Me voilà enfin face à toi, il fait noir et ça risque d'être compliqué, mais j'ai bien des choses à te dire. Mon nom est Dinky, on m'appelle comme ça depuis toujours à l'orphelinat. Je me suis souvent demandé quel était mon réel nom. Tu sais, celui que donnent des parents à leur enfant, mais j'imagine que je ne le connaitrai jamais. Peut-être qu'un jour, j'arrêterais de ressentir ce manque en moi par rapport à ça, ce manque de personnalité, d'unicité. J'en fais trop ? C'est vrai qu'après tout ce n'est qu'un nom... Mais ça signifie quand même quelque chose d'important, non ?
Oui, je suis une orpheline. Une abandonnée, un terme qui me correspond bien. La directrice l'apprécie peu à vrai dire, elle qui m'a pourtant recueillie dans des circonstances différentes par rapport aux autres. La norme si on devrait dire, serait d'être donné à l'orphelinat par une grande personne ou d'y aller de son propre chef dans le pire des cas. Mais dans le mien, étant à peine un nouveau-née, apparaître au beau milieu de la rue en pleine nuit ne doit pas être très habituel. Il paraîtrait selon elle que mon corps frileux et dépourvu encore de crinière reposait dans un berceau miteux sans couverture, tremblant comme une feuille, mais silencieux. Bien sûr, j'en ai aucun souvenir, mais rien que cette pensée de me savoir seule et sans défense crée en moi une telle colère envers ces parents, ou plutôt, ces poneys qui m'ont abandonnée. Je ne sais pas si je voudrais les connaître un jour, ou même les rencontrer.
Nalythe s'est occupé de moi depuis que je suis arrivée ici. Qui est-elle ? Une amie ? Une grande sœur ? Une mère ? Je sais pas trop. Je dirais qu'elle est gentille et attentionnée, toujours à me faire rire ou sourire lorsque j'en ai besoin, bien que son état de santé ne soit pas au top. Niveau finance, ce n'est pas non plus la joie à cause de ses frais médicaux. La pauvre... Pourquoi faut-il que ce soit toujours les plus miséreux les plus gentils et généreux ?
Pas plus tard qu'hier chez elle, dans sa petite chambre, elle m'a raconté cette fois-ci une légende : celle du plus grand mage d'Equestria. Elle fut surprise que je la connaisse déjà, j'ai beaucoup ri à ses grands yeux. Elle m'en a alors plus parlé, et j'ai appris beaucoup de choses. C'est qu'elle en a des bouquins ! Elle n'a peut-être pas beaucoup d'étagères mais elles sont bien remplies ! Enfin voilà. Ces moments avec elle, je les adore, je me sens bien. Elle est toujours franche envers moi.
Seulement au fond de moi, est-ce que je suis franche avec elle ?
Cette jument, c'est peut-être la seule en qui je porte un peu de véritable amour, car les orphelins d'ici ne m'apprécient pas vraiment. Il faut dire que moi et ma corne sur le front sommes les seules parmi tous ces pégases et terrestres dans cet établissement. J'avais quoi, une chance sur un million d'être dans une telle situation ?
Mais changeons de sujet, tu es tout nouveau non ? Tu connais Equestria ?
Celestia, Princesse Solaire et Luna, Princesse Lunaire. C'est bon comme résumé ? Après tout, c'est moi qui décide.
Pour parler un peu des princesses, j'ai toujours plus porté Luna dans mon cœur en vérité. Ses nuits me réconfortent, me reposent d'une pénible journée à ne rien faire d'intéressant. Et là vient l'énumération : je me lève, étudie à l'école, erre dans les rues en passant souvent par le parc de la ville, puis je me couche. Et ça recommence, une spirale sans fin. Mes jours, mes heures, mes secondes se perdent. J'aimerais tellement consacrer tout ce temps à quelque chose qui me passionnerait vraiment, mais quoi ?
Le soir à l'orphelinat, la lueur de la cour glisse lentement derrière ses grands murs gris. La plupart d'entre eux sont encore à l'extérieur. Chacun préfère s'amuser, jouer ou discuter avec ceux ayant les mêmes centres d'intérêt, et quoi de mieux que d'être de la même race. Mais moi, je ne sais même pas me servir de ma magie. J'ai essayé une fois, un soir dans la cour. Résultat : je me suis lamentablement ratée, ce qui avait créé de la moquerie. Je n'essaierai plus jamais. Hors de question de revivre ce jour, ou du moins, la nuit qui suivit. Désolée, mais même à toi, je ne te le dirai pas. Ne sois pas trop triste, je suis sûr que tu pourras le comprendre.
En tout cas, je ne suis pas très friande de connaissance, je ne risque pas grand-chose. La lecture est ma plus grande alliée lorsque je m'ennuie, ou lorsque mon seul refuge face au monde réel se trouve dans le monde imaginaire. Il faut dire aussi que mon caractère ne joue pas en ma faveur, mais je sais me contenir. Seulement, parfois certains s'amusent à m'embêter, allant jusqu'à me provoquer. Alors je me retrouve à les rejeter ou à me battre. Je préfère rester seule, et j'ai appris à vivre avec, mais lorsque les temps sont durs, je ressens une chose en moi, une boule. Elle grandit. Je ne sais pas ce que c'est. De la tristesse ? Pff, quelle dépressive je fais ! Je préfère ne pas en parler. Je devrais n'est-ce pas ? J'en sais rien.
