Chapitre 29 : Évolution et escapade

Deux semaines plus tard

[Fluttershy]

Je pousse lentement la porte pour entrer dans le cabinet de madame Psych Ears.

Prends ton courage à deux sabots Fluttershy, elle est là pour t'aider.

Les fenêtres sur ma droite tout le long de la pièce illuminent l'endroit, l'air est chaud, mais n'a pas d'odeur contrairement à ce que j’espère à chaque fois que je viens. Surtout en la présence des fleurs que la licorne a sur le bureau et dans les quatre coins de la pièce. Elles sont toutes faites de tissu et sont là juste pour “donner des couleurs” comme elle m'a dit la première fois que je suis venue.

Le bureau en lui-même est en bois massif épais, quelques cadres divers où des photos de sa famille y demeurent, quelques dossiers en piles soigneusement placées, divers tableaux sur les murs tapissés de vagues blanches et crèmes et des étagères pleines de livres. D'un côté de la pièce, il y aussi une table très petite avec des caisses de jouets pour les petits, sans doute pour les aider à se détendre, et de l'autre un grand sofa en velours rouge, doux et confortable, accompagné d'un fauteuil pour que la psychologue puisse demeurer près du “patient”.

Ça fait des semaines, mais peu importe depuis combien de temps je viens la voir après ce qui s'est passé... je n'arrive pas à être complètement détendue et à l'aise pendant nos séances.

« Bonjour Fluttershy », dit-elle d'une voix infiniment douce et un sourire sincère. « Je suis contente de te voir arriver à l'heure. »

« B-Bonjour... » J'ai envie d'en finir au plus vite et de retourner chez moi... « Je suis venue parler... »

« C'est selon tes envies. Je t'en prie, mets toi à l'aise, un fauteuil, une chaise ou le sofa si tu préfères, c'est toi qui décides », dit-elle en reprenant son sérieux, soulevant dans sa magie une feuille et une plume pour ses prises de notes durant nos séances.

Je finis par approcher le sofa après un moment de réflexion, et m'y allonge sur le côté. La jument à la robe aux multiples teintes de rose et à la longue crinière pourpre vient s'installer sur le fauteuil devant moi.

« Comment te sens tu aujourd'hui ? »

« Je... ça va aller. »

J'entends sa plume gratter discrètement le papier pendant qu'elle continue. « Je vois, tu as réfléchi à ce dont nous avons discuté la dernière fois que nous nous sommes parlées ? »

« Oui. »

« Tu veux bien me dire ce qui en a résulté ? »

Je déglutis. « Je... V-vous aviez raison, en faisant attention à ma façon de marcher, j-je me suis rendue compte que j'avais tendance à passer loin des étalons et évitais plus souvent que nécessaire d'avoir des contacts et des interactions avec eux en général. »

« Sais-tu pourquoi ? »

Je me braque involontairement. Bien sur que je le sais. « Je n'ai pas envie d'en parler. »

« Je comprends tout à fait, essayons autre chose alors si tu veux bien Fluttershy. Que ressens tu lorsque tu dois interagir avec un étalon ? »

« Je... je suis mal à l'aise, plus les échanges durent plus j'ai l’impression qu'ils se rapprochent de moi pour, finalement me donner l’impression de m’étouffer. J'ai essayé de faire les exercices que vous m'avez recommandés et mon angoisse est un peu moins grande depuis quelque temps, mais c'est toujours là. »

« Nous faisons de très grands progrès Fluttershy et c'est très bien, il ne faut pas que l'on se précipite. Tu as déjà fait beaucoup de chemin depuis la première fois qu'on s'est vue et tu peux en être fière. »

Bien que ses mots me fassent plaisir, de mon point de vue je n'ai pas vraiment l’impression d'avancer, mais peut-être qu'elle a raison, c'est juste moi qui en demande trop si ça se trouve.

« Je sais que c'est un sujet qui te déplaît beaucoup Fluttershy, mais as tu réessayé de faire le dernier exercice que je t'ai conseillé pour t'aider à faire face à tes peurs ? »

Je me crispe d'un seul coup, mon regard la fuit, elle le remarque et reprend : « Ne te force pas à cause de moi Fluttershy, j'ai évoqué le sujet trop vite, on peut parler d'autre chose si tu préfères. »

Je me sens mal, j'ai l’impression d’entendre murmurer mon nom, de le sentir grouiller sur moi...

Non, ça doit s’arrêter.

« Non je... je veux essayer d'en parler... »

« Pourquoi vouloir essayer maintenant ? Tu as toujours voulu éviter le sujet à travers nos séances. »

« A cause de... quelque chose. »

« Tu veux en parler pour t'aider ? Évoquer ce qui te donne cette envie pour mieux saisir l’essentiel ? »

Je repense à tout ces moments, à ses mots, à ses gestes sincères. Ils m'inspirent, elles et lui ont tant et tant essayé, ils ont tant fait pour moi, je ne veux pas les décevoir.

Plus maintenant...

« J'ai... J-J'ai un ami... » Elle ne dit rien, ne réagit pas, cessant même de faire gratter sa plume sur le parchemin. « Il... Il est triste, vraiment triste, mais malgré ça il essaye d'avancer. Il a beau avoir des choses qui lui arrivent, qu'elles soient bonnes ou mauvaises, il les prend et fait avec. Il me donne l’impression que rien ne pourrait l'atteindre la plupart du temps. Il fait toujours face et se tient toujours droit sans se plaindre n’y réclamer quoi que ce soit. Chaque événement est une opportunité pour lui et il la saisit sans hésiter.

Même quand il avait plus que jamais besoin d'aide, il a continué de demeurer fort en apparence et a donné de lui pour m'aider à aller mieux, en s'oubliant complètement d’ailleurs. Mais il a fini par se faire beaucoup de mal, ainsi qu'à d'autres sans vraiment le vouloir... A cause de ça, je me sens... vraiment horrible... Tout ça parce que... parce qu’il’ a voulu s'occuper de moi, il a beaucoup, beaucoup souffert et je me sens responsable quand je repense à ces longs mois où il a dû lutter contre ses difficultés sans pouvoir se reposer. Malgré tout, il a fini par se relever, s'est de nouveau tenu droit et a continué de veiller sur moi sans un seul instant montrer des ressentiments à mon égard à cause de ma faiblesse. Je... Je veux essayer de faire comme lui au moins une fois... Essayer de faire face pour recommencer à aller vraiment mieux, arrêter de me reposer sur lui et mes amies tout le temps et vraiment les soutenir à ma manière à mon tour, enfin ne plus être un poids.

Je veux leur montrer que moi aussi je tiens à eux de tout mon cœur. Comme eux le font pour moi à chaque fois que je les vois. »

« T'es tu toujours sentie comme un poids Fluttershy ? » dit-elle avec tendresse.

