Chapitre IX Quand on revient de la ville

Au matin, dès l'aube, Applejack fut la première levée, une habitude de la ferme. Ce fut à pas de loup qu'elle sortit prendre l'air. Le plancher grinçait à chaque enjambée, mais ses amies devaient être bien trop profondément endormies car aucune ne réagit. Arrivé sur la véranda, la fermière frissonna. Le givre recouvrait tout. Comme la veille et l'avant-veille, le brouillard, remontait de la mer, cachant les premiers rayons de soleil. Un cri bien connu de la campagnarde résonna dans l'aube. Un coq saluait l'arrivée de l'astre de Célestia. Guidé par ce bruit, Applejack, à nouveau coiffée de son stetson, s'engagea dans la brume et remonta un des sentiers qui rampait entre les buissons de ronces.

Elle déboucha sur une clairière, plus vaste que celle où se trouvait les maisons. Au centre de cette troué, se trouvait un large enclos, subdivisé en plusieurs parcages plus petits. Il y avait là des poules et des chèvres, et même une paire de brebis. Une petite bergerie dans un coin, un poulailler dans l'autre.

Plus loin, à travers les ombres qui lentement se dissipaient, on pouvait à présent voir un potager. Avec l'arrivé des frimas de l'hiver, de larges portions de terre étaient au repos. Malgré tout Applejack y reconnut plus d'une dizaine de légumes différents prêts à être ramassés : de l'oseille, des fèves, des petit-poids, des radis, des choux de tout type et divers bulbes, oignons ou autres échalotes. Si les plantes lui étaient familières, les variétés lui étaient inconnues.

Entre deux rangés d'artichaut Den Mother s'affairait. Avec le froid matinal, elle expirait une épaisse buée à chaque respiration.

« Bonjour, entama Applejack

- Bonjour, vous êtes matinale vous.

- Comme je vous l'ai dit hier, je vis et travaille dans une ferme. Alors le lever avec les poules, je connais.

- Oui, sans doute.

- Qu'est que vous faites ?

- Le paillage.

- Et ça consiste en quoi ?

- À recouvrir le sol d'une couche de paille, cela l'enrichit le sol et protège les pousses du gel. »

On sentait dans la façon de parler de Den une patience et une pédagogie dont Applejack l'aurait cru incapable.

« Mais pourquoi plantez vous en cette saison, on est en hiver, les travaux des champs sont finis.

Que vous croyez, ici, on plante et on récolte toute l'année. Nous y sommes bien obligés. Tenez, sur ce carré, les petites pousses que l'on voit pointer sous le fumier, c'est des radis noirs.

- Des radis en hiver ?

- Oui, c'est une variété que ma tante Hortensia a développée, elle se ramasse en février. Enfin si le gel n'est pas trop fort. »

S'ensuivit une longue conversation entre deux connaisseuses. En bonne Apple, Jack avait toujours fait de la monoculture de la pomme sa grande fierté. Découvrir que des terrestres avaient développé autant de variétés maraîchères étaient étonnant, même pour elle. La plupart de ce qui se plantait ici ne l'était sans doute nul part ailleurs. Côté technique, il y avait là de nombreux archaïsmes qui se retrouvaient à être encore utilisés par cette jument. Dans le reste d'Equestria il était bien plus rentable d'importer d'un autre lieu du pays certain produit qui y poussaient naturellement plutôt que de chercher à tout prix à les produites sur place avec de faible rendement. Ces poneys avaient dû faire avec une terre ingrate et des conditions bien difficiles. Pourtant, ils avaient triomphé.

Les deux juments palabraient depuis un moment déjà, discutant en même temps qu'elles s'activaient aux tâches agricoles. On devait avoir dépassé les huit heures du matin, il faisait à présent complètement jour quand Startail vient les rejoindre. Il portait un panier chargé d’œufs frais et sortait du poulailler.

Après les salutations d'usages, il leur annonça que le petit-déjeuner était prêt et les attendait. Tous trois revinrent vers les maisons chargés de légumes frais.

Applejack n'en revenait pas d'avoir passé autant de temps avec Den Mother à parler jardin. Elle en avait oublié la mission confiée par Twilight. Elle se mordit la langue et se promit intérieurement d'aborder la question.

En entrant dans le salon, les jardinières matinales furent accueillies par une douce odeur de miel, de marron grillé et de... Camomille. Autour de la table à rallonges, tout le reste de la bande s'activait déjà.

“Bonjour tout le monde, salua l’aînée des Apple

- Grande sœur !

