Chapitre 26: Serment d'allégeance

A l’intérieur du donjon de la citée aux murs blancs, Ulrik de Varlëniss, chevalier du royaume septentrional de Blanches-Cimes, faisait face à la princesse Luna de la Lune qui siégeait seule dans la salle des deux trônes. Il n’y avait aucun garde ou serviteur, seulement quelques torches qui illuminaient faiblement cet endroit obscurci part la nuit. A sa gauche se trouvait le siège royal de sa sœur alitée ; fait d’or et de rubis qui contrastait avec le sien qui était de fer et de saphir.

Luna tenait entre ses sabots LameNoire ; l’épée de son défunt champion. Tête baissée et le regard perdu dans le reflet obsidienne et l’esprit vagabondant dans le néant. On pourrait la comparer à une tigresse, tapie dans les hautes herbes, prête à se jeter sur sa proie pour la déchiqueter de ses crocs puissants.

Tandis que l’humain, les membres maculés de sang séché, nu à l’exception de son pantalon et les mains liées, son œil gris jetait des éclairs sous ses cheveux noirs ébouriffés qui retombaient sur son front bas et large. Il donnait l’impression d’un loup blessé et fatigué, mais qui mordrait encore avant de lâcher son ultime souffle.

Luna se remémorait dans son esprit quand elle était arrivée au cœur du jardin où se dressait la grotesque statue. Des corps de poneys en vestes sombres gisant dans l’herbe. Fauchés par son meilleur guerrier au visage masqué qui se tenait, blessé et fatigué, entre eux et une licorne terrifiée. La rage qu’elle avait ressentie face à cette trahison et la joie éprouvée lorsqu’elle les avait exécutés tous les deux. Ensuite, la venue de sa royale sœur estropiée et de son escorte de jeunes juments écervelées et de soi-disant gardes d’élites. Quelle affreuse torture… Chaque mot de Celestia grinçait dans sa tête comme les serres d’un griffon sur le sol carrelé. Le contact de son sabot sur son corps était semblable à celui d’un tisonnier chauffé à blanc.

Elle aurait pu la tuer. Se débarrasser de cet être nuisible qui lui sert de sœur. Mais quelque chose au fond de son cœur l’en empêcha. De la peur, de la pitié… De la compassion ? Elle ne sait ce qui la fit hésiter. Mais le fait que la princesse du jour est à présent dans ses appartements à se faire soigner par les prêtres rouges l’apaisa un peu. Elle était enfin seule. Seule face à ce guerrier qu’elle désirait et haïssait à la fois. Ou plutôt qui l’intriguait et l’effrayait, car la princesse alicorne de la nuit ne sait vraiment que penser de lui, mais elle sait ce qu’elle ferait en cas de oui ou de non.

L’éclat des yeux brillants et acérés de la Dame de la nuit scruta à présent Ulrik qui n’avait pas bronché durant plusieurs minutes quand les derniers gardes restants l’avaient emmené devant leur suzeraine avant de se retirer par un simple geste du sabot de cette dernière.

Elle se leva avec douceur et grâce. Jouant avec LameNoire au-dessus de sa tête tandis que sa queue et sa crinière flottaient comme de légers voiles tissés dans les fils les plus fins. Pour l’imagination d’Ulrik, c’était-là l’incarnation vivante d’une déesse païenne des ténèbres et du grand froid que l’on racontait autours d’un grand feu sous une nuit sans astres lumineux.

Luna s’était suffisamment rapprochée du chevalier de Blanches-Cimes pour sentir son odeur de sueur et de sang… Elle frissonna de plaisir.

-Mon souhait se résume à une phrase, chevalier, dit la princesse. Je vous veux à mes côtés comme bouclier-lige.

Elle ne perdait pas de temps.

-Non ! Je suis un chevalier loyal de Blanches-Cimes et je ne trahirai pas le serment que j’ai prêté à mon roi, grinça Ulrik.

-Vous n’êtes plus à Blanches-Cimes ! Votre précieuse patrie n’existe pas ici, rétorqua Luna. Ployez le genou devant moi et vous serez élevé en tant que mon garde personnel et vous aurez droit aux privilèges et à la fortune qui sied à quelqu’un de ce rang.

-De l’or et du pouvoir ! Le prix de la trahison et de l’infamie.

Le torse puissant du guerrier fut secoué d’un gigantesque éclat de rire.

-Pour qui me prenez-vous, princesse Luna ? Un mercenaire sans patrie et avide de récompense ?

-Un boucher, dit simplement Luna avec un sourire cruel.

L’homme réagit comme s’il eut reçu un coup de poing sur le foie. L’alicorne bleue se mit à tourner autour de lui.

-Vous croyez que je ne sais rien de vous ? J’ai sondé votre âme et vos souvenirs pendant que vous étiez inconscient. Et j’ai vu une bête plus qu’un chevalier honorable. Une bête capable de tout pour servir efficacement et loyalement son maître. Et c’est exactement cela que je veux sous mes ordres.

Ulrik serra les dents et regarda droit devant lui avec dignité.

-Vous aimez les choses simples… Boire, festoyer, jouer, forniquer… Mais ce que vous aimez par-dessus tout c’est tuer. Pour vous il n’y a rien de plus jouissif que de sentir l’acier plongé dans la chair, entendre les os se briser sous la force de vos pattes, humer l’odeur du sang et de la sueur.

Par derrière, elle enlaça Ulrik de ses sabots autour de son cou et s’appuya sur ses épaules massives. Ce dernier ressentit avec une grande sensation charnelle au contact de ce corps doux et de ce souffle chaud.

-Vous êtes comme moi, Ulrik de Varlëniss. Nous sommes tous deux des guerriers. Nous résolvons les problèmes par le fer et non par les mots, nous chérissons la guerre par la gloire et l’excitation qu’elle procure, d’un coup de sabot Luna tourna le visage balafré et borgne de l’humain vers le sien. Nous accomplissons ce qui doit être fait sans nous préoccuper des jérémiades de ces êtres inférieurs : Ces paysans ignares pataugeant dans la boue, ces bourgeois vautrés dans leur richesse et ces nobles englués dans leurs petites intrigues. Nous sommes ceux qui détenons le vrai pouvoir.

Elle retira son étreinte du chevalier et lui tendit la grande épée noire. Il sentit ses mains libérées quand la lame aiguisée de l’épée obscure trancha ses liens.

-Le vrai pouvoir c’est ce bout de ferraille que tiennent les guerriers entre leurs sabots.

De ces mains libres le chevalier saisit LameNoire et admira cette arme à la fois splendide et mortelle. Ce n’était pas son épée en acier Aloris mais il se sentait à nouveau « entier ».

-Alors ? Acceptez-vous mon offre ? demanda l’alicorne fixant intensément cet homme aux muscles puissants et zébrés de cicatrices.

La réponse d’Ulrik ne fut pas digne, encore moins digne d’un chevalier, mais typiquement instinctive d’un homme dont la nature rustre et belliqueuse n’avait jamais été étouffée par la culture aristocratique qu’il avait adopté. Il attrapa le visage de la princesse de la nuit et dit.

-Votre plume… Je l’ai égarée.

Poussé par un désir aveugle, il s’élança contre son corps bleuté… Il l’écrasa, haletante, contre sa poitrine, ses lèvres tendues vers ses baisers brûlants, sans discontinuer.

Cette créature non-humaine attisait en Ulrik une passion dévorante depuis le premier soir qu’ils se sont rencontrés.