Chapitre 16 - Inertie

Chapitre 16 - Inertie

"Ça faisait longtemps," me dit Nightmare Moon en me tendant une patte pour m'aider à me relever. "Je commençais sérieusement à me demander si nous allions nous revoir."

Je n'ose pas le dire à voix haute, mais elle ne m'a pas tant manqué que ça, cela dit, je suis moi aussi curieuse de savoir pourquoi il s'est écoulé autant de temps avant qu'elle se manifeste de nouveau.

"Où sommes-nous ?" je lui demande.

"Ça me semble assez évident, non ?" répond-elle en regardant vers la sortie de la galerie.

Je suis son regard, je peux voir la lumière à la sortie du tunnel. Aucune des statues sans visage n'a quitté son socle. Elles sont toujours là, figées dans la même pose, inexpressives.

"Ça ne ressemble à rien de ce que j'ai pu voir jusqu'à maintenant."

"Et pourtant, ça a un air familier, non ?" me demande-t-elle en caressant l'une des statues.

Si ce n'était pas pour les tours, là dehors… "Fillydelphia."

Nightmare Moon serre les dents et son regard froid se durcit. "Je préférerai encore voir la Lune réduite en ruines plutôt qu'à la solde des uppers. Si ça ne tenait qu'à moi, Cette ville serait rayée de la carte, avec tous les poneys qui s'y trouvent." Le cou de la statue se fissure sous la pression de son sabot.

J'écarte les miens pour laisser la tête rouler au sol. Je la regarde avec dégoût finir sa course à quelques pas de son socle. Je n'arrive pas à choisir si c'est cette dernière qui me met le plus mal à l'aise, ou la Jument auteur de son tourment. Je peux la comprendre, mais je n'irais pas jusqu'à exterminer tous les poneys, et franchement ,si la ville n'était pas le principal pôle économique du pays, je n'aurais rien contre la voir disparaître moi-même. Encore que, si elle disparaissait, est-ce qu'Equestria serait capable de revenir en arrière ? A une époque où les uppers n'étaient pas aussi puissants et où les princesses auraient pu agir sans que j’aie à être impliquée ?

"Tu es bien naïve." Nightmare Moon interrompt mes pensées en plaçant une patte sur mon épaule. Son souffle chaud contre ma nuque me fait hérisser la crinière. "Tu crois vraiment que les princesses feraient quelque chose ? Elles en ont déjà eu l'occasion à plusieurs reprises, est-ce qu'elles l'ont saisie ? Non. Même si Equestria revenait en arrière," Son sabot descend le long de mon dos," elles laisseraient tout recommencer." Chacune de mes vertèbres me lance un frisson lorsque sa patte remonte à contre-poil. "Mais si nous ne faisons rien… est-ce que c'est ça l'avenir que tu veux ? Est-ce que c'est ça que tu veux peindre sur ta toile ?" Son sabot me quitte enfin pour pointer vers la sortie du couloir.

Un dernier frisson me parcourt, le souffle que je retenais finit enfin par s'échapper. Non, ce n'est certainement pas ça que je veux. Je veux surtout que les choses redeviennent comme avant. Un monde où les poneys seraient capables de vivre en harmonie sans qu'une machine dans leur tête ne le leur impose. Je me moque des machines, je me moque des tours, je me moque de l'économie, et même de la 'grandeur' d'Equestria. Pourquoi le monde ne pourrait pas être comme Ponyville ?

Une petite ville tranquille, sans pollution, où chacun a sa place, où personne n'a peur ni besoin de rien, où tout le monde vit en harmonie. Oui, si je devais peindre quelque chose sur la toile, ce serait ça. Mais il est trop tard sur un point : les poneys ne peuvent pas vivre sans l'endoctrinement. Ceux qui y échappent sont des monstres. Et est-ce qu'Equestria serait toujours capable de faire face au monde ? Si les griffons ont été capables de faire des armes qui crachent du feu, qui sait à quel point le reste de leurs technologies a évolué ? Et qu'en est-il du reste du monde ?