« Depuis... depuis ce qui s'est passé ce soir là... » dis-je avec amertume, les larmes tombant de mes yeux en silence. Je finis par cacher mon visage derrière mes pattes, la suppliant : « S-S’il vous plaît... Je n'arrive pas en parler comme ça... Vous voulez bien me poser des questions ? Je veux.... je veux vraiment essayer d'aller mieux. »

Elle sourit légèrement gardant toujours cette voix et cette attitude à la fois douce et professionnelle. « Bien sûr Fluttershy, c'est mon travail de t'aider à aller mieux, et si le fait de te poser des questions difficiles peut t'aider alors je le ferais. Si tu veux bien, on va commencer par des choses simples, puis nous essaierons de faire un travail sur ce qui t'a poussée à venir me voir la première fois, d'accord ? »

J’essuie mes yeux d'une patte et hoche la tête.

« Peux-tu me dire qui est cet ami dont tu viens de me parler, qui t'inspire tant, qui incarne à ce point un symbole de force pour toi. »

« C-C-est... Il s'appelle Lumen. »

Elle ne montre aucune réaction, peut-être qu'elle le savait déjà mais qu'elle a besoin de me faire dire les choses pour me faire suivre un schéma qui m'aiderait à réfléchir sur moi-même.

« Quel serait selon toi, le premier geste que Lumen a eu avec toi qui aurait déclenché cette volonté et cette inspiration ? »

« Je ne sais pas. »

« Dans ce cas, essayons autrement, Lumen est un membre de la gente masculine n'est-ce pas ? »

Je hoche la tête, profitant de la douceur du tissu pour me calmer.

« Malgré ce fait, sa présence est-elle d'une manière ou d'une autre dérangeante pour toi ? »

« Non, pas du tout, enfin pour être plus précise, plus depuis longtemps. »

« Que s'était-il passé pour que ce soit le cas à l'époque ? »

« Il... Enfin, c'était encore au début, cela faisait à peine quelques semaines qu'il était parmi nous et on en savait encore peu sur lui. Il ne parle pas beaucoup de lui en général, mais un jour, il m’a dit quelque chose que je souhaite garder pour moi mais qui m'a fait vraiment peur, alors je l'ai évité un moment. Mais plus tard j'ai pensé qu'il ne disait peut-être pas toute la vérité parce qu’il en a honte ou que ça lui fait mal et qu'il préfère oublier. Alors j'ai fini par me dire que ce qu'il m'a dit n'était pas tout à fait exact ou en réalité bien plus compliqué parce que ses actes n'étaient pas complètement en accord avec ce qu'il dit et ce qu'il dégage selon moi. »

« Et aujourd'hui ? Tu penses encore à ce qui t'a fait peur chez lui ? Vous en avez parlé ? »

« Non, il a révélé avec le temps plus d'aspects de sa personnalité, ce qui m’a persuadée qu'il n'a pas dit la vérité ce jour-là, mais je me refuse de lui poser la question, pas parce que j'ai peur de la réponse, mais parce que s'il doit en parler à quelqu'un, je pense que ce serait mieux qu'il prenne l'initiative de lui-même. »

« Donc si je comprends bien, cette peur qu'il a inspirée un jour chez toi n'avait rien à voir avec ce qu'il s'est passé avant que nous commencions à nous voir pour t'aider, et aujourd'hui, malgré le fait que ce soit un mâle, sa présence n'a rien de négatif à tes yeux. »

« Oui, c'est ça. Au contraire... j'ai tendance à me sentir... en sécurité, parce que les gens qui l'apprécient sont des gens bien qui ne le jugent pas, des gens tolérants, compréhensifs et aimant comme mes meilleurs amies. Les autres l'évitent, se tiennent loin de lui parce qu’ils n’ont pas envie d’essayer de le comprendre, et donc de moi quand il est à mes côtés, ce qui me rassure. »

« Il serait comme un protecteur, un mur immense protégeant un délicat jardin de fleurs. Éloignant les curieux indésirables et indignes de leur beauté soigneusement gardée. »

Comment elle a fait ? C'est exactement ce qu'il m’est arrivé de penser l'autre jour.

« En tâchant de garder à l’esprit tout ce que tu viens d'évoquer de lui Fluttershy, penses tu avoir une idée de ce qui t'a poussée à vouloir aller de l'avant par tes contacts répétés avec lui ? Le moment où tout a commencé pour toi. »

Je tâche de suivre son conseil et prends le temps d'y réfléchir. J'évoque en moi les moments où nous discutions simplement, d'autres où je le voyais avec mes amies, les instants où il me taquinait avec Discord, puisqu'ils ont fini par se rencontrer et s'apprécier. Tout est tellement varié avec lui, quand il sourit, quand il est calme, quand il est plongé en lui-même, quand il lit, quand il est assoupi avec plusieurs petits animaux installés au chaud contre lui. Tout ces moment où je suis pratiquement la seule personne à le voir ainsi. La seule personne devant qui il ose se révéler aussi souvent et facilement.

Des moments qui ne sont qu'à nous.

Le souvenir d'une sensation particulière me revient, doucement il se précise, je le sens m'entourer, me recouvrir, je sens la chaleur et la bienveillance...

… Le message provenant des tréfonds de son âme, cette chose qu'il a gardé pour lui si longtemps...

“Tout va bien, tu es en sécurité ici, avec nous. Respire doucement, ça va aller... “

« O-Oui... Je pense savoir ce que c'est. »

« Voudrais tu le partager avec moi ? »

« C'est... C'est quand il m'a serrée contre lui et qu'il a voulu me consoler à sa manière le soir même, juste après... juste après le... l-le... E-enfin le… »

« Tout va bien, Fluttershy, respire doucement, ça va aller, va à ton rythme. »

Je l'écoute et prends le temps de calmer mon souffle avant de reprendre. « Ce soir là donc, il a ensuite perdu le contrôle de lui-même à cause de plein de choses accumulées, ce qui m'est arrivé a été la goutte d'eau de trop je pense et lorsque je lui ai fait face, quand il a fini par se calmer, la deuxième fois qu'il m'a serrée contre lui à ce moment là, j'ai eu la sensation que quelque part, il était aussi vulnérable que moi et qu'il avait autant besoin d'aide que moi. Peut-être même plus encore parce qu’il a été seul pendant longtemps. Je voulais l'aider à aller mieux au moins autant que lui en a fait pour moi depuis. »

Le silence s'installe entre nous durant quelques instants, le temps que Psycho prenne des notes.

Puis après un moment. « Voilà comment nous pourrions procéder pour essayer de te faire surmonter ta peur liée à ton traumatisme alors : Comme avant, tu vas essayer de te rappeler le plus exactement possible l'objet de ta peur, celui qui a cherché à te faire du mal, ce sera la première étape. »

Non... je déteste ça... mais s'il le faut...

Je soupire, pleine de craintes. Je roule sur le dos et m'installe comme je peux en me tortillant, déposant mes sabots sur mon ventre, fermant ensuite les yeux et me concentrant sur la voix de la psychologue pour suivre ses directives.

