Chapitre 2 - Et l'hiver vient

Zone de l'équipe Plantations, champs de Sweet Apple Acres
L'équipe Plantations était chaque année la plus productive de Ponyville, et elle n'avait pas l'intention de perdre son monopole cette année. Et pour cela, ils auraient certainement pu profiter du long sentier verdoyant et fleuri qui zigzaguait à travers la neige, trace de passage de la touche spéciale de cette année.

Cependant, aucun cultivateur ne souhaitait accorder de légitimité à cette effusion artistique sans fondement en plein milieu de leur travail rigoureux et canonique. Lorsque Applejack tomba museau-à-museau avec la rivière de fleurs printanières, elle décida de remonter la piste, non sans froncer intensément les sourcils.

Elle atteignit alors une petite colline, entièrement rendue verte et accueillante, au milieu de laquelle trônait un rocher assez haut. Et sur ce rocher, dos à elle, la queue rousse ruisselante sur la roche, la touche spéciale de cette année qui demeurait là, sans un bruit.

Applejack resta un moment sans rien dire, elle interpréta l'expression trouble qu'affichait Gaia Harvest comme une sorte de colère, et cela faisait monter son propre agacement.
« Ma p'tite, si en restant plantée là comme une gargouille sur l'toit d'une cathédrale, t'as l'intention d'répandre la mauvaise humeur sur tout le monde, laisse-moi te dire que tu n'es pas la bienvenue dans l'équipe Plantations, ni à Ponyville d'ailleurs !
- Es-tu sûre que c'est moi qui répand la mauvaise humeur, Applejack ? »
La voix profonde de la pouliche déstabilisa quelque peu la fermière, elle n'eut d'autre choix que se détendre un peu.
« Je ne sais pas si je suis en colère, continua la pouliche, mais si je le suis, j'ai sans doute de bonnes raisons de l'être... simple question mademoiselle Apple : croyez-vous que je m'y connaisse en nature ?
- Si m'dame le Maire t'as nommé sous-chef, j'suppose que oui.
- Alors pourquoi personne ne m'écoute ? Pourquoi ne me fait-on pas confiance ? Croyez-moi, ça fait plus d'une heure que je tente d'optimiser votre travail, de donner des conseils, un simple coup de sabot même ! Et qu'est-ce que je reçois ? Des bousculades, des regards froids, des insultes !
- Hé, je t'ai pas insulté moi ! On est censé former une équipe ! Ne piques pas une crise juste parce que quelques poneys ne savent pas s'y prendre avec toi ! Peut-être que tu ne sais pas t'y prendre avec eux non plus ! »

La petite terrestre se retourna et bondit en bas du rocher, elle se mit à avancer vers AJ, apparemment très agitée.
« Nous savons tous les deux que c'est pas ça le problème, mademoiselle ! Je sais exactement pourquoi vous êtes venue me voir. C'est la même raison que les poneys qui ne voulaient pas de mon aide. La même que ceux qui sont venus réclamer la parcelle sur laquelle j'essayais de faire pousser quelque chose à l'instant. Voir fleurir la nature, tout le monde aime ça ! Mais celle qui ose jouer avec la vie et la mort de la terre, elle est bizarre, elle est louche, il vaut mieux la mettre à l'écart, elle est peut-être dangereuse !
- Personne ne pense ça !
- Vraiment ? Vous êtes la plus à cheval sur le non-usage de la magie et vous êtes LA SEULE à m'avoir adressé la parole ! Je ne contrôle pas toujours ce que je fait, c'est naturel, et ça fait peur à certains. Ma vie est une vrai calvaire à cause... à cause de ça... »
La pouliche pointa la pousse dorée qu'elle portait pour marque de beauté.

« C'est mon destin, soit. Mais que suis-je censé en faire ?
- LES CHERCHEUSES DE TALENT A LA RESCOUSSE DE L'AMBIANCE POURRIE, YEAH !!! »

Le cri perça les tympans d'Applejack qui l'instant d'avant glissait vers une certaine mélancolie. Un petit scooter déboula alors rapidement dans la neige et projeta en freinant une vague de poudreuse sur la fermière. Gaia Harvest vit apparaître devant ses yeux le visage insistant d'une pouliche à la crinière cerise. Derrière elle, un museau blanc de petite licorne s'extirpa de la neige. Alors Gaia recula par réflexe et se cogna contre une troisième pouliche à la robe vert clair et au sourire ravi :
« Ai-je entendue une pouliche qui ne comprenait pas le rôle de sa marque de beauté ?
- Ce n'est pas exactem... répondit Gaia mal à l'aise.
- Nous sommes les poneys qu'il te faut, coupa la petite pégase à la crinière cerise en posant la patte sur son épaule. Aider les autres, c'est même notre destinée !
- En tout cas, on y arrive mieux que Scootaloo négocie les virages... ajouta la licorne en crachant quelques flocons de neige. Rappelez-moi de ne plus jamais monter sur ce truc... »

