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Jolly Roger : la légende des sept [...]

Une fiction écrite par MisterX.

Chapitre 11 : La blessure

Cela faisait des heures que nous naviguions, et la nuit était presque terminée. Après avoir vérifié notre itinéraire sur la carte, j'avais changé de cap pour me diriger vers Isla Frigol. Selon Jeff, mon « second temporaire », c'était une autre île occupée par des pirates, et donc le seul endroit où nous pouvions envisager de nous rendre. Mon second était en fait un chien à diamant, celui assez frêle qui avait au départ douté de mes capacités. Son équipage avait été massacré pendant l'assaut sur Hook Bay. Par chance, il était meilleur navigateur que moi. Je lui ai donc laissé le soin de calculer notre itinéraire.

S'il avait d'énormes doutes à mon égard, il admettait que j'avais du cran. L'opinion générale voulait que je reste le capitaine de l'Écorcheur, mais lui avait plus d'expérience. Je lui ai donc proposé de rester mon second jusqu’à ce qu'on arrive à bon port. Je n'envisageais pas de rester capitaine éternellement.

Le calme me manquait... Et en même temps, je le craignais. Je ne voulais plus m’arrêter. Il fallait que j'amène cet équipage là où ils pouvaient reprendre leur vie... Mais je ne savais pas où reprendre la mienne. Je pensais essayer de retrouver le Sea Devil, et voir si je pouvais revenir à bord... J'ignore pourquoi, mais je repensais également à mon ancienne vie, à terre, où je jouais au corsaire sur cette réplique de voilier au fond du jardin, avec mon frère et ma sœur, en attendant le retour de mon père... Non, il fallait que j'évite d'y repenser. Je fixais donc le compas, guettant chaque variation. Les lampes à huile de part et d'autres de la poupe éclairaient juste assez pour me permettre de distinguer les chiffres...

J'avais mal aux yeux, n'ayant pas dormi depuis presque vingt-quatre heures, sans compter la mauvaise nuit que j'avais passé la veille. J'étais au bord de l'épuisement. Mais il fallait que je continue. Je le devais...

Alors que je m'obstinais à vouloir garder le cap moi-même, je remarquais à peine que Windy et Jeff m'avaient rejoint à la poupe. Windy tenait par magie une bouteille de rhum, trouvée dans les maigres réserves du navire.

- Jolly, tu n'as pas quitté la barre depuis qu'on est parti. Tu devrais te reposer un peu...

- Merci Windy, mais je peux encore tenir le coup.

- Je ne pense pas. Tu a l'air épuisé. Laisse plutôt ta place à Jeff.

- Je vais bien.

- Jolly.

Windy me jeta un regard autoritaire, insistant, qui signifiait clairement : « nous savons tous les deux que ce n'est pas le cas ». Effectivement, je ne pouvais pas nier ma fatigue générale. Mais je ne voulais pas abandonner ce poste... Pour une raison tout simplement indescriptible. Mais... il aurait été stupide de continuer jusqu'à m'endormir sur la roue du gouvernail.

- … D'accord. Si vous insistez...

- Viens te reposer. Jeff, prend la barre. Je m'occupe de lui.

Je m'écartai pour laisser la place au chien à diamant, et suivre Windy. Mais plutôt que de me conduire à la cale, où se trouvaient les hamacs, elle me conduisit à la proue. À la base du beaupré, sur tribord, se trouvait une zone, dégagée, où une partie du bastingage était manquant, probablement arraché par un boulet de canon, permettant à qui s'installait là de contempler l'océan. Windy m'invita à m'y allonger, avant de faire de même.

L'eau était d'argent, cette nuit-là, scintillante, reflétant la lumière de la pleine lune, basse sur l’horizon. C'était beau… Mais j'y étais complètement insensible. Des souvenirs traumatisants, douloureux, ne cessaient de harceler mon esprit fatigué, refusant de me donner la moindre seconde de répit. Windy me tendit la bouteille, essayant de m'apporter du réconfort.

