Et je repars à travers les nuages, dans le vent et vers le ciel. Mais cette fois j'avais une destination, un but à atteindre. Allais-je y rester un moment ? Allais-je la traverser comme un pont sur une autoroute ? Je ne pouvais pas le deviner.
Le voyage dura deux ou trois jours, ça ne me dérange pas d'être une aventurière en pleine nature, et les licornes condescendantes qui me voyait comme « un habituel vagabond pégase fugueur sans un sou » ne me préoccupaient pas.
Un jour très spécial arriva. Au petit matin, en me levant sur cette branche d'arbre, je réalisai :
« T'as un an de plus aujourd'hui, Rainbow Dash. Youpi... »
C'était effectivement le jour exact de mon anniversaire, c'était également le jour où j'aperçus les toits les plus hauts d'une ville au-delà de cette immense forêt : j'arrivai à l'endroit indiqué.
Au milieu d'un grand champ de nuages, je me mis à survoler l'immense et ténébreuse forêt. Le genre de coin qui devait cacher mille et un mystères, mille et une aventures, même si pour rien au monde je n'y serais plongée aujourd'hui.
Puis à la sortie de cet espace sauvage, une agglomération se dessina enfin. Je volais donc un peu plus bas, et découvrais avec intérêt les édifices de mon nouveau chez-moi. Plusieurs poneys y gambadaient, apparemment préoccupés par je ne sais quelle festivité, et très peu firent attention à moi. Je passais ensuite devant une série de bâtiments visiblement en fin de travaux, projets d’extension du village. Je me demandais laquelle de ces habitations vides allait être la mienne. Puis survol au-dessus des quartiers riches, petite pause intriguée par une étrange pâtisserie aux murs de pain d’épice, deux ou trois tours de piste autour du clocher de la ville, passage devant une vieille bibliothèque déserte creusée dans un arbre et enfin vol plané au-dessus d’un bâtiment assez imposant à mon avis pour être l’hôtel de ville.
La logique aurait voulu que je me présente à sa porte, mais je fus irrésistiblement attiré par un point en hauteur dans mon champ de vision. Très éloignée du centre, à la périphérie extrême de la ville, une autre structure métallique s’érigeait : une immense plate-forme, surplombant grâce à quatre poteaux d’une vingtaine de mètres de haut une colline déjà impressionnante. On aurait dit une cabane sur pilotis... sans la cabane.
Après ce voyage épuisant, je décidai de me poser là et d’admirer la ville avec deux questions en tête : allais-je découvrir le secret du rayon pourpre ici et dans le cas contraire, cette ville valait-elle que je reste ?
Cinq minutes de réflexion plus tard, un petit cri étouffé attira mon attention, un « hé oh ! » inattendu.
Par réflexe, je regardais en l’air. La voix inconnue commençait déjà à s’exaspérer. Après avoir regardé dans toutes les directions possibles, je compris que cette voix venait en fait d’en bas, du sol (et quand on a passé toute sa vie dans des villes de pégases, ce n'était pas évident).
Il s’agissait d’un poney terrestre adulte, avec de petites lunettes devant ses yeux violets, la robe brune, la crinière grisâtre et le col officiel blanc, légèrement frustré de ne pas avoir été remarquée plus tôt.
« Je vois que vous n’avez pas perdu de temps pour vous installer, me lança-t-elle. Vous êtes bien Rainbow Dash ?
- Mouais, répondis-je inquiet de ce qui allait me tomber dessus.
- Je suis le maire de cette ville, m’informa-t-elle un peu plus adoucie. J’espère que vous profiterez de votre nouvelle vie dans notre chère bourgade... une fois que vous aurez complété les procédures d’aménagement qui vous attendent à la mairie.
- Meh, j’y penserais, répondis-je en pensant à mon dégoût naturel pour la paperasse. Mais vous pourriez me dire où je suis censé habiter ?
- Hum, c’est que… répondit-elle un peu embarrassée. En fait… vous y êtes…
- Quoi, ce truc métallique tout plat ?
- Notre projet était de vous créer une habitation sur-mesure afin de vous montrer l’accueil de notre belle ville et… euh, nous avons un peu trop projeté et les travaux ont pris un léger retard... mais pas de panique, je suis sûre qu’un des membres de votre équipe sera ravi de vous accueillir le temps des travaux.
- Mon équipe ? »
Brusquement, comme dans un sombre film d’horreur, un sabot se posa sur mon épaule. Je me retournais d’un bond. Il y avait là, sur ma plate-forme, cinq ou six pégases passifs qui me regardaient les yeux grands ouverts. Je les imitais donc, un peu surprise. La pégase qui m’avait touché, une jeune fille au pelage beige et à la crinière brune bien taillée, articula :
« L’équipe météo de Ponyville est heureuse de vous rencontrer, capitaine Dash ! »
C'est sur cette phrase que débute la dernière ligne droite des aventures de Rainbow Dash. Une histoire qu'au moins quatre poneys de Ponyville ne sont pas près d'oublier... et elles se reconnaîtront.
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<> Littlest Rainbow Tales : Awesome as I wanna be <>
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Je sais que j'ai du talent pour trouver des titres. Celui-là est tellement énorme qu'il faudrait en faire une chanson.
Bref, reprenons au moment où une jeune pégase bleue intriguée se tourne vers la mairesse en bas, en quête d'explications.
« Ces pégases composent la toute récente équipe de chasseurs de nuages de Ponyville, m'informa-t-elle. Je vous ai nommé capitaine provisoire afin de voir si le travail d’équipe vous sied. Cela vous convient-il ?
- Ça devrait le faire… » répondis-je plus perturbée par l’expression inerte de ma minuscule équipe que par la tâche qui venait de m’être confiée.
Alors la mairesse s’éclipsa, apparemment décidée à voler dans les plumes des ouvriers du bâtiment et en me rappelant de passer remplir quelques formalités administratives.
De mon côté, je me tournais vers mon équipe et leur demandais ce qu'ils comptaient faire avant que j'arrive. Ils me répondirent avec un oisiveté extrême qu'ils devaient chasser les nuages pour un événement particulier aujourd'hui.
Je pris alors mon rôle de capitaine très au sérieux et ordonna, histoire de les bousculer un peu qu'ils me ratisse ce parterre nuageux au dessus de nos têtes le plus rapidement possible. Un peu perturbés par mon haussement de ton, ils s'envolèrent tous sans demander leur reste.
Si je les avais brusqués, c’était pour être un peu tranquille. En dehors de mon désir de trouver des indices sur le rayon pourpre, j’avais une toute nouvelle mission : me faire une maison moi-même puisqu’on ne pouvait pas compter sur le BTP dans cette ville.
En flânant dans les airs, je remarquais alors un coin plein de nuages qui n’était encore assailli par aucun pégase de mon équipe. Mon rôle était de les chasser pour permettre je ne sais quel événement de cette ville d’avoir lieu correctement. Mais une brillante idée traversa mon esprit : je venais de trouver les fondations de ma maison.
En prenant garde à ne pas trop interpeller d’autres pégases ou villageois qui me regardaient d’en bas, j’attrapais un à un les nuages pour venir les tasser au-dessus de ma plate-forme métallique. Mon manège dura quelques heures et après avoir modelé ce gros tas de nuages, percé des creux et construit des salles circulaires à coup d’aile, je posais fièrement devant mon nouveau nid. On aurait dit une réplique miniature de Cloudsdale.
Ce travail, peu productif pour la communauté certes, m’avait tout de même épuisé et je décidai de m'allonger, non pas à l’intérieur (j’avais peur que ça soit encore un peu fragile) mais sur l’arbre le plus proche.
Bien en contrebas, face à ma création, je m’apprêtais à débuter une sieste bien méritée.
Puis soudainement, mon arbre se mit à osciller. J'entendis un grand cri :
« TIMBER !!! »
Je m'empressai de m'envoler, mais une branche me coinça la patte. J'avais beau battre des ailes, je chutais en même temps que mon poste d'observation qui s'écroula au sol dans un grand fracas
J'essayais de m'extirper des branchages en gémissant.
C’est alors que j’entendis, pour la toute première fois... cette fameuse voix avec un accent tellement prononcé :
« Oups, désolée ! En même temps, vous avez d’ces manies bizarres, vous les pégases. Est-ce que j'm'installe dans les arbres à couper moi ? T’as pas vu la croix dessus ? »
J'écartais une branche pour enfin apercevoir l'aspect de celle qui voulait ma mort. Il s'agissait d'une terrestre à la crinière jaune et au pelage gamboge. Avec son chapeau de cow-ney, elle obstruait tout mon champ de vision... pfff, les terrestres...
« J’suppose que t’es la p’tite nouvelle, sugarcube, continua-t-elle. J’ai jamais vu ta frimousse arc-en-ciel dans le coin.
- Et si tu continues à détruire les endroits où je me pose, tu n'es pas près de la revoir dans le coin.
