Les minutes s’écoulèrent lentement au fil du temps et de leur progression dans l’Abysse, à suivre le squelette noir baigné de lumière verte. Il faisait toujours aussi sombre mais le sol commença à devenir plus régulier et l’espace autour d’eux grandis et laissa apparaître petit à petit d’autres ossements prisonnier de gélatine colorés.
Au bout d’une heure, l’obscurité était constellée de lueurs de tout le spectre de l’arc-en-ciel, pour révéler toujours plus d’ossements. La plupart convergèrent vers eux en silence, la tête rarement placé dans le bons sens quand ils glissaient dans leur direction.
Celaeno dut se retenir pour ne pas dégainer son épée lorsqu’elle et Capper furent encerclés par une vingtaine de ces choses mortes et grimaçantes. Leur proximité la poussa toutefois à les observer et la capitaine constata chez la plupart des membres manquants ; une patte en moins, une aile absente, voir pas de tête. Il y avait même un assemblage d’ossements hétéroclites.
La perroquet baissa le regard vers sa prothèse de cristal, en train de briller aussi dans le noir. Malgré sa méfiance toujours présente, elle n’avait plus envie de s’attaquer à ces squelettes ambulants.
“Je… je commence à croire qu’on a pas affaire à des squelettes mais…
- … une sorte de gélatine vivante ?” compléta Capper. “Ça semble probable, pour le peu que j’en reconnais, il y a pas mal de griffons mais aussi quelques poneys, au moins un yak… quelques abyssiniens…” Le félin resta silencieux quelques instants, l’air sombre, avant de se racler la gorge et tourna un regard malicieux vers la perroquet. “Je me demande où ça va nous mener.
- Plus loin dans les profondeurs ; je ne vois plus la surface.”
La lointaine ligne de lumière ne se trouvait plus au-dessus de leur tête ; il y avait uniquement les ténèbres, insondables malgré la présence d’autant de ces créatures gélatineuses à leurs côtés, et tout autour d’eux. Parfois des piliers et des parois étaient visibles, mais l’endroit revêtait un caractère immense, tout une contrée souterraine juste sous les serres des griffons.
Au loin apparut une de ces gelées, semblables à toutes les autres, mais plus les deux compagnons approchaient et plus sa taille leur apparut. Celaeno avait considéré le récit fait par Rainbow Dash comme une belle histoire, embellie par les années ; pourtant, le squelette géant devant elle lui évoqua immédiatement le légendaire Arimaspi, voleur de la statue de Boréas. Sa taille était difficile à évaluer, car il était assis mais aussi par l’absence de son crâne ; à la place se trouvait un objet allongé, pourvu d’une gemme à l’allure violette au travers de la gélatine bleue dont tout le squelette géant était recouvert.
“Je crois qu’on l’a trouvée…” souffla Capper, un doigt pointé vers la tête improvisée.
L’immense créature commença à se pencher et, par réflexe, la pirate posa la serre sur la garde de son épée ; tout autour d’eux, les nombreuses gelées furent prises de tremblements et commencèrent à s’agiter. Le félin lui donna un coup de coude et la perroquet lâcha son arme. Le calme revint immédiatement et un long frisson parcourut l’échine plumeuse de la capitaine.
“Pas étonnant qu’ils aient autant de squelettes s’ils réagissent comme ça à la moindre menace…” commenta Celaeno, inquiète.
Le bras squelettique d’Arimaspi se tendit face aux deux étrangers et les phalanges noires s’ouvrirent pour révéler une petite pierre. Cette dernière coula dans la gélatine jusqu’à en sortir et tomber sur le sol dans un petit tintement ; c’était la pierre de lumière, tombée dans l’Abysse quelques heures auparavant. Le membre entouré de gélatine reprit sa place et la capitaine se sentit un peu moins menacée par la créature.
“Merci beaucoup,” déclara-t-elle avant de prendre son bien.
“Chers… hum… chers êtres de l’Abysse !” commença Capper, les bras grands ouverts et l’air aussi amical que possible. “Nous vous remercions pour votre hospitalité et demandons humblement votre aide ! L’objet que vous avez dans votre… euh… tête,” il pointa statue de Boréas, “est un objet très important pour ceux qui vivent à la surface, juste au-dessus de votre Abysse. Elle est la raison pour laquelle des étrangers viennent vous attaquer depuis des années ; si vous nous la restituez, vous pourrez vivre en paix, sans être dérangés.”
La pirate soupira et croisa les bras. Parler avec ces choses lui semblait une perte de temps, mais elle put constater une fois la tirade du matou terminée l’agitation discrète des créatures gélatineuses ; en silence elles se touchaient entre elles et donnait la curieuse impression de discuter. La gelée Arimaspi tendit doucement le bras vers une autre de couleur jaune et échangea de la même manière. Le calme sembla revenir et l’immense gelée bleue brandit ses ossements pour pointer du doigt décharné la statue.
“Oui, c’est cela,” conforma Capper. “Acceptez-vous de nous la céder ?”
Les créatures restèrent silencieuses et le bras squelettique restait figé. Le félin se gratta la tête, dans une intense réflexion ; difficile de communiquer avec une créature muette. La capitaine gardait les bras croisés, un peu vexée de devoir laisser son compagnon parlementer. Sans lui, elle serait probablement déjà morte et servirait de corps à une de ces gelées, même si son squelette était incomplet…
Son regard se porta sur le grand nombre de gelées agglutinées autour d’eux. Elle venait de comprendre… Avec un soupir, Celaeno s’assit sur le sol et retira sa prothèse de cristal, avant de faire signe à Capper de l’aider à se relever. Celui-ci s’exécuta et allait lui parler, mais la perroquet le prit de vitesse et brandit l’imposant cristal.