« Remémore toi autant que possible comment il était, sa taille, sa voix, son odeur, tous les détails qu'il avait ou que tu as imaginés, fais de ta peur une présence, une entité à qui tu peux parler, assise face à toi sur une chaise et qui te fixe. »

Tous les élément qu'elle cite un à un viennent lentement dans mon esprit dans une reproduction de chez moi, ce qui en est le résultat, se rapproche plus du cauchemar que d'un être vivant à proprement parler. Ce n'est rien de plus qu'une masse sombre et menaçante avec de grands yeux remplis de rouge et brillant, des dents blanches et pointues sortant d'un trou béant servant de bouche, riant gravement et lentement. Me dévorant littéralement du regard.

Ne crie pas ma beauté…

Mon corps tout entier tremble, c'est à peine si je parviens à ne pas hurler de terreur et me recroqueviller en boule.

« Prends ton temps, ne lui adresse pas encore la parole Fluttershy, comme je l'ai dit, cette fois c'est différent, visualise toi devant lui, immobile. »

La présence se rapproche de moi, je sens ses sabots effleurer les miens, glaciales, avides, je finis par me sentir vraiment mal.

Je vais être gentil… tellement gentil avec toi… Comme moi, tu n'en peux plus d'attendre ?

Je ne vais pas y arriver, je ne vais pas tenir.

« Maintenant je voudrais que tu essayes de garder ta concentration sur cet exercice et que tu y rajoutes quelque chose que nous n’avons pas essayé les autres fois... Remémore toi cet instant unique que tu as vécu avec Lumen et qui est devenu la source de ta volonté d'aujourd'hui à enfin oser aller de l'avant, aussi précisément que possible. »

Le fantasme torturé fait un bruit étrange, comme s'il sifflait et crachait dans un “kkksssshhhyyyaaaa”. Sa longue langue bifide qui commençait à lécher mon museau avec envie me quitte et s'agite frénétiquement en l'air.

« Imagine le comme un gardien parfaitement silencieux qui t'enlace, qui te rassure et qui te protège, quoi qu'il arrive. »

J'ai du mal à m’arrêter de trembler mais l'ombre est retournée sur son siège et reste assise en silence cette fois tandis que je sens les mains de Lumen venir derrière moi, passer sur mes épaules pour se rejoindre devant ma poitrine et me recouvrir. Les piqûres à peine perceptibles de ses griffes de brume réveillent mon corps endormi, les vêtements épais qu'il porte me réchauffe et font disparaître la bave glaciale qui avait recouvert mon pelage telle une souillure sans antidote. Son corps puissant et son esprit indomptable montre une férocité sans égale face à ce qu'il y a encore a peine une poignée de secondes me terrifiait.

« Quoi que puisse dire ou faire ta peur, Lumen ne le laissera pas approcher. Il est ton protecteur et ne permettra jamais que celui qui t'ait fait du mal puisse le refaire un jour. Il veille sur toi et ne désire rien de plus que de veiller à ton bien être. Il est là pour toi et pour toi seule, autant que tu l'as été pour lui quand il en avait besoin, avec lui Fluttershy, tu es plus forte que tu ne l’as jamais été. »

“Tu n'es plus seule, Fluttershy”, me murmure-t-il avec cette douceur qu'il n'a jamais montrée mais que j’espère voir un jour. “… Je veille sur toi…”

Je finis par pleurer alors que j’arrête enfin de trembler, comme soulagée d'un poids durant un bref instant alors que je rouvre les yeux et adresse un regard à la jument qui m'a guidée.

Elle sourit, heureuse d'une certaine manière. « Il semblerait que nous ayons trouvé de quelle manière nous pourrons t'aider à surmonter définitivement ton traumatisme, Fluttershy. »

Je me retiens de me relever du sofa pour l'étreindre avec toute ma reconnaissance.

Avec ça... Je vais peut-être enfin pouvoir me battre moi aussi... A ma manière.

« Merci infiniment... » soupiré-je.

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[Twilight Sparkle]

Je finis de remettre en ordre le tas de parchemins informe étalé sur le bureau de la bibliothèque, les roulant un à un avant de les rentrer chacun dans leurs étuis pour ensuite les poser en piles élégantes sur le côté.

Je m'y attendais quelque part, mais la quantité de paperasse concernant chaque détail, de chaque fonction, de chaque poste, le règlement, le protocole, les devoirs et droits de chaque membres ainsi que divers autres tenants et aboutissants concernant la prise en charge en cas de blessure, les congés et une tonne d'autres détails, dépasse de loin ce que j'avais imaginé au début... Le tout à mettre au propre sur papier et à approuver d'un sceau en forme d'étoile de mon sabot.

J'ai mal à la tête à force...

Mais avec cette dernière brassée de parchemins, c'est pratiquement terminé. Avec ça, la garde du Crépuscule n'est plus juste un nom, mais bien une organisation sous les ordres de la Princesse de l'Amitié de manière officielle, parfaitement indépendant vis-à-vis des autres organisations de la même nature aux ordres des autres Princesses et de niveau égal en terme d'autorité.

Je relève le museau, sentant les craquements le long du cou et des douleurs dans le bas du dos, il était temps d'une petite pause.

Il est... quatorze heures déjà ?! J'en ai oublié de manger un morceau. Elles ne devraient plus tarder, tant pis, ce n'est pas comme si c'était la première fois que je saute un repas de toute manière.

Je m’étire sans beaucoup d'élégance et pose mes yeux sur Lumen se tenant debout, dos au mur, en dessous de l'horloge murale dans un coin de la pièce, une jambe croisant l'autre, les bras devant la poitrine de la même manière, immobile.

S'il y a une chose que je dois saluer le concernant même si cela fait peu de temps encore qu'il a le poste... Il est très professionnel, toute son attention sur moi et envers son devoir de protecteur sans interruption.

Même si les menaces qui pèsent sur moi sont proches de zéro... mais bon, je dois faire avec.

Les premières armures officielles de la garde du crépuscule ont commencé à être distribuées aux gardes ayant choisi de rester officiellement à mon service d’ailleurs. Coupant donc tout lien d'autorité avec les Princesses qu'ils servaient par le passé, pour finalement arborer à la place une armure aux multiples nuances de mauve et de violet sur les décorations et portant comme symbole ma Cutie Mark sur les parties couvrant la poitrine et le casque, le tout légèrement inspiré du design des armures de la garde de nuit de Luna.

C'est toujours un sentiment particulier que de voir le symbole sur mon flanc me définissant, sur d'autres objets et porter si fièrement par les poneys ayant décidé de se placer sous mes ordres quelle qu'en soit l'issue. J'imagine que c'est nécessaire quelque part et que je me dois d’avoir un symbole représentant ma “noblesse”. Mais ça ne veut pas pour autant dire que ça me rend les choses plus simples.

Lumen ne fait pas exception, mais comme convenu avant sa prise de poste, ce n'est pas une armure.

Rarity s'est donné du mal à créer un ensemble ayant les atours habituels de l'humain tout en portant les symboles qui le distinguent en tant que garde officiel en service.