Peut-être qu'il faut juste recommencer, à une plus petite échelle. Mais qu'est-ce que j'en sais ?

"Je ne sais pas, je ne pense pas. Mais il faut se rendre à l'évidence, le champ de ruines a disparu, et le nuage jaune aussi. La Terre et la Lune sont sauves, est-ce que ce n'était pas le but de tout ça ?"

Nightmare Moon hausse un sourcil, et même si sa voix est calme, l'aura de haine qui l'entoure m'écrase de tout son poids. "Sauves ? Tu appelles ça sauf ?" dit-elle en montrant la galerie de statues. "C'est ça que tu vois pour l'avenir de l'équinité ? Tout rendre identique, tout uniformiser ? A quoi bon ?" Le même sabot qui un instant plus tôt me caressait s'écrase au sol. Les muscles de mon dos se durcissent douloureusement au son du craquement, suivi des lézardes qui viennent se dessiner jusque devant moi.

Elle soupire et regarde vers la sortie du tunnel. "L'harmonie n'existe pas sans le chaos, l'ombre a besoin de lumière tout comme la lumière ne peut exister sans ombre. Nous avons besoin de chaos. Pas Du Chaos, mais de chaos. La vie est imprévisible." Elle se tourne vers moi et plonge ses yeux félins dans les miens. "Elle change." Tout comme ses pupilles qui se dilatent et perdent de leur éclat. "elle surprend." Ses traits s'adoucissent et son crin s'éclaircit, "Elle est plaisante." Elle passe tendrement un sabot le long de mon visage et repousse quelques mèches folles de mes yeux, sans jamais quitter mon regard, je sens que je vais fondre... "Mais aussi cruelle !" D'un geste de la patte, elle me repousse sur plusieurs mètres, sa voix refait naître en moi un mélange de terreur et d'incertitude. "Dangereuse !" Ses puissantes ailes s'ouvrent soudainement, leur bourrasque envoyant voler les statues à proximité, qui partent s'écraser contre les parois du tunnel dans un bruit d'éclat. J'essaie de reculer, mais elle ne m'en laisse pas l'occasion, clouée au sol, je la regarde approcher lentement, son cou tendu vers moi, ses yeux perçants vrillant mon âme. "Peut-on encore appeler ça une vie si tout est connu d'avance, si tout est programmé ?" Sa voix sifflante fait bourdonner mes tympans. "Autant laisser notre place à des machines. Le monde que tu vois ici n'a ni maître ni esclaves." Elle finit par relever la tête, sans me quitter du regard. "As-tu vu un trône dans ce palais ?"

"N-non." Je parviens tout juste à balbutier.

"Parce qu'il n'y en a pas. Ce palais n'a pour but que de représenter l'illusion d'une gloire passée." Son attention me quitte enfin pour se porter vers la sortie de la galerie. "Dans ce monde, les uppers ont fini par se consumer eux-mêmes avant de finir d'accomplir leurs desseins. Regarde moi-ça, ces statues, en plus du manque évident de goût, ont été faites à la chaîne." Elle se retourne vers moi. "Qu'est-ce qu'elles sont censées représenter ? Que je sois de nouveau maudite si j'en sais quelque chose. Ce couloir est d'un vulgaire, ils n'ont même pas pris la peine de le travailler, il est simplement creusé dans un bloc. Rien ici n'a été construit, il n'y a pas eu d'acte de création, les choses sont seulement ici parce que quelqu'un un jour a imaginé qu'elles le seraient. Mais la matérialisation pure d'une idée ne vaut rien. Faut-il avoir une âme d'artiste pour pousser un caillou du bout d'un sabot ?"

Elle soupire et secoue la tête. Ses yeux voyagent entre le bout du couloir et moi. Elle me jauge un instant, semblant remarquer pour la première fois mon air effrayé. Je n'ai toujours pas trouvé la force de me relever, mes pattes avant refusent de cesser de trembler et mon coeur menace de s'échapper de ma poitrine.