- Allez, lâche cette tête de ragondin nyctalope, j’suis sûre que tu vas bien t’plaire à Ponyville, et j'peux m'permettre de l'dire parce que j'suis l'héritière des fondateurs, s'tu veux savoir ! Ah, j’en ai vu passer, d'nouveaux arrivants... mais allez, l'boulot avant tout, tu peux sortir d’mon arbre ?
- Pourquoi ? Tu y tiens vraiment à ce tronc-là ?
- Pas plus qu’un autre, mais on a besoin d’bois pour la fête d’ce soir. C'est un truc très ponyvillien, tu peux pas comprendre...
- Je pense qu’à partir du moment où une terrestre peut le comprendre, je peux aussi.
- Hé mais c'est qu'elle est vexante, la pégase ! C’est pas parce t’es nouvelle qu’tu dois prendre tes airs de princesse !
- La princesse vient de nettoyer tout le ciel juste pour votre petite fête. J’ai l’impression que c’est un peu plus important que ton travail de bûcheronne.
- Serait-ce de la provocation ?
- À toi de voir...
- Retrouve-moi à 17 heures précise dans le verger nord de Sweet Apple Acres, c'est à l'est de la ville... et je vais te montrer de quoi la bûcheronne est capable !
- Oh oh, un défi ! Très bien, j'y serais ! Puis-je connaître le nom de mon honorable adversaire ?
- Applejack !
- Prépare-toi à mordre la poussière, Applejack ! De la part de Rainbow Dash ! »
Je m'envolais à toute vitesse. Il est clair que ma rencontre avec ce poney n'était pas la plus amicale qu'on puisse faire, mais j'avais le sentiment profond qu'au fond, on allait bien s'entendre... parce que quel que soit son défi, elle allait perdre !
En attendant, je décidais de me trouver un autre coin pour me reposer. Ne regardant pas forcément ou j'allais, je volai droit dans un sournois guet-apens : une bannière géante entre deux poteaux qui me captura et m'envoya au sol.
Après m'être déliée de cette banderole assassine, je déchiffrais le message inscrit dessus en paillettes roses : Bienvenue à Ponyville, Jainbow Splash !
« Qu'est-ce que...
- Désolée, je sais pas si ça s'écrit avec un J ou un G, ou peut-être les deux ? » lança une voix derrière moi.
Demi-tour, et vision d'horreur, une jeune jument au pelage rose, à la crinière rose et aux pensées apparemment roses aussi me dévorait des yeux avec un sourire abject. Oh, nom de Celestia...
« Je ne suis pas du genre à perdre mon temps lorsque j'apprends l'arrivée imminente d'une éminente arrivante qui arrive éminemment ! »
Elle se mit à me secouer la patte à la vitesse du son.
« Enchantée, vraiment super enchantée de te connaître, JG'ainbow ! Je suis sûre qu'on va devenir les meilleures amies du monde et tu me diras des nouvelles du délicieux punch que je t'invite à boire demain. Ah, pour info, je m'appelle Pinkie Pie !
- Et moi c'est Rainbow Dash, dis-je en retirant ma patte endolie. RRRRRainbow !
- Oh, je suis sotte, évidemment ça sonne mieux ! Enfin, ça sonne pas autant que Twilight ! C'est cool comme nom non ? Je rêve de pouvoir me lever le matin et lancer : « Hé, bonjour Twilight ! ». Oh, j'aimerais tellement rencontrer quelqu'un qui s'appelle Twilight...
- Désolée, moi c'est Rainbow...
- Alors dites-moi, madame l'arc-en-ciel, quelles sont les motivations qui vont ont poussé à venir dans cette merveilleuse ville ? Car il est clair que vous n'êtes pas venu ici à la recherche d'un rayon pourpre mystérieux après une embrouille avec une amie chez qui vous habitiez depuis que vous avez quitté le domicile familial à l'annonce de la disparition d'un proche, hum ?
- Oh non, soupirais-je les yeux au ciel... c'est pas du tout ça...
- Je le savais, j'ai un flair pour ça ! Tu sais quoi, tu me racontera plus tard, je suis chargée de l'organisation complète de la fête de ce soir. C'est un boulot épuisant.
- Ça vous arrive vraiment d'être épuisée ?
- Attends... non ! Bien joué, Bimbo Rash, tu me connais bien !
- C'est facile de cerner le personnage...
- Ah, t'es une rigolote toi ! Niveau amitié, je sens que toutes les deux on va exploser tous les records ! Allez, tu seras mon invitée à la fête de ce soir ! Tu vas faire quoi en attendant ?
- Là, je comptais me reposer en fait... »
Soudain, Pinkie Pie se mit à me regarder bizarrement. Elle glissa doucement sur le côté en faisant grincer ses dents :
« En-nuy-eux... »
Elle disparut alors derrière un réverbère dix fois plus fin qu'elle. De cette petite entrevue, un seul truc m'avait profondément choqué... Ennuyeuse ? Moi ?
Très bien, je pense que le moment était venu de faire un truc cool.
Oubliant toute idée de repos, je me mis à voler à pleine vitesse. Réalisant que je ne l’avais pas fait depuis un moment, je me permis quelques loopings rapides.
Décidément, plus rien ne me tourmentait quand je faisais mes pirouettes aériennes à deux cent à l’heure. J’étais peut-être destinée à voler toute ma vie finalement. Si c’était le cas, aucun rayon pourpre et aucune Ponyville ne pouvait me retenir.
Je volais à l’envers avec satisfaction. Cela faisait partie des très rares occasions où j’aimais le silence et le calme.
Mais comme d'habitude, il faut dire que je ne regardais pas où j'allais. Et une nouvelle fois, un piège était tendu sur ma route : une grande cabane en bois à côté d'une rivière. Une petite maisonnée qui a l'air pittoresque lorsqu'on ne la prend pas sur le coin de son crâne.
Je m'étalais comme une mouche morte devant la porte de la cabane. Le résident, ayant entendu du bruit, ouvrit la porte en grinçant...
Et là, mille et une images de ma jeunesse défilèrent en une seconde, avec une intensité incroyablement condensée. Mon cœur faillit lâcher devant le choc. Ce regard, ce museau jaune, cette mèche rose qui étaient penchés au-dessus de moi... J'avais l'impression qu'on partageait les mêmes images défilantes, l'orbite de ses yeux grossit de plus en plus. À la fin de cette immense seconde, elle poussa un cri strident, et claqua violemment la porte que j'entendis se fermer à quadruple tour.
Je bondis sur messabots et frappai de toutes mes forces sur la porte. Puis, je ralentis, jusqu'à toquer doucement, ébahie et choquée :
« ... Fluttershy ?... »
Un long temps hésitant suivit. Puis soudain, un murmure résonna de l’autre côté de la porte close.
« Dash... tu as tellement grandi...
- Et toi alors... répondis-je. On voit enfin tes deux yeux ! »
La porte se rouvrit doucement, elle était recroquevillée, penaude, cachée derrière sa mèche. La première chose que je remarquais fut sa marque sur son flanc, de magnifiques papillons délicats.
« Les animaux, évidemment... dis-je avec sourire.
- La course, évidemment... » dit-elle avec ce même sourire, en apercevant ma propre marque.
Elle m'invita à rentrer... puis se jeta aussitôt à mon cou en lâchant quelques larmes.
« Oh pardonne-moi, Rainbow... Je ne suis pas retourné à Cloudsdale après ta course... j'ai... j'ai appris avec mes amis de la terre ferme et... ah, je n'arrive pas à croire qu'on se retrouve ici !
- Hé hé, on dirait que cette ville a quelque chose de spécial. » dis-je un peu embêtée de ne pas avoir envie de pleurer.
Son cabanon était très petit. Mais elle avait tout de même réussi à installer une table, deux chaises et un placard. Elle prépara du thé (et elle savait que je n’aimais pas, mais c’est tout ce qu’elle avait) puis elle s’assit.
Je tentais de m’asseoir sur la seconde chaise, mais un monstre poilu se mit à couiner atrocement au moment où j’allais m’asseoir sur lui.
Ce lapin agressif, obligé par le regard insistant de Fluttershy, me laissa finalement la place après un grognement.
« Il faut l’excuser, c’est un petit lapin un peu grognon qui ne veux plus me quitter depuis mon arrivée. Oh, on pourrait lui trouver un nom ensemble puisque tu es là !
- Devil... » articulais-je en regardant le lapin taper avec colère contre le pied de ma chaise.
Elle resta devant sa tasse sans y toucher et me pria de raconter un peu mon parcours. Je fus brève, Skyfall, vagabondage, Sonic Rainboom, le classique. J'avais hâte que ce soit à elle de me raconter son histoire.
