Chapitre VI : Arrivées à Bon port

La petite troupe fut occupée durant le peu de temps d'obscurité qu'il restait à rassembler le maximum d'affaire qui pouvaient être sauvées après le violent orage. En cette fin de nuit, le ciel était parfaitement dégagé. On voyait l'éther nocturne se refléter sur la mer à présent calme. C’était, comme si par un jeu de miroirs, l'on avait eu un double de la voûte nocturne. La Lune, qui d'habitude cachait la plupart des étoiles par son éclat, était déjà couchée et le soleil n'avait pas encore poussé ses premiers rayons.

On pouvait voir comme une traînée blanche coupant en deux le noir, une tranchée où les étoiles étaient si serrées que l'on en voyait plus entre elles la toile le sombre de la nuit. Vision rare du ciel d'Equestria sans aucun de ses deux astres royaux.

Comme la veille, un brouillard givrant vient avec l'aurore. Le groupe repris la mer quand les premiers rayons de soleil purent enfin percer la brume, la mâtiné était alors déjà bien avancée. Twilight avait préféré attendre une bonne visibilité pour repartir. Elle ne voulait pas rater un embranchement dans le dédale marin qu'était cet archipel. Quand le voyage repris, le vent soufflait en rafales courtes, gonflant la voile, la Calypso avançait à bon train, brisant les flots, ponctué par le lent et régulier tempo des coups de rame. Il faisait gris, mais au moins il n'avait (presque) pas plu de la journée, juste quelques crachins. La lumière était tamisée.

Le midi solaire avait été dépassé quand la Calypso émergea sur une large baie. Pas moins de quatre chenaux partaient de ce lieu. Si la mer avait été une route alors on se serait trouvé à un beau carrefour en croix. En plus des bras de mer, une petite rivière avait là son embouchure.

Mais ce qui attirait le regard, c'était sur le rivage ouest un ponton de rondin qui 'avançait sur une quinzaine de mètres sur les flots. C'était la première trace de construction civilisé au milieu de ce monde sauvage depuis plus de vingt-quatre heures. Sans doute avait-il été plus long par le passé, deux rangés de pieux parallèles sortait des flots et s'avançaient dans la continuation du ponton. Celui-ci était, par endroits, effondré.

Plusieurs petits cabanons de planches s’alignaient au départ du ponton. Derrière, on pouvait voir deux canoës d'écorces, retournés sur une plage de sable grossier, ils étaient fort semblables à ceux vus chez le commandant Coquinas.

Plus loin, sur la grève, il y avait la carcasse aux trois-quarts désossée d'un navire de plus grande taille. Cela devait faire un moment qu'il devait être là, la mousse le couvrait à moitié. Les poutres saillantes pointaient vers le ciel, ce qui lui donnait un air de vieille carcasse de baleine échouée là.

Cachées par la végétation, on devinait plusieurs maisons en bois à la limite de la forêt

C'est avec la plus grande prudence que la Calypso glissa jusqu'au rivage. Les juments appelèrent plusieurs fois d'hypothétiques occupants. Les “Ohé” et “Il y a quelqu'un ?” résonnèrent dans le silence.

«Est-ce qu’on est au bon endroit ? questionna Scootaloo.

- Mes relevés et mes cartes sont formels, nous sommes belles et bien arrivées, lui répondit la princesse.

- Et puis où veux-tu que ce soit d'autre ? C'est pas comme si on avait vu beaucoup d'autres coins habités par ici, lui fit remarquer Apple Bloom.

- En tout cas, je n'aime pas cet endroit, murmura pour elle-même Sweetie Belle, il me fait peur.

- Je te concède qu'il est lugubre», lui souffla Applejack.

La barque glissa sur le rivage en crissant sur le sable. Rainbow Dash fut la première à mettre le sabot à terre. Sans même attendre ses compagnes, occupées à tirer le bateau plus haut sur le rivage, la pégase s’élança vers les habitations.

«En avant ! claironna t elle, les devoirs de l'amitié nous appellent.

- Attends ! Je souhaite que l'on agisse avec ordre et méthode».

La voix de l'alicorne coupa net la pégase dans son élan. Ce n'était pas encore la voie royale de la princesse Luna, mais cela fit effet.

Ce fut groupées que les héroïnes remontèrent de la plage. Il y avait de nombreux taillis de ronces. Entre les épineux, serpentait plusieurs petits sentiers. Les aventurières prirent le plus large. Au bout de quelques minutes de marche, la petite troupe déboucha sur une large clairière. Il y avait là une demi-douzaine de bâtiments en rondin. La plupart semblaient en ruine, les toits de certains s'étaient effondrés, quand ils n'en avaient plus, les volets gisaient au sol. Il y avait même une cheminée solitaire, seul vestige de l'une de ces maisons. Les portes entrouvertes, quand elles existaient encore, laissaient entrevoir des intérieurs délaissés depuis longtemps et envahis par la végétation. D'autres semblaient en moins mauvais état, comme une maison de vacance fermée le temps de la mauvaise saison.