Mme Cheerilee n'arrête pas de me répéter que j'ai un certain don : ma réflexion, mais que je continue à vouloir être solitaire dans mon attitude. Je ne sais pas quoi en penser, elle essaye peut-être de m'adoucir pour me faire rentrer dans le troupeau. Mais là encore, je sens que ce n'est que ma mauvaise foi qui se manifeste... encore et toujours.
*
Ainsi j'ai écrit tout ceci d'une traite en à peine quelques minutes dans une faible luminosité, mon écriture devait être horrible. Un stylo en bouche, engourdie à la nuque, je me suis adossée à mon siège et ai soufflé ma fatigue. Mon petit livret n'en demandait pas tant, et moi non plus. La suite ne m'a pas inspiré, les mots ne me venaient plus, alors j'ai décidé d'arrêter là. Je me suis contentée de tirer un livre de mon sac, sur ma gauche, et de l'ouvrir à la page de ma progression. Où en était donc notre chère Daring Do ?
Une porte a soudainement grincé au loin et s'est ouverte sur une silhouette que j'ai immédiatement reconnue : Nalythe, ou Naly comme j'aime bien l'appeler, toujours aussi blanche dans l'obscurité et sa crinière, aussi soyeuse et rougeoyante. Mais évidemment, elle était venue dans le seul but de me sermonner sur l'heure. Il n'était pas encore minuit, je ne comprends toujours pas pourquoi je devais dormir si je ne me sentais pas fatiguée.
Quelques nuages se sont écartés dans le ciel, laissant la clarté de la Lune traverser la fenêtre et éclairer les traits de mon visage et le reste de la pièce, là où reposaient paisiblement tous les orphelins dans des lits superposés. Sans un bruit, je me suis levée de ma chaise, mais mes yeux étaient restés accrochés au bois sombre du bureau devant moi. Des insultes y étaient incrustées.
Ah oui, j'avais oublié : je subis en quelque sorte un harcèlement faible, mais continue. Ils me taquinent comme ils disent tous, ils me piétinent en fin de compte, essayant de me rabaisser le plus possible à m'en faire voir les insectes, à savoir lequel sera le meilleur dans ce domaine. Tous ne sont pas comme ça, mais même un esprit bienveillant imitera le groupe et suivra la mauvaise direction, de peur de s'y opposer et de devenir le nouveau martyr.
Après quelques secondes, mon regard s'est enfin échappé de l'étrange étreinte de ce meuble froid et s'est dirigé vers Nalythe. L'iris de ces yeux de braise semblaient emprisonnés dans la blancheur de son pelage. Seules les flammes de sa crinière venaient embraser tout le côté droit de son visage. Naly était toujours aussi belle sous cette lueur lunaire, mais ses paupières et son allure ne cachait pas sa fatigue. Elle semblait mal en point, comme si elle souffrait de sa maladie. Mais bien sûr elle restait toujours souriante.
Parlant de sa calme voix, elle m'a ordonné d'un ton qui se voulait sévère d'aller dormir. Sans contester, j'ai obéi. Je me dis toujours que demain est un autre jour, et que peut-être, il serait meilleur. Je l'espérais.
*
Chaque soir, j'ai continué d'écrire dans mon petit livret, espérant un changement. Mais le temps passe, les semaines s'écoulent et rien ne changeait, à ma plus grande et inexistante surprise.
Je me lève avant l'heure réglementaire et évite les turbulences des pégases qui prennent un malin plaisir à m'emmerder, puis je vais au réfectoire et attends. Assise à la seule table du fond, je suis là à observer chaque matin cette lumière clignotante parmi toutes les autres illuminant la salle, comptant ses coupures alternées jusqu'à ce que le premier ait passé la porte du grand mur blanc séparant le couloir principal du réfectoire.
Parfois, on me laisse tranquille, peut-être par manque d'inspiration, ce à quoi je me réjouis. Les tables se remplissent lentement et la pâture est servie. J'attends, silencieuse, mon regard abandonné dans mon assiette. Dans ces instants là, je réfléchis à tout et n'importe quoi : comment se terminera mon dernier livre ? Qu'étudierons-nous aujourd'hui ? Même si je préfère néanmoins observer les autres et commenter dans ma tête : Flash a encore la crinière ébouriffée, il veut toujours aller trop vite. Violet est encore à se regarder dans son miroir, qu'elle est pathétique.
Toutefois ce jour-là, j'ai vu une nouvelle pégase parmi le groupe des perturbateurs. Je ne l'avais jamais remarquée auparavant, était-ce possible qu'elle soit là depuis longtemps ? Je fais tellement peu attention parfois qu'elle m'a échappée de mémoire.
Ses ailes me paraissaient étranges, petites, comme si... Je n'arrivais pas à voir d'ici, peut-être que je devais me rapprocher.
Mais à cet instant, mon cœur a fait un bond, ma respiration s'est bloquée, mes yeux se sont écarquillés. D'apparence stoïque, mais d'une grande panique intérieure, je suis restée là.
Elle m'avait vue, et elle s'approchait. J'entendais des paroles au loin l'encourager ainsi que le groupe de pégases derrière elle qui commençait à s'agiter. Ces sourires mesquins.