« Hem... comme toi, j'ai quitté Cloudsdale juste après avoir obtenu ma marque. Ce n'est pas l'aventure qui m'a appelé, c'était l'insistance de mes amis animaux qui voulaient que je découvre leur monde. Mes parents savaient que c'était ma voie, eux-mêmes ont toujours vécu en accord avec la nature. J'ai parcouru les alentours – mais je ne prétends pas avoir vadrouillé plus que toi – pour effectuer quelques prestations de vétérinaire par-ci par-là... »
Petite pause apaisante, Fluttershy bu sa première gorgée de thé.
« Je me suis fait quelques amis comme ça... euh... à vrai dire, il s'agissait surtout des animaux et non de leur maître... beaucoup étaient vexés que leur animal obéisse à moi et pas à eux. Arriva une période un peu nécessiteuse et j'ai suivi dans ma naïveté un groupe de pégases défenseurs de la nature. »
Nouvelle gorgée, bien plus crispée cette fois.
« Mais ils n'en avaient rien à faire de la nature, c'était un prétexte pour profiter et voler des poneys. Ça devenait grave, mon frère m'a sorti de ce mauvais pas... c'est peut-être la seule chose qu'il ait fait de sa vie, tu connais Zeph, enfin bref... j'ai eu la chance de faire un voyage jusqu'à Las Pegasus. J'y ai rencontré des pégases de mon âge bien plus fréquentables. Mon père et mon frère s'y amusaient comme des fous, ma mère et moi discutions jour et nuit avec un ami de mon père, un certain Bright Mac, qui au milieu de cette grande cité n'avait d'yeux que pour les fruits et la terre de sa campagne natale. Il m'a convaincu de m'installer dans les terres qui l'ont vu naître. Je pense avoir retrouvé la ferme où il a fait ses premiers pas. En revanche, je ne l'ai jamais retrouvé lui.
- Ta famille est toujours à Las Pegasus ?
- Oh non, ils vivent paisiblement dans un village aérien qui n'est même pas sur la carte. Mon frère va et vient pour assurer ses multiples emplois, et moi... ça fait à peu près trois mois qu'on peut dire que j'habite ici... le lapin ne veut plus me voir partir... »
Elle me raconta ensuite ses journées, ses habitudes et son émotion de me revoir. Et je me réjouissais d'avoir une amie qui connaissait la façon d'aborder cette étrange ville. Je ne risquais sûrement rien à lui parler de l'objet de ma venue.
« Super, dis-je une fois qu’elle n’eut plus rien à raconter. Tu dois déjà connaître un tas de trucs sur Ponyville. Alors dis-moi, t’as déjà entendu parler d’un rayon pourpre ?
- Je... je suis désolée, Rainbow Dash. Je ne vais pas souvent en ville.
- T’es toujours aussi timide hein ?
- Voui...
- Pour une fois je te comprends. Les poneys de cette ville sont tous complètement fous.
- Il me semble que tous les nouveaux arrivants ont pensé cela et que les suivants le penseront encore...
- Mais je suppose qu’il faut leur donner une chance, qu’il faut apprendre à les connaître. Tu t’es fait des amis ici ?
- C’est que... j’essaie d’éviter les gens...
- Est-ce que tu es en train de me dire que tu n’as parlé à pratiquement personne depuis trois mois ?
- Voui...
- Et que pratiquement personne ne sait que tu habites une minuscule cabane près de la forêt ?
- Voui...
- C’est beaucoup trop petit pour vivre ici ! Pourquoi tu ne t’installes pas en ville ? J’ai vu un tas de grands bâtiments vides ! Le loyer est trop élevé ?
- Non, j’ai de quoi payer, mais je n’ose pas... »
Fluttershy s’était levé de sa chaise, elle regardait désormais la ville toute proche, à travers son unique fenêtre, avec un peu de mélancolie dans la voix.
« Fluttershy...
- Je suis parfaitement incapable de m’installer au milieu de tous ces poneys, reprit Fluttershy sur un ton presque agressif. Et ton emménagement n’y changera rien. Je ne suis pas prête.
- Mais tu ne peux pas... »
Fluttershy ouvrit brusquement la porte de chez elle, l’œil sévère, mais les paroles pleines de regrets :
« N’insiste pas, Rainbow Dash. J’ai été ravie de te revoir.
- Quoi ? J’ai dit quelque chose de mal ?
- Tu es venue me raconter exactement la même chose que la jument rose frisée d’hier. Et ça me vexe ! »
Je crois que le cocktail d’émotions provoqué par nos retrouvailles, puis par mon manque de tact avait porté à ébullition le tempérament si fluide de Fluttershy. Je me levai doucement, frappai ma queue contre la chaise pour faire tomber le lapin qui était en train de la mordiller, puis me dirigea vers la porte.
Et tandis que son lapin finissait son thé, Fluttershy m’accompagna dehors en marmonnant :
« C’est la vie que j’ai choisie, Dashie.
- Non, ça, c’est ce que la vie t’a donné pour matière brute. Tu dois encore la tailler et saisir les occasions qui se présentent, et là, tu l’auras choisi de ton plein gré.
- Les occasions ?
- Celles qui donnent à ta vie un nouveau tournant. Moi c’était un rayon pourpre, et toi ce sera... la fête de ce soir !
- Pardon ?
- J’ai cru comprendre qu’il y a une fête ce soir. Toute la ville y sera ! Tu pourras te présenter à tout le monde en même temps et décrocher une nouvelle maison !
- Rainbow ! Tu ne m’écoutes pas ! Je t’ai dit que je ne pourrais jamais soutenir leur regard toute seule !
- Mais maintenant je suis là. Tu n’as qu’à venir me rejoindre discrètement, et on ira pas à pas, à ton rythme.
- Tu ferais ça pour moi ?
- Bah ouais, comment tu disais déjà ? La loyauté incarnée ? »
Fluttershy, après mûre réflexion, accepta ma proposition. Je m’envolais alors ravie. Ravie d’avoir enfin retrouvé celle qui était à l’origine de ma marque de beauté, ravie de l’avoir poussée hors de ses retranchements, et puis ravie d’avoir accompli une des tâches pour lesquelles j’étais partie de chez moi. La seconde tâche étant de parcourir les cieux comme mon père, il ne me restait plus qu’une décision cruciale à prendre : quitter ou non cette ville qui ne correspondait pas à mes attentes.
Mais pour l’instant, le clocher de la ville sonna 17 heures, soit l’heure où une certaine blondinette au chapeau de cow-ney m’avait donné rendez-vous.
Je voletais ici et là pour essayer de repérer une ferme, et je fus vite épuisée (oui, ça ne m’arrivait jamais d’habitude, mais cette ville me drainait toute mon énergie). Mes ailes me tiraillaient.
Mon regard d’aigle dénicha bien vite un moyen de transport des plus agréables, et que je soupçonnais d’aller dans la direction voulue. Avec bonheur, je tombai en piquet jusqu’à m’étaler dans un énorme tas de foin, cargaison d’une charrette qui avançait vers des lieux plus propices à l’agriculture.
Après un soupir de satisfaction, je passais ma tête hors de la charrette pour signaler ma présence à l’étalon rouge qui la tirait. Vu son museau vide d’expression, je me demandais s’il avait remarqué ma présence. Je décidai d’entamer la conversation avec ce pauvre prisonnier du secteur primaire :
« Oh là, brave travailleur de la campagne profonde, votre destination serait-elle le ranch de Sweet Apples Acres par hasard ?
- Eeyup, répondit-il sans même m’adresser un regard, je suppose que ça voulait dire qu’il avait remarqué ma présence plus tôt.
- Ça vous gêne si on fait un bout de chemin ensemble ?
- Nope.
- Dîtes-moi, puisque vous avez l’air de bosser pour la ferme. Est-ce que vous connaissez une certaine Applejack ?
- Eeyup.
- Et est-ce-qu’elle vous a parlé de moi ? Je suis Rainbow Dash.
- Nope.
- Hé, ça vous arrive de répondre autre chose que eeyup et nope ?
- Eeyup.
- Raaah, dis-je en m’écroulant dans le foin. Je sens que le trajet va être long !
- Nope. » conclut l’étalon pour la première fois en me regardant, et avec un sourire.
En effet, je découvris derrière sa crinière rousse une grande grange rouge qui devait être le point central de la ferme. Mon chauffeur y pénétra et je découvris une petite pouliche était en train de passer le balai en chantonnant.
Pouliche qui me bondis dessus et me plaqua au sol dès que j'eus le malheur d'agiter ma crinière :
« Elles sont to jolies tes couleurs ! Elles vont top bien avec ta mate de beauté ! Comment tu l'as eu ta mate de beauté ? »
Elle fut rapidement suivie d'une vieille jument qui, avant même d'avoir passé sa tête à l'intérieur de la grange, commença à radoter sur l'accueil nécessaire des nouveaux arrivants et tous les poneys qu'elle avait vu passer ici. Lorsque j'arrivais enfin à lui demander si elle connaissait une Applejack, elle se mit à ricaner :
« Ah ah, elle me demande si je connais Applejack ! Pour sûr, je la connais comme ma hanche, petiote ! Quand elle était petite, elle adorait mes bons beignets, et elle a gagné toutes les compétitions juniors de rodéo, sans parler de la fois où elle... oh, sapristi, si Applejack est occupée au verger, qui va s’occuper de présenter la famille Apple à cette chère petite pégase ?