Les Crusaders entouraient Gaia et la fixaient avec insistance.
« Alors, qu'est-ce qu'on peut faire pour toi ? commença Scootaloo. On connaît une licorne qui peut enlever les marques de beauté, peut-être l'occasion d'essayer une autre destinée !
- Vous pensez que... » commença Gaia intéressée.
Applejack éloigna les pouliches d'un sabot.
« Wow wow wow, je ne pense pas que changer de destinée soit la bonne solution. J't'assure que perdre sa marque est une expérience très traumatisante, Harvie. En plus, j'crois que ce sont tes pouvoirs qui t'ont donné ta marque et pas le contraire...
- Donc la supprimer ne servirait à rien... repris l'enfant déçue.
- A part être traité de flanc vierge... déclara la pouliche orange.
- Scootaloo ! s'écrièrent ses deux amies.
- Si j'ai bien écouté votre conversation, repris Apple Bloom. Tu ne contrôles pas tes pouvoirs et tu penses que les autres te rejettes à cause de ça ?
- Est-ce que tu veux dire que tu as tout espionné, AB ? demanda sa sœur.
- Ce n'est pas le sujet ! Mais si tu leur montrais le côté merveilleux de la chose, Gaia ! Tu as un vrai attachement à la nature, comme tous les poneys de cette équipe ! Montre-leur que vous avez les mêmes intérêts et que tu es la plus à même de les diriger !
- Je ne sais pas... marmonna Gaia en s'asseyant au milieu de ses fleurs. Obtenir la confiance d'un poney, ce n'est pas aussi facile qu'être amie avec... une abeille. »
Et en disant cela, une des abeilles vint se placer sur le bout de son sabot, sous les yeux émerveillés des Chercheuses de Talent.
« Et en plus elle sympathise avec les insectes ! marmonna Sweetie Belle éblouie.
- C'est parce que les insectes se fiche de qui je suis ! gémit Gaia en se rendant compte qu'elle venait encore une fois de montrer son côté extraordinaire. Les poneys ne jugent pas l'action indépendamment de la personne.»

Applejack souhaitait plus que tout mettre à l'aise sa partenaire de travail. Et puisque les Chercheuses ne semblaient pas les poneys les plus adéquates pour l'aider, c'était son rôle de dire ce qu'elle pensait vraiment, même si elle pouvait le regretter...
« Harvie, tes capacités font de toi ce que tu es, et c'est à prendre ou à laisser pour les autres. Moi je t'fais confiance, en tant qu'partenaire, et en ce qui concerne ta magie, je peux passer l'éponge puisque ça n'en est pas vraiment.
- Êtes-vous sérieuse ?
- Yep, sinon ça fait longtemps qu'on aurait interdit Pinkie Pie. »
Pour la première fois, elle se mirent à rire ensemble. Et Applejack, satisfaite d'avoir établi un début de confiance, commença à s'éclipser. Pourtant Gaia pouvait ressentir nettement l'étrangeté de ce rire, légèrement nerveux. Elle se tourna vers les Chercheuses puis arrêta AJ.
« Je suis à peu près sûre au vu de ce rire que vous avez un autre problème, mademoiselle Apple.
- Quoi ? Moi ? Non, j'ai réussi à t'rendre le sourire, on va pas ramener le cafard qu'on vient de chasser !
- Mauvaise menteuse ! » lancèrent les trois Chercheuses en même temps.

Applejack n'eut d'autre choix que de faire demi-tour et pousser un long soupir.
« Harvie, je ne pense pas qu'les poneys, moi y compris, ne t'aiment pas à cause de tes capacités...
- Quoi d'autre alors ?
- T... ton âge.
- Mon âge ?
- Si j'ai bien compris, t'es encore plus jeune qu'ma petite Apple Bloom. Un grand nombre d'adultes seraient décontenancés, voire agacés qu'une petite pouliche leur donne des conseils. Et je dois bien avouer que... ça me perturbe de te donner autant de responsabilités. »

Un long silence suivit. Un silence qu'Apple Bloom rompit soudainement.
« Attends une minute, vous la mettez à l'écart juste parce qu'elle n'a pas le même âge !
- Ce n'est pas...
- Je croyais que tu étais une grande sœur parfaite, Applejack ! s'étonna Sweetie Belle.
- Justement, mon rôle et de protéger les plus fragiles...
- Parce que tu crois vraiment qu'elle est plus fragile que toi ! lança Scootaloo. Elle sympathise avec des abeilles !
- Toujours si protectrice, Applejack ! pesta Apple Bloom. Fait ça avec moi si tu veux, mais on a tous remarqué que Gaia n'est pas une pouliche comme les autres !
- Ça suffit, les filles, coupa Gaia, entraînant un long moment de silence. Mademoiselle Apple a de très bons arguments. C'est vrai, une jeune pouliche n'a pas sa place dans un monde adulte. J'aurais dû remarquer ça en même temps que le fait que j'effrayais les gens. C'est à moi de me remettre à ma place et pas à eux de...
- Tu es parfaitement à ta place, coupa Applejack.
- P... pardon ?
- Apple Bloom a raison. T'es extrêmement jeune et pourtant, dans cette ville de fous à lier... t'es la jument la plus mature que j'ai jamais rencontré... si sérieuse, ingénue, prête à vouvouyer tout le monde... Je regrette c'que j'ai dit. Il est évident que m'dame le maire – et Pinkie Pie, qui l'eut cru – avaient compris que tu étais assez mature pour me seconder, même si j'ai le triple de ton âge. »

Nouveau silence. Les Chercheuses se tournèrent doucement vers Gaia Harvest. Celle-ci regardait son amie abeille butiner les fleurs mêlées à sa crinière, puis croisa le regard franc de l'Élément d'Honnêteté.
« Merci... Applejack.
- Je rêve ou Applejack vient juste de nous voler notre mission du jour ? grinça Scootaloo.
- Les temps sont durs pour la recherche de talent... dit tristement AB.
- Howdy sugarcube ! Maintenant on peut aller bosser ! Le temps de parole n'est jamais vain mais faut penser à le rattraper !
- Oui ! s'écria Sweetie Belle, comme pris d'une excitation lyrique soudaine. Et que votre duo guide ces travailleurs comme une étoile pourprée dans le ciel nocturne !
- Une étoile pourprée ? releva Scootaloo. On peut savoir où tu vas chercher ça ?
- Je m'adapte juste à l'ambiance... » répondit Sweetie en fixant son sabot l'air perplexe.

Rapidement, les trois pouliches prirent conscience que l'ambiance était effectivement assez... pourprée. Gaia et Applejack, qui n'avaient pas fait beaucoup de chemin, commencèrent aussi à s'inquiéter de la teinte étrange que prenait la neige. En bas dans la plaine, les poneys avaient arrêté leurs plantations pour rechercher du regard la source de tant de couleur.