D'un pelage peu soyeux, elle semblait déterminée à me faire la peau. Ses yeux violacés m'ont transpercée, ses dents se sont dessinées. Quelle tarée. Je me suis alors empressé d'avaler mon assiette. La sonnerie a retenti, annonçant la fin du petit-déjeuner, mais elle ne s'est pas arrêtée là. Évidemment, étant à la dernière table, j'étais à l'autre bout du couloir principal. J'ai donc pris mon courage à quatre sabots et ai décidé d'agir plutôt que de subir. Je me suis levée pour galoper à toute vitesse devant moi, la percutant devant tout le monde, sans remord avant qu'elle ne puisse faire quoi que ce soit. J'ai traversé le réfectoire avant d'enfoncer la porte du grand mur blanc comme une furie. J'ai par la suite continué vers le dortoir en esquivant le monde sur mon passage.
Une fois mon sac pris et sanglé sur mon dos, j'ai jeté un dernier coup d'œil à mon lit. Les draps étaient sens dessus dessous, tant pis. Je me suis précipitée dans le grand couloir une nouvelle fois et je l'ai vue là, entre moi et la sortie. Son épaule arborait une écorchure, je me suis sentie terriblement mal à l'aise. Je l'avais blessée et elle allait m'en faire payer le prix.
Seule contre tous, je baignais dans un brouhaha assourdissant et continuant à s'élever en crescendo entre ces murs blancs nous emprisonnant moi et cette pégase. Un cercle d'orphelins bruyants et agités s'était rapidement formé autour de nous. J'étais cernée par ces remparts qui me lançaient des injures et autres méchancetés. Ils voulaient que je me batte. Mon regard plongé dans celui de mon opposant, mes oreilles se sont abaissées. J'ai prié pour ne pas avoir à le faire encore une fois, pour que quelque chose arrive. Ma tête commençait à me faire mal, et je sentais ma corne s'agiter. J'ai prié. Il ne fallait pas que ça arrive maintenant, pas ici ! J'ai prié si fort pour que quelque chose arrive.
Et elle est arrivée. Naly s'est interposée en criant par dessus ce chaos sonore, avant de tousser à en cracher ses poumons. J'avais mal pour elle. Puis d'un ton autoritaire, elle nous a ordonné à tous de rejoindre nos écoles respectives. La foule s'est dissipée et un flot de pégases et de terrestres s'est échappé par la porte principale. Je me suis retrouvée seule, contre le mur et le cœur battant encore à plein régime. Je me serais défendue bien sûr, mais pas d'une très bonne manière. Face à tous mes camarades contre moi, à les entendre, j'ai ressenti une épouvantable pression me rongeant de l'intérieur et qui ne demandait qu'à être extériorisée. Il n'y avait donc vraiment personne qui se serait opposé à ce cirque ? Personne qui se serait préoccupé de mon sort ?
Ma vision se troublait à en laisser échapper quelques larmes silencieuses. Le sol les accueillait, je l'ai alors frappé de mon sabot. Quelle pleurnicheuse...
Un rideau rouge est apparu dans mon champ de vision. Je n'ai pas pris la peine de lever le regard, je savais. Sa voix m'a murmuré des mots réconfortants, puis elle m'a prise dans ses bras, mais je n'ai pas bougé. Pourquoi ? Pourquoi avoir honte ? J'ai serré les dents, mais mes sanglots se sont intensifiés. Elle était là pour me soutenir, pour m'aider... pour m'aimer finalement. Et je suis restée là, les pattes ballantes. J'ai hésité, une pensée douce voulait m'élancer vers elle, mais je n'ai pas osé. Ses bras m'ont libérée tout à coup. Ma respiration s'est bloquée. Je voulais aussi la serrer dans mes bras, la sentir près de moi, elle et sa présence si apaisante, elle qui s'est tant préoccupé de moi alors que je n'ai fait que l'ignorer dans ces instants.
J'ai enfin levé les yeux, mais pour ne voir que la pâle blancheur du couloir. Une voix m'a soudainement crié de partir à l'école. C'était Rosie avec son éternelle amie la serpillère, surement en plein travail.
Sans contester, j'ai séché mes larmes et je suis partie vers la porte principale. Personne n'était derrière moi, elle avait bien disparu. J'étais confuse, peut-être que je devais aller la voir pour... discuter ? Je ne savais pas. Je ne voulais pas y penser.
Je ne voulais plus y penser.
Je suis donc sortie dehors, déterminée à ne pas me laisser abattre davantage. Me retournant face au bâtiment, je voulais juste une chose : me changer les idées en observant l'orphelinat. Mais l'établissement m'avait l'air toujours aussi misérable avec sa façade fissurée. La collecte de dons n'était donc pas si fructueuse que ça, le peu devait surement aller dans les fournitures ou la nourriture... et encore. Comment essayer de voir la vie en rose lorsqu'il n'y a aucune lumière pour vous la refléter ?
Il était tard, je risquais d'avoir d'autres problèmes si je n'arrivais pas à l'heure une fois de plus en cours, mais j'ai opté pour ne pas m'en soucier et suis partie d'un faux air serein en direction de la grande place.
