Ponyville était si calme, endormie, silencieuse, sous le manteau protecteur de la nuit. La clarté lunaire, douce et froide, illuminait de façon surnaturelle sa robe blanche immaculée tandis qu’elle s’efforçait de respecter la quiétude et le sommeil des siens.
La nuit était un peu fraîche, et les étoiles semblaient n’en scintiller que plus fort. Leur splendeur, sur un noir de velours, lui faisait immanquablement penser à une étoffe merveilleuse avec lequel elle pourrait confectionner des robes haut de gamme qui pareraient des personnalités célèbres.
Cette nuit était un puits d’inspiration dont elle se ressourçait, le museau levé vers l’abîme de ténèbres et de lumières. Cette nuit, les idées qui lui faisaient tant défaut en ces journées d’été étouffantes lui venaient avec une facilité déconcertante, presque grisante. Cette nuit pourtant, elle n’aurait pas dû sortir.
Comme dans un état second, elle sentait une appréhension germer en elle sans en connaître la cause. Mais la jument n’avait pas envie de rentrer dans sa douillette boutique. Non, elle devait aller un peu plus loin, se dégourdir les jambes à l’orée du village. Respirer, c’était cela.
La réponse, elle la trouva sur un chemin de terre sous la forme d’une petite poupée de chiffon. Au moment où elle tomba dessus, son angoisse ralentit dangereusement et Rarity fit léviter le bout de tissu à son niveau. Il était vulgaire, sans intérêt particulier, mais une lueur dans son regard – une lueur qui perçait le noir de la nuit – captura l’attention de la ponette : il semblait vivant.
Ses yeux, bien au-delà des simples boutons dont ils paraissaient être faits, renfermaient une vitalité impressionnante, hypnotique, dérangeante. Plus elle regardait ce signe de vie, plus elle se sentait attirée, aspirée, et bien vite ses propres yeux commencèrent à chauffer et luire du même éclat que ceux de la poupée.
Au fil des secondes, le phénomène s’intensifia et finit par aveugler Rarity qui tomba à terre, inconsciente.
*****
« Excusez-moi ? Vous allez bien ? »
La jument se releva difficilement, un léger bourdonnement dans la tête, et un inconnu devant elle, le regard inquiet. Un peu perdue, elle regarda autour d’elle pour se remémorer l’incident, mais la poupée avait disparu et seul le souvenir de son étrange radiation persistait. De plus, Rarity commençait à avoir envie de vomir, il fallait rentrer. Alors elle se précipita chez elle, l’estomac agité, une migraine grandissante plaquée derrière les yeux. Elle courut comme si ses jambes pouvaient la faire s’envoler alors même que sa tête n’aspirait qu’à se laisser choir sur le sol et y rester.
*****
Au Carousel Boutique, Sweetie Belle vit passer une Rarity en furie qui laissa derrière elle la porte grande ouverte et se réfugia en quatrième vitesse dans sa chambre.
Un peu inquiète, elle referma doucement la porte avant d’aller voir sa grande sœur à l’étage.
« Rarity ? J’entre. »
Sans attendre de réponse, la petite jeta précautionneusement un œil par la porte. La jument était sur son lit, oreilles rabattues, les membres avant sur la tête. Il devait s’être passé quelque chose cette nuit.
« Rarity ? Qu’est-ce qui ne va pas ? »
Lentement, la styliste se tourna vers elle. Elle faisait peur.
*****
Chez elle, dans son lit, enfin. Et cette satanée douleur qui ne partait pas ! Elle avait l’impression d’avoir une aiguille qui lui chatouillait les yeux, et bon sang que ça faisait mal? ! Pour finir, elle avait réussi à inquiéter Sweetie Belle qui la regardait bizarrement. Il fallait dire qu’après avoir passé la nuit dehors, elle devait être affreuse à voir. Elle se força à sourire.
« Tout vas bien, Sweetie, je suis juste un peu fatiguée. Ça devrait aller mieux une fois que j’aurai pris un antalgique. Ok ?
— Ok mais… tes yeux sont bizarres, tu m’inquiètes un peu.
— Voyons Sweetie, puisque je te dis que ça passera vite ! »
En grommelant, la petite licorne se retira, l’air pas très convaincu.
