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Sanctuaire

Une fiction écrite par Hérode.

Sanctuaire

J'étais sur le point de partir du Sanctuaire de Nombreux Galops lorsque je faillis rentrer dans un poney habillé avec une sorte de toge. Étant dans un lieu saint je grommelai un juron tout en m'éloignant, jusqu'à ce que je remette un nom sur le visage que j'avais vu.

« Corne Grise ! »

Il se retourna sur-le-champ. Ce sacré Corne Grise avait fini prêtre, j'en reviens toujours pas.

« C'est moi, Flamme Sacrée ! Mais qu'est-ce que tu fais avec ça sur le dos ? Tu l'as pas chipé j'espère ?

- Ça se voit pas non ? Je travaille ! répondit-il s'imprégnant de ma désinvolture.

Il me raconta alors comment il avait quitté le Service de ses Majestés pour rejoindre les Ordres, ce qui n'était pas très dépaysant. De mon côté j'avais pris moi aussi ma retraite et j'avais pris mes aises dans une compagnie nationale de transport. On riait l'un de l'autre prétextant avoir une vie si meilleure, on rivalisait encore une fois de mensonges pour se prouver le contraire, jusqu'à ce que nos poumons ne suivent plus.

À la recherche d'une autre énormité je me remémorai mon bref passage dans la compagnie d'Inquisition de la garde royale, donnant un coup d'épaule à Corne Grise je lui fis mine de lui raconter un secret en l'entraînant dans un coin, avant de revenir sur mes pas.

« Allez, arrête de me raconter des histoires ! s’essouffla-t-il à dire à travers sa crise de rire.

- Juré ! » clamai-je en me frappant la poitrine.

Pourtant il n'en était rien, j'eus grand peine à le convaincre que je ne le prenais pas pour une motte avant d'enfin pouvoir raconter mon aventure et qu'il m'écoute. On entendit alors parler d'un groupe de croyants dissidents, soi-disant plaçant leur destin dans la Science, le Poney et le Travail plutôt qu'aux Sœurs Princesses, qui se faisaient appeler les réformistes.

On a d'abord bien ri avec le capitaine Forêt de l'Est, un vétéran de l'invasion Changelin, quand ce borgne nous a annoncé ça, puis il nous a dit qu'ils seraient au moins quatre mille déviants, du coup ça nous la mettait mal de partir pour la reconversion de quatre mille pauvres idiots, surtout à Crinièrehatten, la ville par excellence où les poneys se fichent de qui lève le soleil ou la lune, du moment que leurs affaires marchent.

On a alors opté pour une expédition réduite à quelques dizaines d'Inquisiteurs plutôt que toute la garde plus tous les réservistes. Les temps sont durs oui, oui. Enfin la Célestia d'antan n'aurait pas hésité à purger par le feu solaire les hérétiques, comme elle l'avait fait à de nombreuses reprises comme le racontent les ouvrages historiques. Peut-être qu'elle se préoccupe enfin de son image, et puis cette histoire avec sa sœur a dû vraiment la changer. Enfin je vais pas me plaindre.

On arriva sur place deux semaines plus tard, juste assez pour se préparer. On nous avait indiqué un débit de boisson où dit-on ces petits sacripants se réunissent tous les lundis qui suivent les dimanches de course des pégases. Un lundi quoi. Ces poneys travaillent pas dans les champs toute la journée, ça c'est sûr !

Ce fameux lundi donc, je m'étais installé avec mon camarade Pot de Chanvre au fond du café des deux pêcheurs. On attendit pas très longtemps avant de voir pointer une sorte d'aristocrate avec un chapeau ridicule à bande bleue, suivi de son bon ami le strabique, même qu'on a dû se retenir de rire avec Chanvre à cause de ce rigolo et de son couvre-chef farfelu.

J'ai juste eu le temps de me racler la gorge derrière mon édition du soir du Poney Bavard, que j'ai trouvé par miracle chez un marchand de journaux sur le chemin. Chanvre quant à lui il hésitait pas à s'éventer avec Nouvel Equestria et puis paye le dernier numéro de Juments dépassant volontairement de sa sacoche au sol. C'était un sacré rigolo dans son genre aussi.

Nos deux lascars entamèrent donc une discussion sur les bienfaits du train à vapeur, de comment il permet aux poneys de se rapprocher les uns des autres, et surtout de comment il permet d'expédier une cargaison de foin en trois fois moins de temps qu'une carriole à l'autre bout du pays.

Enfin ce qu'ils calculaient pas les pauvres, c'est que c'est seulement les citadins qui en profitent, puisque le fin fond de la campagne d'Equestria n'a pas de voie de chemin de fer, donc ton rapprochement des poneys et puis tes marchandises, le prochain arrêt c'est mes fesses. J'allais m'emporter rien qu'à l'écouter, le pire c'est que ça semblait pas choquer les autres clients de subir, oui subir autant de pédanterie à la seconde.

