Chapitre 8

Soft Driver se tourna vers sa protégée tout en se descellant, l'air plus ou moins inquiet.

" T'es sûre de vouloir faire ça ?

- Entièrement, lui répondit la ponette visiblement résolue. Passons par derrière et prenons le monte charge."

Elle descendit de la charrette, presque sans un bruit, et commença à contourner le bâtiment. Le conducteur la suivit puis se mit à sa hauteur. Le siège de la société de pizzeria, Slice Hut, s'étendait sur bien des étages. Diverses rumeurs circulaient à son sujet. Et l'une d'elles était d'abriter le siège du gang des Easy Money dans les étages supérieurs, où aucun employé, fournisseur ou client n'allait. C'est là dessus que la journaliste se basait pour s'infiltrer directement là où ça l'intéressait. Pour pouvoir vivre en autarcie, il fallait aussi qu'ils aient un système d'approvisionnement dédié. Rapidement, le duo trouva les hangars qui servaient aussi de garage à la société et s'engouffra à l'intérieur. La jument grise s'autorisa un sourire victorieux pendant que ses yeux s'habituèrent aux ténèbres. Un monte-charge reposait tranquillement. Les poneys devaient amener les marchandises dans le hangar, le mettre sur l'ascenseur à marchandises et amener ce qu'il fallait aux étages supérieurs. Un trou aménagé dans le toit pouvait semer le doute pour d'éventuels témoins, pensant qu'il pourrait s'agit d'une autre entreprise que Slice Hut, ou bien d'une société parallèle, voir d'une simple excentricité du PDG à l'embonpoint.

Il y avait deux gardes qui tentèrent d'arrêter la progression de Geek Writer, mais se prirent aussitôt une volée par le sombre destrier. Ils s'écrasèrent dans un bruit mou à l'extérieur de l'entrepôt et s'enfuirent sans demander leur reste.

"Je pense que l'on s’est fait repérer à présent, déclara l'écrivaine en haussant un sourcil.

- Plus de retour en arrière possible." conclut le conducteur qui dégagea les quelques caisses restantes sur le moyen de locomotion vertical.

Tranquillement, l’écrivaine grimpa à son tour dans le monte charge et actionna le mécanisme avec sa magie. Le moteur, alimenté par la magie de la licorne à crin mauve et reflets verts, se mit en branle et le monte charge s'éleva en douceur. Petit à petit, ils prirent de la vitesse. Le cheval se tint prêt à toute éventualité, sachant pertinemment que la ponette devait rester concentrée et qu'elle ne pourrait que difficilement se défendre sans arrêter la machine. Et plus ils restaient longtemps sur ce truc, plus ils étaient vulnérables.

***

Le rideau se leva sur un tout autre genre de duo. Nul poney cambrioleur avec son garde du corps attitré ici, il s'agissait juste de deux musiciennes. Enfin, le mot "juste" n'est pas des plus justifiés, car il s'agissait de la violoncelliste la plus connue d'Equestria et de la DJ la plus aimée du royaume. Bien qu'étant en position de jouer, les deux musiciennes attendirent patiemment que la foule cessa ses applaudissements et autres cris de triomphe à leur honneur. Peu à peu, le silence tomba et l'ambiance se fit attentive.

Peu avant la représentation, Vinyl convainquit Octavia de jouer en l'honneur de Geek Writer. La jument à la robe beige avait bien compris que c'était par amitié, plus que par récompense, qu'elle avait tenu à jouer ce morceau en premier, mais elle restait troublée. Sa comparse aux platines ne pouvait pas lui raconter de longues histoires, même avec toute la volonté du monde. Depuis leur première rencontre, la licorne au crin bleu électrique était muette. Octavia pouvait bien essayer de lui faire écrire une biographie, mais elle savait d'avance que c'était vouée à l'échec. Vinyl était une fonceuse, elle avançait dans la vie sans se retourner. De plus, leur relation leur suffisait à elle deux, même si elle voulait bien en savoir plus sur son enfance, et sur ses liens avec cette journaliste les ayant interviewer maintes fois sans que la DJ ne laisse rien paraître sur leur amitié. Toutes ces interrogations pour une chanson. La terrestre commença alors à jouer les premières notes, pinçant les cordes avec application à l'aide de son archet. Le concert de ce soir n'était que symphonique, et pourtant, le public reconnaissant la chanson, combla le rôle manquant, commençant à chanter de lui même :

Tes sabots résonnent sur la terre

Alors que la lune s'élève

Les obstacles de cette ère

Te refroidissent jusque dans ta sève

***

Le monte charge s'élevait doucement dans la nuit. C'est avec un grand étonnement que Soft Driver se rendit compte que plusieurs fenêtres aux étages encore supérieurs s'ouvrirent pour laisser échapper un flot de pégases.