“C’est ce que tu veux n’est-ce pas ? Quelque chose pour remplacer la tête. Si tu nous donnes la statue, je te donne ma jambe en échange, d’accord ?”
Le bras squelettique se baissa et la créature se pencha en avant pour faire lentement glisser la statue. Celle-ci tomba lourdement sur le sol et la capitaine jeta sa prothèse sur la créature. La gélatine la fit lentement glisser pour prendre la place de sa tête.
Celaeno prit la statue, magnifique ouvrage en or pourvu d’une grosse gemme rougeoyante. Ils avaient réussi.
…
Les gelées s’en allèrent progressivement lorsqu’ils quittèrent l’endroit et retrouvèrent la fine ligne de lumière au-dessus d’eux. Capper soutenait la capitaine, privée d’une de ses serres, et celle-ci tenait fermement le précieux trésor. La gelée verte au squelette de griffon les guidait toujours, mais ils progressaient plus lentement.
Au bout d’un très long moment, le sol redevint couvert de gravier et leur compagnon lumineux les laissa là, après avoir poliment incliné son crâne noir. Celaeno demanda à son soutien félin de prendre la pierre de lumière dans sa poche et ils progressèrent. La majeure partie du trajet se fit en silence, la capitaine visiblement gênée d’être quelque peu diminuée en l’absence de prothèse et le filou abyssinien se contenta de l’aider, sans dire un mot.
Le terrain redevint accidentée quand ils commencèrent à remonter progressivement vers la surface et Capper se fit extrêmement prevenant avec la perroquet pour l’aider à grimper. Au bout de quelques rochers à escalader difficilement, Celaeno finit par soupirer et, les joues rouges, s’adresser au félin sans oser le regarder.
“Merci de… de m’aider. Je n’aime pas être… comme ça.
- Je comprend, mais je fais parti de ton équipage maintenant, capitaine, et c’est mon devoir de t’aider… je suppose.” Il marqua une pause, le temps de bondir agilement en haut d’un obstacle et tendre la patte à Celaeno. “Tu as sacrifier quelque chose de précieux pour obtenir la statue ; je respecte ça.
- Ah, ce cristal… je voulais un truc précieux en guise de nouvelle jambe et c’était d’après le joaillier une relique d’un empire disparu. Ça n’est pas cher payé pour le plus grand trésor du peuple griffon.”
Les deux amis rirent un instant et progressèrent difficilement sur le gravier. A une centaine de mètres se trouvait la sortie de l’Abysse.
“Et toi, Capper ? J’aurais cru que tu serais resté avec ces poneys, après le cadeau fait par la licorne blanche, là…
- Rarity ? Oui, j’y ai pensé mais… je suis pas sûr de pouvoir me faire à une vie tranquille. J’aimerais mais…” Il soupira. “Je lui ai laissé le haut-de-forme et la cape, et promis de venir les chercher après avoir réglé quelques affaires…
- Tu comptes le faire ?” l’interrogea avec douceur la capitaine.
“J’espère. Si je dois rester quelque part et vivre une vie paisible… autant ne plus être tenté de vivre des aventures. En tout cas, je lâcherais pas l’équipe sans prévenir.
- Tu sais ce que tu risques si tu le fais,” lâcha-t-elle avec malice. “Tes talents de diplomate nous seront utiles. D’ailleurs, tu n’as pas fait que donner des conseils de vente à Gilda, n’est-ce pas ?
- En effet, la gelée nous avait interrompu. Elle et moi avons une chose en commun, nous avons tous les deux été… trahis par un ami d’enfance.”
La voix de Capper sembla mourir entre ses lèvres et ses moustaches vibrèrent avec tristesse. Un instant de silence accompagna le félin, mais il reprit une fois de plus comme si de rien était, avec son air insouciant sur le visage.
“Elle a bien voulu m’aider à intégrer votre joyeuse bande. Devenir votre ami, à défaut de pouvoir retrouver le mien.”
Après quelques efforts, les deux compagnons purent enfin s’extraire de la faille, pour découvrir l’endroit où ils avaient laissé l’équipage désert à première vue. La capitaine trouva cela curieux, puis inquiétant quand son regard se posa sur le sac de Squabble. Quelque chose avait dû se passer. Sur le qui-vive, Celaeno capta immédiatement un mouvement au-dessus d’eux ; cachés dans les hauteurs, des griffons surgirent d’un peu partout.
Des arbalètes furent pointés sur le duo. La perroquet avait une serre prise par la statue, l’autre autour des épaules de Capper. Ce dernier compris immédiatement n’avoir aucune chance, même avec une épée entre les pattes. Tous les griffons avaient une partie du corps tachetée et des armes, sauf un. Entièrement noir, hormis son bec et ses serres, il n’avait ni arbalète ni épée. Il se posa maladroitement sur les graviers glissants, proche des deux étrangers, et il s’adressa à eux poliment, le regard débordant d’envie rivé sur la statue de Boréas.
“Mon nom est Guntram, fondateur de la Compagnie Tachetée. Je tiens personnellement à vous féliciter pour avoir réussi à ramener la légendaire statue perdue de Boréas au peuple griffon. Car vous aller me la remettre, avec le sourire ou la tête arrachée de vos épaules.”
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