Deux silhouettes se trouvaient étendues sur l'herbe équestrienne, discutant et rigolant gaiement. L'une était humaine ; un homme relativement jeune au nom peu commun de Lero (diminutif de Bellérophon, car ses parents étaient des personnes excentriques), qui avait atterri là d'une manière que ni lui ni qui que ce soit d'autre n'avait été capable d'identifier, et qui n'avait toujours aucun moyen de rentrer chez lui. Il était légèrement trapu, avec des épaules assez carrées et une poitrine gonflée, sa chevelure était d'un blond vénitien de même que sa moustache et sa barbiche.
L'autre silhouette était plus petite. Le pelage bleu ciel, ainsi que la crinière et la queue aux couleurs arc-en-ciel de la pégase très justement nommée Rainbow Dash, contrastaient sur le vert foncé de l'herbe. Elle s'était à moitié affalée sur l'humain lorsqu'ils s’étaient arrêtés pour se reposer, et était maintenant couchée avec sa tête et une de ses pattes antérieures sur sa poitrine et une aile déployée sur son torse. L'humain caressait oisivement sa crinière d'une main pendant que tous deux revivaient avidement le semblant de match de hoofball qu'ils avaient tout juste fini dans la verdure du village.
Rainbow avait été la plus proche amie de Lero depuis qu'il avait atterri à Equestria. Bien que suspicieuse dans un premier temps, elle avait été plus rapide à accepter le grand bipède, et elle s'était presque immédiatement désignée comme guide personnelle de l'étranger à Ponyville. Tous les deux étaient devenus très proches quasiment dès le début. Elle l'avait mené tout autour du village, le présentant à tous les poneys qu'ils avaient rencontrés, et ils avaient rempli le temps entre les présentations par des histoires sur la Terre et sur Equestria. L'humain s'était adapté à la vie à Ponyville bien plus rapidement qu'il ne l'avait espéré après que la pégase l'ait pris sous son aile métaphorique (elle avait commencé à le faire en vrai après quelques semaines, comme elle le faisait en ce moment même) et s'était fait de nombreux amis ici, dont Rainbow était la première.
Tous deux profitaient vraiment de leur temps libre passé ensemble. Oh, Rainbow avait beaucoup de jours où elle s'en allait pour sortir avec Pinkie Pie ou Applejack, et Lero utilisait généralement ce temps pour parler Histoire avec Twilight Sparkle ou pour discuter avec Fluttershy ou Lyra, ou même pour simplement aller se balader de son propre chef pendant un moment, mais ceci restait plutôt rare. Ils avaient appris les jeux de chacun provenant de leurs cultures respectives ; Rainbow s'était montrée étonnamment douée à certains jeux de société et de réflexion du monde de Lero après qu'elle en ait appris les règles, et l'humain avait gagné un supplément de muscles à cause des sports physiques plutôt punitifs que la pégase préférait. Rainbow était une athlète accomplie, soigneusement musclée sans une trace de graisse, et même malgré sa taille et son développement musculaire récent elle restait la plus forte des deux et de loin, bien que la portée de l'humain et sa position levée lui donnent l'avantage dans quelques sports. Essentiellement ceux où le vol était interdit ; les ailes de la pégase compensaient largement ses avantages physiques. Lero avait aussi un avantage sur l'endurance par rapport à la plupart des poneys, bien que Rainbow, Applejack, ou Big Macintosh puissent lui faire mordre la poussière quasiment à tous les coups. L'humain et la pégase s'étaient révélés de véritables terreurs lorsqu'ils étaient dans la même équipe, peu importe le sport dont il s'agissait. (Rainbow jubilait encore occasionnellement des défaites écrasantes qu'ils avaient infligés à Twilight et Spike dans des jeux de société coopératifs auxquels Twilight était pourtant connue pour être très douée).