Ainsi son manteau est d'un mauve améthyste sur les parties les plus larges. Les bords, manches et col eux sont cousu avec des fils d'un bleu persan dessinant des motifs d'arabesques élégants, décorant avec beaucoup de beauté l'uniforme et lui donnant une grande prestance je dois avouer. La chemise en dessous est d'un style plus atypique, se fermant presque de côté afin de dissimuler au mieux sous les autres pans de tissu les boutons, d'un lavande profond arborant lui aussi de nombreux motifs complexes d'une même nuance que ceux du manteau, soulignant par vagues les caractéristiques physiques de l’humain ainsi que sa musculature, et une étoile au milieu de la poitrine comme symbole.

Rarity a beau parler d'un “prototype” encore, le résultat reste vraiment superbe, et ses couleurs s'opposent avec une étrange beauté au teint naturellement pâle de Lumen, mis en avant par sa nouvelle coiffure, encadré par les bijoux que l'on lui a offerts et ses yeux de glace.

Ça lui va vraiment très bien comme uniforme, elle se surpasse à chaque essai, mais il faudra que je demande à Lumen pourquoi il porte un chouchou pour ses cheveux, ça... comment dire ? Surprend.

J'entends frapper à la porte trois coups puis le silence, Lumen réagit, se place devant la porte et ouvre d'un geste les deux battants, se décalant ensuite pour laisser entrer Pinkie pie et Rarity après les avoir annoncées.

« Salut les filles ! Vous êtes en avance », dis-je joyeusement.

Rarity s'approche et me fait la bise alors que Pinkie file derrière moi en criant ''Coucou Twlight !'', visiblement intéressée par quelque chose.

« Tu nous as demandé si on pouvait te rendre service et t'aider et nous voilà ma chérie. Quel est le problème ? » me demande la diva.

« Eh bien, j'ai dans l'idée de ramener autant que possible des lots de livres du château des deux sœurs dans la forêt. » Rarity acquiesce, mais je ne vois pas Pinkie. « Pour résumer, vu que vous êtes disponibles aujourd'hui, j'aurais voulu votre aide pour en emmener autant que possible, voire tout le contenu avant ce soir dans l'idéal. Ce qui m’intéresse surtout ce sont les traités de magie. Certains ouvrages sont anciens, parlant de théories arcaniques déjà connues ou rendues obsolètes avec le temps et des études plus poussées dans des domaines divers et laissées pour compte à notre époque. Mais tous ces textes offrent un point de vue intéressant qui pourrait éventuellement me donner des indices à propos de mes propres recherches, notamment sur Lumen. Le meilleur serait que je finisse par tomber sur quelque chose que je ne connaissais pas avant et qui me donne la possibilité de rendre notre ami plus sensible à la magie. »

« À quoi ça servirait un truc pareil ?! » tonne la voix de Pinkie. Je me retourne pour la trouver tout en haut d'une des plus grandes étagères de la bibliothèque, cherchant frénétiquement quelque chose, jetant les livres qui l'intéressent pas sans le moindre soin.

Je soupire mais ne fais aucune remarque à ce propos, préférant nous concentrer sur le plus important. « Parce que, ainsi on pourrait l'enchanter avec bien plus de facilité, comme pour pouvoir marcher sur des nuages par exemple ou... s'il venait à être blessé gravement, le fait de pouvoir user de magie de soin sur lui pour lui sauver la vie serait vital. Les médecins ont eu beaucoup de chance, couplée à leur grande expérience passée, mais on ne sait presque rien du corps humain, Si Lumen vient à être gravement atteint de nouveau, il y a un risque qu'il y perde la vie sans que nous ne puissions rien faire. Le rendre sensible à la magie, même pour une courte durée pourrait s'avérer capital en définitive. »

La pâtissière saute de l'échelle est s’accroche de l'autre côté du rayon, les yeux fixés sur les rangées de livres.

C'est Pinkie Pie...

« Tu es sûre que c'est une bonne idée ma chérie ? » me demande Rarity d'un ton inquiet. « Qui nous dit que certaine personne ne souhaiterait pas s'en servir de manière... hum... disons plus “hostile” à l'égard de Lumen ? »

« J'en ai parlé avec lui justement, on en a conclu que pour le meilleur ou pour le pire, si on trouve un moyen ça serait globalement plus positif qu'autre chose. De plus, si ça l’expose à de potentiels dangers supplémentaires, cela vaudra aussi dire qu'on peut le protéger directement également », répliqué-je, confiante.

Pinkie hurle : « Ça veut surtout dire que tu pourras le transformer en orange ! Ça mérite une fête ! Wouhou !!! »

Oh non...

En s'enthousiasment, notre pâtissière a lâché ses prises sur l’étagère sans être le moins du monde inquiétée alors qu'elle tombe de très haut.

« Weeeeeeeeeee ! »

Okay... Pas de panique, je n'ai qu’à incanté tranquillement et l'attraper, en plus Rarity est avec moi, il n'y a aucun risque.

« PINKIE ! » retentit la voix de Lumen, réagissant par réflexe et oubliant complètement que nous sommes là visiblement, fonçant depuis le mur de l'autre côté de la pièce pour espérer la rattraper alors que j'allume ma corne au même moment.

Bien qu'il ait vite réagi, j'enlace Pinkie dans ma magie et commence à ralentir sa chute alors qu'il est à mi chemin, la main tendue pour la saisir d'avance.

Il ne devrait pas autant s'in–...

Dans un souffle presque assourdissant, les flammes de Lumen grossissent et se réunissent, prolongeant d'une manière étrangement spectrale sa main pour en faire une version facilement deux fois plus grosse qu'un poney, couverte de chaînes sonnantes et trébuchantes, comblant la distance qu'il n’aurait pas pu parcourir à temps pour rattraper la jument en chute libre, se plaçant sous elle grande ouverte et se refermant dessus en fracas alors que je ralentis encore la vitesse de chute.

Non !

Pinkie disparaît un instant pour réapparaître en dessous, traversant la main brumeuse comme si de rien n'était, parfaitement indemne. Je la relâche doucement au sol alors qu'elle crie d’excitation pendant que nous sommes figés à cause des événements, la patte griffue surdimensionnée disparaît dans un souffle l'instant d’après.

« WaaaAAAaaaAAAh ! C'etait.... GENIAL !!! Comment t’as fait ? Comment t'as fait ? Refait le s'il te plaît Lumen, faut que tu refasses ce tour ! » hurle-t-elle en sautillant joyeusement autour de lui.

Lumen est courbé un peu en avant, se tenant le bras de l'autre main, le fixant, la bouche entrouverte et l'air hébété.

