en-ciel en prenant l'autre pégase entre ses sabots. Tu penses que de les réprimer et d'effacer leurs souvenir est une bonne chose ? Tu penses que de les priver de leurs libertés est bon ?

 

-Ces poneys ne comprennent pas à quel point notre Roi peut être bon ! rétorqua-t-elle en repoussant la jument bleue. Mais qu'est-ce qui t'arrive Rainbow ? Je pensais que tu étais avec lui mais...

 

-Mais ouvre les yeux bon sang ! Regarde autour de toi ! Ne vois-tu pas ce qui se passe ?! »

 

La pégase en chef prit le visage de l'autre ponette et le tourna vers le sol. On y voyait toutes ces maisons grises, carrées et tristes, ce château terrifiant et ces poneys au bord de la dépression. Quelque chose s'éveilla en Flare Chaser, une chose que Rainbow Dash parvenait à lui montrer. Si c'était elle qui le disait, que son Roi était un tyran, peut-être qu'elle devrait la croire. Mais depuis que Sombra était arrivé, l'ex-Wonderbolt était constamment au côté de son héroïne, elle servait enfin à quelque chose d'utile et non à faire des pirouettes juste pour des poneys riches. Elle n'arrivait pas à croire que son idéal lui dise de telles choses. Devait-elle la croire ou rester fidèle au Roi ? Tout ce que vit en réponse la pégase multicolore, c'est une Flare Chaser lui tournant le dos et s'en allant à grande vitesse.

 

Pas la peine pour Rainbow Dash de la suivre, insister ne servirait à rien. Elle aussi était tombée sous l'emprise de la magie du Roi, rien ne pouvait la dissuader de le voir comme un bon souverain. Cependant, elle se doutait que sa chef était contre Sombra désormais, elle pourrait semer le trouble auprès des autres Blackbolts et la faire tomber. Mais ce point ne tracassait pas la jument cyan plus que ça, au fond, c'était ce qu'elle voulait. Puis de toute manière, Flare Chaser n'avait pas assez de statut pour que quiconque l'écoute car à l'heure actuelle, dire que Rainbow Dash était contre le Roi était impensable.

 

Cependant, si un poney plus important venait à le savoir, les conséquences pourraient être réelles. Un poney comme Sully Corpse par exemple, qui faisait léviter une paire de jumelles devant ses yeux, observant la pégase assise sur son nuage en train de se tourmenter l'esprit. Son sourire narquois voulait tout bonnement dire qu'il avait assisté à la dispute, et donc entendu les paroles du sabot droit de Sombra. Avec une cutie mark comme la sienne – un masque de théâtre à l'expression et aux couleurs coupées en deux et inversées –, n'importe qui devinerait facilement qu'il allait se servir des paroles de Rainbow Dash à son avantage.

Rarity ouvrit les yeux. Combien de temps avait-elle dormi ? Elle ne savait pas si c'était une nouvelle journée ou si elle s'était simplement assoupie. La licorne blanche avait perdu le rythme des jours au fur et à mesure que le temps passait. Parce que justement, cela faisait tellement longtemps qu'elles étaient encore entre ces barreaux. Le silence gagnait de jour en jour, même dans la cellule des cinq juments porteuses des Éléments de l'Harmonie on ne parlait plus. La cellule du couple princier ne faisait plus un seul bruit. Cadence et Shining Armor étaient plongés dans le coma, encore prisonniers du cauchemar que Sombra leur avait jeté. Les autres forcenés se rendaient pour gagner leurs libertés, même si dehors, l'oppression était d’autant plus présente. Les plus récalcitrants quant à eux, voyaient leurs rations de nourriture baisser à vue d'œil, la faiblesse augmenter de jour en jour.

 

Rarity se leva et commença à faire une croix avec son sabot droit très usé. Mais une voix dans son dos vint l'interrompre.

 

« Tu l'as déjà fait il y a quelques minutes, fit Twilight qui avait le regard tourné vers son frère comateux.

 

-Tu es sûre ? Pourtant je viens tout juste de me réveiller et...

 

-Tu t'es allongée quelques secondes puis tu t'es relevée tout de suite après.