Il y avait eu quelques-uns de ces moments embarrassants, bien sûr. Comme des discussions sur le tabou de la nudité chez les humains, que la pégase n’avait toujours pas vraiment compris. (Elle était loin d’être la seule à être perplexe ; on lui avait posé tellement de questions à ce sujet. Les poneys pensaient tous que c’était vraiment bizarre.) Il se rappelait aussi comment les plumes de Dash avaient réagi lorsqu’il avait béatement fait glisser ses doigts le long de ses ailes. Elle s’était légèrement contractée, et lui avait dit que c’était une chose qui n’était habituellement pas faite en public. Il avait compris le sous-entendu et s’était abstenu de lui caresser les ailes par la suite, bien que ce soit parfois difficile de s’en rappeler lorsqu’elles les avaient étendues sur lui, comme elle le faisait actuellement. Il lui avait fallu quelques temps avant de se faire à l’exagération tactile que les poneys d’Equestria avaient tendance à avoir ; ils aimaient beaucoup se blottir, se pousser de l’épaule, s’entrelacer, et s’asseoir les uns sur les autres d’une façon qui avait au premier abord déconcerté l’humain attaché à son espace personnel, mais il s’y était adapté. Certains d’entre eux semblaient plus enclins à un tel contact que d’autres ; Dash, Twilight, Pinkie, Lyra, et de nombreux jeunes étalons et juments l’avaient établi dès le début, probablement car ils n’étaient pas intimidés par la taille de l’humain comme quelques autres. La plupart des autres en ville avaient suivi le mouvement au bout d’une semaine ou deux, jugeant qu’il ne représentait aucun danger pour la communauté.
Rainbow était de loin la plus affective du groupe, constamment assise à un endroit qui lui permettait de se reposer sur son épaule ou d’être à demi sur lui comme elle l’était en ce moment. Elle l’avait même quelques fois convaincu de la porter avec ses pattes avant enroulées autour de son cou et ses sabots arrière accrochés à sa ceinture. Lero avait trouvé l’image d’un poney chevauchant le dos d’un humain drôlement ironique, et Rainbow en savait suffisamment sur son monde pour rire de cette blague. (Elle n’en savait malheureusement pas encore assez pour comprendre la blague « en Russie soviétique [1] ».) Personne dans Ponyville n’avait fait de remarques sur la fréquence à laquelle elle le touchait, soit parce que c’était une façon normale de traiter un ami proche pour ces équidés, soit parce que la pégase cyan inspirait suffisamment de crainte pour que qui que ce soit ne tente de s’attirer ses foudres en faisant des remarques sur cette habitude.
Une possibilité qui n’était en fait pas tirée par les cheveux au vu de son caractère bien trempé et de sa musculature saillante.
Il s’était beaucoup moins attardé sur son passé depuis son arrivée à Equestria. Le présent était plutôt plaisant, c’était donc là que son esprit avait tendance à se fixer. Comme à cet instant. Ses muscles brûlaient d’une légère fatigue accumulée lors d’une activité rigoureuse, quoique très agréable ; une sensation qui aurait parue étrangère à l’ancien humain sédentaire. Une petite goutte de sueur s’évapora discrètement dans l’air sec et tempéré que la patrouille météo maintenait sur Ponyville, et son nez ressentait la discrète odeur épicée que dégageait Rainbow en transpirant. Il avait été surpris d’apprendre que chaque type de poneys avait en réalité une odeur différente lorsqu’ils s'exerçaient ; les pégases avaient l’odeur qu’il pouvait sentir en ce moment, les poneys terrestres avaient une odeur particulière, douce, et les licornes semblaient n’avoir aucune odeur notable. Il avait été assez gêné au départ ; son odeur corporelle n’était pas particulièrement forte, mais il pensait qu’il devait avoir une odeur absolument immonde par rapport à ses nouvelles connaissances, et avait par conséquent eu tendance à se rafraîchir lorsqu’il commençait à transpirer. C’était jusqu’à ce qu’Applejack lui fasse remarquer que son odeur était similaire à une marque d’eau de cologne que son frère utilisait (« quand il se pomponnait », comme avait dit la fermière) qu’il avait réalisé qu’il sentait finalement aussi bon pour eux qu’ils sentaient bons pour lui. (Big Mac lui-même s’était montré légèrement envieux à ce sujet.) Sans se soucier de rien, il adorait la sensation d’être couché sur l’herbe, avec une légère brise soufflant et une bonne amie étendue à ses côtés.
C’était assez amusant en fait ; tenir la pégase était d’une multitude de façons presque l’opposé de tenir une femme. Elle se fichait qu’il la touche à la poitrine, mais le dos et le haut des épaules étaient considérés comme hors limites. L’endroit où les muscles de vol d’un pégase s’étiraient, tous deux sur le dos entre les ailes et le haut des épaules, formait une zone érogène facilement accessible, et celle de Rainbow était particulièrement sensible. Il lui avait coupé le souffle la première fois qu’elle s’était glissée de cette manière sur lui, lorsqu’il avait oisivement passé ses doigts le long de son dos, ce qu’il avait pensé être un geste parfaitement innocent. Il ne s’était pas attendu à ce qu’elle ait la respiration coupée ou à ce que ses ailes s’étendent ; il l’avait vue rougir lorsqu’il l’avait regardée avec un léger froncement de sourcils.