Une seule était présentable. Deux marches permettaient de monter à une grande véranda en planche. Contrairement à celles de ses voisines, aucune planche n’était disjointe ou manquante,

L'espace couvert était délimité par une rambarde. La forme biscornue des rondins utilisés indiquait que cela avait été fait en bois flotté. Des pots de fleurs y étaient accrochés. Des poutres de la charpente pendaient d’autres jardinières en terre cuite, retenues par des porte-pots en macramé faits de cordelettes grossières. Avec les beaux jours, le lieu devrait sans doute déborder des fleurs.

Une chaise à bascule faisait face à une table grossière et deux bancs. Les volets étaient clos, la porte fermée. Devant le perron, un paillasson qui avait connu des jours meilleurs. Attaché à un clous, au chambranle de la porte, un bouquet d'églantine séchée.

«Ah ! Je savais qu’on était arrivées !»,

Rainbow Dash fut la première à s'avancer. En un bond, elle gravit les marches menant à la véranda.

«Attends ! Lui cria Twilight.

- Mais quelle tête brûlée !» renchérit Applejack

Trop tard!

La porte s'ouvrit brusquement, un chien de taille moyenne, à la silhouette ronde et robuste en sortit. La robe avait une couleur sable. Le corps était fortement charpenté et d'allure arrondie, mais sans être trop gros. Avec un peu plus d'une demi-toise au garrot, il était à peine plus petit que les trois plus jeunes pouliches. La queue, avec ses rondeurs, rappelait celle de la loutre. Des yeux noisette, une truffe noire et des oreilles tombantes encadraient des babines retroussés, qui révélèrent une mâchoire puissante et bien trop garnie.

«Attaque ! L'ordre venant de l'intérieur, claqua, l'inflexion était féminine et sècheRainbow !» hurlèrent en cœur ses amies

Avant que quiconque ne puisse réagir la masse canine se jeta sur la pégase qui bouscula au sol en un cri.

«Vous allez le payer !»

La rage dans le grognement de la jeune Sparkle était palpable. L'aura mauve de magie enveloppa une silhouette dans l'ombre à l’intérieur de la maison.

Alors que la corne crépitait d'énergie, une forme massive se laissa tombé du toit de la véranda, directement sur la croupe de Twilight, littéralement écrasée par la présence du nouvel arrivant.

«Ne touchez pas à Mère, sorcière, rugit l'agresseur.

- Et toi lâche mon amie.»

La ruade d'Applejack rejeta au loin l'attaquant, le projetant dans un des épais buissons de ronces bordant la clairière. La fermière n'eut même pas le temps de reposer ses sabots au sol qu'un sifflement chuintant se fit entendre.

Il précéda de peu l’envoi d'un filet, un épervier pour être plus précis. Lancé à la perfection, la fermière favorite de tout Poneyville se retrouva empêtrée dans un écheveau de mailles.

«Et toi, touches pas à mon frèro»,

La réplique cinglante provenait de l'une des ruines d'où était parti l'épervier.

Les trois Chercheuses de Talent se regroupèrent dos à dos, la situation n'était pas bonne.

«Ha, ha, ,ha, arrêtez j'en peux plus ! Ha, ha ,ha, non, arrêtez, je vous en supplie !»

Le cri d'agonie de Rainbow, mais... Attendez, ce n'était pas une agonie, mais... Un rire. La pégase était en train de rire ! Si elle risquait une mort, c'était par une overdose de gloussement. C'est dégoulinant de bave que la gardienne de la loyauté se releva, le chien, un labrador, agitait la queue de joie à ses côtés.

«Décidément, Avon, on ne pas compter sur toi, hein mon chien, soupira le rétiaire. Je crois que l'on peut au moins vous offrir une tisane. Si Avon vous apprécie, c'est que vous ne pouvez pas être mauvais.

- Non, on ne peut faire confiance à ces étrangers, répliqua la voix sèche venant de la maison.

- Mère, vous exagérez.»

Le ton était posé et calme, celui qui parlait ainsi sorti des ronces où il avait été envoyé l'instant précédent par Applejack.

A présent en pleine lumière, on pouvait voir que c'était un étalon, un jeune adulte, il ne devait pas être loin de sa deuxième décennie, aussi grand que Big MacIntosch mais bien plus fin., le corps musculeux et noueux.

La première chose qui sautait aux yeux était la couleur de sa robe : noire, noire comme la nuit. À la réflexion, non pas tout à fait, Luna était noire comme une nuit à la lueur de la Lune, ce noir qui était en fait un bleu satiné et sombre. Il y avait dans la robe de cet étalon une légère différence, une nuance, cette couleur, les héroïnes l'avaient découvert il y a peu, c'était celle de la mer à la lueur des seules étoiles.

Sa crinière était tout l'inverse, un blanc laiteux, légèrement satiné, presque scintillant, coupée courte. Une barbe de trois jours lui mangeait le visage. Ses yeux étaient deux billes de charbon. Un imper jaune et rapiécé couvrait sa croupe, des bandes molletières en grosse laine grise lui descendait des genoux aux sabots. Les parties du corps qui n'étaient pas couvertes par une pièce de vêtement étaient pleines de micro-coupures dues aux ronces.

