Quand je me suis réveillé ce matin, j’ai su que je n’y survivrai pas.
Dans ma religion, nous savons que pour aller au Fuhlala, il faut faire le point avant de mourir ; se reconnecter avec son âme, prendre compte de ses pêchés, des bénédictions que l’on a reçues, et de réparer ce qui peut être réparé.
Nous savons surtout qu’il ne faut pas avoir peur de la mort, qui nous amène dans un monde meilleur. Un monde où nos âmes seront libres de ces pesantes enveloppes charnelles et pourront galoper sur les plaines infinies du monde des esprits.
Nous savons que la mort est une libération ultime et que seuls les criminels n'accèdent pas à ce paradis inéquin.
Sous les couvertures, mon pelage gris clair s’est hérissé. Je ne suis pas un criminel n’est pas ? Est que tuer en étant dans l’armée est un crime ? Est que tuer des animaux pour l’usage commun est un crime ? Qu’est qu’un crime ?
Je suis bon, je ne veux pas devenir une âme errante, je ne peux pas devenir un âme errante !
Je dois purifier mon âme si je veux atteindre le Fuhlala ! Je dois me lever ! Je dois aller rejoindre un chaman ! Je ne deviendrai pas une âme errante !
Je repousse mes couvertures loin de moi, et, bien que ma peau ridées frissonne sous des rayures clairsemées depuis longtemps, je me mets debout. Mes sabots ne font presque aucun bruit sur le sol de terre battue. Je rassemble mon courage et sors de la cabane de torchis que l’on m’a attribuée lors de ma retraite.
L’extérieur est inondé d’une lumière pure qui filtre à travers les feuilles immenses de la jungle. Je plisse mes yeux verts pour m’adapter. Ma hutte est si sombre !
Pourquoi un zèbre s’étant honorablement battu, ayant aidé la société, ayant offert sa vie pour le bien commun est il relégué dans une petite habitation insalubre dès qu’il a cessé d’être utile ? Pourquoi un sage vieillard qui va bientôt rejoindre les esprits est-il oublié de tous jusqu'à sa mort ?
Pourquoi ceux qui sont partis sont honorés comme des dieux ? Pourquoi sommes nous condamnés à n’écouter que ceux que l’on nous dit d’écouter ? Le chef est jeune, n’a pas d’expérience. Pourquoi l’écoutons nous ? Pourquoi le pouvoir ne serait-il pas délégué au anciens ? Pourquoi ? Pourquoi existons nous ? Pourquoi mourrons nous ? Pourquoi avons nous fait comme cela ? Pourquoi le monde existe ? Pourquoi est-ce au crépuscule de notre vie que nous nous posons ces questions ?
Et, comment pouvons nous être sûrs de ce qu’il y a après la mort ?
Comment pouvons nous être sûrs qu’un dieu existe ?
Pourquoi nous ne le savons pas ?
Mes jambes tremblent puis se dérobent sous le poids de mes questionnements. Je gis au sol, le visage contre la poussière.
Ma poitrine se resserre sur mon cœur, j’ai mal. J’ai mal à ma conscience ! J’ai mal à mon honneur ! Mais surtout, j’ai mal à ma vie. J’ai mal car j’ai cru toute mon existence à des incertitudes. J’ai mal car je n’ai fait que courir après du vent. J’ai mal car je sais que quoi que je sache, cela ne changera rien. C’est trop tard. Mon passage ici est terminé.
Mais je ne suis pas encore mort.
Je vomis. Je vomis tout ce que je n’ai jamais voulu admettre. Je vomis ma colère. Je vomis ma tristesse. Je vomis ce que j’ai de plus sombre au fond de moi.
Je me sens sale.
Je me sens sale, ici, sur ce sol de terre battue, les joues couverte de poussière, mes courts crins blancs trainants dans l’épais jus foncé répandu autour de ma tête.
Mes yeux se plissent et s’embuent légèrement. Je vais pleurer. Je vais avoir honte. Je suis étendu sur le sol, plus sale que je ne l’ai jamais été, mais ce n’est pas important. Les souvenirs ne sont pas importants. Ce qui compte, c’est l’avenir. Et je n’en ai pas.
Pour tout ceux qui font cercle autour de moi, je suis déjà mort.
Je ne veux pas. Je ne veux pas ! Laissez moi ! Dégagez ! Partez !
Je hoquette à chaque inspiration, et sens des larmes s’accumuler dans mes yeux. Je commence à doucement pleurer.
Je sanglote allongé par terre, la tête couverte de poussière, les crins enduits de vomi, entouré de gens qui me jugent.
Notre chef s’approche de moi à pas lents, cherchant sûrement à me laisser le temps de me reprendre et d'échapper à ça. C’est trop tard. Je suis vieux, traîné dans la boue, et ma gloire passée n’existe plus que dans la lance qui orne mon flanc.
Mon cœur manque un battement. Le sacrifice rituel. Ils vont me sacrifier au dieux. Un autre “bump” se dérobe à l’ordre naturel des choses. Je ne veux pas être sacrifié ! Mais que puis-je faire ? Je suis vieux, au sol, entouré d’étrangers, tous dévoués corps et âmes à ceux à qui l‘on va me sacrifier.
Je n’ai qu’un seul moyen d’y échapper. Et je le connais.
Je me détends, ferme mes paupières, et ma dernière pensée va au paradis que je vais rejoindre, tandis qu’eux iront en au tartare. Puis, ce fut le noir.
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