Elle lui avait donné une description rapide des pratiques sexuelles des pégases en guise d’explication. Son teint s’était approfondi et ses ailes s’étaient rigidifiées pendant son discours, et il avait réalisé qu’il valait mieux qu’il fasse très attention à certains de ses gestes qui seraient sans risque avec un autre humain, mais qui pourraient être considérés comme érotiques par Dash ou un autre pégase. Heureusement, ils étaient seuls lorsque cela était arrivé, leur épargnant un embarras certain. Il était devenu très vigilant par la suite.
Par chance, il y avait plein de façons pour Lero d’éviter ce genre de gêne. Il avait actuellement ses bras enlacés autour de son amie, son coude rehaussé au niveau de ses omoplates, et ses doigts passant oisivement à travers les couleurs les plus froides de sa crinière là où elle se répandait le long de sa colonne, un geste que Dash appréciait. Twilight l’aimait aussi, ainsi que Fluttershy, Pinkie, et Lyra, il se sentait donc relativement loin de faire quelque chose qu’il ne fallait pas. (Fluttershy avait tout de même fait remarquer qu’elle suspectait ce geste d’être un reste d’une similitude commune dans les pratiques de soins collectifs venant de leurs ancêtres respectifs, ce qui pourrait expliquer pourquoi les deux espèces trouvaient ça apaisant. Cette remarque était assez surprenante ; il n’avait pas réalisé que Fluttershy était intéressée par la théorie de l’évolution, bien que cela ait du sens. Le vocabulaire qu’elle avait utilisé était très élaboré ; elle était indubitablement plus douée et mieux éduquée que ce que la plupart des autres réalisait.) Il était convaincu que Rainbow lui dirait s’il faisait quelque chose d’inapproprié, mais une confirmation était toujours la bienvenue.
Ils restèrent étendus là de longues minutes, profitant de l’après-midi et de la compagnie de l’autre, se chamaillant gentiment pour savoir qui en avait fait le plus pour remporter leur victoire pendant le match. Ils aimaient tous les deux les joutes verbales, comme Rainbow avait été ravie de le découvrir. Elle pouvait taquiner l’humain durant une éternité sans le mettre en colère, et il avait tendance à rendre mieux que ce qu’il ne recevait. Il n’était pas aussi direct avec elle que Twilight, et il ne s’était jamais senti offensé, prenant chaque échange avec humour, elle avait donc pris l’opportunité d’aiguiser ses compétences.
La voix de Rainbow s’estompa, distraite, et Lero la regarda d’un air narquois. Elle le regarda à nouveau pendant quelques secondes d’un air étrange avec ses yeux roses, avant de se pencher et de l’embrasser.
Ce n’était pas un bisou léger sur la joue ou sur le front. Elle l’avait déjà fait, plusieurs fois, comme d’autres poneys. Mais cette fois, elle l’embrassa complètement sur la bouche, ses lèvres douces bougeant lentement alors que le baiser persistait. Aucun des deux n’utilisa sa langue, et Dash n’essaya pas d’y mettre une quelconque intensité, mais c’était le moment le plus intime qu’ils avaient partagé, de loin.
Il fallut de longues, longues secondes avant que Rainbow ne recule, regardant son ami pour mesurer sa réaction. Son attitude habituellement impétueuse était suspendue, alors qu’elle cherchait avec hésitation une réciproque à ses sentiments sur son visage. Son cœur coula comme une pierre lorsqu’elle vit la confusion dans ses yeux. Oh non ! Est-ce que j’ai mal lu en lui ? Mais... J’étais si sûre ! Je... Je pensais sincèrement qu’il était intéressé ! Oh, Celestia, j’ai tout fichu en l’air ! Tout fichu en l’air ! Rainbow se sentit mal à l’aise. J’aurais dû le savoir...