"Tu dois comprendre," dit-elle d'une voix plus douce. "Il n'y a pas de réflexion, il n'y a pas de travail, il n'y a pas d'âme. Et c'est comme ça pour tout. Tu as bien vu à quoi ressemblait la ville dehors ? Est-ce que tu as ressenti quelque chose en la voyant ?"

Oui, je me suis sentie comme je me sens maintenant : mal à l'aise. Mais si ici c'est sa présence qui m'écrase, là dehors, c'était comme si quelque chose n'était pas à sa place.

"Rien ici n'est vivant, ce n'est qu'une illusion. Le sang continue de couler dans les veines des poneys, ils sont, ils font, ils se contentent d'être et de suivre un idéal qui n'existe plus. Mais sois sûre d'une chose, en dehors de leurs fonctions biologiques, ils ne sont pas vivants. Les ruines de l'ancien rêve n'étaient peut-être que des tas de gravas, mais ils avaient une histoire, un passé. Tu ne le connais peut-être pas aussi bien que moi, mais tu as vu le rêve de Luna, ça aurait pu être leur passé, voir même leur avenir. Ils portaient quelque chose, l'espoir d'un monde meilleur, d'un monde nouveau. Souviens-toi de la toile blanche, de la toile vierge, du support du nouveau monde. Est-ce que tu crois qu'il serait possible de construire un tel monde ici ?" Cet espoir, celui dont elle parle, je le retrouve dans ses yeux, qui m'implorent presque de l'amener à la réalité. Mais clairement, à cette question, il n'y a qu'une réponse.

Je prend une grande inspiration et me relève, tout en essayant de calmer mes derniers tremblements. "Non." Mais elle a raison, peut-être qu'elle est là la solution. Pour pouvoir recommencer, il faut nettoyer, repartir sur un support propre, libre de toute imperfection. L'Equestria que je connais ne peut plus se rattraper, elle est corrompue, souillée. La Filly Tower en est un parfait exemple, ils ont construit du neuf, du propre, mais par-dessus un tas d'immondice gangrené. Il aurait fallu faire disparaître l'ancienne tour et ne garder que la flèche. Les poneys d'aujourd'hui construisent sur les fondations d'un monde malade et mourant. Ils ne s'améliorent pas, ils cachent ou tentent d'oublier leurs défauts. Certains s'élèvent uniquement pour ne plus voir ce qui se trouve en bas.

"Il faut tout effacer, il faut recommencer au propre. Il faut une nouvelle toile." Je réponds en soutenant le regard de Nightmare Moon.

"Bien parlé," dit-elle avec un sourire carnassier. Sa corne s'illumine d'une lumière plus sombre que l'abîme. Une boule bleue se forme autour de nous, puis s'étend, englobant la galerie, puis tout ce qui nous entoure. Jusqu'à ce qu'il ne reste plus que les ténèbres.

Peu à peu, ceux-ci prennent une teinte violette, une étoile solitaire apparaît quelque part dans l'immensité infinie. Puis une autre, et encore une autre, jusqu'à ce que nous en soyons entourées. Il n'y a pas plus de jour que de nuit, simplement le vide et les étoiles. C'est alors que les dunes, non, les collines blanches se mettent à se dessiner. Mes sabots s'enfoncent dans la terre immaculée. Dans le même temps, une planète bleue et verte se met à apparaître dans le ciel.

Le tronc noir des arbres émerge du sol, suivi instantanément de leurs fines feuilles. En moins d'une minute, le paysage uniforme a entièrement disparu pour laisser place à une nouvelle lune, une lune vierge, sans aucune trace d'activité équine, si ce n'est par notre présence. Pas de ruines, pas de tours, rien, seulement la nature, telle qu'elle devrait l'être.

"Voilà qui est bien mieux," dit Nightmare Moon en s'asseyant. Elle regarde le paysage autour de nous, et finit sur moi. "Il reste à savoir si tu es capable de faire le nécessaire dans le vrai monde ?"

Je suis surprise par sa question, qu'est-ce qu'elle entend par faire le nécessaire ? "Quoi ?"