- Ouais, euh, je devrais peut-être mieux aller la rejoindre au verger nord...
- C’est un cas de force majeur ! s’écria Granny. Et je veux bien me dévouer ! Big Macintosh, sort moi les albums photos des 50 dernières années. Et Apple Bloom, soit gentille et amène-nous l’arbre généalogique de la famille.
- La patie un, deux, tois, quat, cinq ou six ?
- La première, je n’ai pas du tout l’intention de m’éterniser... »
Oh que si, elle s’éternisa ! Les heures passèrent inlassablement sur le canapé du salon des Apple. Je ne bougeais plus d’une plume au point d’en avoir des fourmis à tous les membres. Et je ne pouvais pas me permettre de m’échapper par la fenêtre, car il me semblait que contrarier Granny Smith, c’était s’assurer une mauvaise réputation dans toute la ville.
Alors j’écoutais, j’écoutais sans comprendre, engourdi, fatigué, tant et si bien que je m’endormis vers le milieu. Cela n’avait pas l’air de perturber la grand-mère qui avait continué à déblatérer toute son histoire sans plus aucune réponse, jusqu’à ce que les mots « Bon, ben, je crois que c'est tout. » soient prononcés.
Big Macintosh me donna un coup de coude pour me réveiller. Après un sursaut, je vis le visage radieux de Granny Smith envelopper mon champ de vision.
« Alors, je suis sûre que tu n’as pas une vie de famille aussi mouvementée, hum ?
- Euh... m’en voulez pas... j’ai lâché au moment où lui (montrant Big Mac) est le frère d'elle (montrant Apple Bloom).
- Mouais, au tout début quoi... » maugréa Granny.
Je me souvins alors de pourquoi j’étais venu et j’allais demander à Big Macintosh si Applejack m’avait attendu ou non. Avant même qu’un son ne sorte de ma bouche, il articula un puissant :
« Nope !
- Si tu cheches Appleja, elle est patie à ma boutite de vêtements ! » m’apprit Apple Bloom.
J’empoignais une poignée de gâteaux pour le dîner, ce qui rendit finalement le sourire à Granny Smith et décolla en trombe vers le centre-ville.
20 heures déjà, Applejack allait me prendre pour une dégonflée (ce que je ne suis absolument pas !) mais il y avait peut-être moyen d'organiser un autre défi.
Les nombreux citadins que j’interrogeais m’indiquèrent facilement la boutique de vêtements que beaucoup appelèrent Boutique Carrousel.
La porte de cette fameuse boutique était entrouverte. Et un boucan phénoménal retentissait à l’intérieur. Les plaintes et des cris qui ressemblaient à peu près à cela :
« Je suis venue pour mon chapeau ! Combien de fois il faut te le dire ? Lâche cette robe !
- Applejack, si tu oses sortir sans habits ce soir, j’élargis encore plus le trou de ce chapeau ! »
Les poneys à l’extérieur semblaient éviter d’approcher la boutique de trop près, de peur de recevoir je ne sais quelle pelote perdue. Afin d’identifier la mystérieuse interlocutrice de mon adversaire, j’avançai doucement jusqu’à glisser un œil à l’intérieur.
Là, je faillis pouffer de rire : Applejack avait enfilé une robe pleine de paillettes et une broche maintenait désormais sa crinière qu’on avait tressée délicatement.
Son regard blasé ne quittait pas le chapeau qui était suspendu au-dessus d’elle, hors de portée et maintenu dans un aura magique de licorne.
Soudain, une forme blanche se posta entre mon œil et la fermière, elle s’agitait autour d’elle avec une flopée de rubans colorés.
« Franchement, Applejack, la nouvelle arrivante nous est envoyée par la princesse Celestia elle-même ! Tu n’oserais pas te montrer à elle avec un chapeau et des sabots boueux !
- Je l’ai déjà croisée avec un chapeau et des sabots boueux. Et franchement, elle est pas si exceptionnelle... et pas du tout ponctuelle qui plus est !
- Tu sais ce qu’il te faut Applejack ?
- Du temps pour apprendre à la connaître ?
- Non, plus de perles ! »
La licorne lâcha le chapeau d’Applejack qui tomba juste devant elle, puis s’enfuit en arrière-boutique. La fermière esquissa un sourire maussade en contemplant toujours le trou sur le rebord.
Alors je me glissais à l’intérieur doucement, observant mon environnement. Machine à couture, mannequins, vestes, chaussures et robes un peu partout, un vrai repère de création artistique. Enfin je suppose, parce que ce n’était pas du tout mon domaine.
Et puisqu’il n’y avait plus qu’elle et moi, j’essayais d’attirer l’attention d’Applejack par un discret toussotement. Lorsqu’elle me vit, son sourire maussade se renforça encore davantage.
« Tiens, mais qui voilà ? Ce s’rais ti pas la pégase qui réclame un défi et qui n’y vient pas juste pour être sûre de n'pas perdre ?
- Hé, ça fait des heures que je suis à Sweet Apples Acres ! C’est ta grand-mère qui m’a retenu à l’intérieur !
- Dur à déchiffrer, notre arbre généalogique, hein ?
- Mais je suis venu pour qu’on remette ça, je suis prête !
- Hem, là ça va pas être possible, je suis un peu occupée tu vois. Et toi aussi d’ailleurs...
- Qu’est-ce que tu racontes ? Moi je suis libre comme l’air. »
Le souffle de l’extérieur cessa soudainement de m’envelopper. La porte de cet antre obscure venait de claquer brutalement. Mon cœur se mit à faire des bonds lorsqu’un rire ténébreux retentit dans mon dos. L’intérieur était devenu sombre et oppressant d’un seul coup. Une lueur bleutée perça les ténèbres. Elle était dans mon dos. Un souffle chaud arriva sur ma nuque. La créature s’approchait de moi, je n’osais pas me retourner.
« Je peux faire quelque chose pour vous ? »
J’accompagnai cette phrase d’un violent cri de peur en m’élevant au-dessus du sol. Mes ailes s’emmêlèrent dans un ruban et je chutais avec fracas au milieu des terribles maquettes et des mannequins diaboliques, brisant un étal funeste et déchirant quelques draps obscurs.
La ténébreuse créature poussa un soupir, ouvrit tous les volets d’un coup de corne magique et partagea une expression intriguée avec Applejack.
Réalisant que l’objet de mon effroi était une banale licorne à la crinière indigo, je me relevais prestement en essayant de redresser ses mannequins aux corps aussi pâles que le sien.
« Désolée, vraiment, les espaces clos comme ça, ça m’angoisse.
- Je pense que le pourpre vous ira bien.
- Quoi ? De quoi vous parlez ? demandais-je légèrement inquiet qu’elle connaisse l’existence du rayon qui m’avait poussé à venir dans cette région.
- De votre robe, ma chère. Si j’ai réussi à habiller Applejack elle-même pour ce soir, il est hors de question que vous n’en portiez pas. Et je vais vous en faire une pourpre, ça sera magnifique... »
Elle se mit à rassembler plusieurs patrons, des bobines de fil et du tissu pourpré. Puis soudain, elle laissa tout tomber et revint sur ses pas.
« Je suis navrée, ce n’est pas parce que vous avez détruit mon étal que je dois être impolie. Mon nom est Rarity, la plus recommandée des stylistes de la région.
- La seule des stylistes de la région ! clama Applejack.
- Et vous, continua la licorne après un regard furieux à la fermière, vous devez être Rainbow Dash, notre nouvelle citoyenne.
- Eeyup, répondis-je comme si l’étalon rouge m’avait déteint dessus.
- Pinkie Pie m’a parlé de vous... et d’ailleurs Pinkie Pie a parlé de vous à toute la ville. Il doit y avoir une foule de poneys qui n’attend que de faire votre connaissance ce soir et c’est pour cela qu’il vous faut vous montrer sous votre meilleur jour ! »
Elle ramassa tissus, fils et patrons avant de filer à nouveau en arrière-boutique, toute excitée, sans prêter attention à ma ferme opposition.
« Eh bien merci Dash, dit Applejack en retirant sa robe avec soulagement, tu as sauvé ma fin d’après-midi ! »
Elle plaça son chapeau sur sa tête et s’assit dans un coin.
Tout le reste de la soirée, c’est moi qui fut à sa place, harnachée de tous les côtés par une cruelle licorne qui avait toujours un p’tit quelque chose de spécial à ajouter en vue d’atteindre la perfection. Je ne me plaignais pas comme Applejack à chaque nouvel essayage mais mon expression de dégoût profond fit certainement comprendre à Rarity qu’elle devrait choisir les accessoires à ma place.