L'envol de canards sauvages dans le dos des Chercheuses, de Gaia et d'Applejack, attira leur attention vers l'ouest. C'est alors qu'ils ouvrirent toutes la bouche de stupéfaction.
Là-bas, loin à l'ouest, à moitié caché par les arbres, un rayon géant était projeté du sol et transperçait les nuages. Ses reflets intenses donnaient à tout l'espace qui l'entourait une coloration pourprée.
« Cré vin diou de bon sang de bonsoir... articula Applejack au paroxysme de son incrédulité campagnarde.
- Quelle est cette chose ? s'écria Gaia.
- Un retard sur le programme... » répondit AJ.

Puis elle se mit à courir en direction de la forêt, en priant aux quatre pouliches de ne pas la suivre et de donner un coup de sabot aux cultivateurs. Elle confia l'entière direction à Gaia Harvest, qui commença à serrer les dents, d'autant plus qu'elle acheva ses directives par :
« Et occupe-toi aussi des Chercheuses ! »
Applejack disparu vers une nouvelle aventure, laissant Gaia seule face à trois pouliches qui commencèrent à lui sourire bizarrement.

**************************************************

Zone de l'équipe Animaux, lisière de la forêt Everfree.
Ding ding ding. Les cloches façonnées à merveille pour produire un son mélodieux tintaient délicatement devant les abris des animaux forestiers. Marmottes, hérissons, loirs, lézards et chauve-soufruits ouvraient leurs petits yeux au son des clochettes printanières. Ils commençaient à poser leurs papattes dans la néneige. Un peu déçus de voir encore autant de blanc dans l'environnement qu'ils retrouvaient après un long sommeil, la plupart étaient ravis d'être accueillis avec de grands sourires, comme des princes, par des poneys formés à la douceur par la maîtresse de l'opération : Fluttershy. Et depuis l'installation de cordes entre les cloches imaginée par Twilight il y a maintenant quelques années, n'importe qui peut endosser le rôle d'ami des animaux en tirant sur un bout de corde ou en trébuchant lamentablement sur un fil tendu.

C'était cette seconde option qu'avait choisit Thunderlane, le fameux chasseur de nuages de Ponyville. Après une course inattentive, il se retrouvait tête dans la neige, les ailes coincées dans un cordage, et piétiné par les petits rongeurs qui courraient vers le repas offert gracieusement par Lyra et Bon Bon. Et il resta avachi le temps (fort long) que Fluttershy comprenne que les gémissements plaintifs venaient de lui et le rejoigne en esquivant une famille de furets. Elle constata après l'avoir libéré de ses liens :
« Ah oui... c'est une belle bosse...
- Sérieux ? Est-ce c'est rouge ? Elle est grande comment ? Je vais m'en sortir ?
- Je pense que tu survivrais au moins jusqu'à la fin de la journée...
- ET PAS PLUS ?! cria Thunderlane en attrapant Fluttershy par les épaules.
- Écoute, hem, Thunderlane, dit Fluttershy en essayant de retirer ses sabots. On était en train de se demander avec toute l'équipe si tu étais vraiment bien dans la section Animaux...
- Pourquoi tu dis ça ?
- Oh, il n'y a pas vraiment de raison évidente... mais je crois que les faits que le coassement des grenouilles te figes sur place et que tu ne t'approches pas des mammifères de peur d'attraper la rage soient... contraignants. Je veux dire tu étais très bien dans l'équipe Météo.
- N'importe quoi, je suis très bien ici. Et tu sais très bien que je peux plus rejoindre l'équipe Météo !
- Tu ne m'a jamais dit pourquoi...
- À cause de l'alicorne !
- Flybeline ?
- Oui ! Elle plaisante avec tout le monde, elle motive toutes les troupes, et elle gère toute une brigade ! C'est devenue le bras droit de Rainbow Dash et elle lui a donné mon poste ! MON poste de capitaine d'éradication neigeuse, le plus important de tous !
- Tu as dit que tu ne pouvais pas assurer ce rôle à cause d'un gros rhume. Rainbow a juste agit en conséquence. Elle pense que ça aidera Flybeline à comprendre mieux les coutumes de Ponyville.
- Je n'étais pas malade ! C'était un stratagème pour voir si elle nommait cette usurpatrice ! Et elle l'a fait !
- Dis Thunderlane... euh... me tromperais-je si je pensais que ta colère contre Flybeline serait dû au fait... qu'elle est la baby-sitter de Rumble ?
- Absolument pas, grogna le pégase gris sombre. Je ne vois pas en quoi le fait qu'il parle tout le temps d'elle et qu'il la préfère à moi alors que je suis son propre frère me vexerait !
- Tu n'es pas beaucoup présent pour lui. Il a trouvé une oreille attentive chez Flybeline. Tu devrais peut-être essayer de discuter avec lui... et puis avec elle, parce que tu ne connais pas grand chose d'elle à part son prénom. Vous pourriez trouver des points communs.
- Je vois pas du tout ce qui pourrait nous rapprocher.
- Elle a été infirmière, elle adore essayer de soigner des rhumes.
- T'es sérieuse ? »

Thunderlane leva le museau vers une bande de poneys aux vestes bleues qui traversaient la forêt. Il se mit à courir vers eux avec un sourire en coin.