"Est-ce que tu es prête à nettoyer le monde pour obtenir un support vierge ?"

J'écarquille les yeux. "Quoi ? A le nettoyer ? Comment est-ce que vous pouvez utiliser un mot aussi simple pour ce que vous demandez, ça ne s'appelle pas un nettoyage, ça s'appelle une purge."

"Bien, c'est un bon début, au moins tu as conscience de l'ampleur de ce qui est attendu de toi," dit-elle avec un sourire satisfait, toujours aussi calmement.

Ce qu'elle dit est démentiel, je la regarde avec horreur et recule de quelques pas. "Non ! Non, il n'a jamais été question que quelque chose de la sorte soit attendu de moi ! Et… non. Même si j'avais un tel pouvoir, il serait hors de question que je détruise tout, ou fasse disparaître toute trace d'Equestria… ou peu importe ce que vous avez en tête."

Elle hausse un sourcil. "Ce n'est pas ce que tu disais tout à l'heure. C'est bien toi qui voulais tout effacer, tout reconstruire sur du propre ?"

"Bien sûr, mais… c'est une métaphore, on parle de toile, de peinture… j'ai jamais tenu un pinceau de ma vie, et ce n'est pas non plus comme si j'allais refaire le monde ! Je pense juste qu'au point où nous en sommes, l'avenir est déjà écrit, il est trop tard pour changer, et que, oui, idéalement, il faudrait recommencer à zéro, avoir la possibilité de revenir en arrière pour arranger les choses. Mais ça, c'est impossible. S'il suffit d'un claquement de sabots pour refaire le décor ici, je doute que ce soit aussi simple dans le vrai monde."

Nightmare Moon m'écoute silencieusement, mais son expression change petit à petit.

"Je suis déçue," dit-elle en secouant la tête. "Je te laisse trois mois, et tu n'as pas changé, toujours aussi lâche et incertaine… Veux-tu que je te dises pourquoi il est trop tard ?"

Elle se lève et se penche au dessus de moi au point que son front se colle au mien, mes yeux ne peuvent pas échapper à son regard de prédateur. "Parce que les poneys sont comme toi, même les princesses, si personne ne prend de décision, si personne ne passe à l'action, alors les choses ne changeront jamais, pour le meilleur ou pour le pire. Mais crois-tu que les uppers attendent ? Qu'ils se contentent d'observer et de réagir pour se protéger ? Non, tu l'as vu toi-même à Green Pasturges, ils ont une longueur d'avance, ils essayent, et ont réussi à s'approprier une partie de l'endoctrinement. Que crois-tu qu'ils feront d'une telle technologie ?

Mais par chance, tu te trompes. Les choses changent. Oh, ça oui, elles changent." Elle relève la tête et regarde en direction de la planète dans le ciel. "Tout ce que tu as à faire est de leur donner le petit coup pour les pousser dans la bonne direction. Dans ta direction. Regarde ce que tu as permis de faire avec Green Pasturges-"

"Arrêtez avec Green Pasturges ! Je n'ai rien fait à Green Pasturges ! Rien de ce qui s'est passé là-bas et en a résulté n'est de ma faute ! Je n'ai rien à voir là-dedans !"

Elle se retourne vers moi avec son sourire mauvais. "Je ne sais pas si on peut vraiment parler de faute, personnellement, je préférerai utiliser le terme d'opportunité. Car rien de ce qui s'est passé là-bas n'est de ta faute, mais tu n'as pas idée des opportunités que tu as créées."

"Je n'ai rien créé," je réponds en grognant. "Je n'ai rien fait."

"Vraiment ? Commençons donc par le début ? Si tu n'avais pas été à Apple Tec, le jour où tout à commencé, est-ce que tu crois que l'attaque de Green Pasturges aurait eu lieu ? Et les autres ?" Elle prend un instant pour réfléchir tout en se mettant à tourner autour de moi. "Non, soyons honnête, l'attaque d'Apple Tec était vouée à l'échec, et le soulèvement préparé de très longue date. Mais ! Laisse-moi te donner ma théorie sur cette histoire. Laisse-moi te raconter une autre histoire.