Applejack était sorti pour aller couper d'autres troncs, puis par la suite est revenue uniquement pour se moquer de moi. Elle ne lâcha alors plus son fou-rire à partir du moment où Rarity avait ordonné que je marche avec des chaussures à talons. Des talons ! Pour un pégase !
Mon bonheur étant lié depuis toujours à l’air extérieur, la délivrance survint donc lorsque la porte de la boutique Carrousel s’ouvrit de nouveau en grand. Un sourire se dessina sur mes lèvres. Sourire rapidement inversé lorsque Pinkie Pie pénétra dans la pièce, une poignée de ballons attachés à sa mèche de crinière.
« Mes informateurs m’ont affirmé que Trainbow Mash serait dans le coin, est-ce que vous l’auriez vu ? »
Puis elle s’approcha de moi, ou plutôt du corps qui ne m’appartenait plus, sous une montagne de dentelle, d’artifices et de maquillage.
« Par le saint kumquat ! s’écria-t-elle en se tournant choquée vers Applejack. Ne me dites pas qu’il y a une deuxième nouvelle arrivante et que vous avez fait sa connaissance avant moi !
- Je suis Rainbow Dash, grognais-je.
- Naaan, on me la fait pas à moi ! J’ai assez cerné le caractère de Zainbow Pash pour comprendre qu’elle ne porterait jamais des talons !
- On est d’accord... » soupirais-je.
Rarity revenait de l’arrière-boutique, avec une tonne de froufrous, et de nouveau laissa tout tomber par terre en apercevant Pinkie Pie.
« Oh, Pinkie, s’il y a vraiment quelqu’un qui mérite un habit de gala, c’est l’organisatrice de la fête. Du rose, comme d'habitude ?
- T’as l’intention d’habiller tout Ponyville ou quoi ? lança Applejack. Va pas te plaindre d’être débordée après !
- Excuse-moi d’être préoccupée par l’esthétique de cette ville et de ces habitants ! grinça Rarity. Ça m’a l’air un peu plus utile que de couper des arbres !
- Je suis d’accord, ajoutais-je, entrevoyant une ouverture.
- Ah, mais si tu veux, je touche plus aux arbres moi ! Pas d’arbre, pas de feu et pas de feu, pas de chaleur, pas de lumière et pas de nourriture ! Ça sert à quoi d’être belle si on a la dalle ?
- Un point pour la chapeautée, admis-je comprenant que ce débat allait peut-être me sauver.
- Pinkie Pie, reprit Rarity, puisque tu n’as rien à faire, viens m’aider à finir toutes ses robes avant de faire la tienne.
- Comment ça, rien à faire ? Je vous signale que je travaille plus que vous deux réunis. Depuis ce matin !
- Bah bien sûr, dit Applejack en levant les yeux au ciel. Qu’est-ce-qu’on ferait sans la touche Pinkie dans nos fêtes ! C’est aussi grandiose qu’inutile !
- C’est vrai que ça a l’air de lui prendre beaucoup à cœur, lançais-je en retirant délicatement mes sabots des talons.
- Peut-être que mon travail paraît dérisoire, répondit Pinkie. Mais sans moi, cette ville serait un repaire de zombies antipathiques !
- Sans moi, elle serait toute grisâtre ! rétorqua Rarity.
- Et sans nous, il n’y aurait même pas de ville, j'vous rappelle ! » s’écria Applejack.
Le débat s’intensifia davantage, les discours commençaient à se chevaucher, rendant la dispute incompréhensible. Je profitais de la tempête pour m’envoler doucement. Vol silencieux par-dessus les crinières, et fuite discrète par la porte laissée entrouverte.
Dehors, je poussais un soupir de soulagement. Les poneys étaient étonnés par ma robe à demi-cousue, mais détalaient bien vite en entendant les nouveaux éclats de voix de la boutique.
Je fis seulement cinq mètres avant que le silence ne retombe. Elles devaient avoir remarqué ma fuite, mais aucune des trois ne souhaitaient me poursuivre. J’étais à bonne distance pour entendre leurs derniers mots :
« Pfff, on est nulles, les filles, soupira Applejack. Pour le légendaire accueil ponyvillien, c’est raté...
- Zut, dit Pinkie. Je ne vais quand même pas perdre une amie que je viens juste de rencontrer !
- Comment veux-tu qu’elle soit notre amie ? conclut Rarity avec mélancolie. On a déjà du mal à s'entendre nous-même... »
Ce dernier discours me fit certainement culpabiliser. Mais pas assez pour provoquer un demi-tour. Je battais les ailes à vive allure vers la maison-nuage que j’avais conçue.
Blottie dans les coussins cotonneux, des questions plein la tête, je parvins à fermer les yeux et trouver ce repos que j’attendais depuis ce matin.
Je fus réveillé une heure plus tard, par les cris émerveillés et bruits de machines à barbe à papa qui prenaient place au cœur de la ville. Les rues étaient agitées, la place de la mairie se peuplait peu à peu. On n’avait pas encore envoyé les musiques, mais les lumières de la fête suffisaient à me faire oublier toute idée de poursuite de sieste.
Enfin, il faut dire que ces flashs multicolores étaient attrayants. J’avais bien le droit d’aller m’éclater si je prenais la décision de partir dès le lendemain. Et puis qui allait mettre une ambiance de feu si je n’y allais pas ?
De toute façon, j’étais obligée d’y passer : pour Fluttershy. À ce moment je pensais que cette fête ne m’apporterait rien, mais qu’elle changerait la vie de mon amie d’enfance. À l’heure où je vous parle, je comprends qu’elle m’a changé bien plus qu’elle a changé Fluttershy.
Mais pour l’heure, c’est une pégase débraillée (en demi-robe et demi-maquillage, la flemme de l’enlever) qui voletait en dansant vers le centre-ville, sur la toute première musique envoyée avec un haut-parleur géant par une licorne branchée aux lunettes disco opaques.
Je me frayais un chemin au milieu des poneys agités, sans doute trop pour remarquer ma drôle de tenue. Les seuls qui semblaient me reconnaître étaient les pégases de l'équipe météo ponyvilliene. Chacun que je croisais effectua un salut militaire et se tut pendant tout le temps où je passais devant lui, même coupant au beau milieu de sa discussion.
À peine allais-je arriver là où la fête battait son plein, là où j'allais sûrement me présenter à la foule, et qu'ils allaient admirer mon magnifique jeu de jambes, que deux grandes pattes poilues me saisirent par le col.
Je me retrouvais dans une ruelle sombre et insoupçonnée. Mais le décor, on s'en fiche lorsque la créature qui vous agrippe n'est autre qu'un gigantesque ours.
À mon grand étonnement, il ne me dévora pas comme l’aurait fait le commun des ours. À mon étonnement plus grand encore, il portait un petit chapeau haut-de-forme bleu à paillettes, une canne lustrée à son poignet et un nœud-papillon bleu également.
C'est lorsqu'il me posa à terre avec légèreté et élégance que j'aperçus également un petit lapin blanc à ses côtés. Il avait un chapeau haut-de-forme à sa taille (celui de l'ours était affreusement ridicule), un monocle doré et surtout il n'avait pas du tout l'air content d'être ici...
Puis un petit cri attira mon attention sur le fond de la ruelle. Là se trouvait une pégase que je ne reconnus pas au premier regard.
Elle était une luciole au milieu de la ruelle sombre, et quand je compris que j'avais en face de moi Fluttershy, j'étais encore plus éblouie : elle portait une tenue de gala splendide (bleue et argentée, la seule robe dont je me souvienne encore), accompagnée de luxueux talons translucides. Sa crinière était superbement bien tressée et une sorte de lierre argenté la parcourait de haut en bas. Le maquillage de ses yeux achevait d'illuminer ce chef d'œuvre incontestable, même pour une anti-esthète comme moi.
Pour la première fois, ce fut moi qui n'arrivais pas à parler, et c'est elle qui prit la parole.
« Oui, je sais, mes talents de couturière ne valent pas ceux de la licorne de la boutique Carrousel...
- Tu es absolument splendide, dis-je naturellement subjuguée.
- Oh merci, Rainbow... Toi aussi tu es très en beauté... »
Je jetais un œil à mes vêtements anarchiques et débraillés.
« Moi, j'étais sincère, ne te sens pas obligée d'être polie...
- C'est très gentil. Je dois beaucoup à Monsieur Tédibert. Il a eu la gentillesse de me tresser les crins. »
L'ours me salua alors en soulevant son chapeau et attrapa délicatement mon sabot avant de me faire un baise-sabot. Décidément, je venais de vivre une journée très bizarre...
« Monsieur Tédibert serait ravi de faire de nouvelles rencontres citadines, sourit Fluttershy.