 

-Elle a raison, enchérit Fluttershy. Nous n'avons pas dormi mais toi tu ne fais que ça. Tu es sûre que ça va aller ?

 

-Oui oui bien sûr ! dit-elle en essayant de remettre sa crinière en ordre qui tombait sur son visage. Mais alors... cela veut dire que j'ai manqué des jours alors qu'il n'y en avait pas ! Oh bon sang ! Nous avons perdu le fil du temps !

 

-Reste calme, ce n'est pas ce qu'il y a de plus important pour le moment. Maintenant nous devons prendre soin de nous et veiller à ce que personne ne flanche, vous voyez ?

 

-Oui Twilight ! dit Pinkie Pie pleine d'énergie. En plus de ça je sais exactement depuis combien de temps nous sommes là !

 

-C'est... C'est vrai ? grogna la couturière.

 

-Bien sûr, ça fait exactement trente jours, dix-huit heures, vingt-cinq minutes et quatre seco-... »

 

Elle n'eut pas le temps de finir qu'une aura magique bleue s'empara de la ponette pour la projeter contre les barreaux. Une Rarity folle de rage lui tomba dessus, lui crachant un tas d'insultes. À cause d'elle, la licorne dut compter sur elle-même en essayant de ne pas devenir folle et s'user les sabots sur le sol. Tout ça pour rien. Twilight et Applejack durent intervenir pour les séparer, et leur dire d'arrêter immédiatement de se battre, du moins à Rarity qui explosa en larmes après s'être rendu compte de tous ces efforts perdus alors qu'elle avait fait don de sa nourriture à la terrestre rose. Se rendant compte de sa bêtise, cette dernière voulut s'excuser mais la lady l'envoya balader aussi sec, de quoi rendre encore plus triste Pinkie Pie qui vit sa crinière devenir totalement lisse.

 

« Donc... ça fait vraiment un mois qu'on est là d'dans en train d'moisir comme des vieillies pommes ? J'me d'mande comment se porte Applebloom et Big Mac.

 

-Mon petit Angel doit être mort de peur...

 

-En réalité je suis certaine que c'est lui qui se fait plus de souci pour toi, rassura Twilight en se tenant près de la pégase. Par contre... c'est pour Spike que je me m’inquiète.

 

-Et je peux vous donner une chance de les revoir ! » retentit une forte voix grave et profonde dans son dos.

 

Elles se retournèrent toutes. Ce fut avec stupéfaction qu'elles virent Sombra en personne se présenter devant la cellule, escorté par Iron Will qui ne dégageait pas la moindre émotion. Les cinq juments se mirent toutes en garde, sa présence n'était pas due au hasard, il était sûrement là pour se débarrasser des prisonniers inutiles ou trop nuisibles à son pouvoir. Mais en réalité, sa compagnie était due à tout autre chose...

 

« Je pense qu'il est temps pour vous de faire un choix. Vous avez eu le temps de réfléchir. Un mois, c'est assez j'espère.

 

-N'y pense même pas ! cracha Twilight. Je sais ce que tu nous prépares mais il est hors de question que l'on accepte la moindre offre de ta part.

 

-On s'vendra jamais pour un tyran de ton espèce ! » ajouta la cow-pony.

 

La licorne qui se trouvait hors de la cellule se frotta le front dans un premier temps, marmonnant des mots que seul lui pouvait entendre. Il n'y avait ni colère sur son visage, ni de sourire cachant une quelconque entourloupe. Le Roi était, étonnamment, plus sérieux que jamais.

 

« Je ne crois pas que vous vous rendiez compte de la situation actuelle, commença-t-il. J'ai réussi à prendre le contrôle de tout Equestria, fermé les frontières, fait en sorte que le moindre poney soit assigné à une tâche bien particulière selon son statut. L'Equestria que vous avez connue est définitivement terminée, que vous le vouliez ou non.

 

-Et il est hors de question que nous y prenions part ! cria l'alicorne lavande. Je refuse de vivre dans un monde privé de liberté !

 

-Twilight... chuchota la pégase. Je crois qu'il ne va pas nous laisser le choix. On devrait peut-être...

 

-Non ! Je resterai fidèle à Celestia, quel qu'en soit le prix !