*
C'était une magnifique journée, je pouvais au moins lui accorder ça. Il n'y avait pas un nuage, les pégases étaient libres de leurs mouvements. Les rues étaient remplies de passants souriants et trottant gaiement sans aucune raison... Ils m'avaient l'air si niais, je n'arriverais donc jamais à m'y faire. Mais rien ne servait d'y faire attention. La route m'a menée au centre-ville de Ponyville, là où se trouvaient de multiples échoppes et magasins en tout genre. Je pouvais enfin sourire à mon tour. Voir toute cette agglomération de couleurs me fascinait toujours autant, sans compter la belle mairie en son centre, mais surtout, la grande fontaine sur mon chemin. Elle resplendissait, crachait depuis ses bouches de cristal des jets d'eau formant de magnifiques arcs de cercle. Cette grande place circulaire était toujours pleine de vie et garnie de différents produits exposés sur de belles tables sous leurs meilleurs angles. On pouvait y trouver de quoi manger ou encore tout ce qui touchait au domaine du divertissement. Pour ce qui était des vêtements, on pouvait très clairement les remarquer dans leurs belles vitrines s'exhibant aux abords des bâtiments tout autour de la place. Pour le mobilier ou bien d'autres choses, tout ça restait principalement en intérieur, sans de décoration particulière au magasin à part bien sûr l'enseigne.
Il y a de cela plusieurs jours, j'avais remarqué ce nouvel artisan fabriquant des bibelots étranges et assez intrigants dans un recoin du centre, un peu en retrait. Mais comme tous les jours, peu de monde s'y intéressait. Il y avait pourtant à disposition ses œuvres en extérieur sur de magnifiques tapis de sol, ce qui était original, alors pourquoi personne ne lui accordait de l'attention ?
Et là, une idée bien trop tentante m'a traversé l'esprit. Si je faisais vite, je pouvais peut-être jeter un coup d'œil sans perdre trop de temps.
J'ai donc accéléré mon trot, m'incrustant puis serpentant dans la foule et évitant de rentrer dans quelques croupes. J'ai ensuite longé le rebord de la fontaine sur une bonne longueur avant de m'en séparer et de rejoindre en ligne droite mon but. L'entrée de la boutique se rapprochait de plus en plus. J'ai pu enfin sortir de cet océan de poneys avant de faire face à un champ de tapis. Tous débordaient d'objets et de couleurs. Je n'arrivais pas à croire que l'on puisse disposer autant de choses en si peu de place, et pourtant. À mon sabot se trouvait une petite statuette de licorne d'un bois dur et coloré, lançant avec dextérité un sort depuis sa corne. Sans plus attendre, je l'ai soulevée à hauteur des yeux et l'ai examinée plus en détail. Elle n'avait aucune imperfection, chaque courbe était parfaite, sa position cabrée la rendait impressionnante, et son sort m'avait l'air puissant et incroyablement bien sculpté. À l'instar d'un magicien, sa robe étoilée était d'un bleu profond, sans omettre son chapeau en pointe de la même teinte. J'ai remarqué une longue barbe blanche recouvrant une bonne partie de son faciès, serait-ce bien qui je pense ?
À cette question, mon regard s'est abaissé puis déposé sur une petite inscription affichant un montant que je ne pourrais jamais m'offrir. J'ai laissé échapper un long soupir, mais je n'ai pas eu le temps de reposer ma licorne. Je me suis fait brutalement percuter sur le côté, m'effondrant au sol. Je n'ai pas compris ce qui venait de me renverser. Un chariot ? Un pégase en plein vol ? Ce fut si violent que j'en avais mal au flanc. J'ai entendu une personne s'excuser d'une voix efféminée et incertaine avant de ramasser à toute vitesse ses affaires autour de moi. Je n'ai pu voir que quelques aliments face à moi, au sol, alors qu'ils disparaissaient aussi vite qu'ils étaient apparus, fauchés par un sabot.
Reprenant mes esprits, je me suis relevée faiblement. Il n'y avait personne, à part cet amas de poneys me fixant étrangement. J'étais tombée de mon propre chef ? Non, j'avais bien entendu une voix, mais de qui ?
La foule avait repris son mouvement de houle alors que je suis restée immobile comme une idiote, toujours perturbée par ce qui venait de m'arriver. La statuette était au sol, et toujours intacte. Je l'ai ramassée d'un geste rapide et l'ai serrée contre moi. J'avais peut-être peur qu'on me la prenne, c'était bien bête puisque je ne pouvais pas l'acheter. J'ai donc relâché cette petite licorne qui commençait à étouffer dans mon pelage gris. En abaissant la tête, je me suis rendu compte qu'elle avait aussi des clochettes sur tout le contour de sa cape. J'ai une dernière fois soupiré, et une voix s'est élevée, me criant de reposer ceci sur-le-champ. Apeurée, je me suis retournée dans un sursaut. Un vieux pégase au pelage dans un sale état se tenait à l'entrée de la boutique et brandissait d'un air menaçant un balai dans ma direction. Il pensait quoi ? Que j'étais une voyou sur le point de lui chaparder sa sculpture ? Il avait tort, mais cette idée était maintenant dans ma tête. Je n'ai pas pu m'empêcher d'y songer sérieusement, avant de revenir à la réalité frappée d'un profond mépris envers moi-même. Mais à quoi je pensais ? Je ne suis pas une voleuse !
Une vive douleur à la tête m'a ramenée face à ce vieux pégase qui s'avançait vers moi tout en continuant à me crier dessus de sa voix enrouée. Il marchait mollement sans que je puisse vraiment distinguer si sa lenteur était due à son âge ou à l'attention qu'il portait à ses objets pour ne pas les piétiner. Mais là n'était pas la question. J'ai remarqué au sol son balai... Il me l'avait donc lancé sans vergogne. Alors même les âgés ne se préoccupaient plus de mon sort et m'attaquaient sans se soucier de ce qu'il pourrait m'arriver, sans imaginer qu’ils risqueraient de me blesser ? De rage, j'ai balancé mon sabot, percutant de toutes mes forces le manche de son projectile qui par la suite a balayé une grande surface de ses biens. Quel capharnaüm j'avais provoqué, son humeur a immédiatement explosé, j'ai pris peur et suis partie en déposant au préalable délicatement ma petite licorne à son emplacement. Je pouvais entendre ses menaces porter au loin et résonner dans mes oreilles alors que je voguais tête baissée à travers le torrent de poneys occupant la place.