- Et bien, tu as dû être bien matinale, on ne t'a pas entendu sortir ce matin, lança Rainbow Dash.

- C'est juste vous qui dormiez comme des souches taquinat la terrestre.

- Vous m'avez l'air bien remises toutes les deux, dit, elle en se tournant vers Apple Bloom et Sweetie Belle.

- Je les ai auscultées par magie ce matin, précisa Twilight. La fièvre est tombée dans la nuit. Je n'ai pas a eu à faire usage de sort de guérison. Je suis surprise de l'efficacité des remèdes de maredame Soccer, je crois qu'elle est aussi douée que Zécora pour ce qui est de l’herboristerie.

- Il faut bien, reprit l’intéressée, j'ignore qui est cette Zécora, mais sachez qu'il n'y a jamais eu de licorne dans notre communauté. Il a bien fallu faire sans. Notre famille est parmi les plus anciennes d'Equestria, nous avons des traditions et des savoir-faire très anciens.

- Mais dites, moi qu'est que nous avons là au petit-déjeuner, » demanda Applejack, changeant de sujet

Faire preuve d'autant de diplomatie lui en coûtait, mais elle sentait que si elle laissait Den continuer sur sa lancée, elle même allait exploser. Et dire qu'il y a quelques minutes, elles conversaient toutes deux en bonne intelligence sur les subtilités du maraîchage...

« On a des marrons grillés avec un tisane de camomilles au miel, lui répondit Scootaloo.

Dit plutôt du miel à la tisane oui, vous avez vu les quantités que vous prenez les pouliches, s'esclaffa la pégase cyan.

- Mère, puisque vous êtes de retour, nous allons pouvoir y aller. »

La voix d'Astro provenait de la cuisine

« Montre-toi mon fils »

À ces mots le jeune étalon s'avança dans le salon. Tandis qu'il détachait son tablier de cuisine, on pouvait voir qu'il avait toujours ses bandes molletières et son épaisse chemise à carreaux. Mais contrairement à la veille, il s'était rasé de près et sa crinière était coiffée avec attention.

“Qu'est-ce que je t'ai dit mon fils, quand on va voir la famille, on s'habille convenablement

Mais mère, je doute qu'ils en prennent ombrage.

- Tu me réponds ?

- Pardonnez-moi...

- Monte te changer, tu me fais honte.

L'air penaud, l'étalon gravit en silence l'escalier. L'atmosphère de la pièce semblait avoir perdu quelques degrés.

Prenant son courage à deux sabots Apple Bloom osa briser la glace.

«Si l’on est guérie moi et Sweetie Belle. Ça veut dire que l'on peut venir avec vous ?

- Bloom, comme j'ai tenté de te l'expliquer ce matin, lui répondit Twilight, je ne sais pas encore si vous êtes en rémission ou complètement guérie, je préférerais que vous restiez toutes deux au chaud à l’intérieur pour aujourd'hui.

- Humf, c'est pô juste ! grommela la pouliche.

- Ne t'inquiète pas, je te racontai tout ce soir lui fit avec un clin d’œil Scootaloo.

- Hum, hum, dites-moi jeunes pouliches, je vous trouve bien impertinentes, vis à vis d'une adulte,» les interrompit maredame Soccer

Déjà Applejack fronçait les sourcils et Rainbow Dash se leva à moitié de sa chaise, la remarque de la matrone ne plaisait pas du tout à certaines. L'électricité dans l'air devenait palpable

« Ho, excusez les, vous savez ce que c'est, les jeunes pouliches des grandes villes, ça parle souvent sans réfléchir, elles ne voulaient pas vous offenser. ».

Twilight avait parlé le plus vite qu'elle pouvait tout en lançant un regard implorant à ses deux amies. Rainbow se rassit, Applejack se détendit, enfin un peu.

Il fallait changer de sujet et vite

«Tu sera surprise Applejack, c'est Astro qui nous a préparé le pique-nique, improvisa l'alicorne avec un sourire forcé. C'est un vrai cordon bleu. Il ne tarit -pas d'éloge sur maredame Soccer, c'est elle qui lui a tout appris. Ils font de ces cakes salés, de vrais délices. Tu devrais lui demander la recette.

- Yep, si ça te fait plaisir sucre d'orge »

À ce moment, un bruit se fit entendre des escaliers. Astro redescendait. Il avait troqué sa chemise pour une veste en laine noire à col italien, mais il avait gardé ses bandes aux chevilles. Un chapeau de feutre gris particulièrement élimé couvrait sa tête. Le couvre chef, quoique ancien, avait été entretenu avec soin.