Ok, Rarity, reprends-toi, ça ne te ressemble pas d’agir de la sorte. Après s’être mentalement sermonnée, elle se leva difficilement pour boire un peu d’eau. Passant devant son miroir, elle en profita pour s’arranger un peu et l’inquiétude de Sweetie Belle prit tout son sens : ses crins étaient certes un peu en pagaille mais le plus hors-norme était le fait que ses yeux semblaient les hôtes d’un couple de vers luisants. En effet, ils n’étaient pas simplement brillants, ils irradiaient une douce lumière blanche qui, à force de la regarder, apaisa Rarity.
Après s’être calmée de la sorte quelques minutes, la créatrice, soulagée de ses nausées mais le regard encore plus troublant qu’avant, décida qu’il était temps de se mettre au travail.
Sa sœur partie avec ses amies, elle pouvait travailler au calme, malgré une vision un peu trouble.
*****
« Salut Rarity ! J’viens t’apporter nos pommes en trop, s’tu les veux, t’gênes surtout pas ! Oh Celestia, tout va bien, sucre d’orge ? »
Posant ses sacs de pommes à l’entrée, Applejack s’approcha d’une Rarity survoltée qui, crinière en pétard, cousait fébrilement des robes aux allures burlesques, mêlant des écailles répugnantes à des plumes au toucher incomparable ou encore des satins délicatement incrustés de pierreries à de la vulgaire toile de jute. Le résultat était immonde mais le pire restait certainement l’expression de satisfaction sur le museau de son amie qui tourna vers elle des yeux phosphorescents.
« Oh ! Bonjour, Applejack. Tu tombes bien. J’ai eu une soudaine inspiration et j’aimerais savoir ce que tu penses de mes nouvelles tenues.
— Oh, euh, elles sont très, euh… spéciales.
— Spéciales comment ? Elles ne sont pas jolies ? »
Pour le coup, la fermière se sentait vraiment mal. Elle ne voulait pas vexer son amie mais comment celle-ci avait pu ne pas voir le désastre qu’elle créait ? Quelque chose clochait, vraiment.
« Sucre d’orge, je crois que tu as besoin de repos, ces robes ne sont pas portables, voyons. Même moi je ferais mieux. »
Elle avait pris la voix la plus douce possible mais l’incrédulité sur le visage de l’artiste montrait que ce n’était pas suffisant.
« Voyons Applejack, tu dois te tromper. Je ne dis pas qu’elles sont parfaites mais comment peux-tu dire une chose pareille ?
— Rarity, tu devrais vraiment faire une pause…
— Pourquoi faire ? Je me sens très bien.
— J’crois quand même…
— S’il te plaît, ne t’y mets pas toi aussi ! »
Encore cette impression qu’on lui picorait le crâne… Ses yeux commençaient à lui brûler la rétine même en les fermant. Deux marques blanches apparaissaient dans son champ de vision, lui masquant partiellement la jument blonde. Du sabot, elle tenta de les faire partir, mais elles changèrent de forme et persistèrent, comme si elles la narguaient. Et Applejack qui la regardait avec la même inquiétude que Sweetie Belle…
« Comment ça, “toi aussi” ? Rarity, depuis quand est-ce que tu te sens mal ?
— Mais puisque je te dis que tout va bien ! Et pourquoi est-ce que tu bouges autant ?
— …
— … Quoi ? »
La fermière – qu’elle voyait très mal – s’approcha lentement d’elle, l’expression angoissée.
« Rarity, tes yeux brillent. Réponds-moi maintenant , qu’est-ce qui t’est arrivé ?
— Mais... rien du tout ! Arrête un peu avec ça. Tout… tout va bien je te dis. »
La tête lui tournait, mais la question d’Applejack la préoccupait encore plus. Ses souvenirs de la nuit dernière étaient on ne peut plus flous, et elle n’arrivait à se remémorer qu’une étrange lumière aveuglante.
Faisant un pas en arrière, elle trébucha en tentant de rétablir l’équilibre qui lui faisait défaut. Un épais voile blanc recouvrait tout tel un brouillard automnal. Elle entendit seulement son amie dire qu’elle allait chercher quelqu’un et sortir. Elle ne pouvait pas rester là, il fallait qu’elle sache pourquoi elle se sentait si mal à nouveau.
