Nuit noire

Il devait être aux alentours de minuit quand JellyJam sortit de chez Little Star pour rentrer chez lui.

Il avait encore échoué.

Leur troisième rendez-vous, et il n'avait toujours pas réussi à lui dire. Il s'était pourtant persuadé que cette fois serait la bonne, il s'était même parié à lui-même son repas du midi.

Mais, encore une fois, il s'était dégonflé.

Encore une fois, ils avaient passé leur soirée à manger timidement leur repas, en ne se parlant qu'en phrases courtes et vagues, avant qu'il ne reparte à son appartement juste après le dessert. Pourtant il avait cru qu'elle allait passer le pas à sa place quand elle l'avait hélé sur le palier, mais c'était juste pour lui dire de faire attention sur son chemin. Faire attention à quoi ? Les souris ?

Tant pis, la prochaine fois serait la bonne.

La nuit était claire, il n'y avait pas un nuage dans le ciel. La lune baignait les ruelles de Canterlot de sa calme lumière, comme si elle voulait le réconforter. Mais il n'en voulait pas. Il voulait se punir pour sa couardise.

Cependant, alors qu'il arrivait à un carrefour, il fut tiré de ses pensées par des pleurs venant d'une rue adjacente.

Intrigué, l'étalon alla en direction du bruit, et découvrit que les pleurs étaient ceux d'un poulain.

C'était un terrestre au pelage gris souris, à la crinière châtain et portant un pull-over jaune. Il n'avait pas de Cutie Mark, et lui tournait le dos tout en sanglotant en se tenant le visage dans les sabots.

« Qu'est-ce que tu fais là, petit ? lui demanda l'étalon. Comment se fait-il que tu es seul à une heure aussi tardive ? Où sont tes parents ? »

Le garçon, l'ayant remarqué, s'était arrêté de pleurer un court instant, avant de reprendre en lui répondant :

« Parents ?

- Oui, tu as bien des parents, où sont-ils ?

- Je ne sais pas, j'ai trop peur, les monstres me poursuivent ! »

Le pauvre petit était visiblement en état de choc. Il avait dû se perdre et était traumatisé, interprétant chaque bruit comme ceux des "monstres". Le mieux était de l'emmener auprès des gardes royaux pour qu'ils s'occupent de lui pour la nuit et qu'il le rapportent le lendemain à ses parents. Après tout, c'était leur travail de veiller sur la population, ou de protéger les poulains perdus des "monstres".

« Ne t'inquiète pas, petit gars, viens avec moi, on va voir la garde et il s'occuperont de toi pour que les monstres ne t'attaquent pas. Comment tu t'appelles ?

- Je ne sais plus, j'ai peur, il fait si noir ! »

Visiblement, ça allait être plus compliqué que prévu. Le poulain avait l'air trop terrifié pour bouger.

« Mais non voyons, regarde : le ciel est clair, et Luna veille sur nous et nous protège grâce à la lune. Viens, on trouvera sûrement une patrouille qui t'amènera à la caserne où tu pourras sûrement manger quelque chose, si tu as faim. »

L'enfant s'arrêta de pleurer. C'était un bon début.

« C'est vrai, j'ai faim. »

Le poulain se leva et se retourna pour faire face à JellyJam.

Ce dernier se pétrifia.

L'enfant... n'en était pas un. Il était de la pâleur d'un mort, et sa bouche avait été remplacé par un trou de la largeur du sabot de Jelly. L'intérieur était contouré par des dents de tailles et de formes différentes, certaines ressemblant à des pics montagneux pendant que d'autres étaient comme des petits rocs usés par le temps. Elles étaient toutes espacées, comme si la chose en avait perdues de nombreuses au cours de ses différents repas. Toute la peau depuis les joues jusqu'au-dessus du museau avait été retirée, laissant apparaître la chair, les cartilages et les os. Mais le pire chez la créature était ses yeux : ils étaient exorbités, et tout l'intérieur était d'un noir monochrome, sans nuance, les faisant paraître vides, et dont on ne pouvait distinguer comme pseudo-pupilles que deux petits cercles pourpre très foncés. C'était ironique qu'une telle chose ait pu dire quelques instants plus tôt qu'elle avait peur des monstres.

JellyJam tenta de crier.

Aucun son ne sortit de sa bouche.

Il tenta de s'enfuir, de courir au loin, de trouver une patrouille et des les prévenir que "quelque chose" rôdait dans les parages, et qu'il fallait à tout prix s'en débarrasser ! Mais il n'y arrivait pas. Il était incapable d'effectuer le moindre mouvement, son regard ne pouvait se détacher de celui de l'horreur qui lui faisait face. De toute manière, c'était inutile. Même s'il arrivait à s'échapper et à trouver des gardes, il n'aurait aucune preuve que ce qu'il racontait n'était pas une hallucination ou on le prendrait pour un fou, auquel cas ça lui vaudrait un allez-simple à l'hôpital psychiatrique. Si le monstre ne le retrouvait pas d'ici là...

Après un moment qui lui parut infini, JellyJam s'aperçut que le poulain possédait maintenant une Cutie Mark. C'était une palette de peinture avec un pinceau, ce qui représentait un talent pour la peinture, justement. Il le savait car c'était la sienne.

L'horreur, ayant l'air de reprendre du mouvement, parut soudain faire la même taille que JellyJam. Il baissa les yeux un court instant, semblant examiner l'étalon, avant de dire : « Tu me donnes très faim. »

Puis, le trou qui lui servait de bouche grandit, jusqu'à faire la moitié de la taille de Jelly. Ce dernier put voir que l'intérieur du trou était comme un vortex sombre, semblant prêt à aspirer tout ce qui se trouvait aux alentours. Ce qui le comprenait.

L'étalon repensa à son rendez-vous d'il y a moins d'une heure. Il lui semblait bien loin. Et dire que s'il avait pu dire à Little Star qu'il l'aimait, il serait peut-être avec elle, en ce moment, à la serrer tendrement, pendant qu'elle dormirait paisiblement sur lui...

Et tout ça parce qu'il s'était dégonflé ! Quelle ironie...

Mais c'est bon. C'était la fin. Il le savait.

Il ferma les yeux, et, avant de se laisser emporter, il réussit à parler. Une dernière fois. « Il fait si noir... »

***

Il était midi quand Little Star arriva devant la porte de l'immeuble de JellyJam. Elle était passée dans son atelier, mais la porte était fermée à clé, ce qui signifiait qu'il n'était pas venu se matin. Elle s'était sentie tellement idiote de ne pas avoir osé lui dire la vraie raison de leur dernier rendez-vous ne serait-ce que pendant le repas qu'elle tenait à réparer cette erreur dès maintenant.

Elle entra dans l'immeuble, et, voyant que l'ascenseur était toujours en panne, elle se résolut à prendre les escaliers.

Little Star n'aimait pas ces escaliers. Ils étaient étroits, et aucune lampe n'y étant installée, il y faisait toujours très sombre, la lumière ne venant que des fenêtres aux volets toujours quasiment clos.

Mais alors qu'elle était en train d'arriver au premier étage, elle vit sur le palier de la porte menant aux différents appartements de l'étage un poulain en train de pleurer. Étonnée de voir un enfant seul à cet endroit, elle lui demanda :

« Qu'est-ce qu'il y a, mon petit ? Pourquoi es-tu ici tout seul ? Et où sont tes parents ?

- Parents ? »