« Ah ! Te voilà présentable mon fils, s’exclama Mam' Soccer. Tu me rappel ton père.

- Bien, nous devrions y aller, nous avons de la route à faire, répondit l'étalon sur un ton maussade.

- En route, donc, » lança Rainbow en un mini looping dont elle avait le secret.

Twilight nota mentalement que Den avait brusquement grincé des dents face à la manœuvre tandis qu'Astro avait écarquillé les yeux, émerveillé. C'était la première réaction poneysque sur ce visage jusqu'à présent toujours de marbre. Pour l'un comme pour l'autre ce fut très fugace.

Applejack profita des embrassades du départ pour chuchoter à l'oreille de son amie princesse

« J'espère que tu sais ce que tu fais en me laissant seule face à cette harpie

Je l'espère aussi. Oh, et puis tu n'es pas seule, tu as les deux petites avec toiMerci du cadeau, Sweetie Belle en cuisine... »

Une fois le premier groupe sorti, la maison sembla bien vide d'un coup. Il ne restait plus que Den Mother, les deux Apple et Swettie Belle, tous les autres étaient partis, même le chien, Avon les avait accompagné .

« Bien, jeunes pouliches, nous allons à présent ranger le petit-déjeuner. »

D'une voie calme et autoritaire, la maîtresse de maison donnait ses instructions. Devançant les questions, elle indiquait à chaque fois où chaque objet se rangeait. Ici, chaque chose avait sa place, on sentait que l'on était sous le toit d'une maniaque de l'ordre. Pourtant, elle le faisait avec calme, presque douceur, répétant à l’occasion ses consignes. Un œil sur tout, pas le moindre détail ne lui échappait. Si elle-même ne faisait rien, c'était comme si elle avait eut trois corps supplémentaires pour accomplir ses volontés tant elle était précise et concise dans ses directives. Cette jument était peut-être un tyran domestique, mais un tyran diablement efficace

En un rien de temps, la maison fut propre comme un sous neuf. Il fut à présent temps de se mettre à la préparation du déjeuner. Les légumes ramenés le matin y pourvurent en partie, mais s'y rajouta d'autres vivres que Mam' Soccer fit aller chercher au cellier.

C'était une sorte de petite cave sous la cuisine, il y avait là quantité de nourriture. La plupart était du très classique: légume sec, bulbes et autres tubercules.

Ce qu'elle demanda de ramener sortait de l'ordinaire. Il fallut prendre sur une étagère de longs filaments séchés, on aurait dit des haricot verts géants. Bien que plier en trois ou en quatre, ils dépassaient les quatre-vingts centimètres de long

«Mais c'est quoi que ce truc, questionna Apple Bloom.

- Sachez jeune pouliche que le bon équestrien dirait “Qu'est-ce donc que cette chose ?” Et pour répondre à votre interrogation sachez qu'il s'agit d'une algue, la salicorne, connue aussi sous son nom plus commun de haricot de mer.

- Ça se mange, demanda Sweetie Belle.

- Si cela est comestible, voulez-vous dire, oui sinon je n'en aurai pas dans mon garde-manger quelle question.

- Pourtant, il m'a l'air bien dur votre n'haricott, objecta Bloom.

-  On ne dit pas n'haricot, mais bien haricot. Sachez que comme tout légume sec, il va falloir les faire tremper quelques temps dans de l'eau douce et claire, comme des lentilles, Sweetie Belle voulez-vous bien nous sortir un saladier, deuxième tiroir en bas à droite... »

La dernière des invitées se tenait en retrait et observait la scène, écoutant d'une oreille discrète les explications de Mam' Soccer. la ménagère avait rapidement demandé aux deux pouliches de l’appeler ainsi. Applejack était bien embêtée. Cette jument était un concentré de contradiction. Elle pouvait se montrer plus têtue que le plus obstiné des ânes et l'instant d'après se faire pédagogue et patiente.

Même si ces dernières années la gardienne de l'honnêteté avait appris à mettre de l'eau dans son vin et avoir des avis moins tranchés, elle se trouvait dans une situation embarrassante. Elle n'arrivait pas à déterminer si Den Mother était une bonne ou une mauvaise personne. Pourtant à connaître des gens comme Discord elle devrait être habituée à avoir des individus contrastés, ni blanc ni noir.