Alors que la bataille s'engageait entre l'énorme équidé et les poney à plumes, des terrestres commencèrent à aborder le monte charge par ces même ouvertures, leur sabots résonnant avec force contre le métal.

***

Ta douleur sera forte, ou puissante ou même insurmontable

Peut être même inimaginable

Mais accroche toi, bats toi et deviens inexorable

Car ton âme sera inatteignable

***

D'une ruade, le conducteur renvoya deux adversaires de là d'où ils venaient. Mais il se prit un sabot dans le museau, puis un second. Il tenta bien de riposter face aux voltigeurs, mais leurs estocades étaient trop rapides, trop précis, trop aléatoires. Rapidement submergé, le protecteur ne pouvait plus gérer les terrestres qui se rapprochèrent de Geeky.

Les pégases hurlèrent, se rendant compte que d'autres masses volantes se dirigeaient vers eux. Soft Driver reconnu l'allure à demi félin de ses amis les griffons et se reconcentra sur les terrestres. Une bataille aérienne s'engagea entre les pégases et les griffons, véritable apogée de cette guerre de gangs durant depuis des lunes voir peut être, des années. Menant le petit groupe d'aigle-lion, Matthew, Dagan et Jess firent signe au cheval noir avant de percuter des poneys ailés.

La bataille commença pour de bon sur la plate forme. Sans relâcher sa concentration, la journaliste se plaçait astucieusement par rapport à son partenaire et protecteur. Elle se jeta soudainement à plat ventre juste devant ses adversaire pour que son compagnon puisse ruer sans se soucier de la blesser. Puis, resta collé contre ses flancs quelques instants avant de reculer à l'autre bout de la plate forme, laissant à son partenaire la liberté de caler ses sabots dans la tête des malandrins.

***

Sois forte et déterminée

Tu ne seras seule qu'un temps

Sois forte et déterminée

Et tes amis te porteront au firmament

***

D'autres fenêtres s'ouvrirent alors que la plate forme continuait sa progression. Un cri puissant et bestial retentit et les deux compagnons blêmirent, ressentant leur sueur se refroidir aussitôt. Ils étaient dans la pire situation possible pour recevoir le psychopathe bodybuilder ailé en guise d'invité.

Le griffon massif se jeta cependant contre l'énorme ennemi dès que celui ci pointa le bout de ses naseaux fumants et lutta avec lui en chute libre. Ses serres bloqua les ailes tranchantes du mastodonte et Dagan tenta de crever les yeux de son adversaire avec son bec. Le poney lui répondit par un coup de boule et chercha à se dégager avec ses sabots arrière. Tenant bon, l'emplumé planta ses griffes dans la chair du psychopathe délirant et commença à battre des ailes. Quelques instants plus tard, ils traversèrent une vitre et s'écrasèrent à l'intérieur des bureaux, une bonne dizaine d'étage plus bas.
Les deux lutteurs se dégagèrent et commencèrent à se jauger. Le griffon fut rapidement rejoint par Jess qui se plaça à ses côtés. Elle avait perdu son noeud rose dans la bataille et sa joue était à moitié enfoncée. Jack Steel Knife renâcla subitement avant de passer à l'attaque dans un hurlement, découpant bureaux, machines à écrire, bouliers et autres équipements en morceaux. Jess fut la première à trouver une parade : de par sa petite taille et son agilité, elle passa entre les lames et griffa les yeux de l'immense pégase. Elle profita de sa douleur et de sa surprise pour passer dans son dos. Le griffon massif, qui commençait à souffrir de diverses coupures un peu partout, saisit le fou par le cou et commença à lui bloquer la respiration alors que Jess plaqua les ailes sur les flancs du pégase. Jack, presque impuissant, rua pour déloger la griffonne de son dos. Au bout de quelques instants, le poney sanguinaire faiblit et tomba dans l'inconscience.

Plus haut, le monte charge commençait à atteindre les plus hauts étages de l'immeuble, mais le flot incessant de terrestre commençait à déranger la concentration de la jument cornue.

"Soft, cria la licorne grise. Prépare toi, on va bondir."