Pendant ce temps, Lero essayait de déterminer ses propres sentiments. Qu’est-ce que... Je ne savais pas qu’elle s'intéressait à moi ! Est-ce que je me trompe ? Assez dur de mal interpréter un baiser comme celui-là ! C’est une possibilité... mais je n’y crois pas. Donc... est-ce que je suis intéressé ? Il vit son visage s’assombrir et réalisa qu’elle prenait sûrement ça comme un refus. Putain, j’dois réfléchir et vite ! Donc c’est... attends, non, ce n’est pas de la zoophilie. Elle est au moins aussi intelligente que moi, et plus intelligente que beaucoup d’humains que j’ai connus. Rien que d'appeler ça de la zoophilie est une insulte à son encontre, et je la respecte bien trop pour ça. Je ne la respecte pas seulement, soyons honnête, je l’aime bien trop pour ça. Il savait que Rainbow n’était pas réellement un cheval, bien qu’elle y ressemble superficiellement. Il y avait de nombreuses différences, en plus de son intelligence certaine. (Et, pour commencer, les ailes. Aucun vertébré sur Terre n’avait de troisième paire de membres.) Sa tête et sa bouche étaient structurées de façon totalement différente, avec un museau plus court et plus fin, des yeux plus gros avec une vision stéréoscopique, une cavité cérébrale bien plus grande, et des lèvres plus proches de celles des humains que n’importe quel équidé. Même ses sabots étaient différents ; plus doux et plus flexibles que ceux d’un cheval, (comme il pouvait le sentir à cet instant précis avec son sabot antérieur posé sur sa poitrine) et une vantardise incroyable qu’aucun cheval n’aurait jamais eu. Donc, elle n’est définitivement pas un animal, mais elle n’est pas non plus humaine. Donc... je serais xénophile, c’est ça ? Suis-je un xénophile ? Il ne pensait pas l’être, mais... Attends, je ne regarde pas le problème du bon côté. Je me suis lié avec elle comme je ne m’étais jamais lié auparavant avec quelqu’un ; si elle était humaine, je serais complètement à ses pieds à cet instant. Est-ce que je vais la rejeter à cause de son apparence ? Jamais de la vie. Je hais les mecs qui font ça. Et puis, elle est plutôt jolie, à sa façon.
Incapable d’entendre les pensées traverser à toute allure l’esprit de l’humain, Rainbow Dash baissa la tête, et laissa échapper un petit bruit, le cœur brisé. L’humain sentit ses muscles se relâcher alors qu’elle s’apprêtait à se relever, et attrapa gentiment son sabot antérieur de sa main libre. « Dash, attends une seconde.
— N-nan, c’est bon. Je me suis déjà faite remballer, j’ai l’habitude », dit-elle avec difficulté. Des larmes se formaient dans ses yeux. Sœurs célestes, j’espérais tellement que cette fois serait différente. J’ai même essayé d’attendre aussi longtemps que j’ai pu, plusieurs mois, et ça n’a rien changé. Je crois que ça fait juste encore plus mal en fait.
« Dash, je ne te rejetais pas. Tu m’as surpris ; je ne me doutais absolument pas que tu étais... intéressée par moi. » Lero essayait de capter son regard, mais elle gardait la tête baissée, refusant de le regarder. Il caressa le dessous de son sabot avec son pouce. « Mon cerveau a été un peu embrouillé et ça m’a pris du temps pour que je reprenne mes esprits, c’est tout. Puis-je te demander quelque chose ?
— Tu... ne savais pas ? » Malgré ses tentatives pour l’éviter, Dash sentit une petite lueur d’espoir s’allumer dans son cœur. Allez, Rainbow, ne fais pas ça. Tu le sais très bien. Ça va juste te faire un peu plus mal quand il te citera l’habituel discours « juste amis ». Elle voulait se lever, pour mettre un peu d’espace entre eux pour que le rejet la blesse un peu moins, mais ce geste avec son pouce la retenait. C’était une petite chose, mais ça semblait curieusement intime, elle s’arrêta donc. « C-comment ne pouvais-tu pas le savoir ? Rarity et Applejack m’ont taquinées pendant des semaines à cause de mes sentiments. »
Eh, merde. Quel con. Tu aurais dû le demander à quelqu’un. « Euh... tu sais que j’ai encore un peu de mal à lire le langage corporel des poneys, hein ? » Attends, non, ce n’est pas ce qu’il faut dire, idiot. « Deux secondes, oublie ça. La vérité c’est que je suis plutôt bête. Je suis vraiment nul pour remarquer ce genre de choses, et j’ai pensé que tu me traitais juste comme un ami proche. Je n’en avais pas tellement chez moi, et je ne savais pas non plus comment vous traitiez les amis proches ici. » Il retira le bras qui était autour de son cou et essuya maladroitement quelques-unes de ses larmes.