*****
Le voile avait disparu, mais presque toutes les couleurs avaient suivi. Elle ne distinguait plus que le vert et voyait le reste en noir et blanc. La douleur dans sa tête, juste derrière ses yeux, tambourinait à présent. Juste, si elle pouvait juste trouver comment la chasser…
Le monde semblait ne plus tourner rond. Elle regardait sans comprendre les gens aller au ralenti ou en accéléré, certains à l’envers ou mangeant des lapins. Gens qui eux-mêmes la fixaient d’un drôle de regard.
*****
Dans Ponyville, la si distinguée Rarity se promenait dans un état qu’elle aurait dû juger indécent, se cognant fréquemment aux maisons, marchant de travers, ses si beaux yeux bleus devenus blancs lumineux.
*****
Elle était enfin hors du village. Elle ne savait plus où, mais elle avait ramassé quelque chose sur un petit sentier. Elle trébuchait de plus en plus. Non pas que la jument fusse fatiguée, il lui semblait plutôt avoir du mal à calculer les distances.
La tâche serait ardue, mais il fallait chercher et trouver ce qui l’avait mise dans cet état. Sans savoir pourquoi, Rarity était persuadée que Twilight en personne ne pouvait pas l’aider sur ce coup. Ce dont elle se souvenait, ce n’était pas une magie comme les autres.
*****
De son côté, Applejack était allée chercher leur amie magicienne comme si sa vie en dépendait. Arrivée à la bibliothèque, essoufflée, elle tomba sur Spike et son binôme en train de lire au soleil.
« Twilight ! Faut qu’tu viennes vite, y’a Rarity qui a fondu un plomb ! »
Devant l’apparente urgence de la situation, Twilight s’abstint de poser de question et suivit la fermière jusqu’au Carousel Boutique, vide.
« Oh non, Twilight, elle était pâle comme un linge quand je l’ai quittée. Regarde les tenues qu’elle a faites ! Je suis sûre que quelque chose ne va vraiment pas. »
Face à l’inquiétude palpable de la jument qui trépignait d’impuissance, la magicienne garda son sang-froid et tenta de la rassurer.
« Ne t’en fais pas Applejack, on va la retrouver, j’ai juste à lancer un sort de localisation. »
Ce qu’elle fit sur-le-champ. La corne lumineuse laissait filer un rayon rectiligne en direction de la disparue qu’elles s’empressèrent de suivre au galop.
*****
Encore une chute. Rarity y voyait de plus en plus trouble. Les couleurs allaient et venaient au hasard, elle voyait des points scintillants virevolter devant elle tels des papillons éphémères et elle aurait juré que sa vision devenait synestésique. Voir une odeur était une expérience nouvelle et somme toute intéressante, mais la chute qu’elle fit d’un rocher lui remit un peu les idées en place tandis qu’elle se relevait en boitillant.
Elle entendait vaguement des voix familières l’appeler, mais elles semblaient si lointaines… Et puis elle entendait également des pleurs de petite fille. Elle s’y dirigea à l’oreille puis finit par apercevoir une forme sur le sentier. Le sentier de la veille. La forme ressemblait plus à une ombre qu’à autre chose, mais c’était une pouliche qui pleurait. Soucieuse, elle s’approcha d’elle et la vit clairement – bien plus clairement que le paysage alentour. C’était une ponette adorable, mais comme elle n’en avait jamais vue : elle avait deux petites cornes et une queue d’oiseau.
« Qu’est-ce qui t’est arrivé ? Pourquoi pleures-tu ?
— J’ai perdu ma poupée. C’est ma maman qui me l’avait offerte.
— Je vais t’aider à la chercher, ta poupée. On va la retrouver tu vas voir. »
Contre toute attente, la petite cessa brusquement de pleurer.
« Mais c’est toi qui l’a, ma poupée. »
Avant que Rarity n’eût pu réagir, la douleur dans ses yeux se dissipa peu à peu, de même que les hallucinations dont elle était victime, comme une grande épine qu’on nous retire. La ponette en face d’elle lui sourit, une poupée de chiffons serrée contre son cœur, la vision de la jument devint trouble puis elle s’évanouit.
À son réveil, Twilight et Applejack l’appelaient, chacune d’un côté, le visage crispé par l’inquiétude. Tandis qu’elle se relevait avec peine, la terrestre se jeta à son cou.
« Sucre d’orge, tu nous as fait si peur ! Tout va bien ? Qu’est-ce que tu faisais là ?
— Enfin Applejack, je t’ai déjà dit que tout allait bien. J’étais juste venue rendre quelque chose à une pouliche. »
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