***

Fonce et tente ta chance

Toi seule peut protéger ta destiné

Fonce et tente ta chance

Rien ni personne ne pourra te briser

***

La licorne se concentra et focalisa sa magie à plein régime dans le moteur de l'ascenseur. Alors que le monte charge s'emballa et que son ascension fût boosté à dix fois sa célérité, Geeky grimpa avec difficulté sur le dos de Soft Driver, à moitié écrasé par la vitesse. Plus aucun membre des Easy Money n'osa sauter sur le monte charge. Geeky cria un décompte que le grand cheval comprenait à peine à partir de dix. A huit il se débarrassa d'un épais terrestre aux sabots nus et un tantinet têtu. A six, il plia les coudes et les jarrets.

***

Interlude musical.

Galvanisée par la musique, ses sens et le public, Octavia s'abandonna elle même dans son art. Les yeux clos, elle entama un solo de violoncelle endiablé auquel le public y répondit par des cris et applaudissements. Son archet entama divers mouvements courbes avec d'autant va-et vient extatique. Vinyl accompagna cette montée en puissance par plus de sons, et plus de puretés dans les vibrations de ces mêmes sonorités.

***

Trois...
Deux...
Un...

Fermement cramponnée à l'encolure de son protecteur, Geek Writer stoppa net l'ascenseur. Parfaitement synchronisé, Soft Driver bondit. L'élan donné par la vitesse de leur ancien moyen de locomotion, associé à sa force, permit au duo de s'envoler sur de nombreux mètres, d'arriver au dernier étage et de traverser la fenêtre. En contrebas, la machine subit un contrecoup dû à la surcharge de magie et dégringola sur quelques étages d'un seul coup avant de se stabiliser grâce à sa sécurité. Les terrestres restés sur le monte-charge décolèrent d'un demi-mètre, mais fort heureusement, personne ne tomba et à part les coups du destrier, ils ne souffraient d'aucune blessure.

***

Sois forte et déterminée

Tu mèneras ton plus beau combat

Fonce et tente ta chance

Je serai là si tu es au plus bas

Dans une explosion de cris et de liesse général, Octavia sentit son coeur bondir, lui arrachant un infime soupir. La musique se fit alors plus douce, il restait encore quelques notes après les ultimes paroles. Mais le silence ne retomba nullement après ces dernières notes, le public était complètement galvanisé.

Dans sa tête et son corps entier, la ponette maniant le lourd instrument se sentait merveilleusement bien. Le temps sembla s'arrêter et sa cervelle fonctionna à plein régime.

Pourquoi ce titre joué en l'honneur d'une simple journaliste ?
Vinyl n'écrivait pas de musique, elle réinterprètait des morceaux déjà existant pour leur donner une nouvelle saveur, une nouvelle odeur, une nouvelle ambiance, voir, avec le volume, une façon de le vivre ou de toucher la musique. Cependant, lors de leur première rencontre, il y avait déjà cette musique dans son répertoire : un morceau sans père, sans aucune affiliation aucune. Naturellement, au fil du temps, les gens ont attribué ce tube à la DJ, mais en était elle vraiment l'auteure ? Octavia se reconcentra : il suffisait de demander tout simplement à l'intéressée dans quelques heures, après ce concert de charité. Au bout de quelques instants, les lumières se tamisèrent et le duo entamèrent une musique plus douce et lancinante.

***

Aidé par la magie télékinésique de Geek Writer, le conducteur bloqua les escaliers avec les meubles disponible, puis le duo s'adressa un signe de tête. Le dernier étage était un véritable corridor avec des aménagements de ça et là, comme une sorte de très très grande salle d'attente avec un tapis rouge tout le long. Dans ce corridor, les attendaient moult terrestres et licornes à l'apparence peu avenante.

***

Pizza Slice était tranquillement installé à son bureau, dans une pièce insonorisé. Ils n'étaient que quatre dans la pièce : le parrain à l'embonpoint prononcé, l'avocat qui suait à grosses gouttes, un terrestre vert bien balèze en train de siester dans son coin, à la cutie mark en forme de ceinture noire, un grand stetson sur la tête, et un petit voyou sans envergure qui était venu prévenir tout ce beau monde.

"Activez les mouches de surveillances." ordonna le parrain avec le plus grand calme.

Truth Walker se concentra pour envoyer un rayon d'énergie incantatoire dans un miroir rectangulaire au mur. Le miroir se brouilla et bientôt, de multiples images apparurent. L'immeuble était quadrillé par de multiples mouches modifiées magiquement pour servir à la surveillance.