Mon cœur a fait bien plus de bonds que je ne pouvais le supporter en une journée. Je n'ai jamais ressenti autant d'adrénaline en si peu de temps, et dire que ce n'était que la matinée. Mon corps n'a pas pu se rétablir depuis le cas de cette pégase, et mon esprit non plus, et voilà déjà un vieux crouton voulant m'assassiner. Je n'ai pas arrêté d'y songer le long de mon trajet vers l'école. Un peu plus et son balai aurait pu m'atteindre au visage. Toute cette haine... Toute cette haine convergeant sur moi, c'en était destructeur sur mon mental.
Voilà, les sanglots se sont remis à monter. J'étais au bout du rouleau, et du chemin vers l'école. Je me suis arrêtée juste devant. Face au portail, j'étais sur le point de craquer, mon cerveau se remémorait les précédents événements. J'étais si proche d'une autre source d'ennuis, je serrais des dents et laissais couler en silence quelques gouttelettes de mes yeux dorés. J'ai frappé du sabot le portail métallique encore ouvert. Puis je me suis asséné ce même châtiment en plein visage.
Je me suis alors crié mentalement mes quatre vérités. Qu'est-ce qu'une pouliche comme moi faisait à se plaindre tout le temps ? J'avais l'impression de me lamenter sans cesse. À haute voix, je me suis hurlé d'arrêter... et ça m'a fait du bien. Si quelqu'un m'avait entendue, on m'aurait surement prise pour une folle. J'étais un peu perdue après. Il me restait qu'une seule chose à faire. Je me suis donc élancée vers la grande porte d'entrée du bâtiment puis j'ai séché mes larmes avant de pénétrer à l'intérieur.
*
Je m'y attendais, et j'appréhendais un peu. L'institutrice ne s'est pas retenue de me rappeler à quel point j'étais en retard. J'ai fait profil bas et n'ai rien répliqué. J'étais clairement en tort, et je ne la blâmerais pas pour sa réaction totalement justifiée. Je suis allée m'asseoir à ma place habituelle, au fond comme toujours, et me suis écroulée dans mes sabots sur ma table, ne laissant que mes oreilles ressortir. J'entendais l'institutrice marmonner ses cours à l'avant de la classe, rien de bien important. Mon crâne me faisait encore mal, assez pour que je me frotte la crinière.
Mes yeux enfouis sous mes pattes se sont fermés sans que je m'en aperçoive, j'étais sur le point de m'endormir, je voyais déjà le début d'un rêve dans le noir. C'était bleu, faible, mais perceptible. C'était beau. Quand soudainement, mon voisin de droite me donna un coup de coude à l'épaule. J'ai brusquement relevé la tête, étourdie, dans un état de somnolence. Mes yeux se sont progressivement réhabitués à la lumière m'entourant avant de se poser une nouvelle fois sur elle.
Sur cette pégase.
Que faisait-elle là, debout au tableau aux côtés de Mme Cheerilee ? Elles étaient en train de faire une sorte de présentation à la classe, et l'institutrice me fixait d'un mauvais œil. Elle m'a sûrement vue m'endormir et m'a appelée sans que je réponde. Je me suis sentie terriblement gênée devant toute la classe alors qu'elle me reprochait d'une contrariété qui lui était peu commune de ne pas avoir de respect pour ma camarade...
Pour elle ? Mais elle ? A-t-elle du respect pour moi ? Y a-t-il ne serait-ce qu'un seul poney qui a du respect pour moi ? J'aurais voulu lui crier ma pensée, mais j'ai préféré m'abstenir, me faire renvoyer pour insolence aurait été trop bête. Alors j'ai ravalé ma colère et j'ai écouté sa présentation, ou du moins ce qu'il en restait. Elle aime l'aventure et le danger, collectionne quelques posters des Wonderbolts et d'une certaine pégase nommée "Rainbow Dash". Elle coiffe sa crinière violette toujours vers le haut afin d'avoir un effet cool lorsqu'elle fait de la trottinette, son activité favorite.
Qu'est-ce que j'en avais rien à faire ! Je l'ai écoutée par pure obligation, la fixant sans aucune attention à son égard. Elle, elle me lançait d'étranges regards, comme si elle voulait m'éviter. Je ne l'ai pas vraiment remarqué sur le coup, j'étais dans mes pensées.
"Un seul poney qui a du respect pour moi ?" Ça m'était resté gravé en mémoire alors que je m'imaginais avec Naly. Son sourire me réconfortait. Ma colère intérieure s'est lentement dissipée pour laisser place à une paisible tranquillité. Mais elle a été perturbée par l'apparition de cette pégase orangée qui attira mon attention en effaçant la belle image d'une jument blanche à la longue crinière rouge. Que venait-elle faire là, si près de moi au fond de la classe ?