- Oui, et bien... on va y aller doucement, Fluttershy, hein ? Toi d'abord, et en attendant tes bestioles peuvent attendre dans la forêt. »
L'ours poussa, non pas un râle guttural désespéré, mais une sorte de petite offuscation de noble vexé. Le lapin quant à lui, n'avait pas besoin de plus pour faire demi-tour et s'enfuir vers le fond de la rue. Mais Fluttershy, qui s'approcha de moi et se mit soudainement de profil, empêcha toute tentative de fuite.
« Rainbow... dit-elle en regardant ses chaussures de luxe gratter nerveusement la terre. Tu crois vraiment que tout se passera bien ?
- Il n'y a aucune raison pour que ça se passe mal ! Écoute Fluttershy, tu es, telle que tu es là, la plus belle des poneys de la soirée. Tu vas faire une entrée grandiose, tous les poneys voudront te connaître, et tous auront les yeux rivés sur toi !
- Tous ?! Mais c'est encore pire ! paniqua la pégase. Je croyais qu'on devait y aller doucement !
- Ok ok, la rassurais-je. Je vais t'introduire tranquillement au milieu des poneys que je connais déjà, ok ? Et naturellement, les autres viendront te voir, petit à petit, jusqu'au maire ? Entendu ?
- Entendu... »
Fluttershy se mit à serrer son lapin, fortement inquiète. Quant à moi, je m'envolais vers ma destination première : le cœur de la fête.
Je marchais quelque temps, puis mon attention se porta sur un immense gâteau faisant au moins cinq fois ma taille. Ce devait être pour leur petite fête, pensais-je, et je me souviens dans un brusque soubresaut de nostalgie que j'avais quitté Skyfall avant d'avoir soufflé mes bougies d'anniversaire.
Au milieu de toute l'agitation, des discussions haletantes des poneys et de la musique qui aurait explosé les tympans de la DJ si elle n'avait pas de casque, je parvins néanmoins à entendre un cri très aigu, à la limite de l'ultrason :
« C'est elle, j'y cois pas, c'est elle ! »
Avant que je puisse réagir, une petite pouliche se jeta sur moi et se frotta contre ma jambe. J'aurais parié Apple Bloom, mais celle-ci était orange, avec une crinière violette ébouriffée.
« Z'êtes mon idole ! Je cois que c'est le plus beau jou de ma vie...
- Ouais ouais, je sais... »
Voyant les mines circonspectes des autres fêtards, j'écartais un peu la petite pégase.
C'est alors qu'une licorne visiblement de son âge déboula au milieu de la foule. Elle avait le pelage blanc, la crinière bouclée violette et rose et elle se débattait avec un ruban de sa panoplie de diva.
« Cootaloo ! s'écria-t-elle. Je t'ai dis de m'aider pou mon ruban !
- On s'en fisse, Sweetie Belle ! Regade qui j'ai touvée ! dit la pégase en me pointant du sabot.
- Un bout d'ac-en-ciel pedu ?
- Mais non ! C'est Pitfire, la capitaine des Wondebots ! répondit-elle en sautant sur place. La pégase la plus cool de la panète !
- Hé hé, hé hé, désolée frangine, dis-je un peu déçue. Je suis pas Spitfire.
- T'es pas Pitfire ?
- Non, je suis Rainbow Dash, tu sais, celle qui vient d'arriver... »
Les oreilles de Scootaloo se baissèrent.
« Mais... euh... je suis aussi rapide qu'elle, hein... je veux dire, si tu veux que je sois ton idole...
- Toi mon idole ? T'es to pas cool... pouquoi pas ma sœu pendant que t'y es ! »
Elle disparut en tapant du pied, très irritée. La petite licorne commençait à partir à sa poursuite, mais un sabot se posa sur son épaule. Un sabot plus grand, mais pas moins blanc.
Je découvris à ma droite la moue sévère de Rarity, qui bientôt se mit à réajuster le ruban de la pouliche en grognant :
« On n'a pas idée de se balader comme ça, tu veux me faire honte ou quoi ? »
Après avoir été re-brossée et re-parfumée, la pouliche s'extirpa et galopa pour suivre son amie sans marque.
Je demandais à Rarity :
« Ta petite sœur, c'est ça ?
- Oh oui... insouciante et aventureuse... même pas intéressée par sa marque de beauté... au fait, je suis heureuse que tu sois là, Rainbow Dash. Avec ce qui s'est passé à la boutique, je n'étais même pas sûre que tu viennes... »
Quelque chose me perturba dans l'aspect de Rarity, quelque chose qui m'empêcha de lui parler de Fluttershy. Je fis un rapide tour d'horizon autour de moi : presque tous les poneys portaient robes, costumes et habits de gala.
Retour à Rarity, que je contemplais de ses mèches de crinière décoiffée et trempée de sueur à la pointe de ses sabots usés par le travail du jour. Je la fixais plusieurs secondes avec un regard insistant. Comprenant immédiatement le sens de ce regard, elle se défendit âprement :
« Oui, je n'ai pas de robe, je sais ! Applejack avait raison, ce n'est pas son genre de mentir, j'ai effectivement fait des costumes express pour la moitié de Ponyville et je n'avais plus de temps pour le mien ! N'en parlons plus s'il te plaît ! »
Un silence pesant se mit à remplir l'espace. J'hésitais à entamer un autre sujet de conversation, car maintenant, c'est Rarity qui me fixait moi, avec le même regard insistant. Sauf que moi, je ne parvins pas à le décrypter.
« Rainbow Dash, dit-elle apparemment nerveuse. Tu te tiens devant moi depuis maintenant cinq minutes avec une robe à demi-cousue, deux chaussures sur quatre et du maquillage presque effacé... nous devons impérativement faire quelque chose ou tu auras ma mort par crise cardiaque sur la conscience... »
Puis elle extirpa de sa crinière une bobine de fil rose et une épingle avant de se jeter sur moi. Je hurlais désespérément, attaquée par cette lionne sauvage, sous les yeux amusés des fêtards.
Mon cri alerta un autre poney, qui m'était encore inconnu. Un étalon brun, déjà adulte, avec une crinière noire impeccable.
Une foule de poneys réjouis l'entourait, il attendit patiemment que Rarity donne un dernier coup de sabot sur ma veste avant de m'adresser la parole. Il y avait dans sa tenue et dans sa voix une certaine vanité. J'ai la sordide impression que la soirée se terminera mal si je reste à ses côtés...
« Oh... vous êtes donc... un pégase ? dit-il en resserrant sa cravate.
- Un problème ? répondis-je tout aussi sèchement.
- Aucun, sourit-il. Après tout, cette ville est on ne peut plus tolérante, je n'en connais pas beaucoup d'autres qui accepterait de loger un va-nu-sabots... »
La mauvaise humeur était en train de me ronger, c'est qu'elle peut grimper très vite chez moi. Je souriais nerveusement :
« Ah, cette faucheuse tendance qu'ont les terrestres à prendre les pégases pour les vagabonds versatiles, alors qu'eux préfèrent raser le sol de leurs sabots terreux sans chercher à voir ce qui se passe au-dessus des nuages !
- Ce que vous dites est une dépréciation. Ce que nous avons dit n'est qu'un constat issu de toutes nos observations. N'êtes-vous pas d'accord, mademoiselle Rarity ? »
Rarity ne s'attendait pas à devoir prendre part dans le conflit, je l'entendis avaler sa salive :
« Eh bien, il faut avouer que vous avez la réputation d'être assez... virulents, désinvoltes, abrupts, et d'humeur changeante...
- Simple constat, ajouta l'étalon brun.
- D'accord ! m'écriais-je vers Rarity. Je suppose que tu préfères conserver des relations commerciales en suivant l'avis du poney qui a des sacs pleins d'argent comme marque de beauté plutôt que d'attiser la petite flamme d'amitié que je commençais à avoir pour toi ! »
Le ton commençait à monter, les poneys s'attroupaient autour de nous, ceux près de Filthy Rich se mirent à sourire avec dédain. Rarity, quant à elle, était rouge de honte.
« Voyez comme elle s'emporte vite ! dit calmement l'étalon.
- Oh, je pense que je peux être bien pire ! » lançais-je en lui montrant les dents.
Au milieu de l'intrigue de la foule, un sabot vint se poser sur mon épaule et amenuisa quelque peu ma colère... pour quelques secondes en tout cas.
« Wow, Rainbow, du calme... dit Applejack. On a pas envie que cette soirée s'termine en bataille de saloon.
- Je suis parfaitement calme ! hurlais-je. Et entre nous, Applejack, tu n'es pas la mieux placée pour jouer les arbitres puisque tu es dans le camp des terrestres !
- Je n'suis dans aucun camp ! Rainbow, je suis ton amie !
- Diantre ! s'écria Filthy Rich. On peut être ami avec un de ses barbares du ciel ?
- Tu peux y aller, Applejack ! continuais-je. Et si n'importe qui d'autre à une insulte sur les pégases, vous pouvez y aller aussi !