"Ils sont à notre étage, commenta le messager qui commença à paniquer à son tour. Ils étaient encore dans l'ascenseur latéral quand je suis arrivé dans votre bureau !

- Ils sont très impressionnant une fois qu'ils sont tous les deux, ajouta le parrain avec un sourire.

- Patron, sauf votre respect, je ne pense pas que ce soit le moment de les estimer, rabroua la licorne au crin rouge. Je fais une mise au point sur leur position."

L'image montra la journaliste en train de marcher tranquillement dans le couloir, sur le tapis rouge. Lorsque l'un de ses adversaire se présentait à elle pour l'arrêter, une immense forme noire en manteau déboulait soudainement pour caler ses sabots dans la croupe du belligérant. Quelques instants plus tard, elle se décala juste d'un petit bond latéral, laissant à son compagnon la possibilité de saisir un poney pour l'envoyer sur trois autre.

"Ils sont en parfaite harmonie, expliqua le patron totalement fasciné par le miroir. Ils n'ont même pas besoin de se parler pour se concerter et agir de concert. Notre ancienne victime a bien intégré les valeurs de notre magie. Certes, son compagnon a de toute évidence un entraînement militaire pour être aussi puissant et réactif..."

Mais là, c'était comme s'ils dansaient ensemble. Avec l'aide de son compagnon, l'écrivaine passa au dessus de lui, ce qui permit au mastodonte équestre de repousser l'assaut d'un teigneux colosse alors que la jument aveugla une licorne. Elle tournoya sur elle même pour se déplacer et laisser son gardien de jais frapper à nouveau.

Dans le bureau, chacun observait la progression du duo dynamique avec attention, même le poney au chapeau semblait avoir daigné montrer de l'intérêt à cette attaque. Les attaquants progressaient avec fluidité, étant à peine gênés par les défenseurs, quelque soit leur nombre.

"Ils... vont plier face aux cinq champions ! rugit Truth Walker avec énervement. Je suis désolé patron, je connais vos directives, mais je ne prendrai aucun risque avec ces deux là. Ranger ! Tu me suis !

- Roh, aller frangin, je veux voir la suite en clair moi... ronchonna le terrestre au stetson.

- Arrête de lambiner, grogna férocement l'avocat blanc. Pour une fois que tu as du boulot, fais le."

Les deux frères Walker sortirent du bureau.

Pizza Slice lui, resta les yeux rivé sur l'écran où le duo journaliste/conducteur était en train de mettre une raclée à deux champions : une licorne amatrice de boomerangs et un pégase cracheur de feu, tous deux anciens artistes de cirque.

"Les cinq champions ? demanda le messager naïvement.

- T'es nouveau toi hein ? répondit le parrain avec un grand sourire. T'es pas encore entré dans la famille, t'es juste un soldat pour l'instant. Oui, les cinq champions... Les frères Walker, les époux Fourlaughs et Jack.

- Jack Steel Wings ? cria presque le soldat. Le pégase devenu fou ?

- Mes cinq premier collaborateurs, reprit Slice sans s'occuper du poney le moins du monde. Jack était le premier, on a lancé ensemble Slice Hut, on avait tout à inventer il y a vingt ans. Vu que les Oranges servaient la haute société, on s'était destiné aux couches populaires, avec des plats simples, délicieux et rapides à déguster."

Le parrain ouvrit l'un des tiroirs et en sortit un cadre représentant un Pizza Slice plus jeune et plus mince et un pégase tout à fait normal au sourire joyeux. Ses ailes tenaient des instruments de cuisine et il n'était pas encore surgonflé de muscles.
"Comme j'avais des compétences en gestion, et qu'il était bien meilleur cuisinier que moi, on s'est réparti le travail. On a tout monté ensemble, de nos sabots, mon meilleur ami et moi."
Le laquais se rapprocha et observa à son tour la photo. Il ressentit une étrange impression, lui qui était orphelin il y a peu, il avait le sentiment de partager un moment intime avec un père ou un grand-père.
"Et... Comment il est devenu comme ça... ? demanda avec timidité le messager.
- Son poulain est l'un des premiers cas de terreur diurne, répondit tristement le chef de la famille. Prit d'une intuition, contre l'avis de tous, il commença à enquêter tout en sculptant son corps pour faire payer les coupables. Un jour, on l'a tout simplement retrouvé comme ça, dans sa chambre, avec des bris de verres partout. On a compris alors qu'il avait été attaqué."
Les deux membres de la mafia équestre se rendirent compte que le duo d'enquêteurs était à leurs portes où se tenaient aussi les deux derniers champions.