C'est l'histoire de deux princesses qui visitent la corporation la plus importante du pays. Pendant leur visite, elles sont prises au dépourvu par l'explosion d'une bombe. Très vite, c'est un scandale, le gouvernement s'agite, les Me sont allés trop loin." Je sens sa présence dans mon dos, sa voix murmure dans mon oreille. "Attaquer directement les princesses ? Ils n'auraient plus été vus comme une nuisance, mais comme une cible prioritaire à éliminer. La sécurité et la sûreté du pays auraient été renforcés, et le soulèvement n'aurait pas duré deux jours, il aurait été maté avant qu'une goutte de sang innocent ait été versée." Elle s'arrête devant moi pour me faire face. "Qu'est-ce que tu en penses ?"

"Très belle histoire, mais c'est ce qu'il s'est passé, non ? La bombe a explosé, mais rien n'a changé après ça."

"Et pourquoi, à ton avis ?" me demande-t-elle, son sourire revenant petit à petit.

Je suis légèrement surprise par sa question. "Qu'est-ce que j'en sais ? Ça n'a aucun sens qu'il ne se soit rien passé en premier lieu."

"Et si…" commence Nightmare Moon d'une voix langoureuse, "elles avaient fait en sorte que rien ne se passe, pour faciliter les choses, pour toi ?"

"Comment pour moi ? Ce serait extrêmement stupide, et je ne vois encore une fois même pas en quoi je suis impliquée là-dedans."

"Les princesses ne t'ont-elles pas demandé de collaborer avec les Me si le besoin s'en faisait ressentir ? Ne penses-tu pas que ça aurait été difficile si tout le pays était sur leur dos ? Est-ce que tu trouves normal que rien n'ait changé après l'attaque d'Apple Tech ?"

Je fronce les sourcils, elle essaye juste de me confondre. "Ce ne sont que des suppositions." Même si elle marque un point, après l'incident de Ponyville, je n'ai rien remarqué de différent, si ce n'est pour ma situation. Canterlot était toujours la même, il n'y avait pas plus de gardes que d'habitude, moi-même qui avait été en contact avec les Me pouvais me déplacer librement dans le palais sans jamais me faire contrôler. Le village que nous avons traversé avec Night Stalker, il n'y avait pas de gardes non plus.

Peut-être… peut-être que si la sécurité avait été renforcée comme elle aurait dû l'être après une attaque sur les princesses, le soulèvement aurait pu être contenu plus facilement.

"Même en admettant que ce soit vrai, c'est complètement stupide, à quoi est-ce que ça aurait servi ?"

"A quoi ?" répète Nightmare Moon. "A changer les choses, tu ne t'en rends pas compte, mais c'est ce que j'essaye de t'expliquer, ta seule présence suffit à tout bouleverser. Retournons à Green Pasturges." Je me mets à grincer des dents tandis qu'elle reprend sa ronde, ses sabots creusant la terre autour de moi. "Le soulèvement aurait pu partir de n'importe où, mais non, il a commencé dans une ville précise. Et cette ville, c'est celle où tu te trouvais. Pourquoi Scarlet Day se trouvait là bas à ton avis ?"

Pour me pourrir la vie, voilà pourquoi !

"Pour te mettre au défi, et ce défi, même si tu l'as perdu, tu l'as accepté-"

"Parce que je n'avais pas le choix !" je l'interromps.

"- Et il y a eu des conséquences, et celles-ci sont en grande partie dues à ta présence, et à tes choix." continue-t-elle sans prêter la moindre attention à mon interruption.

"Bordel ! Je n'ai eu aucun choix !" je m'écrie en tapant du sabot.