C'est Rarity qui le remplaça en glissant à côté de Fluttershy avec un bonnet de la dernière mode et des lunettes de soleil sur la tête.
« Flybeline a fait beaucoup de petits boulots, mais elle n'a jamais été infirmière. Vu son hyperactivité, je n'aimerais pas être soignée par elle...
- Oh zut... je savais bien qu'un truc clochait... »

Puis Fluttershy remarqua un autre truc qui clochait. En se tournant vers Rarity, elle fut éblouie par une lumière intense émanant de sa veste. Elle ressemblait presque, oui presque, à une veste habituelle de la fête de Fin de l'Hiver, mais abordait des couleurs argentées en scintillant comme une boule à facettes.
« Nom d'un parasprite, Rarity, qu'est-ce-que c'est que ça ?
- Ça ? Juste une touche de modernisme qui a rencontré mon génie créatif. Si tu le désires, je t'en ferais une.
- Mais on ne va plus savoir que tu appartiens à l'équipe Animaux !
- Et qui a décidé qu'on devait porter la même veste démodée ? Et pourquoi cet horrible brun répugnant qui plus est ?
- C'est toi... c'est toi qui as conçu les vestes et choisi la couleur...
- Je crois que mon talent artistique a mûri depuis ce temps, n'es-tu pas d'accord ? »
Fluttershy hocha doucement la tête de droite à gauche. Rarity conclut d'un « Argh, peu importe ! » et repartie vexée superviser la confection des nids d'oiseaux.

Et alors que Fluttershy projetait de se diriger vers le pré de recensement des animaux, elle entendit des petites pattes courir dans la neige. Instinctivement, son oreille se mit à frissonner et un large sourire s'esquissa sur son visage. Elle se retourna juste à temps pour attraper entre ses sabots un petit lapin blanc.
Elle tomba alors sur le dos dans la neige pendant que la boule de poils lui tapotait sur le poitrail.
« Oh, bonjour Angel. Comment s'est passé ton long sommeil ? »
Le lapin cessa de tapoter et fixa le regard de Fluttershy visiblement contrarié.
« Je plaisantais Angel, je sais bien que les lapins n'hibernent pas. Mais toi, ça ne t'a pas empêché de faire une grasse matinée... »
Angel croisa les pattes fâché et se tourna dos à Fluttershy.
« Ce n'était pas un reproche, Angel ! Ne commence pas à faire ta tête de mule, tu avais quelque chose à me dire non ? »

Le lapin laissa échapper un petit souffle puis se mit à sauter sur le ventre de Fluttershy en poussant des cris et en agitant les pattes.
Fluttershy entreprit la traduction, abordant à chaque mot une nouvelle expression faciale indescriptible.
« De quoi ? Un oiseau ? Ton petit-déjeuner ? À la maison ? Un oiseau est venu te grignoter ton petit-déjeuner grand luxe ? »

Le lapin hocha la tête de haut en bas, puis il se tourna vers la maison de Fluttershy et cogna ses pattes avant l'une contre l'autre, comme s'il voulait en découdre avec l'intrus.
« Allons Angel, ces oiseaux reviennent des pays chauds. Ils ont du parcourir beaucoup de distance pendant cette migration et il est généreux de leur offrir une petite collation après ce voyage épuisant. Surtout si tu dormais... »
Angel répliqua à nouveau par l'expression vexée de tout à l'heure.
« Quoi, ce n'est pas un migrateur ?
- Fluttershy !!! »

Angel bondit du ventre de Fluttershy lorsque celle-ci se releva rapidement. Elle alla vite à la rencontre de Thunderlane, qui courrait sur trois pattes, portant dans l'autre un grand bol de crème au caramel, duquel jaillissait des bananes, des fraises, de la salade, des carottes et une montagne de chantilly.

Le pégase jeta le bol devant Angel qui pouffa, puis il se mit à courir sur place, paniqué.
« L'équipe Animaux doit venir en aide aux petites créatures blessées hein ?! Non parce que je suis passé devant ce dessert fort appétissant et j'ai trouvé un petit oiseau en train de becqueter dedans. J'allais m'enfuir dégoûté mais il est tombé raide dans la crème ! Je sais pas quoi faire ! Il est mort ? C'est ma faute ? Est-ce que je vais être condamné pour ça ? »

Fluttershy plongea doucement ses deux pattes dans le dessert d'Angel qui se frappait la tête contre un arbre. Elle en extirpa un oiseau de petite taille au long bec, aux plumes teintées de vert et maculé de caramel gluant. L'amie des animaux souffla doucement dessus, avant de lécher doucement ses plumes sous le regard écœuré de Thunderlane.
Puis elle déblaya un coin de neige et posa le volatile au sol avant de coller son oreille gigantesque contre son petit abdomen vert pâle.
« Au moins il respire. Ce n'est que de la fatigue accumulée, une longue route à pleine vitesse... mais pas une migration comme les autres.
- Comment tu peux savoir ça... et savoir que c'est un mâle ?
- Parce que je le connais. C'est un colibri, il s'appelle Hummingway. Très costaud pour sa petite taille, très intelligent et débordant d'amour. Mais il n'est pas d'ici, ses visites se font rares.
- Donc il est vivant ?
- Je connais beaucoup de monde qui rêverait de tomber de fatigue dans un immense bol de crème caramel... je ne savais pas que Hummingway était friand de cette saveur. »

Soudainement, un petit chant sorti du bec de l'oiseau allongé. Brusquement, ses yeux s'ouvrirent et il s'éleva au dessus du sol. Subitement, il se mit à battre des ailes dans une énergie folle et à tourbillonner dans la zone pour repérer sa position. Alors, il poussa un petit cri en voyant Fluttershy. Celle-ci s'attendait à se qu'il vienne se frotter à elle, mais au lieu de ça, le colibri effectua des danses étranges dans les airs, tournoya autour d'Angel et disparu à toute vitesse vers la partie nord de la forêt.
« Suivez ce patient ! » s'écria Fluttershy en commençant sa course, suivie de Thunderlane et... personne d'autre car Angel se dirigeait vers la poubelle la plus proche en portant son petit-déjeuner, dégoûté.