« Non, c’est moi qui suis bête, dit-elle d’une voix étouffée, nous étions vraiment des amis proches, j’espérais juste... que nous pourrions être un petit peu plus. » Elle laissa échapper un rire étranglé. « J’ai ruiné tout ça, n’est-ce pas ? » Elle essayait de ne pas pleurer. Elle essayait vraiment de toutes ses forces. Lero commença à dire quelque chose, mais Rainbow le stoppa net : « Demande-moi ce que tu voulais savoir, puis je te laisserai seul. »
Lero resta silencieux pendant quelques secondes, la serrant fort. Finalement, il se mit à parler : « Oh, Dash, je ne voulais pas te blesser. Honnêtement. Tu n’as rien gâché. » Un autre rire étouffé. « Tu n’as rien gâché. Je voulais te demander, pourquoi moi ? Pourquoi serais-tu... sentimentalement intéressée par un étranger à l’allure surprenante ? »
Ouais, apparemment il désirait toujours de l’amitié. Elle voulait essayer, mais elle ne savait pas si elle pourrait rester avec lui après s’être faite rejeter. « Pourquoi toi ? Oh, j’sais pas, peut-être parce que ta personnalité correspond mieux à la mienne qu’aucune autre ne l’a fait ? dit-elle, amère. Peut-être parce que je n’ai jamais eu un ami aussi proche dans ma vie ? Peut-être même parce que nous nous sommes tellement amusés ensemble que je voulais te garder un peu plus auprès de moi ? Et, ouais, je suis pas censée dire ça, mais tu as de très jolis yeux et de belles fesses, même si, tu sais, tu n’es pas un poney. Je sais que c’est sexiste et tout et que je ne suis pas censée dire des trucs comme ça, et je sais que c’est hypocrite parce que je suis loin d’être agréable à regarder, mais... » Elle s’arrêta, incapable de parler à cause de la boule dans sa gorge. Des larmes coulaient, malgré ses meilleurs efforts. L’étreinte de Lero se resserra et elle déglutit, se forçant à parler à nouveau avant qu’il ne puisse répondre. « Ouais, je sais, je suis bizarre. Je me suis toujours entendue avec des espèces différentes des poneys, comme Gilda ou les buffles, donc je suppose que c’était naturel pour moi d-de tomber amoureuse d’un... » Sa voix s’estompa à nouveau, et elle éclata en sanglots. Elle plongea son visage dans sa poitrine, se maudissant pour un tel geste.
« Oh, Dash, répéta Lero, caressant doucement sa crinière. Qui a dit que tu n’étais pas agréable à regarder ? »
La question, et le ton sur lequel il le demandait, effaça cette petite lueur d’espoir, mais elle fit en sorte d’y répondre. « J’suis une chose squelettique, tape-à-l’œil, trop musclée... » murmura-t-elle dans sa poitrine.
Il la toisa précautionneusement, essayant de voir à travers les yeux d’une autre espèce. Ouais, elle était vraiment musclée, mais elle avait les muscles effilés, calibrés d’une athlète sérieuse, et elle avait réussi à ne pas travailler outre mesure une seule des parties de son corps, sa musculature était uniformément développée. Il avait toujours trouvé sa carrure frappante et impressionnante, en fait. Et c’était vrai qu’elle était plutôt fine comparée aux autres juments qu’il avait pu voir à Ponyville, tout particulièrement au niveau des hanches ; son style de vie actif lui laissait un faible taux de graisse. Oh, attends, est-ce que c’est de ça qu’elle parlait ? Peut-être qu’ils jugent les flancs comme nous jugeons les poitrines, et elle se trouve plate ?