 

-Et tu as pensé à nous ? Je veux dire... moi j’aimerais vraiment savoir ce que deviennent mes pauvres petits amis.

 

-Sweetie Belle... j'espère que vous ne lui avez rien fait sale monstre !

 

-Je ne vous force pas les filles, expliqua Twilight avec quelques larmes sur ses joues à cause des nerfs. Partez si vous le voulez. Les autres ont besoin de vous mais moi je ne peux pas me plier à lui. C'est impossible ! Je ne peux pas trahir Celestia... vous comprenez ? »

 

C'est d'un air blasé que Sombra observait la scène. Il s'y attendait, la plus proche des élèves de Celestia n'allait pas se plier à ses exigences comme ça. Mais dans cette cage se tenaient toutes les conditions idéales pour lui forcer le sabot, c'était même trop facile.

 

« Il serait dommage que vos amies soient obligées de rester ici. On ne laisse pas ses amis derrière soi n'est-ce pas ? Donc si l’une de vous ne veut pas sortir, c'est vous toutes qui allez rester. Ah aussi... les prisonniers qui refuseront de se plier à ma volonté n'auront plus de quoi manger ! »

 

Twilight comprit tout de suite où il voulait en venir, les autres aussi qui se mirent à paniquer, à crier et pour quelques-unes d'entre elles à pleurer. Soit elles acceptaient toutes de se courber devant lui, soit leur grande aventure s'arrêtait ici. Rien de tel pour divertir la licorne sombre qui observait les juments se disputer. Entre celles qui voulaient retrouver leurs familles et la Princesse de l'amitié qui refusait de se soumettre à lui, c'était perdu. Mais si cela mettait en jeu la vie de ses amies, Twilight ne pouvait tout simplement pas se permettre d'être aussi égoïste. Même sans avoir médité sur la question plus longtemps, la jument lavande commença à s'avancer, à se mettre devant le Roi qui jubilait intérieurement de voir le dernier obstacle de sa route se rendre.

 

« Pardonnez-moi Princesse Celestia... souffla-t-elle alors qu'elle se retenait de pleurer malgré les larmes.

 

-Ne fais pas ça Twilight ! intervint Applejack qui avait freiné sa descente en mettant une patte devant son cou.

 

-Applejack ! Et ta famille ? demanda la couturière.

 

-Oh oh oh j'me fais pas d’souci pour eux tu sais ? C'est des Apples ! Rien n'peut les arrêter, pas même vous ! pesta-t-elle en jetant un regard noir vers le souverain. Applebloom, Big Mac et Granny savent très bien se débrouiller sans moi. Et chuis sûre que c'est pareil pour Sweetie Belle...

 

-Tu n'en sais rien… dit Twilight toujours en train de sangloter.

 

-J'en suis sûre. Chuis certains que dehors des poneys se battent pour l'arrêter. Puis réfléchis Twala ! Il a déjà réussi à nous prendre Rainbow Dash, j'sais pas comment. T'imagine ce qu'il pourrait faire avec nous en plus ? Il serait vraiment invincible. Non ! Moi chuis sûre qu'il veut nous libérer et se servir d'nous !

 

-Elle a raison ! ajouta Pinkie Pie. Puis j'veux pas être avec lui, il est méchant, et moche en plus. »

 

Sur ce dernier argument, l'alicorne se permit de rire pendant que la fermière l'aidait à se relever. Elle avait vraiment de la chance pour avoir des amies respectant sa volonté, quitte à laisser leurs vies. Mais Rarity et Fluttershy n'avaient pas l'air de cet avis, du moins quand on les regardait de l'extérieur. Car les autres juments n'eurent même pas à poser une seule question que ces dernières leur dirent une réponse.

 

« Duh ! Bien sûr que je te suis ! J'espère que ma sœur saura vous mettre la pâtée que vous méritez !