Après un petit temps de course, Fluttershy parvint à repérer Hummingway. Vu les cris déchirants qu'il poussait et les directions hasardeuses où il volait, la pégase conclut qu'il cherchait quelque chose et ne savait pas du tout où le trouver. Au fur et à mesure de leur course, Fluttershy et Thunderlane sentirent une énergie lumineuse luire sur leur corps. Ils ralentirent le pas, contre leur gré bien plus attentifs à ces étranges rayons qu'à la course au colibri.
C'est Rarity qui fit disparaître totalement le colibri de la vue de Fluttershy en percutant cette dernière.

Après s'être remise sur ses quatre sabots, la pégase ne put s'empêcher de remarquer que le teint de la licorne avait changé et qu'elle était en train de courir sur place comme Thunderlane il y a un instant.
« Ah, Fluttershy, c'est affreux ! Mon sabot est devenue pourpre ! J'ai l'impression que tout mon pelage est en train de devenir pourpre ! POURPRE ! Oh quelle horreur. Je t'en supplie, si je dois rester comme ça jusqu'à ma mort, dis-moi au moins que ça se marie bien avec ma veste ! »
Fluttershy observa alors Thunderlane, puis son propre corps. Eux aussi prenaient des teintes violacées, tout comme les arbres et le ciel.
La pégase rassura alors la licorne en assurant que son pelage n'avait rien et tenta de sortir de la forêt pour avoir une vue dégagée.

Le spectacle qu'elle vit la figea nette. Au loin, juste en face d'elle, et de l'horizon jusqu'aux nuages, un immense trait pourpré rayonnait magistralement. Les poneys chargés du recensement en avaient laissé tomber leurs ardoises, les petites créatures elles-mêmes regardaient le rayon pourpre avec insistance.
La première action que Fluttershy accomplit, la stupeur passée, fut de déglutir et reculer d'un pas. Rarity, elle, s'avança :
« Par Hoity Toity, dites-moi que je rêve !
- Wroooaaawww... » lança Thunderlane qui cherchait ses mots depuis quelques minutes.

Soudain, devant ses yeux, apparus deux ailes battantes à la vitesse du son. Hummingway se mit à gazouiller et fonça comme une flèche vers le rayon lointain.
Lorsqu'elle vit l'oiseau passer à côté d'elle avec un cri de crécelle, Fluttershy se tourna immédiatement vers ses deux camarades.
« Suivons Humminway, il faut mettre ça au clair !
- Je suis bien d'accord que cette teinte de pourpre mérite une pointe d'éclaircissement... ajouta Rarity.
- Hé, ce truc est super flippant, Fluttershy ! Tu n'as pas un peu peur ?
- Si... »

La pégase baissa le menton... avant de planter sa patte dans la neige en fronçant les sourcils.
« Mais si c'est dangereux, alors Hummingway est en danger. Et je ne comptes pas le laisser faire ! »
Et la pégase partit à toute vitesse, sans utiliser ses ailes. La licorne partagea un regard avec Thunderlane, puis elle haussa les épaules et suivit la sauveuse jaune. Le pégase se sentit obligé de les suivre et s'envola après un long soupir pénible.
« Et après on s'étonne que je tombe malade ! »

**************************************************

Col du Ferrach'Val, au nord-ouest de Ponyville.
Dans les plus anciennes légendes de Ponyville, le col du Ferrach'Val est décrit comme un lieu de magie et de sortilège. On raconte que c'est dans cette région que vivaient et méditaient les plus grands mages d'Equestria, ceux-là même qui ont transmis leurs savoirs aux grands de ce monde, à commencer par Starswirl le Barbu. Aujourd'hui, les poneys ont déserté ces terres mais la légende persiste. Si la forêt Everfree est un bois empli de miracles autant que de malédictions, le Ferrach'Val est son semblable, dans un décor montagnard. On dit que les arbres du col, les flans des montagnes et même le sol rocheux y sont vivants, et qui parvient à percer leurs murmures dans un silence extrême connaîtra les plus grands secrets du royaume.

La quiétude de ce lieu le différenciait radicalement de l'agitée Ponyville. Et il avait plaisir à regarder sa petite sœur citadine grandir, adossé paisiblement contre l'Unicorn Range, sans jamais intervenir dans son évolution.
Mais s'il y a une chose qui unissait la ville et le col à ce jour, c'est l'incroyable rayonnement pourpre qui colorait la terre, l'eau et le ciel. Cette couleur paraissait même deux fois plus intenses aux animaux résidents du col, car, c'était maintenant sûr, le rayon pourpre venait de cette région et pas d'une autre.

Peut-être donc que le moment était venu de lever le voile sur les mystères du Ferrach'Val, ou au moins sur l'un d'entre eux. Le lien entre Ponyville et ce lieu mythique allait enfin se construire. Et ce lien n'était autre qu'une intrépide pégase, volant à toute vitesse au milieu des pentes enneigées.

Du rayon pourpre venait de jaillir une multitude d'étincelles, et il commença maintenant à devenir moins intense. Rainbow Dash savait que l'événement était assez furtif et elle ne comptait pas le rater de nouveau.
« Pitié, pitié, tiens encore un peu ! Je veux voir d'où tu viens ! Je veux savoir ! »

Elle volait à la limite de l'arc-en-ciel supersonique, si bien que personne ne l'avait rattrapé. Après avoir survolé une grande forêt d'arbres étrangement argentés, elle ralentit finalement son vol arrivée à un site irradiant, éclatant et troublant... arrivée, enfin, à son objectif.

Là, au milieu d'une dense forêt de sapins d'argent, une clairière apparaissait. Si éblouissante et mystique qu'on l'aurait dit construite par des dieux il y a des millénaires, mais si aménagée et propre qu'on aurait pu dater sa création à ce matin.
Elle était d'une circularité parfaite. Impossible que ces étranges conifères ne décrive une aussi subtile figure d'eux mêmes, un sabot poney avait forcément du passer par là... du moins, elle l'espérait.