- Rainbow, c'n'est pas parce qu'un idiot t'manque de respect que tu dois t'en prendre à toute la ville !
- Mais toute la ville est contre moi ! »
En effet, une bonne partie des poneys ricanaient doucement derrière Filthy Rich. J'étais en furie.
« Qui a laissé entrer cette bête sauvage à Ponyville ? plaisanta alors celui-ci.
- HEY ! coupa Applejack en se plaçant entre Filthy et moi. J'veux pas de ça dans ma ville, ok ? Corne, aile ou sabot, on s'en fiche ! Ponyville, c'est une harmonie, c'est une famille !
- Je ne suis pas sûr que cette... Rainbow Dash ait le même sens de la famille que nous... » marmonna Filthy.
Le mot famille alluma le tonneau de poudre de mon ardeur. Je brûlais intérieurement :
« Qu'est-ce que tu viens de dire ? » dis-je en me tournant les yeux pleins de fureur vers l'étalon.
Il se pencha alors avec un faux regard triste.
« Et en plus, tu n'as pas de famille ? »
Mes expirations saccadées faisaient trembler l'assistance. Brutalement, je fondis sur l'étalon et le plaquai au sol. Ses camarades m'empêchèrent de lui asséner trop de coups. Alors qu'ils me tenaient, je percutais d'une ruée un des pylônes multicolores installés pour la fête. Lorsque je parvins enfin à m'échapper, je bondis sur celui-ci, comme sur une tribune face aux villageois. Un vent glacial s'était levé, assez anormal même. La rage au ventre, je hurlais :
« Très bien ! J'ai bien compris, j'ai rien à faire ici ! Vos petites vies tranquilles, bourgeoises, gardez-les si ça vous fait plaisir ! Ouais, je suis une vagabonde versatile, et alors ? Pendant un moment, j'ai cru que j'allais trouver des gens tolérants, et j'ai cru que j'allais pouvoir vivre ici et vous offrir tout ce que je pouvais donner ! Tout ce que j'ai à dire, c'est tant pis pour vous ! Vous n'êtes pas ma famille, vous n'êtes pas mes amis, vous n'êtes plus rien pour moi ! Et au passage... JE QUITTE LA VILLE CE SOIR !! »
L'écho fit résonner mon dernier cri dans une immense torpeur, le silence suivit tout de suite après. La DJ arrêta la musique, complètement estomaquée. C'est alors que j'entendis un murmure venant du gâteau géant derrière moi.
« Ah, y a plus de musique ! C'est le signal ! »
J'eus à peine le temps de me retourner que le gâteau explosa de toute part, que des feux d'artifice jaillirent autour et qu'une pluie de serpentins s'abattit devant moi. Plusieurs poneys sortirent alors du gâteau avec de grands sourires. Au sommet, Pinkie Pie, qui portait la cerise sur la tête, s'était propulsée et hurla dans un mégaphone :
« JOYEUX ANNIVERSAIRE SURPRISE, MAMBO WASH ! »
Elle retomba sur le gâteau avec le plus grand sourire que je n'avais jamais vu. Puis elle aperçut le visage le moins souriant et le plus remonté qu'elle n'ait jamais vu. Ses muscles buccaux se relâchèrent jusqu'à une expression des plus tristes. Le mégaphone tomba au sol dans un horrible bruit d'effet larsen.
« Oh... donc c'était bien un cri de colère que j'avais entendu... »
Je me retournais pour faire face à la centaine de poneys tous bouleversés par la tournure que prenaient les événements.
« Je vous déteste... conclus-je les yeux fermés... Je vous déteste tous ! »
Je m'envolais sans un regard à la foule. Il faisait incroyablement froid, pourtant la colère échauffe l'atmosphère d'habitude...
Je commençais déjà à projeter ma future destination lorsque j'entendis un poney crier soudainement à tous de se mettre à couvert. J'ouvris les yeux par curiosité. C'est alors qu'une masse d'une froideur extrême passa juste devant mon museau. Je la vis heurter le sol dans un nuage bleu ciel, avant de se reformer plus loin, en repartant vers le haut.
Les poneys pris de panique commencèrent à courir pour se mettre à l'abri. Dans le ciel aussi, ça s'agitait : deux autres masses glacées galopaient dans le vent et les nuages sombres qui s'étaient levés. J'eus l'impression qu'ils me fixaient tous de leurs yeux miroitants sans âme.
Windigos...
Que... comment... étaient-ils venus pour moi ? Ils menaçaient la vie d'autres poneys désormais. Ces poneys étaient mes ennemis, soit, mais est-ce une raison suffisante pour laisser la ville se faire attaquer ? Non, sûrement pas : je me jetais au milieu de la foule. En chassant les windigos aussi vaillamment que je l'avais toujours fait, les poneys de cette ville verront quel pégase extraordinaire ils ont laissé partir : voilà ce que je pensais sur le moment, pensée bien trop arrogante et présomptueuse je l'avoue.
Car les choses ne se passèrent pas du tout comme dans la Forêolienne...
Ils étaient trois et galopaient en cercle autour de la place, décidant quelques fois de se jeter à corps perdu au milieu des installations de la fête. Alors là, tout ce qu'ils avaient touché se changeait en glace et se brisait violemment, puis ils repartaient vers d'autres cibles. Je n'avais qu'une seule peur, c'est qu'un être vivant remplace cette colonne de marbre qui venait d'éclater comme du verre devant moi. Ce n'était pas le courage qui me poussa à les pourchasser, c'est la colère rageuse qu'avait provoqué cette ville en moi. J'étais plus concentrée, plus irritée, plus furieuse que jamais. Et pourtant, aucun de mes coups aériens n'atteignait sa cible et je terminais amortie dans un nuage gris à chaque assaut. Impossible d'en toucher un seul, c'est même eux qui m'attaquaient désormais. La rage se changea en panique, la panique de ne plus savoir comment faire, de voir que je ne pouvais rien faire pour les poneys tremblants en bas. Si les windigos étaient invincibles, pourquoi avais-je réussi dans la Forêolienne ? Et pourquoi pas maintenant ?
Je criais à tous de rester calme, que j'étais désolée (un étrange remord commençait à se mêler à mon cocktail d'émotions) et que j'allais arranger ça. Puis une violence poussée, sûrement une charge d'un windigo, me poussa vers le sol. Je vis des mèches arc-en-ciel se geler et se briser en plein vol, avant de m'écraser sur la pierre de la place publique. Désemparée, dans une violente colère triste, je pensais que Ponyville était perdue.
C'est alors qu'un escarpin cristallin fut jeté devant mes yeux. Puis un second. Et je vis des sabots jaunes fouler la pierre à cet endroit, des yeux turquoise tristes et apeurés posés sur moi. Flu... Fluttershy ?
Elle retira ses deux dernières chaussures, puis elle marcha en tremblant vers le centre de la place. Je ne sais pas si elle avait conscience que tous les regards de la ville étaient braqués sur son apparition angélique, mais elle avait visiblement une idée.
Elle était morte de peur, on le sentait, mais il se dégageait aussi d'elle une perturbante sérénité. C'est ce calme qui irrita profondément un des windigos. En hurlant dans le vent, il se mit à fondre sur Fluttershy. Elle sentait le souffle froid s'approcher, mais elle regardait ailleurs...
Au moment où le monstre allait la percuter, elle tourna la tête d'un mouvement ultra-bref, fixant de ses yeux le windigo avec un air imperturbable. Ce regard... il me donnait des frissons... Le windigo se stoppa net dans son élan, il ouvrit grand ses yeux uniformément blancs et posa ses deux sabots sur le sol. C'était la première fois que je voyais un windigo posé au sol.
Les autres poneys étaient subjugués. Mais elle ne s'arrêtait pas là dans son défi face aux monstres. Fluttershy se tourna toute entière vers le windigo. Son regard se fit moins dur, plus empathique. Les autres windigos, qui volaient toujours en cercle, diminuèrent considérablement leur cadence et observait paisiblement la scène.
Impossible de percevoir les émotions dans ces yeux vides, mais ils n'étaient clairement plus agressifs.
La pégase ferma les yeux et se mit à siffler. Son souffle atteint le windigo en face, qui s'évapora comme si on avait soufflé sur un pissenlit. Je vis tous les villageois se regarder, puis se mettre à siffler dans une même harmonie. Les uns après les autres, jeunes ou âgés, filles ou garçons, terrestres, pégases ou licornes... Ils sifflaient tandis que Fluttershy s'élevait dans les airs au niveau des derniers windigos.
C'était donc ça la Ponyville que voyait Applejack... Tant de cœurs dans une même symphonie, faisant abstraction de tout ce qui les différenciait. Je me relevais péniblement (ma jambe et mon aile étaient à moitié gelées) et me mis à siffler avec tout le monde... après tout... j'étais une Ponyvillienne, non ?