***

Les deux duos s'arrêtèrent à moins d'un mètre les uns des autres. Geek Writer plongea son regard dans celui de l'avocat au crin rouge. Tous deux n'étaient pas prêt de flancher et de laisser passer l'autre. Soft Driver regarda Ranger Walker qui s'assoupissait dans un coin.
"Tu ne pouvais pas juste t'échapper ? grogna la licorne blanche. Il fallait vraiment que tu viennes ici . Ta pourriture de mère doit être au courant de ta survie, et elle va détruire notre famille. Tu vas ruiner la vie de milliers de poneys."
Un léger doute apparut sur le visage de Geek Writer, ce qui n'échappa aucunement à son protecteur qui prit à son tour la parole :
"Et vous, les Easy Money, vous avez brisé la vie de combien de naïfs ? Un jour ou l'autre, vous auriez eu un retour de bâton salutaire. Vos valeurs vous honorent, pas vos actions."

Ranger Walker commença à rire doucement à son tour, d'une voix lente et amusé, il se lança à son tour :
"Ha ha, mon frère, t'as été bien mouché. Franchement, au début, c'était cool, mais au fur et à mesure, c'est devenu n'importe quoi. Surtout ces derniers mois. Tout le monde se comporte comme il ne devrait pas le faire. Les Princesses devraient être là depuis longtemps...
- La ferme Ranger ! rabroua alors la licorne au crin rouge. Sans la famille, on n'en serait pas là. Je serais en train de joindre les deux bouts à Canterlot et toi, tu trimerais dans la ferme aux cerises.
- Ah ? On m'a déjà demandé mon avis en vingt ans ? Cheerilee n'exproprie personne, elle."
La journaliste et son conducteur se regardèrent, perplexe. Finalement, la jument recentra le débat :
"Je compte bien parler à Pizza Slice quoi qu'il arrive. J'ai des questions à lui poser.
- Et pourquoi ? demanda Truth dont la voix trahissait l'incompréhension. Tu n'es que journaliste non ? Tu n'as pas de poulain, tu ne peux être touché par la maladie, tu pourrais très bien déménager à Ponyville où tu as une amie qui t'attend. Pourquoi faire tant d'efforts ? On t'a sauvé la vie, mais tu viens nous affronter en retour .
- Alors je t'arrête tout de suite, s'imposa la journaliste en levant le sabot vers le visage de l'avocat. On n'a fait que se défendre, on aurait voulu éviter l'affrontement, bien au contraire. Et j'ai de très bonnes raisons d'aider Manehattan. C'est ma ville, c'est là où je suis née, c'est là où j'ai rencontré mes premiers amis. C'est aussi au nom de nos valeurs, à nous les poneys, que je cherche à améliorer la situation.
- Mais oui bien sûr, tout ne serait que bonté chez toi, ironisa l'avocat d'un air mauvais. Ce ne serait pas pour impressionner ton père et le pousser à venir te retrouver aussi des fois ? Non, tu es tellement pétri de bonnes volontés, tu es une alicorne, une héroïne digne de tes romans."

La licorne grise au crin violet détourna alors le regard. Il n'y avait pas de meilleurs aveux que la gestuelle de son interlocuteur, et là, l'avocat était servi. Si elle était sincèrement une sainte, il l'aurait peut être laissé passer, mais comme tout les poneys de Manehattan, Geek Writer avait des motivations égoïstes qui mènera d'autres poneys en bateau. L'avocat concevait très bien que son intention profonde n'était pas mauvaise, mais si elle respectait vraiment les valeurs des poneys, elle ne bafouerait pas l'Honnêteté. L'affrontement était inévitable à présent, il n'y avait pas besoin d'autres mots, d'autres paroles et d'autres sentences pour le savoir. Truth ressentit une légère tension chez son frère, signe qu'il était lui même prêt à agir. Ranger ne s'attaquera pas à l'écrivaine à cause de son code d'honneur des plus épais, mais il neutralisera le cheval.

Les quatre protagonistes tentèrent d'agir tous en même temps.

Geek qui commençait un sort fût balayé par un fauteuil lancé par la télékinésie de Truth. Au même instant, d'un ingénieux mouvement de bras et de sabot, Ranger bloqua l'attaque de Soft, l'attrapa par le cou et le maintint en place dans une prise douloureuse.