« Je prends note de cette remarque », affirma calmement Lero. Rainbow leva le regard, les yeux rouges. Il détestait voir son amie d’ordinaire si hardie et arrogante le cœur brisé, et il se maudissait pour en être la cause. Idiot. Peut-être que tu peux toujours te rattraper. « Commençons par “squelettique”, d’accord ? Je ne pense pas que cet adjectif soit valable. » Dash commença à former une réponse, mais l’humain posa un doigt sur ses lèvres pour la faire taire. « Attends, maintenant que j’ai pas mal de choses à dire, laisse-moi parler, d’accord ? » La pégase cligna des yeux et acquiesça bêtement. « C’est un mot à connotation très négative, et cela signifie que l’individu concerné par celui-ci n’a que la peau sur les os. » Il passa un doigt le long d’un muscle de sa patte antérieure, puis lui poussa l’épaule une fois arrivé là où sa patte était rattachée à son corps. « On dirait qu’il y a beaucoup de choses entre la peau et les os, je ne pense donc pas que “squelettique” soit approprié. Disons plutôt “fine” à la place. Ça ne sonne pas aussi négatif, et j’ai une préférence pour les fines plutôt que pour les rondes. »
Rainbow rigola. « Rondes ?
— Oui. » Lero leva un sourcil. « S’ils sont assez idiots pour te traiter de squelettique, je ne pense pas que ce soit exagéré de notre part de faire de même en les traitant de rondes en retour. » Elle rigola encore. Son rire était toujours légèrement étouffé, mais il préférait bien mieux ce son que celui des sanglots. « On va donc te qualifier de “fine” à la place, et éviter d’agir comme des idiots. C’est d’accord ?
— Je... Je suppose...
— Parfait ! » Il lui fit un sourire réconfortant ainsi qu’un geste de la main, et malgré elle elle rigola à nouveau, avec plus d’aisance cette fois-ci. « D’accord, je passe mon tour pour “tape-à-l’œil” dans l’immédiat, mais j’y reviendrai, venons-en à “trop musclée” ». L’humain promena un doigt sur le côté et le flanc de la pégase, la faisant légèrement frissonner. « Désolé, mais je pense sincèrement que vous, les poneys, ne savez pas vraiment à quoi “trop musclé” ressemble. J’ai vu des humains bien trop musclés. » Il leva son bras libre, lâchant son sabot et le contracta pour faire apparaître un biceps modeste. « Tu vois ça ?
— Quoi ? Ton bras ? » Dash était assez confuse.
« Le muscle sur le haut de mon bras. » Elle acquiesça lentement, toujours confuse. La poitrine et les bras de l’humain étaient relativement musclés d’après les standards poneys, bien que pas excessifs pour un étalon. Sa poitrine et ses épaules étaient vraiment larges, même plus que celles de Big Macintosh. Elle avait été interpellée par ceci, et en avait fait un endroit de choix pour poser sa tête. Lorsqu’elle acquiesça, il baissa son bras et reprit son sabot dans sa main. Une fois encore, elle trouva le geste étrange mais curieusement rassurant.
« Imagine ça, mais en quatre ou cinq fois plus gros. » Rainbow laissa échapper un son, incrédule. L’humain prit ça comme un grand soulagement ; elle était plus proche de son état normal qu’elle ne l’avait été depuis qu’il avait eu son moment “bête comme ses pieds” et l’avait si profondément blessée. Elle s’en remettait lentement, mais au moins elle s’en remettait. Maintenant, si elle voulait bien écouter... « Je suis sérieux. Quand les humains deviennent musclés, ils peuvent devenir ridiculement énormes. Quelqu’un comme ça qui fait ma taille pourrait facilement être moitié plus lourd que moi. Le cou disparaît dans une masse de muscles, et les bras, la poitrine ainsi que les jambes deviennent si larges que cela peut même gêner leurs mouvements. Ça s’appelle le “culturisme”, et cela demande des efforts particuliers pour être pratiqué.