Rainbow se posa sur l'herbe, d'une vert pâle mêlée de poudreuse blanche. Ce cercle d'herbe paradisiaque entourait un autre cercle bien moins naturel. C'était un immense disque de pierre grise dont le centre coïncidait parfaitement avec le centre de la clairière.
Ce disque était isolé de l'univers entier par la forêt. Il n'y a que vers le nord qu'une sorte de voie d'accès en marbre parfaitement rectiligne partait du cercle pour s'enfoncer dans les montagnes. Malheureusement, cette voie n'avait définitivement plus sa splendeur d'antan et surtout, une immense et impressionnante faille sans fond l'avait tranchée dans sa largeur. Il y avait donc cinquante mètres de gouffre béant entre l'étrange clairière et le chemin qui y menait jadis.

Rainbow préféra alors se concentrer sur le cercle hivernal : il était divisé en trois anneaux.
Le premier anneau, le plus extérieur, était orné de cinq traits fins circulaires parallèles qui débutaient et s'achevaient juste devant Rainbow : à l'endroit où une sorte de vague avait été gravée. De multiples points, semblants à des tâches de peinture hasardeuses mais bel et bien gravées dans la pierre, parcouraient ces lignes circulaires.
Le deuxième anneau était le siège d'une rose des vents. Mais entre les quatre points cardinaux, pas de directions secondaires mais des étranges dessins d'une époque inconnue à Rainbow Dash. La simplicité des dessins le frappa : à la place du nord-est un simple demi-cercle, au nord-ouest un rectangle (un peu déformé qui plus est), au sud-ouest un cercle et au sud-est un triangle.
Le dernier anneau, ou plutôt le centre, abordaient toutes sortes de gravures de créatures, certaines semblaient idéalisées et sanctifiées, d'autres tout droit venues de Tartaros, mais impossible de reconnaître les traits d'une créature connue. Ce dernier cercle, le plus orné, contenait en son centre une étrange structure en cristal. Sept triangles allongés et recourbés ressemblants à des ailes de pégases entouraient un flux lumineux continu partant du sol : l'origine du rayon pourpre, en plein milieu du Cercle.

Les yeux pleins de curiosité, Rainbow s’apprêtait à bondir vers les cristaux. Mais au dernier moment, une chose la retint par la queue et elle s'écrasa face contre pierre. Elle se retourna pour lancer un regard féroce à Flybeline qui avait sa queue entre ses dents.
« Où est-che que tu comptes aller comme cha ?
- Flybeline, si tu veux tout savoir, ce rayon est à l'origine de ma venue à Ponyville, de mes retrouvailles avec Fluttershy et de ma fête d'arriversaire. Ça fait des années que je rêve de comprendre ce que c'est et je suis à deux plumes de le savoir.
- Écoute, je suis pas la dernière pour faire des trucs un peu idiots sans réfléchir. Mais franchement, le pourpre ne m'a jamais inspiré confiance : ma professeure d'histoire était pourpre...
- Je veux juste observer, rien que voir ce qui se trouve au milieu.
- Très bien, observe si tu veux, mais je pense qu'il est absolument impératif qu'aucune de nous ne touche à ce truc ! »

La fin de la phrase de Flybeline fut immédiatement suivie d'un tintement cristallin. Les poneys ailés se retournèrent avec angoisse vers l'origine du rayon. Sur un des cristaux qui l'entourait se trouva désormais un sabot rose. Il fut aisé de remonter ce sabot jusqu'à arriver à l'expression nerveuse sur le visage de Pinkie Pie.
« Vous... vous parlez pas assez vite aussi... » gémit-elle.

Flybeline colla un sabot contre son front. L'instant suivant, un tremblement d'une ampleur colossale débuta.

Un séisme magique avec pour épicentre l'origine du rayon manqua de faire trébucher les trois poneys. Séisme magique car il n'avait l'air de faire trembler que la clairière.
Et puisque la terre qui gronde annonce souvent l'éruption de quelque volcan ou geyser, le mystérieux cercle ne pouvait que faire de même : le rayon se mit à étinceler, à exploser comme s'il était solide. Au milieu de cette déferlante de puissance, un violent éclat pourpre circulaire fut expulsé de la structure de cristal et heurta Pinkie Pie, bien plus près que les autres. L'onde fatale, que Flybeline et Rainbow esquivèrent en prenant de la hauteur, projeta Pinkie au milieu des épineux buissons d'argent.

Heureusement, après un cri d'effroi, cette dernière ne termina pas lacérée par les arbres, mais dans les bras d'un poney athlétique qui plongea au dernier moment pour lui sauver la vie. Après une roulade des plus énergiques, Applejack se retrouvait le dos contre un autre arbre, avec une Pinkie sur le museau. Elle gémit alors :
« Pitié, Pinkie Pie, dis-moi que t'as pas un code d'honneur qui stipule que tu me dois une vie... »
Puis elle se releva d'un bond, les yeux rivés sur les projections lumineuses au centre du cercle puis sur Rainbow et Flybe :
« Et nom d'un tas de foin, c'est quoi c'barda ?! »

La structure de cristal continuait de projeter des cercles d'énergie et des étincelles argentées, une violente rafale s'en échappait comme s'il s'agissait d'une vanne, qui après avoir éjecté la lumière, éjectait l'air contenu en dessous.
Sur ordre de Rainbow, Flybeline lutta pour se poser au sol et concentrer un rayon magique d'apaisement sur le rayon lui-même. À son expression de souffrance, Rainbow, Applejack et Pinkie, comprirent que ce n'était pas tâche aisée.