"Désolé, mais je ne peux pas vous laisser faire du mal à mon frère, s'excusa le poney à l'incroyable technique.

- Par Amore, conjura l'immense victime. Si tu ne veux pas te battre, laisse moi défendre cette jument.

- Qui êtes vous d'ailleurs ? " demanda curieusement le bourreau comme pour faire la conversation, alors que les deux licornes se livrait un duel de folie, sous les yeux paniqués du destrier qui vit sa protégée cracher du sang sous l'impact d'un second fauteuil. Le grand combattant tenta bien de se dégager, mais son immense force semblait se retourner contre lui. Comme il n'y avait aucune réponse à sa question, le grand poney vert au stetson reprit avec grand calme :

"Moi c'est Ranger Walker partenaire. L'un des cinq champions, contre ma volonté. J'étais heureux quand j'étais un simple fermier à Cherry Hill Ranch. Et me v'là à devoir supporter ces vilaines choses sans que je ne puisse faire quoi que ce soit...

- Tu n'es pas avec eux ? demanda Soft Driver dont le moindre mouvement provoquait une douleur insoutenable.

- Seulement par obligation envers mon frère. Mon code de l'honneur m'interdit de faire du mal à ma propre famille... Fort heureusement pour lui.

- Et ton code d'honneur te pousse à empêcher les meurtres ?

- Bien entendu.

- Parce que les Easy Money, et ton frère par la même occasion, vont tuer ma protégée qui est en train de vomir son sang à cause de ses quatre côtes cassés."

Touché.

Soft Driver savait qu'il venait de soulever quelque chose de sensible. Bien que le poney ne lâcha aucunement ni sa vigilance, ni sa prise, son for intérieur fût des plus chamboulé. Deux parcelles de son code morale étaient en pleine confrontation. Il observa son frère : ses yeux exprimait à la fois la peur et la folie farouche du poney ayant perdu ses esprits. Comme...

"Oh bon sang... Truth ?

- Il faut la tuer Ranger... Elle va causer notre mort à tous, on atterrira au donjon, on perdra nos amis et la famille. La famille est importante. Trop importante.

- Mon frère, tenta de nouveau Ranger qui lâcha sa victime. Tu m'as bien dit avoir senti une drôle d'odeur cette nuit, dans ta chambre ?

- Nous devons défendre... ARGHHHHH !"

L'équidé vert attrapa son frère entre ses bras alors que celui ci commença à baver abondamment. Ses yeux se révulsèrent et il hurla, épouvanté. Intérieurement, il se considéra comme un imbécile : Truth n'était pas du genre à paniquer et à penser au meurtre pour deux individus. Soft Driver, quant à lui, se dépêcha de porter secours à la licorne grise, bien mal en point. Aussi doucement qu'il pouvait, il manipula la robe de sa protégée et grimaça en observant la vilaine couleur bleu rougeâtre apparaître sur le cuir de la jument.

"On a encore besoin de soin ? plaisanta une petite griffonne bien amochée elle aussi.

- Ces poneys, on ne peut pas les laisser cinq minutes, ronchonna un vieux griffon qui boitait et dont le flanc était bandé. Heureusement, j'ai ce qu'il faut pour les deux."

Il tendit une fiole de somnifère à Jess et s'empara d'un flacon contenant un liquide aussi rouge que le sang. Avec ses ailes, il appliqua un baume sur les blessures, puis il fit boire la potion à la jument, goute par goute.

"Il vous faudra du repos mademoiselle Writer, évitez les bagarres pendant une ou deux semaines voulez vous ?

- J'ai plus qu'une interview à faire, rassura la ponette qui se redressa avec difficulté. Il est affecté par la terreur diurne pas vrai ?

- Il m'en a tout l'air, répondit tacitement le vieux griffon qui gardait une allure stoïque. Je participerai à cet interview, j'ai moi même des intérêts dans cette histoire.

- Tant que vous me laissez faire mon travail."

Une fois Truth endormi, son frère rassuré et Geeky bandée (avec du tissu embaumé qui lui donnait une sensation des plus désagréable sur le flanc), Soft Driver ouvrit la porte et aida sa protégée à pénétrer dans le bureau de Pizza Slice, qui attendait patiemment, sabot contre sabot. Il observa la venue du duo d'enquêteur, des deux griffons et enfin des frères Walker. Le grand poney vert installa son frère dans un coin où la petite griffonne veilla sur l'avocat au crin rouge. Le vieux griffon et la journaliste se trainèrent jusqu'aux sièges en face du parrain et s'installèrent.