Rarity se jette presque sur Pinkie et l'enlace « Pinkie ! Tu vas bien ? Tu n'as rien ? »

« Bah non maligne, si je n'avais pas eu les yeux ouverts, je ne me serais rendue compte de rien, c'était tout blanc et tout noir en même temps, mais je n'ai strictement rien senti, comme si c'était juste de l'air coloré qui m'a entourée un instant, il faut qu'il vous fasse la même chose pour que tu puisses voir, c'est vraiment beau dedans. »

J'ai approché Lumen pendant ce temps, parlant doucement, pour le rassurer. « Tu vas bien ? Que s'est-il passé ? »

« J'ai... je voulais juste... la rattraper, je ne sais pas comment j'ai fait ça. »

« Bah c'est simple », s'écrie Pinkie. « Suffit de refaire les gestes et ça va partir tout seul, regarde t'as fait ça », dit-elle, se mettant sur deux pattes, elle agite sa crinière qui prend alors la même coiffure que Lumen, de gros sourcils noirs au-dessus des yeux pour se donner un air sévère, mimant ensuite à la perfection les gestes durant l'action, une patte en avant, le sabot antérieur pointant entre les deux étagères, la bouche grande ouverte et bordée de crocs qui viennent de je-ne-sais-où, criant et bavant « PINKIE ! ARGBLARGBLBLBBLBL ! » d'une voix grave ressemblant trait pour trait à Lumen en secouant la tête dans tous les sens comme une enragée.

Je pensais pas qu'un poney pouvait avoir autant de salive en bouche et la relâcher en une fois.

Je ris malgré moi, à part l'excès de salive, l'imitation est réussie et est d'autant confirmée par Lumen lui adressant un regard dur.

« Ce n'est pas une bonne idée de jouer avec ce que je ne semble pas encore maîtriser et je suis en service en plus. Je verrai à un moment plus propice à cela pour comprendre ce qui s'est passé. » Sur ces mots, Lumen relâche sa magie et revient à son état normal. « De plus... je ne bave pas », ajoute-il, une petite rougeur sur les joues alors qu'il retourne dans son coin, vexé visiblement.

On glousse sans retenue devant sa réaction, qu'il ait un nouveau pouvoir serait une bonne nouvelle, ce sera l'occasion d'apprendre de nouvelles choses sur sa condition.

En tout cas, il a l'air incapable de contact pour l'instant, donc aucun risque de blessure involontaire pour le moment.

« Une fois dans le château des deux sœurs, nous verrons comment faire se manifester encore une fois ton pouvoir Lumen, ça te sera bénéfique je pense. En tout cas c'est bon signe, ça veut dire que tes capacités ne sont peut-être pas encore arrivées à maturité, ça sera l'occasion d'apprendre plein de nouvelles choses ! » dis-je en jubilant comme une pouliche avant de me rendre compte que je tapotait mes sabots devant moi.

Je ne peux vraiment pas m'empêcher d’agir comme une enfant par moment.

« Comme vous voudrez Princesse », dit-il sans se retourner et d'une voix semblable à celle des autres gardes qui s’adressent à moi.

Ça fait moins mal, mais j'ai toujours une sensation désagréable dans la poitrine à chaque fois que je l'entends me parler ainsi. Il n'y a rien de négatif dans sa voix, aucun reproche ou autre, c'est peut-être juste moi qui accepte encore mal qu'il soit devenu si docile, même si c'est temporaire toujours.

De plus, ce n'est pas comme si à la seconde où son temps de travail arrive à son terme et que la relève reprenne le flambeau, qu'il ne redevient pas comme d'habitude, m'envoyant gentiment balader sans hésitation si je l'agace, nonchalant et distant.

C'est toujours Lumen en somme, il essaye juste de bien faire son travail.

Mais maintenant, je sais qu'il est comme ça, c'est son caractère et sa façon d’être, les gens l'acceptent tel qu'il est et ont alors l'occasion d'y voir bien plus... Comme cette nuit là.

Je suis tirée de mes pensées alors que je le regarde, par des tapotements légers sur mon épaule, venant de Pinkie. « On sera juste toutes les trois Twilight ? »

« Non, Lumen est responsable de ma garde rapprochée, il va donc nous accompagner. C'est soit ça, soit un groupe de dix gardes qui nous entourera en permanence, quitte à choisir, je préfère voyager léger. »

J'entends Rarity qui lâche un soupire de déception. « Être entourée de beaux étalons en armure aurait été agréable aussi, dommage. »

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Plus tard

[Lumen]

Je pousse les grandes portes pour ouvrir l’accès aux ruines du château des deux sœurs...

Si je me souviens bien de ce que j'ai appris de l'histoire des poneys, il me semble que Célestia et Luna vivaient ici... Il y a très longtemps, avant que la cadette ne sombre dans la jalousie et la soif de pouvoir.

À peine plus de mille ans hein... j'ai encore un peu de mal avec le fait qu'elles soient immortelles. Ça doit être vraiment pénible...

Les ponettes derrière moi, j'entre le premier, relâchant la vigilance que je suis censé avoir pendant quelques instants pour admirer les lieux.

Les pierres branlantes composant encore les murs usés par le temps nous entourent, certaines sont tombées à terre à cause de l’érosion, le tout constituant ce qu'il reste de ce qui devait être le grand hall, ouvrant de nombreux accès par des couloirs sur les côtés des différentes parties du château. En face de nous, un grand escalier menant à une porte et d'autres escaliers sur les côtés pour mener eux aussi aux ailes, mais de l'étage cette fois. Il y règne un silence et une quiétude donnant écho à des vies passées dont les lieux ont été témoins, mais qui n’ont plus raison d’être aujourd'hui. Je pourrais presque sentir la roche pleurer de regret d'avoir été presque oubliée et de ne plus jamais voir ce temps révolu lui revenir un jour pour lui rendre sa splendeur passée.

En levant les yeux, je vois sur certains points que le plafond a été éventré et laisse donc la lumière du soleil rentrer dans la salle dans une série d'épaisses colonnes dorées où l'on distingue la poussière et des flocons de neige en suspension dans l'air, redonnant un semblant de chaleur fantomatique à l'intérieur.

C'est beau...

Debout, immobile, j'observe un instant de silence respectueux à cet endroit, sans doute parce que c'est la première fois que je viens ici... allants jusqu'à fermer les yeux, méditant sans vraiment me fixer sur une idée précise, me laissant emporté par les lieux et son histoire.

Simplement rendre hommage d'une certaine manière.

Après un moment à respirer profondément, je rouvre mes paupières, tombant sur les trois ponettes que je suis censé escorter, assises et alignées devant moi, Twilight m'offre un grand sourire.

Elle parle d'une voix douce et compatissante : « Tu n'es pas obligé de me répondre Lumen mais... On peux savoir pourquoi ? »

J'imagine qu'elles ont parfaitement vu mon manège...

Je décide d’être honnête et tâche de leur expliquer sans trop me perdre, les raisons qui m'ont poussé à faire ça et m’excuse auprès d'elles de ma négligence.

« Pourquoi tu t’excuses darling ? Je trouve cette sensibilité émouvante au contraire », rétorque Rarity

Pinkie elle, hoche la tête frénétiquement, à croire qu'elle va se la décrocher si elle réussit à le faire plus fort. Twilight ne dit rien, son sourire ne la quitte pas, elle aussi émue j'ai l’impression.

J'ai envie de disparaître...

« Bien les amies, je crois qu'il est temps que nous nous y mettions vous ne croyez pas ? » reprend la diva, nous faisant enfin décrocher de ce moment très gênant pour moi.

Merci ma grande.