«Startail, occupe-toi de nos invités, je monte me changer, imposa le nouveau venu.Tout de suite frangin.»

Le lanceur de filet sortit lui aussi de sa cachette. C'était un poulain, il devait être un peu plus âgé qu'Apple Bloom et ses deux amies, un ou deux ans de plus au maximum. C’était un terrestre. Il ne portait aucun accessoire ou vêtement.

Sa robe turquoise avait une teinte similaire à celle de Lyra, à mi-chemin entre bleu et vert, quoique légèrement plus foncée. Sa crinière aurait fait bondir d'horreur Rarity, les crins étaient gris, frisés et en bataille. Ils n'avaient pas dut connaître une brosse depuis Celestia savait quand.

Un large sourire barrait un visage avenant, illuminés par de grands yeux d'un bleu outre-mer des plus pur. Sur son flanc, sa marque était une grande vague, un rouleau dessinant un grand C majuscule.

C'était là, sans doute possible, la mystérieuse silhouette révélée la veille par la magie de Twilight.

«Si vous voulez bien vous donner la peine d'entrer, dit, il en montant les deux marches menant à la terrasse.

- Hum, merci,» ne sachant trop si c'était du lard ou du cochon, les trois Chercheuses de Talent restèrent un moment interdites.

Une fois que Twilight eut repris son souffle, que Rainbow Dash eut cessé de glousser et qu'Applejack se fut débarrassée du filet, la troupe fit son entrée dans la maison.

L’intérieur de la maison était simple dans sa conception, mais surcharger par son ameublement. Il n'y avait pas une surface plane qui ne soit recouverte par un napperon ou une pièce de dentelle aux motifs floraux. Les meubles, tout en bois de pin, avaient dut être fait sur place; celui qui les avait construits devait avoir une certaine maîtrise du ciseau, en effet, il y avait réalisé des gravures et de fins motifs qui se retrouvaient un peu partout, mais les motifs n’était que des fleurs. Aux murs des broderies ou tentures, là encore les fleurs étaient à l'honneur. Cette accumulation donnait un aspect un trop exubérant à l'ensemble, limite écœurante.

Face à l'entrée, il y avait une grande pièce. La moitié du mur du fond était occupée par une vaste cheminée en pierre. Accrochée à la crémaillère, une marmite en fonte où devait mijoter quelques plats. L'odeur iodée qui s'en dégageait inondait toute la maison. Une table basse et deux fauteuils rembourrés de nombreuses fourrures et une chaise à bascule entouraient cette cheminée. Sur le côté droit un escalier menait à l'étage, sans doute était-ce là où se trouvaient les chambres ; sur le côté gauche, une porte entrouverte, à moitié cacher par un porte manteau. On distinguait par l'entrebâillement une cuisine. Une table à manger entourée de quatre chaises prenaient le reste de la place, mais tout y avait été renversé et sans dessus dessou par la magie de Twilight. Au milieu de ce chaos se tenait une jument.

Difficile de dire son âge, la robe était d'un blanc cassé, la crinière et la queue d'un rouge vif. Les yeux oranges avec de grandes iris noires. Le crin retenu par un petit chignon semblable à celui de Cloudy Quartz. Autour de l'encolure, un châle tricoté sabot. Sur son flanc, sa marque représentait un bouquet de fleurs.

«Bonjour à vous étrangers. La voix était froide et sèche, dépourvue de toute amabilité. Je suis Den Soccer, mais mes fils m’appel Den Mother. Vous les avez d’ailleurs rencontrez. Voici mon aînée Astro Soccer, dit-elle en désignait le grand étalon alors qu'il gravissait l'escalier.

- Hum, le grognement d’ acquiescement était à peine perceptible.

- Et voici mon cadet, Stratail Longboard.

- S'lut ! Vous êtes qui ? Oui, c'est vrai, c'est vous qui avez campé sous l'orage. Vous venez d'où ? Que je suis bête, vous venez de la grande ville, c'est évident. Pourquoi ven...

- Startail !» Le rappel à l’ordre maternelle coupa net le torrent de parole.

Le regard autant que la parole de la réprimande n'avait rien à envier à ce dont était capable la princesse Luna.

Et si on devait faire un concours de débit entre ce poulain et Pinkie pie, pas sûr que la pâtissière gagnerait ce coup-ci.

«Fils, mets-nous le service, celui de tante Hortensia. Il est dans le deuxième tiroir du haut.

- Bien mère, murmura le poulain.

- Et prépare nous une tisane, prend celle aux pétales de rose.

- Bien mère,» sa voix n'était plus qu'un mince soupire. Inclinant la tête, ce fut à reculons qu'il disparut en cuisine.

La matrone se tourna vers les six exploratrices, avec un sourire dérangeant, elle reprit:

«À présent si vous nous disiez la raison de votre venue...»