Mais bientôt, un rayon bleu ciel s'adjoint au rayon rouge de Flybeline : Rarity, luttant contre le vent, partageait le sort pour aider l'alicorne.
« Je n'ai aucune idée de ce que je vise, ni pourquoi je le fais ! hurla-t-elle au milieu des rafales. J'espère que je mériterais mon explication logique quand cette chose arrêtera de briller ! »

C'est alors que Fluttershy fit son apparition et fonça dans les bras de Rainbow en plein vol :
« Rainbow Dash, dis-moi que tu as vu passer un petit colibri affolé !
- Fluttershy ! s'écria Thunderlane, cramponné à une branche et les yeux rivés sur le rayon d'énergie. Tu penses pas qu'il y a plus important en ce moment ?! »

C'est alors qu'un nouveau tremblement survint. Le rayon pourpre commença à pâlir, mais conserva une violente intensité. Flybeline vit peu-à-peu son propre trait de magie prendre la teinte du rayon blanc. Elle constata avec angoisse :
« Ah, bon bah, au temps pour moi, ça marche pas ! »
Un violent trait de glace remonta le trajet lumineux et la propulsa au milieu des arbres après avoir heurté sa corne. Même chose du côté de Rarity.
Le rayon devenu blanc commençait à s'agiter d'une vivacité plus chaotique et les milliers d'étincelles se transformaient en petites paillettes argentées qui atterrirent entre les deux yeux de Pinkie Pie.
« De la neige... communiqua-t-elle avec avoir léché son museau.
- De la neige ? répéta Rainbow Dash. Ne me dis pas que j'ai quitté ma vie tranquille, Skyfall et Liberty pour essayer de poursuivre un stupide canon à neige ! »

Rainbow Dash ne fut pas en reste. La plus violente des explosions répondit à son appel et projeta tous les poils arc-en-ciel de sa crinière et de sa queue vers l'arrière. Et alors que les flocons tourbillonnaient pour constituer petit à petit une véritable tempête de neige, une petite lueur bleutée apparut au centre du cercle. Bientôt, on aperçut à travers le brouillard la forme trouble d'une créature indéfinissable, grande, bleue et effrayante. Ses yeux argentés semblables à des phares commencèrent à balayer la scène à la recherche d'une cible. Visiblement, elle ne cherchait pas la plus faible, car ses yeux s'arrêtèrent sur Rainbow Dash, prête à agir.
« Bah voilà ! C'est bien mignon ton petit numéro floconneux, mais moi, j'ai besoin de me chauffer les ailes ! »
Et comme action, la créature au corps allongé et bleu, fonça sur la pégase en faisant apparaître une gueule pleine de crocs d'argent et en poussant un cri strident d'outre-tombe.

Rainbow décolla alors à pleine vitesse au moment où le monstre se fracassa contre le sol. Il se changea en poudreuse argentée au moment de l'impact. La pégase, très fière de son esquive, se retourna en entendant un second cri, semblable à celui qu'elle avait entendu. En vérité, il s'agissait du même : la créature était toujours là, au milieu de la tempête, prête à attaquer de nouveau.
« Rainbow Dash ! s'écria Applejack qui commençait à s'inquiéter.
- Essayez d'arrêter la tempête, je m'occupe de cette chose ! » ordonna la pégase en s'enfonçant dans le brouillard intense.
Elles ne voyaient plus Rainbow que par bribes. Rarity et Flybeline essayèrent un nouveau sort sur l'origine de la tempête, quant à Applejack, Fluttershy et Thunderlane, ils se frayèrent un chemin pour atteindre la structure de cristal.

Rainbow était donc seule face à la créature, et elle se précipitait à vive allure sur elle. Mais une sorte de frein bizarre la gênait. Après un moment de course, elle vit avec effroi que la glace avait pris possession de l'extrémité de ses ailes et de ses sabots. Sa crinière elle-même commençait à se rigidifier de givre. La créature semblait sourire de la situation qui tournait en sa faveur. Rainbow se mit à battre des ailes à bride abattue, comme un colibri enragé.
D'ailleurs, c'est à ce moment et à cet endroit qu'Hummingway fit son apparition. Perdu dans la tempête, il semblait vouloir atteindre Rainbow, il était dos à la créature. Celle-ci commençait à s'approcher comme un serpent vers sa proie...

La pégase se souvint rapidement du jour où elle avait sauvé un petit vison tout aussi affolé : elle se devait de protéger le petit oiseau coûte que coûte.
Alors, en une fraction de seconde, elle étendit son aile au maximum pour pouvoir le toucher et le pousser hors du champ d'attaque de la bête. Hummingway disparu dans les nuages gris. La créature roula sur elle-même et captura avec sa queue translucide la pégase désormais à sa portée.

Il serrait au point de l'étouffer. Rainbow Dash déjà transie de froid sentait son cœur fléchir et son sang se stopper dans ses veines. Elle croisa le regard abyssal de la créature une dernière fois, la peur la saisit, elle ne pouvait plus penser à rien d'autre. Son étreinte se desserra, mais c'était pour projeter la pégase vers le sol avec une violente inouïe. Rainbow chuta sur le dos, à la jointure de ses ailes glacées et poussa un cri de douleur en essayant de se rétablir. Mais le monstre ne lui accorda pas de répit, et après un dernier cri venu tout droit de Tartaros, il transperça l'aile de Rainbow, tous crocs dehors. Cet impact titanesque projeta son ennemie totalement anéantie vers la faille sans fond au nord du cercle de pierre. Un dernier coup descendant, et il pourrait assurer sa victoire en faisant disparaître la pégase dans le gouffre.
S'apprêtant à glisser de nouveau au milieu du vent, la créature ralentit et commença à s'agiter. Elle venait d'entendre un son, une musique, quelques notes de flûte pour être plus précis. Tiraillée alors entre son envie d'achever sa victime et sa raison qui lui avait sûrement enseigné de fuir cette mélodie, elle décida à contrecœur de s'enfuir au milieu de la forêt d'argent, accompagnée d'un vent glacial.

À l'autre bout de la clairière, on avait aussi entendu la musique, mais on s'inquiétait de ne plus voir Rainbow. Seule Fluttershy aperçut dans son champ de vision broyé la chute de son amie inconsciente. Alors elle se mit à courir dans sa direction en criant son prénom. Mais la tempête était si intense que ses cris se perdirent et son sens de l'orientation également. Les poneys se rassemblèrent autour d'elle, cherchant désespérément la pégase, mais aucun ne put se frayer un chemin jusqu'au canyon. Fluttershy s'écroula en larmes dans les bras d'Applejack.