Souhaitant prendre les devants pour nous guider à travers les couloirs, la petite alicorne prend la tête, je me place à ses côtés alors qu'elle s’enthousiasme d'avance de ce que nous allons ramener de son escapade. L'écoutant d'une oreille, je prends le temps sur le chemin d’effleurer les pierres du bout des doigt, le bras tendu, comme si quelque part je cherchais à m'imprégner de l'héritage qu'elles recèlent par ce contact ténu.

Je suis vraiment d'une humeur particulière aujourd'hui.

Je ne réfléchis pas souvent aux raisons de mes comportements étranges parfois, ni à la manière que j'ai d'interpréter mes sentiments, ou même la signification de mes gestes... Je les fais parce que quelque part, j'ai la sensation au fond de moi... que c'est la bonne chose à faire, même si ça ne change rien.

Un peu comme à cette époque je crois... Avant j’étais une bête et... après l'avoir perdu... je n'étais plus rien.

Je pose mes yeux une fois encore sur les ponettes que j'accompagne... Depuis que je suis arrivé dans ce monde, serait-il possible que j'ai retrouvé quelque chose... un fragment me rappelant cette époque ? Me rendant plus... “humain”

“Tu n'es plus seul Lumen.”

Un sentiment me prend aux tripes... Du soulagement ? De la joie ? De la peine ? De la mélancolie ?

… Je ne sais pas… Je ne sais plus...

Deux larmes silencieuses s'échappent et coulent sur mes joues avant que je ne parvienne à me contrôler. Elles n’ont rien vu, elles n’ont pas besoin de le voir, je les fais donc disparaître discrètement d'un geste.

Je dois demeurer aussi fiable que possible... Même si parfois ce sera dur, je ne céderai pas.

Parce que ça en vaut la peine.

Au détour d'un couloir aboutissant à une grande porte ouverte, j'entends distraitement Twilight dire que nous y sommes presque, puis soudainement les trois ponettes se fixent.

Intrigué, je me sors enfin de ma contemplation et les regarde. À part Pinkie qui n'a juste plus son sourire, Rarity a l'air choquée et quant à Twilight... elle est paniquée.

« Lu-Lumen ? » couine-t-elle en regardant droit devant.

Sans un mot, je me décale vers le milieu du couloir comme elles et regardent l'intérieur de la pièce ou nous nous dirigions.

C'est...

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[Twilight Sparkle]

« Restez bien derrière moi... » annonce Lumen d'une voix sombre, plaçant son corps en obstacle face à ce qui est devant nous, dans la bibliothèque.

Tout au fond, près du mur de la pièce, se trouve une présence, entourée par des piles de livres conséquentes, certains ouvrages flottent dans les airs vers le centre, restant quelques instants devant l'inconnu puis laissant sa place à un autre livre qu'il feuillette rapidement puis le quittant aussitôt à son tour.

Je vois Lumen serrer les poings très fort et commencer à contrôler sa respiration, sur le point de s'avancer. Avec douceur, j’effleure sa main de mon sabot, parlant tout bas : « Lumen je t'en prie... je sais que la dernière fois a été un drame mais s'il te plaît... Essayons la diplomatie. »

La voix de mon ami garde la même teinte sans discontinuer : « Comme tu voudras Princesse. »

Sur ces mots, et conformément à sa demande, nous nous tenons toutes prudemment derrière lui, même Pinkie suit le mouvement de manière mesurée... ce qui me rassure encore moins.

« Le bas de mon dos me fait horriblement mal... » murmure-t-elle.

« Ça veut dire quelque chose ? » lui demande Rarity.

« Oui... qu'un grand danger nous guette. »

« ... »

Bien que nous approchons prudemment, nous faisons du bruit à cause de nos sabots, annonçant donc notre arrivée afin de ne pas le surprendre ou d’avoir l'air agressif à son égard. J'ai aussi la possibilité de mieux le détailler au fur et à mesure.

Aucun doute... c'est un humain. Le haut de sa tête n'a pas de cheveux, ayant trois étranges taches couleur bordeaux sur le sommet, les côtés du crâne on des restants blanc d'une très longue chevelure, qui tombe sur les flancs de son corps. L'aspect de la peau donne l’impression d’être fait d'un très vieux parchemin, usé, fripé par vagues nombreuses, se révélant être une quantité surprenant de rides en vérité. Des sourcils si bas qu'ils en tombent presque sur les yeux à peine ouverts et pourtant n'ayant pas le moins du monde l'air de manquer de vie et de vivacité d’esprit. Une barbe couvrant tout autour de la bouche et du menton d'un blanc immaculé, glisse et va jusqu'à traîner au sol. Il a l'air de porter un vêtement large, aux énormes manches, entièrement noir et parfaitement lisse, presque brillant selon la manière qu'on le regarde, on dirait presque une robe.

L'humain, très certainement un très vieil ancêtre je suppose, est assis sur une sorte de chaise qui semble un peu étrange, recouvert de coussinets de velours pour être installé confortablement dessus, d'un rouge vif et brodés d'or. Le bois est d'un brun sombre, fluide, gravé et incrusté de décorations et de runes que je ne distingue pas en détail a cette distance et des roues à la place des pieds.

Il ne doit pas avoir la force de se lever, il doit donc se servir de ça pour se déplacer j'imagine.

Mon soupçon se confirme quand je regarde ses mains et ses bras visibles pendant qu'il tient un livre relevé devant lui, il est squelettique. Pas comme Lumen à un moment... on dirait presque un corps desséché sans la moindre trace de muscle tant il a l'air chétif et usé par le temps.

Arrivés entre deux tables de bois massif recouvertes de rouleaux parfois ouverts, nous nous arrêtons à une dizaine de mètres de la présence.

« OooooOOOOooooooooooH... c'est seulement maintenant que vous arrivez ? Décevant... » commence notre inconnu.

« Ton nom, tout de suite », menace Lumen.

Je prends les devants et me place à côté de lui. « Je m'en occupe, laisse-moi faire s'il te plaît. »

Mon ami grommelle mais ne dit plus rien.

Je m’éclaircis la gorge avant de reprendre, parlant calmement et distinctement : « Bonjour monsieur, excusez mon ami, il est un peu méfiant, mais ce n'est pas contre vous. »

« J'imagine que vous avez déjà vu les autres... » me répond le vieil homme, sa voix est à l'image de son corps, lent, décrépit et faible.

« OoooOOOoooh mais suis-je bête, ils arrivent toujours avant moi quand il est nécessaire que nous venions et si tout est encore en place, c'est que soit ils ont flâné, soit ils on été vaincus. La deuxième possibilité est certaine, vis à vis de leur dévotion sans faille en tout cas, ils ne seraient pas restés là à ne rien faire... surtout en sa présence. »

« Vous êtes un... Hum... ''être du néant'' vous aussi ? »

L’ancêtre referme son livre, un geste vague de la main de plus et les manuscrits en suspension dans l'air vont se poser sur diverses piles dans toute la salle autour de lui. « Pourquoi prendrais-je la peine de te répondre petite créature primitive ? » dit-il, le ton de voix n'a rien de dédaigneux contrairement à ce que le titre qu'il a utilisé pour moi soupçonne. Il a l'air de simplement poser la question comme on demanderait le pourquoi de la couleur des yeux, comme si j’étais bel et bien primitive face à lui, gavé de savoir à en faire rougir de honte Starswirl.