- Tu veux boire un coup ?

- Oui, merci.

Je pris la bouteille, et en but plusieurs grosses lampées…

- Hey, vas-y doucement !

- Désolé…

D'un sabot, elle me fit reposer la bouteille. J’aurais préféré la boire en entier sur le moment, mais je n'avais plus la force de contester. Je savais quel genre de regard elle était en train de me faire, mais je me refusais à la regarder en face.

- Jolly, tu m'inquiètes vraiment. Tu ressembles à un mort vivant depuis qu'on est parti.

Ce n'était pas très loin de la vérité. Je ne me sentais plus vraiment vivant depuis le sauvetage. J'avais assisté à un tel déchaînement de violence, à tant de choses que je pensais ne jamais voir dans ma vie… Un des nôtres avait subi une mort atroce et sanglante, et reposait à présent au fond de l'océan, une autre avait subi une amputation de fortune, mais avait perdu beaucoup de sang. Elle était encore entre la vie et la mort. Et moi-même, j'avais fait… Des choses horribles. Je n'étais pas sûr de ce que j'étais en train de devenir, mais je n'aimais pas cela.

Alors que mon regard partait dans le vague, je sentis quelque chose se poser sur mon sabot. C'était celui de Windy. Je me tournai enfin vers elle. Ses yeux bruns débordaient d'inquiétude… Et de tristesse. Elle aussi en avait beaucoup vu, peut-être plus que moi… et pourtant c'est toujours avec un calme infini qu'elle continuait de me parler. Je me sentais presque ridicule à côté… D'un mouvement rassurant, elle caressait mon sabot, en continuant de me parler.

- Jolly, dit moi ce qui ne va pas. C'est ce qui s'est passé à la forteresse ?

Après un court silence, elle reprit :

- Tu n'es pas obligé d'en parler, si tu ne veux pas. Mais… je suis là, si tu en a besoin.

Elle continuait de me regarder, confiante, concernée, mais pas insistante. Au fond de moi, j'avais peur de lui avouer ce que j'avais sur le cœur. Mais… en même temps, j'avais besoin que quelqu'un entende, de me confier. Je craignais seulement de la décevoir à cause de mes actions… Comme si elle avait entendu mes pensées, elle ajouta :

- Je ne te jugerai pas. Je te le promets.

Je baissai la tête, regardant son sabot, qui continuait de caresser le mien, me rappelant qu'elle était toujours là. Elle était là, et à cet instant, c'est tout ce qui importait. La peur me tiraillait les entrailles, mais j'avais besoin de m'exprimer. Je pris la parole :

- Quand… Quand nous nous sommes séparés la dernière fois, tu m'avais convaincu que les pirates n'étaient pas tous assoiffés de sang, que beaucoup pouvaient se montrer bon et courageux… Mais à la forteresse, ils étaient tous déchaînés, tous prêts à provoquer des ravages pour obtenir ce qu'ils voulaient. J'ai vu des poneys mourir… et maintenant des chiens à cause de l'avidité de ces pirates…

- Tu n'avais jamais vu ces vices poussés à un tel niveau.

- Non. Je n'imaginais pas que c'était possible.

- Je comprends. J'avoue que je suis aussi dépaysée.

- Et j'ai l'impression… Que je suis en train de devenir comme eux. Pas à cause de l'avidité, mais…

Bien que je ne la regardais pas en face, je sentis sur moi son regard interrogateur. Je repris donc, après un bref silence :

- Pendant qu'on était en train d'aborder le navire, et que j'étais en train de larguer les amarres… un de ces pirates griffons m'a attaqué par surprise. J'ai voulu me défendre, alors j'ai pris mon pistolet… Et le coup est parti tout seul.

Je sentis les larmes monter en prononçant ces derniers mots. Windy ne semblait pas réagir, son sabot ne quittait pas le mien.