La fermiere se mordit la lèvre, elle avait une mission. Elle se reconcentra sur ce qui l'entourait

« Voyons ma petit Sweetie, comme je vous l'ai déjà dit, si votre camarade Bloom peut faire ça sans magie de lévitation, vous le pouvez aussi.

- Pardon.

- A présent, recommencez, je vous prie

- Hum excusez moi maredame Soccer, se lança Applejack. J'me demandai. Les gens de Vanhoover, vous les aimez pas trop nan ? C'est que... Que... Que... J'voulais savoir si que c'est pourquoi vous les aimez pas ! Enfin si c'est pas trop demandé »

La fermière se mordit à nouveau la lèvre, voilà qu'elle bégayait et bafouillait, pire que Fluttershy. Allons, aurait-elle peur, elle qui a fait face à tant de danger. Cette jument n'était pas une sorcière.

« Les gens de Vanhoover dites vous ? »

Den affichait un léger sourire, comme si ses lèvres étaient pincées

« Yep, enfin, je veux dire oui»

Le corps tout entier de Maredame Soccer était tendu et contracté. Elle s’humecta plusieurs fois les lèvres avant de répondre.

« Comment vous le dire toute en restant polie ? Ces gens sont des monstres, comme tous les citadins et presque l'entièreté d'Equestria. »

Au fur et à mesure qu'elle parlait le visage de Den Mother se faisait plus dur

« Ces gens sont des sorciers sans âme qui vous ensorcelle le cœur, ils brisent vos familles, détournent les fils de leurs parents, l'époux de sa jument»

Applejack ne s'attendait pas à une telle réaction, portant son interlocutrice continuait à lui parler comme si une bonde venait de cédé, libérant le trop plein d’eau boueuse d’un lac de retenu.

«La ville est un lieu de perdition et déchéance. J'étais encore adolescente la dernière fois qu'elle a frappé. Mon propre oncle est allé s'installer à la ville. Qu'y a-t-il trouvé ? Rien, rien si ce n'est la ruine, et le malheur. Pire, il a entraîné dans son sillage de désolation la plupart des nôtres. Notre communauté était petite mais soudée, nous n'avions pas besoin de la ville, pourtant, ils y sont tous allés ou presque. Pour faire fortune ! Aucun n'en est revenu.

- Mais que leur est-il arrivé ? questionna Apple Bloom.

- Oh, ils ont disparu, happé par l’anonymat des masses. Mon oncle a tenté d'ouvrir un commerce de vente d'algue. En quelques années les autres jeunes l'ont tous suivi, comme associé ou employé. Mais cela n'a jamais marcher. L'entreprise a finalement fait faillite, mais plutôt que de rentrer, ils ont préféré partir pour d'autres cieux, ils se sont dispersés à travers tout le pays, sans un regard en arrière. Seul mon beau frère, Hook m'est revenu. Ho ! Il n'avait pas l'air viril, mais il faisait peur à voir, quand il est revenu de la ville.

Mais c'est terrible compatit Sweetie Belle.

- Nous tout ce qu’on veut c’est être heureux. Mais les autres n’avaient pas le temps d’avoir trente ans. Oh, ils ont bien essayé de nous entraîner dans leur chute, »

Den en avait à présent les larmes aux yeux. Sa voix montait à présent dans les aigus.

« Ils ont régulièrement envoyé des lettres ou certain d’entre eux en ambassade, nous demandant de venir les rejoindre qui à Manehattan qui à Las Pégasus ou d'autres lieux encore plus exotiques. Mon propre mari, le père d’Astro, Il m’a abandonné pour une autre. Le dernier à y avoir succombé est mon propre frère ! Mais ce ne sont pas là nos foyers, notre foyer, il est ici ! Nous les avons renié ! Puis qu’ils nous ont abandonnés alors ils ne sont plus digne d’être des nôtres.»

Den Soccer hurlait presque en disant cela et plus elle continuait plus elle parlait fort.

« Nous les avons renier ces traîtres ! Je maintiendrai la tradition, nous resterons ici, dût-je en être la seule et derni...»

Driiiiiiiiiiiing Driiiiiiiiiiiiing

«Ho ! Le soufflet au wakamé, vite, mes petites, sortez le du four ! »

Brusquement, comme si l'on venait de tourner un disque, Maredame Soccer avait repris son aspect de maîtresse de maison modèle, propre sur elle et contrôlant parfaitement ses émotions. Le seul témoin de ce débordement était des yeux légèrement rouges et une mèche de crin qui ressortait de son chignon, comme un poil sur la soupe.

« Nous pouvons passer à table, c’est prêt…»