J'entends deux craquements, un coup d’œil m’informe que c'est Lumen qui se crispe de plus en plus, transperçant du regard l'inconnu. Finissant par craquer, il déchaîne son pouvoir, répandant ses couleurs paradoxales autour de lui, toujours immobile.

« Montre plus de respect face à une Princesse... » gronde-t-il

L'inconnu ouvre alors grands les yeux, et la bouche, comme émerveillé. « OOOooooOOOooooh ! Vous avez brisé la chrysalide ?! Incroyable, c'est si exceptionnellement rare de voir un tel spectacle. »

« Monsieur s'il vous plaît, je voudrais vous... »

Il lève sa main, m'invitant à garder le silence alors qu'il regarde Lumen, plein de curiosité à son égard. « Combien de fois est-ce arrivé... Peut-être une seule ? Deux ? Non... une seule fois c'est certain. Toujours est-il que je n'ai jamais eu l'occasion de le voir d'aussi près. Voilà une surprise des plus plaisantes je dois dire. » Il sourit de toutes ses dents, ravi. Il reporte un instant son attention sur moi, s'accoudant sur son siège et reposant sa tête dans sa main. « Très bien petite créature, je répondrai à certaines questions, mais sache une chose avant que tu ne commences... Cela dépend de mon humeur et elle est changeante. »

Des sueurs froides me couvrent le corps, un regard derrière moi m'informe que Rarity et Pinkie sont dans le même état.

Commençons par quelque chose de simple.

« Permettez-moi alors de commencer par les présentations de base si vous le voulez bien. Je m’appelle Twilight Sparkle, Princesse de l'Amitié du– »

« –Royaume d'Equéstria, je sais déjà cela petite créature, j'ignorais juste ton nom et tu peux oublier la politesse ou le protocole, ça n'a aucune importance à mes yeux, à deux exceptions près. »

Il est au milieu d'une bibliothèque donc il a dû se renseigner, mais depuis combien de temps est-il ici ?

Il se caresse le menton, admirant les mouvements de la brume de Lumen. Mon ami se tient tranquille pour le moment, mais j'ai la sensation que le moindre mouvement suspect de l’inconnu déclenchera les hostilités de sa part.

On est sur des charbons ardents.

J'essaye de poursuivre : « Qui êtes-vous et qu'est-ce que vous êtes ? »

Cette fois, son regard tombe bel et bien sur moi, riant longuement et doucement dans sa barbe. « Voilà une question tellement typique et primaire.... en quoi aurait-elle de l'importance ? En quoi le fait de le savoir est intéressant ? Ce n'est pas la bonne question petit quadrupède. Mais j'accorde que ta bêtise m'amuse... Très bien petite ponette immature, je réponds au nom... du Savant. »

Le choc me secoue et me rend fébrile une seconde.

Il est donc bien l'un d'entre eux... Douce Célestia.

Il continue du même ton. « Nous avons tous un symbole, qui en devient notre nom pour certain, chaque symbole a un aspect, chaque aspect a un fardeau, chaque fardeau offre un pouvoir, chaque pouvoir a une forme et chaque forme implique... un sacrifice », dit-il en hésitant sur la fin. « La personne à tes côtés ne fait pas exception, cependant, parfois, les propriétaires ignorent eux-mêmes certaines de leurs propres caractéristiques ou les oublient, ça dépend de beaucoup de choses bien trop longues et complexes à expliquer pour toi. Mais pour te donner une idée et un exemple, moi, mon aspect se rapprocherait de ce que tu appelles, la curiosité. Nous sommes simplement ce que nous sommes vraiment, sans chaînes ni lois d'un quelconque monde. »

Je ne laisse rien paraître, et reste calme : « Combien êtes vous ? »

« Je ne répondrai pas. »

Zut.

« Quels sont les attributs que mon ami Lumen possède ? »

Ses yeux vont sur Lumen, je jurerais voir du chagrin et de la compassion envers lui. « Je connais comme tous les autres son aspect, son pouvoir, son fardeau et son sacrifice... Il est... abominable, même pour nous. »

« Quel est son fardeau et son sacrifice ? »

« Je ne répondrai pas. »

« Et son symbole ? »

« Je ne répondrai pas. »

Bon sang !

« Vous êtes nombreux ? »

« Je ne répondrai pas. »

J'ai l’impression de parler à Lumen... ils sont tous comme ça en fait ?

« Que faites vous ici ? »

« j'accumule les connaissances inédites de votre monde comme je le peux en attendant que mon rôle soit rempli. »

« Quel est ce rôle ? »

« Je suis... hum... Comment te l’expliquer d'une manière suffisamment simple pour que tu le comprennes... hmmmmm... » il se frotte la tempe un moment. « Ah oui ! Vois-moi comme un phare. »

« Que voulez-vous dire ? »

Cette fois, il regarde Lumen et s'adresse à lui d'une voix professorale, semblant légèrement plus respectueux à son égard : « Ma présence donne un point d'arrivée dans ce monde, ainsi tant que je suis en vie, les autres viendront plus rapidement, ils pourraient tous être là d'ici quelques jours si tout va bien. Cependant, m'abattre ne fera que faire revenir les choses à la normale, c'est-à-dire pour être clair... que notre arrivée était déjà inévitable avant que vous ayez conscience de notre existence et même une fois mort, ils connaissent la direction déjà, ils seront juste plus lent et plus dispersés. »

Lumen avance d'un pas d'un air menaçant. « Si je comprends bien, tu ne veux de bien à personne et il suffit de te tuer pour ralentir l'arrivée des “autres” et nous donner plus de temps donc... »

« Précisément. Vous comprenez vite », répond le Savant dans un sourire.

« Bien, dans ce cas... » Sans prévenir, les doigts de la main de Lumen prennent une position de crochet et vont se planter profondément dans le bois de la table à côté de lui, faisant sauter des copeaux autour de nous.

« Non, attends ! Lumen ! » crié-je alors qu'il soulève le meuble massif et lourd sans effort d'une main, les braises de son feu parcourant la surface du bois alors qu'il prend de l'élan et lance son “projectile” tel un boulet de canon en grondant.

Je n'ai pas le temps de réagir que l'objet atteint sa cible qui n'a pas sourcillé pendant l'action.

Mais...

La table s'écrase sur une surface invisible juste avant de toucher le Savant. Le meuble se plie en deux sous le choc et explose en divers morceaux s'éparpillant autour du vieil homme sans l'avoir inquiété, dans un torrent de bois déchiqueté, comme s’il avait percuté un mur de pierres, déchirant et dispersant les livres et les parchemins dans une tornade de désordre.