Les nuages gris laissèrent peu à peu place au ciel nocturne de Celestia, le froid sordide à une chaleur bienveillante et les créatures hivernales à un silence exquis. Fluttershy retomba avec un sourire paisible au milieu de la place. Puis je la vis ouvrir grand les yeux, venant sûrement de réaliser qu'elle venait de chasser des antiques fléaux du royaume, mais surtout que tout le monde la regardait maintenant.
Elle se serait sûrement enfuie si son petit lapin n'était pas accouru pour l'embrasser. Et lorsqu'elle me vit boiter péniblement, elle vint vers moi en se mordillant la lèvre inférieure. Elle me prit furtivement entre ses bras avant de se concentrer sur ma jambe.
Je pense que tout le monde souhaitait lui poser un milliard de questions. Mais ils n'osaient pas. Alors, malgré mon état moral et physique, je fus la première à lui demander :
« Comment tu as fait ça ? Je... je les ai déjà combattu... pourquoi aujourd'hui... je n'ai pas pu ? »
Monsieur Tédibert rejoignit Fluttershy avec une trousse de premiers soins. La pégase l'empoigna et s'assit avec moi, à la vue de tous. Elle commença à désinfecter doucement chacune de mes entailles glacées. Je n'émis pas un cri.
« Depuis cet incident dans la Forêolienne, j'ai étudié quelque peu les windigos, murmura-t-elle, sentant le poids des regards qui l'entourait. Découvrir les caractéristiques de chaque créature, aussi effrayante soit-elle, fait partie de mon métier. Et il faut savoir que les windigos sont des esprits des neiges qui se nourrissent de la colère et de la tristesse... La première fois, tu t'es montrée extrêmement courageuse et ta joie rayonnait dans l'air lorsque tu t'es envolée. Une joie, une étincelle, une flamme d'amitié qui leur rappelle qu'ils ne sont pas les bienvenus depuis la création d'Equestria... »
Lorsqu'elle m'eut bandé la jambe et l'aile, Fluttershy se leva. Elle parcourut l'assistance des yeux, mais je voyais bien qu'elle s'adressait toujours à moi :
« C'est ta colère qui a provoqué leur arrivée... c'est cette carapace de sentiments négatifs que tu as amenée de Skyfall à Ponyville. Je t'ai vu exploser et j'allais te retenir avant que tu ne partes. Je ne te blâme pas, j'ai la même carapace... Mais tu ne pouvais pas lutter avec toute cette fureur intérieure...
- Alors comment est-ce que tu t'y es prise ?
- Je ne sais pas... j'ai essayé d'agir en chassant tout ce qui était négatif en moi... et il en est sorti une sorte de... bonté ?
- La bonté incarnée alors... »
Fluttershy se tourna machinalement vers moi. Dès lors, il fut impossible de détacher nos regards l'une de l'autre. Les toussotements d'Applejack et Rarity me rappelèrent que nous n'étions pas seuls. Je glissais doucement à Fluttershy :
« C'est le moment de te présenter...
- Ouais...
- Non, je t'assure que tu n'as rien à cr... attends, tu as dit ouais ? »
Fluttershy fit un pas en avant. Je savais que c'était un effort considérable pour elle. Cette nuit, elle fut absolument... fantastique...
« Bonsoir, chers poneys. Je suis ravie de vous rencontrer. En fait ça fait plusieurs semaines que je vis tout près de vous... je m'appelle...
- Fluttershy ! s'écria Pinkie Pie. Tu es la vétérinaire habitant dans la cabane à l'orée d'Everfree, celle qui a un lapin trop mignon et une fâcheuse tendance à regarder par terre quand on te parle !
- Wow... tu as retenu beaucoup d'informations en ne m'ayant vu qu'une seule fois. Je suis navrée, moi je n'ai même pas réussi à retenir ton prénom...
- Je suis Pinkie Pie !
- Et bien, Pinkie, j'aimerais être comme toi, si expressive, si extravertie. J'aimerais être comme vous tous, heureux, solidaires et braves face aux événements comme celui de ce soir... »
Elle se tourna vers Filthy Rich un instant.
« Alors oui, je suis un pégase. Oui, on peut dire que je suis une vagabonde versatile aussi. Mais ce que je vois dans le ciel, ce ne sont pas les tempêtes et les nuages de pluies... ce sont les nuées cotonneuses et les rayons de soleil... si... vous voulez bien que je sois des vôtres... je ferais tout ce que je peux pour être la meilleure amie possible. »
Le silence qui suivit fut bref, car rapidement coupé par un bruit de mégaphone :
« Hourra pour Fluttershy et Rainbow Dash ! » hurla Pinkie tellement fort qu'on dut l'entendre jusqu'à Canterlot.
Les poneys commencèrent aussitôt à nous entourer et à nous porter en héros. J'en profitais pour faire excuser mon comportement. La seule qui boudait encore était Rarity, contrariée de voir ma robe toujours plus malmenée.
Après une ballade sur toute la place, les villageois nous posèrent sur le gâteau géant. Fluttershy m'étreignit alors avec tendresse.
« Oh merci Rainbow, grâce à toi, j'ai une multitude de nouvelles amies.
- Désolée de te dire ça, Fluttershy... répondis-je en lui prenant les sabots. Mais tu vas devoir les partager avec moi ! »
Fluttershy se mit à sourire, des larmes de joie emplissaient ses yeux. Pinkie Pie, elle, émergea à nouveau du gâteau, juste en dessous de mes sabots tendus.
Après avoir poussé une inhalation qui gonfla ses yeux comme des ballons, elle m'attrapa par le col. Nous roulâmes alors dans la crème pâtissière jusqu'à tomber sur la terre ferme et elle se mit à me secouer en criant :
« Ça veut dire que tu n'as plus envie de partir ?!
- Hé hé, pourquoi je m'éloignerais des poneys qui passent leur journée à me préparer une fête d'anniversaire légendaire ?
- Oh tu sais que tu m'as donné du fil à retordre. C'est ma première double-fête : emménagement plus anniversaire !
- Ouais, un arriversaire quoi !
- Ah ah ! Oui exactement ! s'esclaffa Pinkie en se roulant sur le sol dans la crème. Un arriversaire ! Quel humour, Rainbow Dash ! Ah, je vais t'adorer ! »
Je regardais Pinkie partir dans un fou-rire communicatif. Mais avant qu'elle ne contamine tout le monde, la mairesse lui donna une impulsion de sabot et elle roula à l'autre bout de la place.
« Mademoiselle Dash, commença-t-elle avec sa voix sévère si différente de celle de Pinkie. Il est indéniable que la ville salue vos efforts pour avoir contré une menace délicate. Mais si demeurer à Ponyville est votre décision finale, je pense qu'il serait temps de régler les petites formalités de logement dont je vous ai parlé... même les héros doivent passer par les formalités de logement... »
Elle me saisit par l'oreille et commença à marcher.
« Aïe, non ! Attendez, Fluttershy aussi doit remménager !
- Et bien en fait, j'ai déjà payé mon terrain, expliqua Fluttershy en caressant son petit lapin, du haut du gâteau. Il me suffit d'agrandir un peu ma cabane en cottage et ce sera parfait.
- Pitié ! Les amies, me laissez pas tomber !
- 'solé sucre d'orge, lança Applejack en riant. C'est pas nous la loyauté incarnée !
- Je vous déteste... je vous déteste tous... » finis-je par soupirer, entraînée par l'oreille jusqu'à l'hôtel de ville.
La fête dura jusqu'au matin. Les invités s'y amusaient, discutaient des événements, partageaient du gâteau géant ou nouaient davantage de relations amicales, tout ceci dans une joie et une ambiance de folie.
Quant à moi, ma soirée se termina dans un bureau municipal, à lire et signer une pile de papiers longue comme le bras, retenant jusqu'à l'épuisement cérébral les documents que je devais moi-même fournir pour la bureaucratie ponyvillienne.
Cela fait partie des événements désagréables de la vie, en tout cas pour moi. Mais qu'ils soient ennuyants, joyeux ou tristes, ces événements feront toujours partie de votre vie. C'est d'autant plus vrai lorsque vous avez une vie aussi inconstante que la mienne. Mais ce qui est fantastique, c'est que ces événements que vous avez vécus, font aussi partie de la vie de milliers d'autres personnes. Des fils de vies qui se croisent, des événements partagés, voilà les marqueurs d'une amitié naissante.
Et alors chaque action, chaque idée, chaque trait de caractère de vos amis est un point du grand réseau qui compose votre vie et la vie des autres. Telle une ligne sur une peinture, telle une note de flûte de pan, ils composent un tout tentaculaire et infini.
Mais quelle que soit la différence et l'apparente dissonance entre ces milliers de notes, un habile musicien de l'amitié arrivera à faire siffler un même air à toute une ville pour un même enjeu. Il arrivera à joindre ces notes pour en sortir quelque chose d'émouvant, d'intemporel et de magnifique : la plus belle et la plus pure des Skyphonies.
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