Elle se stoppe net dans ses pas et me fixe d'un regard sévère. "On a toujours le choix, il suffit d'en accepter les conséquences. Tu as choisi de te laisser traîner, de ne prendre aucune initiative." Elle lève un sabot qu'elle vient taper contre ma poitrine. "Mais cesse de te bercer d'illusion, c'était un choix, et c'est toi qui l'a fait. Personne ne t'a attaché, personne ne t'a forcé, rien ne t'empêchait d'agir selon ta volonté, et pourtant tu as choisi de suivre celle des autres. La plupart des poneys n'ont pas le choix, le MAI le fait pour eux, l'endoctrinement choisit pour eux. Les uppers choisissent pour eux. Toi ? Tu n'es soumise à rien de tout ça, tu es juste égoïste et pense à ta sécurité avant tout."

"Exactement, ma sécurité ! Vous savez très bien de quoi Scarlet est capable, c'est facile de dire que j'avais le choix, mais nous savons toutes les deux ce qui se serait passé si je m'étais opposée à elle."

Nightmare Moon me regarde d'un air hautain et s'approche de moi, elle me caresse la joue avec l'un de ses sabots. "Et est-ce que ça t'a réussi ? Est-ce que tu t'es sentie en sécurité, tu as pu protéger ta petite personne ?" Sa voix dégouline de fausse pitié, mon sang commence à bouillonner. Elle lève les yeux au ciel et porte sa patte à son front. "Ce que tu as subi a dû être une telle délivrance comparé à ce qu'elle aurait pu te faire, n'est-ce pas ? Pourtant, n'est-ce pas grâce à elle que tu es encore en vie aujourd'hui ? Elle est allée jusqu'à se faire gazer tout en te maintenant en vie pendant deux semaines. C'était vraiment un monstre qu'il fallait fuir à tout prix." Elle marque une pause, ramène son sabot à son menton et prends le temps de réfléchir.

"J'ai un secret à te dévoiler, certains poneys naissent comme des monstres, certains deviennent des monstres, mais pour la plupart d'entre eux, le monstre n'existe que dans le regard de ceux qui les voient. Contrairement à toi, elle ne s'est pas mise de chaînes qui n'existent pas, elle s'est battue toute sa vie pour ce qu'elle croyait être juste, peux tu en dire autant ?"

Je me retiens de rire face à autant de stupidité. "Oh oui, Scarlet était un si bon poney, elle voulait rendre le monde tellement meilleur, combien sont mort à cause d'elle, et où est-ce que ça l'a menée ? Elle est morte, et les Me ne se relèveront peut être jamais de ce soulèvement."

Nightmare Moon hausse un sourcil et me jette un regard inquisiteur. "Et combien de poneys sont morts parce que tu n'as rien fait ?" m'accuse-t-elle en me pointant du sabot. "Ou encore parce que tu étais simplement au bon endroit au mauvais moment ? Pourquoi crois-tu qu'autant de poneys sont resté figés sur place à Green Pasturges après l'attaque ? Que crois-tu qu'il se passe lorsque l'on coupe le lien au Grand Réseau de façon soudaine ? Combien sont morts parce que tu n'as pas voulu tenir tête à Scarlet ?" Ses lèvres s'étendent en un sourire suffisant. "Tu crois valoir mieux qu'elle parce que tu refuses la responsabilité de ton inaction ? C'est pathétique. Mais… je ne suis pas là pour te juger. Les princesses t'ont donné carte blanche après tout, parce qu'elles sont persuadées que quoi que tu fasses sera la bonne décision. Et je le crois aussi, je pense juste que tu as besoin de comprendre toute l'ampleur de ton rôle dans les changements qui sont en train de prendre place."

J'entends tout juste la deuxième partie de sa tirade, mon corps entier est envahi par l'horreur de ce qu'elle vient de dire. Ce qu'il se passe quand on coupe soudainement le lien au Grand Réseau ? Je le sais, avec la quantité phénoménale d'informations qui transitent par le MAI, couper le lien au Réseau, c'est comme arracher une partie du cerveau, ce n'est pas pour rien qu'il faut des appareils ou qu'il y a des procédures à suivre.