« J'ai oublié de le dire mais... bien que je ne sois pas un combattant, il est impossible de m'atteindre sans avoir rempli les conditions appropriées. Je suis triste de constater cependant que vous cherchez à nous arrêter », dit-il à Lumen. « C'est pourtant vous qui nous avez donné ce que nous sommes à l'origine, nous n’accomplissons que notre mission...AaaaAAaah !! Ca m'était sorti de l’esprit, vous ne pouvez pas vou– »

« –Arrêtez je vous en prie ! » dis-je brusquement, l’interrompant. « N'est-il pas possible de vivre en paix ? Notre monde est vaste, vous pourriez vivre parmi nous en toute tranquillité. Tout le monde serait heureux, verser le sang ne résoudra rien », clamé-je en espérant calmer les esprits.

Le vieil homme se plie en deux et rit, il rit encore et tellement qu'il finit par être pris d'une quinte de toux avant de réussir à reprendre son souffle.

« La paix ? Mais nous venons vous l'offrir jeune âme. C'est notre mission. Vous n'aurez plus à vous préoccuper de vivre, d'exister ou même de vous inquiéter pour l'avenir... La quiétude du néant et la seule et unique véritable paix que nous puissions offrir et nous vous l’apportons avec joie. Qu'importe les puissances qui animent votre monde, dieux ou mortels, le néant est la seule vérité et rien ne peut nous arrêter, si ce n'est nous-mêmes. »

Mon cœur tombe comme une pierre dans ma poitrine à ces mots.

Il n'y a pas d'autres moyens ?

« Que diriez-vous d'un jeu ? » demande-t-il soudain.

Pinkie derrière moi réagit aussitôt « Un jeu ? » dit-elle en retrouvant un air enjoué. « J'adore les jeux, on s'amuse et ça permet de se rapprocher et de devenir amis, si on est des amis du coup on se fera pas de mal, pas vrai ? »

Elle commence à bondir en rythme comme elle le fait souvent, commençant à me dépasser pour s'approcher joyeusement du Savant, mais avant de pouvoir aller trop loin, Lumen la rattrape par la queue, la faisant couiner de surprise et la ramène doucement derrière lui alors qu'elle se laisse faire, traînée au sol.

L’ancêtre secoue la tête lentement et lui répond : « Ce n'est pas un jeu pour devenir amis, au contraire, je vous donne l'opportunité de me vaincre pour ralentir la chute de votre monde. Au vu de vos visages incrédules,, permettez-moi d’expliquer votre situation et la mienne. »

Il pousse sur ses bras, faisant craquer le bois de sa chaise pour s'installer plus confortablement dessus, passant ensuite une main dans l'énorme manche traînant de l'autre bras pour en sortir une petite boule de lumière blanche de la taille de son poing.

« Vous savez déjà que je suis une sorte de balise précipitant l'arrivée des nôtres et donc la promesse d'une destruction inévitable de tout ce que vous connaissez, mais vous êtes conscients que je suis complètement invincible. Vous devez sans doute vous dire dans vos têtes “Pourquoi ce vieil homme ferait une chose pareille ? Son intérêt serait justement de rester tel qu'il est, pour être sûr de remplir son rôle à la perfection non ?”

La raison est très simple : je suis ici depuis un moment et il est plus sûr pour moi de ne pas être découvert, de plus, de ce que j'ai appris, votre magie peut potentiellement agir sur nos propres actions. Ainsi, par mesure de sécurité, et mon propres amusement je dois avouer, je vous donne une chance de me tuer. Vous comme moi, nous n'avons pas le choix en définitive, personne ne sortira d'ici avant d'avoir abattu son ennemi. Mais si vous échouez... c'est vous tous qui mourrez jeunes gens... Même vous », termine-t-il en regardant Lumen.

« Très bien. » répond l'intéressé.

Je tremble déjà en anticipant le résultat qui se promet à nous. « Lumen je t'en prie... il doit y avoir une autre solution. »

« Tu l'as parfaitement entendu toi aussi non ? » réplique-t-il durement. « Rien ne les arrêtera, ces eux ou nous... Tu veux prendre le risque de sacrifier tout ton monde pour continuer à discuter alors que c'est parfaitement inutile ? »

Je secoue malgré moi la tête, ne sachant quoi répliquer.

« Ne t’inquiète pas... c'est moi qui vais répandre le sang. Restez en retrait pour réduire les dommages collatéraux. »

« Avec tout mon respect... Ce n'est pas à vous de décider des règles de mon jeu », tranche le Savant. « Hum... vous serez en deux équipes, les petits poneys d'un côté et vous de l'autre. Chaque équipe aura un objectif, le but est de les remplir tous les deux dans un délais de cinq secondes après la réussite du premier, une fois fait, le temps restant pourra servir à m'atteindre, voir me tuer si vous y parvenez. »

La crinière de Pinkie se dégonfle à vue d’œil, elle se rapproche de nous alors que je suis à côté de Rarity maintenant, elle n'a pas dit un mot, le visage figé dans l'horreur.

Au moment où nous sommes toutes les trois côte à côte, la boule de lumière que tenait le vieil homme se met à flotter jusqu'à nous, grossissant et éclatant pour laisser place à une sphère en bois décorée.

Le Savant s’explique : « Vous, l'équipe des poneys, devrez résoudre ces puzzles afin d’atteindre une énigme, donnez la réponse même si elle est juste mimée sur vos lèvres, remplira votre objectif. Le temps imparti dépendra uniquement de vous et de votre résistance au poison qui démarrera son œuvre à l'instant où le jeu commencera. »

Avant d'avoir l'occasion de réagir, des éclats d'argent volent sur nous depuis la sphère flottante et nous atteignent à la poitrine, nous laissant avec horreur une sorte de marque noire sur le pelage.

« Quant à vous... » poursuit-il, fixant Lumen qui s’est avancé vers lui en silence, son pouvoir s'agitant frénétiquement, semblant jurer d'avance de l'écraser.

« Votre tâche est des plus simples... Les protéger de ce que vous êtes en ce moment même. »

« Qu-... »

Sur ses mots, l'ombre de Lumen se met à s'agiter et sort du sol sans un bruit, après quelques instants, le voilà à faire face à son double parfait à l’exception des couleurs de ses gantelets qui sont inversées, ses cheveux d'un blanc pur et des yeux d'un rouge sang étincelant.

« Vous devez juste lui survivre et le vaincre... le poison qui affecte l'autre équipe n’arrêtera son action que si vous parvenez à le détruire. Heureusement pour vous, vous n'avez rien dans les veines, ce ne serait pas juste sinon. Cependant, au moindre geste de recul, il se jettera sur elles et les tuera », termine le Savant, un immense sourire sur le visage.

En quoi est-ce plaisant ? Amusant ? Les humains autres que Lumen sont vraiment terrifiants. Terrifiants... et dangereux.

« Y a-t-il des questions ? »

Un silence pesant s'installe, Lumen fait face à son double sombre tandis que mes amies et moi-même déglutissons difficilement devant le puzzle.

« Bien, dans ce cas... Que le jeu... commence », dit-il en frappant ses mains entre elles, faisant résonner le bruit en écho dans le château.