Rainbow s'écrasa par chance sur le bord de la faille. Après un violent rebond, elle retrouva ses esprits et utilisa tout ce qui lui restait de forces pour s'agripper à ce bord terreux, ne pas sombrer dans l'abîme. Ses jambes essayaient désespérément de trouver appui pour remonter.
Elle ne sentait plus ses ailes, gelées et meurtries, les plus malmenées dans ces deux chutes. Et ne plus pouvoir compter sur ses fidèles appendices la mettait dans un état de frayeur extrême. Suffocante, à deux doigts de s'étouffer, elle grelottait et fixait ses deux sabots fermement plantés dans la terre ferme au-dessus. Elle se mit à pousser des cris à l'aide rapidement dissipés par le vent infernal. Et même si la tempête semblait moins dense depuis la fuite du monstre, elle se dit que dans son état déplorable, elle lâcherait toujours avant que ses amies de la découvrent. Alors, de stupides larmes pas du tout invitées se mirent à couler de long de ses joues, elle se criait d'arrêter de pleurer et à chaque cri, ses sabots lâchaient un peu plus.

Dans les dernières secondes, quand elle ne tenait plus qu'à un seul sabot, elle prit une grande inspiration qui chassa toutes les larmes et ferma les yeux, comptant sur sa bonne étoile.
C'est alors qu'elle sentit son sabot lâcher et son corps percer l'air vers le bas...

La chute... le néant... la fin...

Tout cela... pendant un moment d'une brièveté extrême...
Car l'instant d'après elle sentit soudainement quelque chose de chaud et doux lui entourer et lui retenir le sabot. Fluttershy ? Flybeline ? Non, impossible, elle n'aurait pas pu le retrouver à temps. Mais... c'était bien un sabot, un sabot de poney qui était en train de lui sauver la vie.

Elle se hasarda alors, encore toute tremblante, à ouvrir ses yeux larmoyants et à lever doucement la tête. Au-dessus d'elle, penchée au-dessus du canyon, un visage complètement inconnu l'observait intensément.

Une pégase de son âge, à la robe verte très pâle et à l'air serein. Elle portait une sacoche de voyage en cuir vert en bandoulière et ses longs crins bouclés d'argent et d'or tombaient au-dessus du vide jusqu'à presque toucher le front de Rainbow Dash. Des sabots pas si frêles fermement ancrés dans la poudreuse. Un léger halètement dû à sa précipitation pour venir à son secours. Et puis de grands yeux jaunes... qui... n'étaient pas si inconnus que ça...
Non, il n'était pas complètement inconnu ce visage, il l'avait déjà vu, c'est sûr ! C'est juste que la dernière fois, c'était un visage bien plus juvénile...

« Je comprends maintenant pourquoi tu n'as jamais peur... elle te met dans un état déplorable... » dit-elle tout simplement en souriant.
Son souffle chaud réchauffa le museau de Rainbow dont la respiration redevenait chaotique et les yeux embués de larmes. L'autre pégase décala la sacoche sur son épaule et utilisa son autre sabot pour remonter Rainbow et l'agripper au niveau de ses aisselles.

La tempête s'était calmée comme par magie et le soleil commençait déjà à faire fondre la couche de poudreuse projetée par le rayon. Tandis que Flybeline et Thunderlane inspectait l'origine du phénomène qui n'était au final qu'un cristal violet figé au centre du cercle de pierre, Fluttershy, Rarity, Applejack et Pinkie se précipitèrent vers la faille en apercevant une pégase remonter doucement.

Ils s'arrêtèrent en comprenant que cette pégase n'était pas Rainbow mais que cette dernière venait d'être sauvée par elle. Ils s'en voulaient de ne pas avoir pu aider leur amie qui avait l'air de s'être battu comme une lionne.

Un pur silence prit alors possession des lieux. Les larmes de Rainbow étaient devenues des larmes de joies, et des légers sourires ponctuaient ses gémissements. Les pégases n'avaient même pas remarqué qu'on les observait puisque leurs regards étaient perdus dans l'autre. L'inconnue se mit alors à sourire, les poneys concentrèrent leur attention sur ses lèvres qui percèrent le silence et annoncèrent à Rainbow, comme un doux reproche :
« C'était à ton tour de descendre la poubelle, t'aurais pu le faire avant de partir... »

Huit ans. Huit ans qu'elle préparait la phrase de leur nouvelle rencontre. Et parmi toutes celles qu'elle aurait pu dire, elle avait choisi la plus claquante, la plus insolente, en vue de marquer l'esprit de Rainbow.
Mais l'esprit de Rainbow n'était pas prompt à se faire marquer. On aurait dit que toute pensée avait pliée bagage. La pégase regardait sa sauveuse avec des yeux d'enfant incrédule. Incrédule, comme l'ensemble des spectateurs de cet événement incompréhensible.

L'inconnue posa alors doucement Rainbow sur le sol. Celle-ci poussa un gémissement de douleur. Sa sauveuse s'empressa de lui empoigner l'aile et s'enquérit avec inquiétude :
« Ça va, tu peux marcher ? » demanda-t-elle.
Rainbow avait horriblement mal à l'aile, mais sur le coup, sa seule motivation était de plonger à nouveau ses yeux dans le regard de la pégase. Quoiqu'en pensent les autres poneys, il ne pouvait pas rester de marbre à l'amorce de l'inconnue, et il se devait d'envoyer une phrase mémorable pour conclure ce chapitre :
« Je m'appelle Rainbow Dash, dit-elle avec son plus grand sourire. Et je te souhaite la bienvenue à Ponyville... Liberty. »