"Vous m'aviez dit que vous vous occupiez d'eux !" je crie de fureur sur l'alicorne. "Que je pouvais détruire l'émetteur sans avoir à me soucier de rien, que vous vous occupiez des poneys, qu'il ne leur arriverait rien !"

Elle prend un instant avant de répondre, "Et c'est ce que j'ai fait, entre télécharger le programme et te protéger, je n'ai pu m'occuper que des poneys endormis, les autres étaient déjà trop endommagés par le choc de l'attaque, je n'ai pas eu le temps ni les moyens de faire quoi que ce soit pour eux, et honnêtement, ils étaient déjà perdus avant que tu ne détruises la console."

Je n'arrive pas à croire la simplicité avec laquelle elle raconte ça. Des poneys sont morts. Par sa faute. Par ma faute, parce que je lui ai fait confiance. Mais pour elle ça n'a pas l'air d'avoir plus d'importance qu'un simple changement dans la direction du vent. Elle veut que j'accepte les conséquences de mes actes ? Mais au final, ce n'est pas vraiment de ma faute, pas vrai ? C'est elle qui n'a pas tenu sa parole, moi, je n'ai fait que lui faire confiance, je n'ai pas d'autre sang que le mien sur mes sabots.

"C'est comme ça que tu comptes passer le reste de ta vie ? Rejeter la faute sur les autres ?" Elle me prend par les épaules et se met à me secouer. "Bon sang, Free Will, réveille-toi !" Ce que j'aimerais me réveiller, là, maintenant. "Je ne te dis pas ça pour que tu culpabilises, ne te laisses pas ronger par ce que tu as fait, arrêtes de rejeter la faute sur les autres. Au contraire, apprends à accepter, nourris-en toi ! Tu as fait ce qui te semblait juste, est-ce que tu dois culpabiliser pour ça ? Non ! Tu devrais te sentir fière !" Elle me relâche et me laisse tomber en arrière.

Je me contente juste de relever la tête pour la regarder avec rage. "Fière d'avoir causé autant de mort et de destruction ?! Quelle fierté il y a à avoir là dedans ?! J'ai beau me répéter que je ne suis pas un monstre, que je n'ai rien à voir dans tout ça, il faut toujours que quelqu'un vienne et me martèle que si, c'est moi, c'est moi qui suis en train de faire ça. C'est moi qui cause cette désolation."

"Oui !" S'écrie-t-elle comme si je venais de faire une révélation. "Mais qui d'autre le ferait ? Il faut que les choses changent, et tu es ce changement ! Il faut détruire pour reconstruire ! Tu l'as dit toi-même. Tu ne veux plus détruire, tu ne veux plus que les poneys meurent ? Alors cesse de rester là à regarder les choses bouger dans l'espoir que tout finira par s'arranger." Je me relève juste pour être une nouvelle fois victime de son attaque moralisatrice. "Agis ! Ne fais pas comme les princesses ! Le monde avance, mais est-ce qu'il va dans ta direction ? C'est à toi de l'aiguiller."

Je l'écoute, à moitié absente, ce qu'elle dit a de moins en moins de sens. Je n'ai pas envie d'agir. Je ne peux pas agir. Est-ce qu'un poney seul peut vraiment tout changer ? Si ma seule présence suffit, pourquoi faut-il que j'intervienne ? Et je ne veux pas que le monde avance, je veux qu'il recule. S'il y a une chose dont je suis certaine, c'est que personne, ni même l'alicorne n'est capable d'une telle prouesse.

"Je… je ne sais pas… je suis juste fatiguée… je n'ai pas ce pouvoir…" Et à quoi bon de toute façon ?

Lentement, la planète bleue se couvre d'un nuage jaune, je me sens lourde, ma nuque me fait mal, je n'arrive même pas à soutenir le poids de ma tête. Sous le regard consterné de Nightmare Moon je m'allonge au sol et me cache le visage sous mes sabots. Je ne veux plus entendre sa voix. Je ne veux plus entendre le son du vent qui me fouette avec la poussière, je ne veux plus entendre le grincement des ruines. Je veux simplement être seule.