Je l'ai vue se placer juste sur ma gauche d'un air étrange. Mes yeux se sont écarquillés, et je me suis retranchée le plus à droite de ma table, ne lui accordant plus un seul regard. Il fallait qu'elle vienne jusqu'ici me mettre la pression, elle n'en avait pas eu assez lors du rassemblement dans le couloir principal ? J'ai entendu un faible appel qui m'a extirpée de mes pensées... sur ma gauche. J'ai lentement pivoté la tête et ma première réaction fut la plus grande incompréhension de ma vie. Je la voyais me sourire faiblement. Elle n'avait pas ce même sourire lors du réfectoire, loin de là. Elle semblait bien plus gentille dans sa façon d'être.
D'un sabot, elle m'a discrètement fait signe de me rapprocher. Que devais-je faire ? J'ai hésité, ne songeant pour l'instant qu'à l'ignorer, mais elle a insisté. Je ne savais pas ce qu'elle me voulait. Son approche était bien plus amicale que la dernière fois, ça n'avait pas de sens. J'ai sérieusement réfléchi lors d'un instant, mon regard fixe et droit devant, avant de me résigner à lui accorder mon attention. Je n'avais rien à perdre, et je restais sur mes gardes. Non pas qu'elle allait me sauter dessus, mais c'est ce qu'elle aurait fait plus tôt dans le couloir.
À voir sa tête, elle avait l'air timide. Une chose lui démangeait les lèvres, une chose importante, mais elle n'osait pas. Je suis restée perplexe face à son comportement, elle cherchait ses mots, ne voulant pas trop me brusquer. La voyant marmonner des choses incompréhensibles, je lui ai très clairement dit de respirer un coup et de se poser, puis de commencer par le commencement. Elle s'est figée puis s'est appliquée à mes conseils. Une fois calme, elle m'a tout dit.
Je suis restée abasourdie, n'en croyant pas mes oreilles. Alors elle n'était pas vraiment hostile à mon égard dans le réfectoire. Je me suis sentie idiote... une fois de plus.
Elle était toute nouvelle dans le bâtiment, et voulait rapidement se faire des amis. Alors elle avait trouvé un groupe, le mauvais groupe si je puis dire, de la même race qu'elle. Ils lui ont expliqué mon "cas", à ce mot, mes poils s'étaient hérissés, et ils l'avaient obligée à aller me voir pour faire ce qu'ils faisaient tous, et elle ne voulait pas se dégonfler. Elle avait insisté sur le fait que ses intentions étaient de me prendre à part et de tout m'expliquer en secret, pour me faire jouer un rôle faisant en sorte qu'elle gagne le respect des autres sans provoquer de tension voire de blessure. Ingénieux... pour une fois, même si cela ne m'aidait pas vraiment. Mais voilà, ma réaction l'avait complètement prise au dépourvu et sa dernière chance était de m'attendre dans le couloir, sûre que j'y passerais. Seulement les choses ne se sont pas passées comme prévu.
Ses oreilles tombantes et son regard angélique m'ont poussée à la croire. Elle n'avait pas dit un mot de plus que Cheerilee nous a immédiatement ordonné de stopper notre bavardage. La pégase et moi-même nous sommes donc remises droites devant notre bureau tels de bons soldats. Évidemment, les regards convergeaient. En quelque sorte, j'étais encore le centre d'attention, mais cette fois, je n'étais plus seule. Je n'ai pas ressenti de honte, plutôt de la complicité. Après quelques secondes, le temps que l'attention se dissipe, on s'est échangé un regard discret, elle accompagnée d'un petit sourire. Mes lèvres l'ont imité.
Le cours s'est déroulé sans que j'y accorde un œil. J'étais bien trop distraite et amusée par cette pégase aux grimaces et imitations grossières de certaines grandes personnes. Je dois bien l'avouer, ses scénarios étaient plus absurdes les uns que les autres. Le meilleur fut la fois où je la voyais faire semblant d'être folle. Ses impressions de savant fou ont failli me faire exploser de rire devant toute la classe, mais surtout, devant une institutrice déjà aux aguets concernant mon comportement. Mes sabots retenaient mes éclats en bloquant ma bouche. Ils m'ont bien sauvé plusieurs fois la mise.
La journée de classe s'est terminée, et je n'avais rien suivi, mais quelle importance ? Mon esprit était déjà à plus tard. Je m'imaginais à l'orphelinat avec elle. J'avais hâte de pouvoir discuter sans contrainte de discrétion, mais lors de la sortie des cours, je n'ai pas pu la suivre. Quelle rapidité ! Elle avait déjà rangé toutes ses affaires et avait disparu de la classe.
Une fois dehors, plus une pégase à crinière violette à l'horizon. Je n'ai pas vraiment compris, pensant au premier abord à une farce de sa part, mais après plusieurs minutes à chercher dans les alentours, elle était bien partie. Mon sourire s'est rapidement inversé. J'étais de nouveau seule.
Le chemin du retour fut bien long, mes pensées s'entrechoquaient. Entre hésitation et certitude, cette pégase était une véritable amie ? Qu'est-ce que je devais faire ? J'ai essayé de ne pas trop y songer, sûre que de toute façon, je la verrais à l'orphelinat. Mon esprit s'est alors focalisé sur mon environnement, je trottais déjà en centre-ville. J'étais sur mes gardes, de peur de retomber museau à museau avec le vieil artisan, mais une idée m'a traversé la tête. Par pure curiosité, j'ai décidé de m'y appliquer, mes sens aux aguets au cas où.