Merci Célestia il existe encore des poneys patients de nos jours. Moi je venais vraiment à court. Et puis cette troisième lecture de mon journal m'avait bien crevé. Aussi après avoir descendu mon jus de pomme, je suis allé m'expliquer avec ce fanfaron.

« Bien le bonsoir mon bon monsieur, j'ai pas pu m'empêcher de remarquer à quel point vous êtes con. »

Ça j'aurais tellement aimé lui dire. Mais je lui ai plutôt demandé d'où lui venaient toutes ses réflexions, je lui ai dit être intéressé par sa personne et ses idées. On a donc lancé un pseudo-débat sur le dur travail de nos paysans dans leur terre qui nous procure nourriture et matières premières, j'ai d'ailleurs réussi à caser la blague sur le chanvre, le concerné a même failli mettre toute l'opération en l'air avec son rire de griffon malade.

C'est l'adresse d'une ancienne chapelle que j'obtins au bout de durs efforts, adresse de leurs petites réunions, où ils échangeaient encore plus d'idées délirantes. J'ai d'ailleurs perdu plusieurs fois la bataille. Ces bougres sont trop nombreux pour que j'arrive à avoir raison, du moins pour eux. Les cons sont vraiment coriaces quand ils sont nombreux. J'essayais tant bien que mal de les remettre dans le droit chemin de la Justice à coup de prière au soleil habilement déguisées.

J'avais presque pitié pour eux. Oui, quand j'ai réussi à introduire Chanvre sous le nom de Soie et le capitaine, lui sous le nom de Colline du Levant. Et j'ai donc pris en pitié ces impudents lorsqu'il est entré dans le groupe de discussion. J'ai peut-être du tenant mais il est impossible de battre le capitaine en matière de logique.

Chaque lundi il fracassait du réformiste à la pelle. Son œil crevé amenait chaque fois plus de monde, si bien qu'on avait fini par louer une brasserie avec un sous-sol tout à fait confortable pour nos réunions. Le capitaine avait réussi à tous les détourner de leurs absurdités en les revisitant à sa manière, en les admettant mince. Si le procédé est discutable le résultat est là.

On avait récupéré la moitié des réformistes de la ville. Acclamant le capitaine et ses discours. Il avait basé son raisonnement sur une chose simple, le cycle du jour et de la nuit offert par les princesses depuis toujours. À partir de là il avait repris le raisonnement de ces pigeons à chapelier. Si le train était une fort belle invention, comment fonctionnait-il ? Avec les horaires. Et d'où viennent les horaires ? Du temps, mais pas avant tout du lever du soleil et de celui de la lune ?

Voilà, aussi simple que ça. Il basait le tout sur le temps : l'inventeur, ne parvenait-il à quelque chose après avoir cherché jour et nuit ? Le paysan lui aussi marche au soleil, à sa levée il fait de même et va labourer son champ. Comment fait-il pour les semences ? Il utilise les phases de la lune ! Le capitaine eut ainsi raison de toutes les idées réformistes, et ça en un temps record.

Vint le jour où le Saint Père entra dans la brasserie. Sabots d'Hiver en personne, celui que se disait être à la tête des réformistes. Et pas pour rien, il a littéralement balayé l'argumentaire du capitaine, et il ne l'a certainement pas fait avec son haut-de-forme. Il a d'abord remis en cause le pouvoir des Princesses elles-mêmes avant de poursuivre sur les conséquences sur le point de vue du capitaine.

En poney encore plus impatient que moi, il a grogné en face de Sabots avant de gagner vivement la sortie. C'est là qu'on s'est rendu compte que tous les poneys qui venaient n'étaient pas là pour les idées mais pour le débat, puisqu'ils ont tous ont acclamé sans exception le nouveau roi du débat. On a bien tenté avec Chanvre, Lierre et les autres Inquisiteurs au grand complet, mais à chaque fois il nous enfonçait encore plus, du coup on est partis tôt, et surtout chacun notre tour pour les apparences, moi ça me vrillait si fort les oreilles d'entendre et de voir ça.

Une véritable décapitation ce soir-là, on croyait être venus à bout du travail et on allait rentrer à Nombreux-Galops la bouche en cœur et pourquoi pas avec des juments sous le charme de notre idéologie, prêtes à tout pour accomplir la volonté des princesses. Non franchement c'était une belle plaie. Du genre qui sur-infecte.