"C'est le deuxième poney adulte chez moi qui est atteint de cette maladie, déplora tristement le gros poney à la crinière gominée. Nous voilà enfin, miss Writer. Faisons vite voulez vous ?

- Vite, non, contredit la ponette au crin violet et reflets verts. Concis plutôt.

- Fort bien, commencez, concéda le parrain avec un petit mouvement de sabot.

- Vous semblez en savoir plus que n'importe qui dans cette ville concernant la terreur diurne, n'est ce pas ?

- Je sais que c'est une attaque magique, commença Slice.

- Vous l'avez déduit vous aussi ? coupa Matthew avec surprise.

- Oui, quand Jack a été atteint, nous avons trouvé des débris de verre dans sa chambre et sa vitre brisée. Sur ces débris, un composé de multiples plantes, indiquant une composition alchimique. Mon ancien cuisinier était en train d'enquêter pour savoir ce qui arrivait à son fils, et il en a payé le prix.

- L'un des nôtre aussi, indiqua Matthew à la journaliste qui prenait des notes avec sa magie. Jester semblait avoir trouvé une piste et voulait nous la confirmer le lendemain. Mais de la même manière que ce Jack Steel Wings, on a retrouvé notre camarade avec des débris de verre à ses côtés.

- Et qui seraient les investigateurs de ces attaques ? demanda Geek Writer.

- C'est un sujet assez délicat, temporisa le gros poney en guise d'introduction. Avec nos analyses, nous avons pu déterminer quelles plantes ont été utilisées. Vu que nous avons des contacts avec tous les fournisseurs de Manehattan, à la fois pour Slice Hut et pour nos... petites affaires, nous avons pu déterminer qui a importé quoi et pour qui.

- Et donc ? prononça fébrilement Geek Writer.

- Importateur international qui traite principalement avec des épiceries et des fleuristes. Il a cependant aussi livré des particuliers dans le quartier zèbre."

Un silence inconfortable s'ensuivit. Il pouvait arriver aux poneys d'avoir des pensées désagréables pour les griffons ou pour les dragons, deux peuples connus pour leur refus de l'Amitié et pour leur valeurs très égoïstes voir brutales. Mais le peu de zèbres vivant à Equestria, en plus de leur difficulté d'adaptation en dehors des grandes villes, avaient des soucis d'intégration. Ils ont tendance à vivre en autarcie et à rechercher les coins de natures. A Manehattan, ils s'étaient tous regroupés dans un quartier dans lequel la nature avait repris ses droits. L'herbe poussait à travers le béton, aidée par la population locale, des arbres avaient percé le macadam, les lierres avaient recouvert les fils électriques et la mousse couvrait la plupart des murs. Dans cette jungle improvisée, moins d'un millier d'individus s'étaient regroupés en différentes tribus, comme sur leurs terres natales. Mais c'était à peu près tout ce que l'on savait sur leur culture.

"Seriez vous en train d'accuser le peuple zèbre d'être responsable de la terreur diurne, demanda Soft d'une voix furibonde.

- Bien sûr que non monsieur Driver, répondit prudemment le parrain sous le regard noir des minorités présentes. Mais le coupable ne peut qu'être un alchimiste zèbre, aux compétences suffisamment poussées, pour que les experts, les mages et les médecins poneys ne pigent rien à ce qui se passe.

- Et ce type agresserait donc des enfants toute les nuits ? déduisit la journaliste qui entama une nouvelle page de son carnet.

- C'est le plus probable, mais je ne sais pas comment il fait. J'ai envoyé des gars récolter des échantillons moins d'une heure après des nouveaux cas de terreurs diurnes. Ils n'ont rien trouvé, même dans l'eau de tout l'immeuble.

- Vous manquez de connaissances alchimiques, critiqua le vieux griffon avec décontraction. Selon ce que vous dites, l'arme est un poison extrêmement volatile qui doit dérégler la part magique qui se trouve en chaque être vivant. Autrement dit, ce que nous appelons l'âme chez nous.

- Ca ne se serait pas vu chez leurs médecins ? interrompit Jess avec curiosité. Surtout chez leur licorne non ?

- Pas nécessairement. Ils ont peut être trouvé un moyen de déclencher la maladie après un certains temps, ou à distance, comme à l'époque où les poneys ont creusés des tunnels pour leurs chemins de fers.