Tel un espion se rapprochant discrètement de sa cible, je me suis dirigée de mur en mur, de caisse en caisse, voire parfois derrière certains poneys vers la boutique du vieux pégase gris. Une fois la multitude de tapis multicolores en visuel, aucun psychopathe à balai en vue, le champ était libre. Je suis sortie de la foule et me suis placée au même endroit que la dernière fois. Tout était rangé et bien en ordre, comme si mon passage n'avait jamais eu lieu. À mon sabot ne se trouvait plus la petite statuette, mais une autre sculpture à laquelle je n'ai pas autant accordé mon admiration. Curieuse, j'ai balayé d'un regard le champ de tapis s'offrant à moi à la recherche de ma précieuse licorne. Il y avait là bien trop de choses dans mon champ de vision pour que je puisse discerner précisément quoi que ce soit.
Un bruit en fond m'a fait relever les oreilles. La porte de la boutique avait vibré et était sur le point de s'ouvrir. Sans perdre une seconde, j'ai fait volte-face et suis partie au galop la peur au ventre.
Mes jambes tremblaient, mon souffle était court. J'avais parcouru le reste du chemin aussi vite que j'ai pu, étrangement persuadée que ralentir la cadence m'aurait été fatal. Je suis rentrée vidée de mes forces à l'orphelinat. Mes sabots ont traîné sans détour direction le lit. Sans réfléchir, j'ai libéré mon dos de mon cartable puis j'ai coupé toute connexion avec mes membres inférieurs, me laissant m'affaler sur mes draps encore en désordre.
Une tache orangée m'est apparue à l'esprit, je devais la retrouver. Je me suis alors relevée mollement, ma crinière jaune effleurant le matelas du lit du dessus. Le temps de reprendre mon souffle et de me détendre les muscles, j'ai immédiatement bondi, prête à repartir... mais vers où ?
J'ai donc fait chauffer mes neurones et un plan s'est rapidement construit. Tout d'abord, interroger tout le monde : simple, rapide et ça pouvait s'avérer efficace. Sinon, chercher par soi-même, ce qui risquait d'être probablement le cas vu ma relation avec les orphelins.
Et je n'avais pas tort, personne ne voulait vraiment répondre à mes questions, se contentant de prétendre ne rien savoir ou simplement me rejetant sans gêne. Le personnel du bâtiment ne savait pas grand-chose non plus, ils ne faisaient attention à rien de toute façon. Naly m'a bien dit qu'elle avait rapidement vu des pégases rentrer et sortir et c'était là ma seule piste. Mais finalement, je ne savais pas si c'était une bonne idée de s'obstiner à la rechercher si c'était pour me retrouver dehors et loin de toute protection, face au groupe de pégases si elle était avec eux. Mes forces m'ont alors quittée et ma fatigue de la journée a rapidement repris le dessus.
Je n'avais plus rien à faire, mais je ne voulais pas rester allongée au lit un bouquin entre les pattes, non. J'avais encore du temps avant le couvre-feu de l'orphelinat, alors pourquoi pas une petite ballade dans le parc ? Je savais que je risquais de tomber sur les mauvaises personnes, mais j'avais toujours des sabots pour galoper dans le pire des cas.
Je me suis donc dirigée vers la porte principale, sortant en évitant de justesse une pégase puis un terrestre sur mon chemin. J'aurais pu me faire brutalement bousculer, j'aurais parié qu'ils n'y auraient même pas fait attention. Donc même les adultes s'y mettaient...
Sans me retourner, j'ai continué ma route.
*
La soirée commençait à toucher à sa fin, et le couvre-feu n'allait pas tarder. Je n'avais rencontré personne à risque sur mon chemin et cette bouffée d'air frais m'avait fait le plus grand bien. J'étais de l'autre côté de Ponyville et devais donc accélérer mon trot afin de rentrer à temps au réfectoire. Passant par le centre-ville, j'ai croisé sans prendre garde l'artisan rangeant ses marchandises. Celui-ci m'ayant remarquée, il m'a crié avant que je m'enfuie à toute vitesse que ma chance avait tourné. Le ton de sa voix n'était pas agressif, il avait l'air plutôt enjoué. Mais ça ne m'a pas empêchée de partir d'un pas plus rapide, faisant l'ignorante. Étrange qu'il ne soit plus en colère alors que j'avais saccagé ses affaires. Peut-être que lui-même s'est rendu compte que me lancer son balai était un peu extrême pour une gamine comme moi ne faisant que passer.
*
Face à la porte du long couloir blanc, je suis rentrée en dernière dans le réfectoire. J'étais gênée. Les yeux au sol et n'osant les relever de peur de croiser ceux d'un autre, sachant qu'ils me regardaient tous, je me suis dirigée vers le fond, à ma table. Une fois assise, j'ai pu souffler un peu, balayant maintenant la salle toujours à sa recherche. Elle était là, avec ses fameux amis. Je l'ai ignorée, attendant le moment opportun pour discuter.
Plus tard le soir, j'ai essayé de la tirer à part dans un des couloirs isolés du bâtiment pour lui parler, mais elle m'a violemment rejetée, me menaçant de ne pas l'approcher. Des pégases étaient à proximité et nous observaient. Je suis restée muette face à son comportement qui avait changé du tout au tout. Où était la pégase souriante et blagueuse que je connaissais ? Volatilisée. Je n'avais là qu'un orphelin comme les autres.