— Berk. Euh... tu ne comptes pas devenir comme ça, n’est-ce pas ? » Elle cligna des yeux. « C-c’est pas que ça m’importe... »
Zut, moi qui en rêvais, plaisanta Lero. « Jamais. Ce n’est pas seulement que cela requiert un régime spécifique que je ne peux pas vraiment obtenir ici (passons les détails sur la composition de ce régime. Dash n’est pas dérangée par le fait que je mange de la viande, mais quand même…), la plupart des humains ont besoin de drogues particulières pour obtenir ces effets. Sans parler du fait que je suis bien trop flemmard. » Rainbow pencha la tête vers lui, puis se tourna volontairement pour regarder l’herbe du village où ils avaient passé l’essentiel de l’heure précédente à courir tête baissée dans un match de hoofball. Il prit ce regard de la manière dont il était sûr qu’il devait le prendre. « D’occasionnels matchs de hoofball ne sont rien comparés aux efforts de mode de vie que les culturistes requièrent. Ne t’inquiète pas, je ne vais pas me transformer en un mastodonte hideux ; il est possible que je me muscle un peu plus que ça, mais guère plus. Mais ce n’est pas de moi dont il est question, n’est-ce pas ? » Dash cligna des yeux, puis baissa le regard sur son corps, un peu gênée. « Ah-ah ! s’exclama l’humain, il est temps pour moi d’arriver là où je voulais en venir ! Nous avons déjà convenu que tu étais fine ? » Elle le regarda d’un air suspect, se doutant déjà de là où il voulait en venir. « “Fine” est quelque chose d’assez rare comme “trop musclé”, n’est-ce pas ? Tu n’es certainement pas recouverte de muscles au point d’avoir du mal à bouger ; au contraire, tu es plutôt gracieuse. Disons donc “athlétique”, à la place. Maintenant concernant “tape-à-l’œil”. Il est vrai que tu es plutôt voyante avec toutes ces couleurs, dit-il en passant à nouveau ses doigts à travers sa crinière, mais ce n’est pas vraiment choquant, et pour ma part je trouve ça assez joli. Je pense que quiconque t’a appelée “tape-à-l’œil” était unicolore et jaloux. Donc, une fois de plus évitons d’être des idiots en appelant quelqu’un d’autre “unicolore”. » Il lui fit un clin d’œil exagéré, et elle gloussa malgré elle. « Disons que tu es “colorée” à la place. Et enfin, il y a “bizarre”. Je n’aime vraiment pas ce mot. C’est juste une manière désagréable de dire “inhabituel”. Ce que tu es ! » Elle commençait à avoir l’air abattue, mais il continua sur sa lancée. « Toutes tes amies le sont ! Et c’est super ! Vous vous démarquez des autres ! C’est une chose que j’ai toujours admirée chez vous. Alors ! dit-il d’un air théâtral, au lieu d’une “chose squelettique, tape-à-l’œil et trop musclée”, nous avons quelqu’un qui est “fin, athlétique, coloré et inhabituel.” Je préfère largement ça, pas toi ? »
Dash lui adressa un sourire chaleureux. « Ouais, moi aussi. Merci, Lero. » Elle se sentit à présent moins vide, bien que la douleur soit toujours présente et que ses yeux soient toujours humides. Punaise, maintenant je n’arriverai jamais à me remettre de mes sentiments. Si seulement j’avais un peu plus attendu, ou si je lui en avais parlé... au moins nous pouvons rester amis. « Je crois que c’est la plus aimable des façons avec laquelle on m’ait rejetée. Tu es un type bien.
— Te rejeter... punaise, tu es têtue. » La pégase cligna des yeux, cette petite, toute petite lueur d’espoir se ralluma à nouveau. « Eh bien, des gestes valent mieux que des mots, surtout pour toi » Il lui fit un clin d’œil. « Je pense qu’il est temps de passer au plan B. »
Rainbow sentit le bras autour de son cou se déplacer, et elle pensa un instant qu’il la laissait s’en aller, bien qu’elle veuille rester là où elle était. Elle fut surprise de sentir sa main sur sa nuque, amenant doucement sa tête vers la sienne. « Quel plan- », essaya-t-elle de dire avant que Lero ne l’interrompe en se penchant et en lui retournant son baiser précédent.
Maintenant, c’était à son tour de se contracter sous l’effet de surprise ; ses yeux roses s’écarquillèrent et ses ailes bougèrent lorsqu’elle sentit ses lèvres se frotter contre les siennes. Qu’est ce que... Elle se remémora la conversation qu’ils venaient d’avoir, et elle réalisa enfin. Je l’ai vraiment surpris ! Il ne faisait pas que le dire ! La petite lueur qu’elle avait essayée de retenir s’enflamma, se transformant en un incendie qui envahit sa poitrine vide. Il ne faisait pas que le dire !
Le cœur de Dash s’affola lorsqu’elle sentit le bout de la langue de Lero frotter contre ses lèvres. Elle les ouvrit, mêlant sa langue avec la sienne, les faisant doucement danser. Elle avait embrassé un seul étalon comme ça avant, une expérience qui avait été ruinée lorsqu’elle avait découvert qu’il avait fait ça uniquement car il avait perdu un pari. Cette fois était tellement, tellement différente, et elle sentait des larmes se former dans ses yeux qui n’avaient rien à voir avec de la tristesse.