- Dans ce cas, ils auraient infecté toute la population depuis bien longtemps, et il est en train de cueillir les poulains un par un, déduisit Geek Writer qui relisait fiévreusement ses notes. Voilà une chronologie possible :

Premièrement, l'alchimiste s'est fait livré ce dont il avait besoin par le biais de votre importateur international.

Par la suite, il a infecté toute la ville. Quand j'ai répertorié les victimes, j'ai effectivement des victimes de tout les horizons, sauf des zèbres, ce qui peut confirmer la théorie d'un alchimiste de ce peuple.

Par on ne sait quel moyen, il ''active'' ensuite la maladie.

Il y a tout de même deux questions qui se posent : Un, pourquoi ils attaquent directement les adultes au lieu d'activer la maladie à distance ? Deux, pour quel raison fait il cela ?

- Je pense pouvoir émettre une hypothèse à ce sujet, continua Matthew d'un ton docte. Ils ont bel et bien utiliser le système d'eau. Ce moyen est efficace pour toucher tout ceux qui ont une constitution faible, les vieux et les jeunes donc. Le produit doit être particulièrement volatile ou instable pour qu'il n'y ai plus du tout de trace après les premières victimes.

- Et pour la forme pur, ce doit être un gaz, termina Ranger qui veillait sur son frère en compagnie de la griffonne secouriste. Il m'a dit qu'il y avait une drôle d'odeur dans sa chambre.

- Très certainement." accorda le vieux griffon.

Mais la deuxième question ne trouva aucune réponse à l'esprit des différents protagonistes présents. Le parrain soupira et se tourna vers l'avocat qui commençait à délirer dans son sommeil.

"Et maintenant mademoiselle Writer ? Qu'allez vous faire ?

- Mon job, répondit la ponette avec simplicité. Et vous donc ?

- A mon avis, votre mère est au courant de votre survie à présent, et sans Truth Walker, je dois mettre en sécurité tout les poneys de notre groupe.

- Dans ce cas, ajouta Matthew qui se leva de son siège. Nous allons en profiter pour partir de cette ville. Jess, va chercher Dagan et rejoint moi au navire.

- Où allez vous ? demanda Soft Driver avec une pointe de regret.

- Chez nous, tous simplement. Avec tout les bits que l'on a, on va pouvoir se payer les meilleurs alchimistes du royaume griffons.

- Fort bien, je ne retiendrai que miss Writer plus longtemps alors, proposa le parrain tristement. Ma chère, je comptais vous faire quitter la ville discrètement, mais n'oubliez pas votre mère. A l'heure qu'il est, elle doit déjà préparer un ''accident'' pour vous. Vous avez un plan j'imagine ?

- Bien sûr que j'ai un plan, répondit malicieusement la jument avec un clin d'oeil."

***

Hard Mouth poussa doucement la porte menant au bureau de l'actuelle directrice du DailyMane. Money Maker était à la fenêtre, de dos, impossible de déceler la moindre de ses expressions.

"Notre chroniqueur est revenu du concert de charité, avança l'étalon avec calme. Il déclare qu'il n'a pas vu autant de joie et d'espoir depuis des mois.

- Je m'en fiche complètement, ce n'est pas vendeur.

- Vous... semblez contrariée ?

- Mes plans ne se déroulent pas comme je l'avais prévu. J'ai pas moins de deux articles très accrocheurs qui ne pourront être publiés faute d'événements adéquats."

C'est à dire des événements qu'elle voulait provoquer, le meurtre de Geek Writer et certainement une autre catastrophe. Le rédacteur en chef s'autorisa un froncement de sourcil, étant donné que la jument était de dos. Dans l'ombre de la nuit, les deux être équins semblaient dissimuler bien des idées et des agissements.

"J'ai quelque chose à faire, annonça la chef d'entreprise. Dégagez le plancher."

La ponette d'âge mûr attendit patiemment que son sous-fifre sortit de son cabinet et rejoignit son bureau. Elle prit un miroir de poche et vérifia ses yeux. Hélas, la colère se lisait à présent dans son regard, des plus noirs et des plus plissés. Ses paupières exprimaient de la manière la plus claire son désir le plus sombre. La licorne couleur cerise était consciente de ce manque de discrétion et tâchait de se dissimuler autant que possible. Elle s'empara d'un parchemin à message ainsi que d'une plume avec sa magie et débuta son message ainsi :

Très cher Death Wiches

J'ai de nouveau besoin de vos services, veuillez venir chez moi le plus rapidement possible