 

-Angel avait tendance à s'occuper de moi plus que je m'en occupais. Donc... hum... je suis avec toi Twilight. »

 

C'était ça la force de l'amitié. Elles ne faisaient pas ça juste pour le bien du royaume, mais elles étaient certaines qu'au delà de ces barreaux il restait un espoir. Non, leur amie était prête à tout abandonner pour leurs vies, il ne fallait surtout pas que tout s'effondre. Elles le savaient toutes au fond : si Sombra posait un sabot sur l'une d'entre elles, c'en était fini. Trop ému par ce geste, l'ancienne élève de Celestia explosa en larmes, le museau plongé dans la crinière d'Applejack qui la serrait fort, regardant le Roi comme le faisaient toutes les autres.

 

« T’as perdu mon gros. 'Va falloir se passer de nous ! »

 

Sombra haussa un sourcil, renifla un coup et se tourna vers le responsable du lieu. Il avait eu sa réponse, définitive. Maintenant, c'était à son tour d’imposer les conditions. Rares étaient les poneys qui n'allaient pas jusqu'à la rédemption, mais ça devait arriver au moins une fois.

 

« Il est désormais interdit de les rationner. Plus de nourriture quelle qu'elle soit.

 

-Mais... elles vont...

 

-C'est un ordre ! commanda-t-il. Quant à vous... croyez tant que vous voulez qu'il vous reste une chance de sortir d'ici si ça vous fait plaisir. »

 

Il n'ajouta rien de plus, comme déçu de ne pas avoir obtenu ce qu'il voulait. Ce n'était pas leur rédemption qu'il voulait. Lui, c'était du chagrin, de la peine et du désespoir qu'il désirait.

 

Mais ces cinq ponettes empestaient l'espoir et le courage, il n'y avait rien de pire pour sa magie. Une fois que Sombra quitta les lieux, les juments se relâchèrent. Fluttershy tomba en pleurs, se disant qu'elle ne reverrait plus jamais Angel et ses petits amis. Comme Rarity qui avait du mal à cacher ses larmes rien qu'en songeant à sa sœur. Pinkie Pie avait beau dire qu'on allait les secourir, sa crinière lisse la rendait tout sauf convaincante.

 

Seule Applejack était restée forte alors que c'est elle qui allait perdre le plus. Cette dernière resta près de Twilight qui était en train de s'essuyer le museau. La cow-pony, honnête quoi qu'il puisse arriver, posa une question qui remit encore plus en valeur le véritable danger qui planait sur les cinq éléments.

 

« Alors c'est ici que tout s'arrête ?

 

-Pourquoi vous avez fait ça !? s'indigna soudainement la Princesse. Si ça se trouve nous allons vraiment rester ici pour toujours jusqu'à...

 

-Chut ! surgit Pinkie Pie en posant son sabot sur la bouche de son amie en colère.

 

-Elle a raison Twilight, il n'y a rien à dire, confirma Rarity qui avait les yeux gonflés par le chagrin. Même si je crois de moins en moins qu'un jour on nous sortira d'ici, c'est toujours mieux que de s'imaginer être dehors à faire des atrocités pour ce tyran. Je veux dire... tu t'imagines devoir faire du mal à des poneys avec notre pouvoir sans pouvoir faire quoi que ce soit ? Et je suis sûre qu'il aurait trouvé le moyen de rendre ce pouvoir inefficace contre lui en nous séparant.

 

-Tu veux dire... on se verrait juste pour faire du mal à des créatures !?

 

-Ouaip ! répondit Applejack à la pégase jaune. Quand je vois c'qu'il a fait à Rainbow et à ces prisonniers là-bas, ajouta-t-elle en pointant son sabot vers d'autres cellules pleines, j'me dit qu'il hésitera pas à faire pareil avec nous !

 

-Alors autant que ça s'arrête là... »

 

Ce soupir posa définitivement l'atmosphère dans la cellule. Depuis qu'elles s'étaient connues, les cinq juments n'avaient fait que se battre pour Equestria, allant jusqu'à mettre leur amitié et leurs vies en danger. Si Rainbow avait été là, les choses auraient été beaucoup plus simples. Tout ça ne serait jamais arrivé bien sûr, mais le simple fait de pouvoir vivre leurs derniers instants avec elle aurait suffi. Car elles avaient beau se rassurer en elles, se dire qu'on allait les libérer, une petite voix au fin fond de leurs esprits leur chuchotait que c'était la fin. Sûrement parce qu'avant ce jour, elles n'avaient jamais été aussi proches du précipice.