On a même envisagé de plier bagage et de laisser place aux professionnels de la Justice Divine armés de la sacro-sainte lance dans ta gorge et voilà t'es purifié. Au bout du septième jour Célestia merci sa lettre avait fait mouche. Elle avait réussi à convaincre le capitaine de reprendre le combat, et ça seulement au bout d'une semaine de lettres, soit environ cent vingt-six. On saluera au passage le pégase commis à la distribution du courrier royal. En comparaison cette petite jument violette à Villeponey a bien de la chance.

Il fallut cependant attendre le bon lundi pour mettre à l'épreuve Sabots d'Hiver et son astronomie qui-ne-se-trompe-jamais etc., et enfin lui fermer le clapet à lui et à tous ses fidèles idiots. Oh les vacances que j'ai pris après ça, je les ai pas encore oubliées, malheureusement ces abrutis sont aussi restés. Comme quoi…

Le soir même, on avait constaté avec horreur que ce que racontaient les collègues restés fidèles aux réunions était vrai. Le nombre de réguliers avait explosé, atteignant selon les dires dix mille ou treize mille, la moitié de la ville avait basculé dans ce tourment des âmes qu'est le réformisme. Heureusement le capitaine se dressa face à son rival.

Il prophétisa tel le dernier des illuminés la preuve de la véracité de ses dires et la fin de ce mouvement ridicule et vain, et ceci pas plus tard que le lendemain soir. Tout le monde était sous le choc, même nous pauvres cons Inquisiteurs, notre couverture bien taillée par les mites était tombée, heureusement on avait suivi le capitaine partant la tête haute avant de recevoir des chopes de cidre sur la tête.

La ville se réveilla sous une tension bien vive. Le coup de poker de la veille nous avait plutôt mis en difficulté. Toute la nuit on avait abandonné planque sur planque pour échapper à la rafle. Cet idiot de Chanvre avait dû se faire suivre par une jument publique travaillant pour l'ennemi. Si bien que notre joie dépassa de peu notre surprise de voir les rues de Crinièrehatten envahie de gardes royaux au matin. Pourtant aucun pégase n'était parti chargé d'écrits royaux.

« Je ne vous l'avais pas dit ? Ce sont les princesses elles-mêmes qui vont me donner raison ce soir »

Oui, sympa de prévenir capitaine. On s'est fait un sang d'encre pendant toute une nuit mais sinon tout va bien. Attends mais les Princesses ? Les DEUX Princesses ici à Crinièrehatten ? Ça nous dépassait tellement fort cette histoire. Il restait plus qu'à espérer que ça marche et qu'on ait pas à purger la ville comme la souveraine avait coutume de le faire, enfin s'il fallait en venir là. Mais quand même, on osait y croire.

C'est donc une princesse Célestia souriante et une princesse Luna un peu réservée comme à leurs habitudes qui vinrent en ville ce soir-là afin de mettre un terme à la peste des réformistes, d'une manière ou d'une autre. C'était certain que les fidèles ne seraient plus si nombreux que ça demain même si ces Majestés ne faisaient rien.

En effet peu d'entre eux se présentèrent pour voir la démonstration des Sœurs, enfin il est plus logique de penser qu'ils ne sont pas venus par dédain, plus enclins à secouer les idées réformistes dans leur coin plutôt que de voir les deux Créatrices se donner en spectacle devant tous les poneys. Quel bonheur de voir que Sabots d'Hiver s'était pointé, lui et sa face de sceptique bien fourré dans ses mensonges.

La princesse Luna commença par agiter un immense rond noir en bois.

« Citoyen Sabots d'Hiver, savez-vous ce que c'est ?

- Bien sûr, c'est un grand disque noir !

- Erreur, c'est une éclipse. »

Et en un battement de cil, les deux princesses déployèrent leurs ailes, sans doute pour le style, et mirent en place une éclipse au zénith, alors que le soleil était sur le point de se coucher.

« Et cela citoyen, savez-vous ce que c'est ?

- Eh bien c'est une éclipse !

- Erreur, c'est la preuve de votre ignorance ! »

À ces mots les deux princesses pointèrent leurs cornes sur Sabots et le bannirent par-delà les frontières de la magie des Alicornes, ou pire. Tous les poneys étaient sous le choc. Elles s'envolèrent une fois leur œuvre bien contemplée, remettant les astres à leur place tout en volant, par défi.

Depuis ce jour Crinièrehatten ne connaît plus de troubles de foi, même si la ville reste connue en tant que capitale de l'indifférence. Au moins le foyer d'insurrection était nettoyé, c'était l'essentiel. On était des Inquisiteurs, pas des Missionnaires.

Ici s'achève mon histoire, et commence l'interminable rire de Corne Grise, emplissant les voûtes du sanctuaire et manquant de nous faire jeter dehors, malgré la position de ce dernier. On se quitta sur cette phrase de lui que je trouve magnifique :

« Si les princesses ont vraiment fait ça je ne cesserai jamais de croire en Elles. »



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