Ses ailes s’étendirent à mesure que le baiser persistait, qu’elle glissait sa langue contre la sienne et dans sa bouche. C’était différent, aussi ; la langue de Lero était plus courte et plus large que la sienne, et il n’était pas vraiment capable de faire comme elle, se contentant plutôt de caresser sa langue pendant qu’elle passait la sienne le long de ses dents. Autant de différences à ce sujet, ses dents avant étaient plus petites que celles qu’elle avait senties pour la dernière fois, et elle pouvait deviner de petites dentelures, semblable à une scie miniature, qui n’étaient pas présentes sur celles de l’étalon. À côté de celles-ci se trouvaient des dents pointues, et elle était sûre qu’il y faisait attention pour ne pas la mordre par accident. Après celles-ci se trouvaient d’autres dents pointues dont elle était persuadée qu’elles pouvaient se toucher lorsque sa mâchoire était fermée. Elle savait qu’il avait des dents plates tout comme elle, mais elle n’arrivait pas à les trouver ; elles devaient être plus loin dans sa bouche. Ils avaient parlé du fait que leurs régimes alimentaires différents influaient sur leurs dentitions, mais cette impression était très importante à ses yeux. Il était vraiment différent, et elle trouvait ça excitant.
Plutôt que d’essayer d’aller plus loin, elle s’attarda sur les pics délicats de ses canines. Cette sensation pointue donnait une impression de danger à ce délicieux baiser, bien qu’elle sache que ce n’était qu’une illusion. Illusion ou pas, cette sensation était stimulante, et elle sentait ses ailes s’élargir un peu plus alors qu’elle accentuait son étreinte sur son corps d’une façon qu’elle n’aurait normalement pas pu faire avec un étalon. Cette proximité supplémentaire ne faisait qu’ajouter du piment à cette étrange expérience. Sa respiration s’était accélérée, tout comme celle de l’humain, et elle sentit une légère vibration agréable lorsque leurs respirations se mélangèrent dans leurs bouches.
Cela ne pouvait pas durer éternellement, bien que cela ait semblé possible quelques instants. Ils brisèrent finalement le contact, se séparant l’un de l’autre, respirant rapidement. Les yeux roses de Rainbow étaient rayonnants de joie et brillaient de larmes accumulées, alors que les yeux noisettes de Lero étaient légèrement pétillants.
« Mmh... dit-il finalement, abasourdi, waw. C’était intense. »
Dash rigola difficilement, un large sourire sur son visage. « C’était incroyable.
— Ouais, répondit-il, un sourire se dessinant sur son visage malgré lui. Je ne vais pas pinailler. Je voudrais savoir, est-ce que ce truc avec les dents est une chose normale pour vous ? »
La pégase commençait à s’inquiéter mais l’expression de Lero la rassura. Déjà que son cœur n’avait pas vraiment ralenti sa cadence, ce fut fort heureusement de courte durée. « Ouais, c’est assez normal pour un baiser tel que celui-ci.
— Ah. Ce n’est pas que je me plaigne, ajouta-t-il rapidement, parce que ce n’est, mais alors, pas du tout le cas. »
Elle rigola à nouveau de bon cœur. « Pff. On dirait une jument qui a peur d’avoir vexé son étalon. »
Il eut un air confus pendant un instant, puis se ressaisit. « Nous devons absolument faire ça plus souvent. »
Rainbow acquiesça vigoureusement. Elle ne se rappelait pas s’être déjà sentie aussi heureuse ; elle était un peu surprise que son cœur n’ait pas encore éclaté ou quelque chose comme ça. « Mmh... nous pourrions le refaire tout de suite. Si tu n’as rien contre bien sûr.
— Ça me plaît bien comme idée. » Tous deux sourirent, en se regardant dans les yeux.
Cette journée s’était révélée être une bonne journée.
[1] « In Soviet Russia » (en Russie soviétique) est une formule anglophone permettant d’introduire une phrase courte, visant à montrer que quelque chose va à l’encontre de ce qui serait logique. L’exemple dans ce texte serait donc : « En Russie soviétique, les chevaux vous montent. »
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Je garde la suite de côté pour plus tard. Je suis sûr que tout ça va me plaire.