Devant mon incapacité à répondre, elle est partie je ne sais où. Mes yeux ne l'ont pas suivie, se contentant de verser une larme, la seule, alors que je restais debout à ne rien faire. Un rideau rouge est apparu soudainement devant moi, fallait-il qu'elle surgisse toujours de la même façon dans ce genre de situations ? Un sabot sur mon épaule, une croupe à terre, elle a abaissé son regard jusqu'au mien. Un faible sourire dessiné sur son visage. Elle m'a prise dans ses bras, puis m'a simplement proposé d'aller me coucher. Sans contester, j'ai obéi, et elle m'a même proposé de m'accompagner un peu. J'ai simplement accepté, sans savoir si je préférais rester seule ou non.
Sur le chemin à travers les couloirs, je ne disais rien et elle non plus. C'était peut-être le moment parfait pour lui dire tout ce que j'avais sur le cœur, mais comme à mon habitude, je n'ai pas osé. Une fois sur le pas de la porte du dortoir, elle m'a tout simplement souhaité bonne nuit. Timidement, j'ai rassemblé tout mon courage et lui ai demandé le fameux "pourquoi" que l'on peut se poser sur toute sorte de choses. Pour ma part, c'était sur l'orphelinat, sur les autres, sur elle... Elle m'a souri, chaleureusement. J'ai hoché de la tête, me demandant si elle se moquait de moi, mais le ton de sa voix m'a tout de suite prouvé le contraire. Elle-même ne savait pas vraiment. Le "parce que" de la fatalité, sans aucun doute. Sa maladie en était un exemple, et il ne fallait pas se morfondre, mais profiter de la vie. Naly me répétait que les orphelins ne rejettent pas toujours ce qu'ils ne comprennent pas, et qu'il faut faire le premier pas de son côté aussi. Et enfin pour terminer, elle m'a dit qu'elle m'aimait tout simplement. L'amitié se forge vite parfois, mais peut aussi prendre plus de temps. Et à ces mots, elle m'a laissée devant la porte. Je l'ai regardée s'éloigner jusqu'à disparaître dans un tournant du bâtiment. Après quelques secondes à méditer sur ses paroles, j'ai passé la porte du dortoir.
L'amitié prend du temps parfois, c'est certain.
"Je suis désolée". Trois mots dans une lettre cachée sous mes draps. Furieuse, j'en ai fait une boulette de papier avant de la jeter. Alors c'était ça, hein ? Changer complètement sa personnalité juste pour plaire aux autres. Tant pis si par la même occasion, ça faisait du mal à quelqu'un ? Il faisait nuit et le dortoir dormait désormais dans l'obscurité après une extinction des feux par la directrice. J'aurais bien fusillé du regard une certaine orpheline. Heureusement, m'allonger sur mon lit m'avait calmé les nerfs. Posant délicatement ma tête sur mon oreiller, je commençais à me blottir dans ma couette avant de me rendre compte que mon crâne reposait sur quelque chose de rigide. Attrapant la chose sous mon oreiller, je ne pouvais pas discerner grand-chose dans ce noir.
Debout, j'ai essayé de la tâter pour y deviner la forme, mais impossible. Je l'ai alors déposée sur le bureau collectif, espérant que je l'avais bien mise dans le bon sens. Tirant à peine les rideaux de la fenêtre, elle est apparue face à moi.
Ma bouche s'est entrouverte lentement. Je n'arrivais pas à y croire, comme stupéfaite par la situation, avant que ma joie reprenne le dessus, suivie de nombreuses questions. Sur le bureau se dressait majestueusement devant moi la statuette de licorne. Sa cape océan, ses étoiles célestes, les mêmes clochettes, la même barbe. Chaque détail était identique, c'était bien elle !
Avant que mon excitation ne réveille la population, quelques interrogations simples, mais précises ont jailli dans mon esprit en ébullition. Qui ? Pourquoi ? Comment ? Après une rapide réflexion, j'ai pensé à cette pégase orangée, elle voulait peut-être se faire pardonner. Mais cela n'expliquait pas le comment...
Elle m'aurait espionnée devant la boutique ? Et le prix ? C'est bien trop cher pour un orphelin ! Remarque, elle possède bien une trottinette dernier cri...
Peu importe, j'ai précieusement rangé ma licorne dans mon sac, virant la plupart des livres et autres bouquins de l'intérieur, puis l'ai cachée sous le lit. Par peur, j'avais décidé de la garder toujours sur moi et de porter mes livres scolaires au sabot. J'étais épuisée, je me suis endormie aussitôt ma statuette mise en sûreté. Je n'écrirais pas ce soir dans mon petit livret.
*
Le lendemain était banal, excepté les heures d'étude où j'ai pu converser avec ma pseudo amie. Elle arborait son sourire angélique, moi pas. Elle était désolée, je lui en voulais. Notre conversation n'est pas allée bien loin, s'arrêtant à la gêne qu'on avait l'une pour l'autre, et je ne lui ai pas parlé de la statuette. À l'orphelinat, on s'ignorait, ce qui ne changeait pas vraiment mes habitudes, toutefois elle continuait à vouloir garder contact, mais seulement en classe. Je n'aimais pas vraiment ce genre de relation, et au fur et à mesure des jours, je ne m'y habituais toujours pas. Et même si c'était ma voisine de gauche et que je n'avais pas le choix, la tension était toujours présente entre nous. Elle ne diminuait pas, si bien qu'on haussait le ton lors de nos rares discussions en classe, ce qui a provoqué une grande colère chez Cheerilee, qui a donc décidé de me changer de classe. Je me suis retrouvée dans une autre salle, loin de la pégase. C'était peut-être pour le mieux, même si j'avais échappé à la seule occasion de me faire une amie, mais peu importe...
Un jour, tout ça a changé.
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