- Je l'ai tué. Je ne le voulais pas… Mais je l'ai tué. C'est… Je… Je suis devenu un assassin.

- Tu étais dans un cas de légitime défense, Jolly.

- Je l'ai quand-même tué.

- Jolly, écoute-moi.

Je tournai à nouveau la tête pour regarder Windy dans les yeux. Son expression n'avait pas changé. Elle était toujours aussi calme… peut-être un peu plus concernée.

- Je ne vais pas te dire que ce n'est pas grave, de tuer quelqu'un. Nous le savons tous les deux. Mais… tu en es conscient, et ça, c'est ce qui importe. Tu ne l'as pas fait pour t’enrichir, pas pour te venger, pas par plaisir, mais pour te défendre. Pour rester en vie quand tu as vu que tu étais directement menacé. Tu sais que ce n'est pas une chose à faire, et tu n'es pas comme eux, parce que eux, l'ont oublié.

Je gardai le silence, méditant sur ses paroles. Oui, je m'en voulais, d'avoir tué ce griffon. Il avait clairement eu l'intention de faire de même avec moi, mais… Je m'en voulais malgré tout.

- Tu es quelqu'un de bien, Jolly. Et tant que ça te restera à l'esprit, tu le seras.

Et cela m'est toujours resté à l'esprit. Cela ne m'a pas déculpabilisé, mais je me sentais mieux de comprendre ça. À ce moment-là, je me suis promis de toujours rester fidèle à moi-même, et de ne jamais sombrer dans le vice comme l'avaient fait ces pirates. J'essuyai une larme d'un revers du sabot, et me retournai vers la licorne à côté de moi.

- Merci, Windy.

Elle me fit un signe de tête, puis détourna le regard pour contempler l'océan face à nous. Je fis de même. Les vagues, l'eau qui défilait autour du bateau… ça avait quelque chose de reposant. Pourtant… quelque chose continuait de me tirailler l'esprit. Windy avait perdu sa maison, son commerce, son père… mais elle ne savait peut-être pas encore pour ce dernier. Elle espérait sans doute le revoir, mais même dans cette situation, je ne voulais pas qu'elle ait de faux espoirs.

J'étais le seul sur le navire à le savoir. C'était à moi de le lui dire.

- Windy… il y a quelque-chose qu'il faut que je te dise. C'est à propos de ton père.

- Je suis déjà au courant Jolly.

- Ah ?

- Les… les flibustiers de l'île, ils l'ont dit, pendant qu'ils me battaient. Ce sont eux qui ont abordé son navire.

Je tournai la tête dans sa direction. Elle, gardait son regard dirigé vers l'océan. Le son de sa voix trahissait une immense tristesse.

- Ils voulaient mon collier. Mon père me l'avait offert il y a quelques années. Mais eux, ils ne le savaient pas…

Elle s'interrompit, ses sanglots l’empêchant d'articuler la suite. Je sentais quelque chose se briser en moi, mon cœur fatigué souffrait de la voir ainsi… Instinctivement, je déplaçai mes sabots pour prendre le sien, dans un geste de réconfort. Je ne dis plus rien pendant quelques instants. Je voulais tellement trouver quelque chose à dire… Mais je n'avais pas sa capacité d'élocution. Je restais simplement là, à la consoler comme je le pouvais.

- Je suis désolé, dis-je au bout d'un moment.

- Tu n'y es pour rien Jolly. Vraiment.

- Peut-être.

Je ne voyais pas quoi rajouter d'autre. Nous avions beaucoup souffert, l'un comme l'autre, à cause de ces forbans, ces pirates… À cause d'eux, j'étais devenu un hors la loi, un criminel, perdant ainsi tout ce à quoi je pouvais me raccrocher à part la piraterie elle-même, et Windy… Elle, avait tout perdu. Je les maudissais intérieurement, les pirates, le capitaine Fortune, Drakkar le Rouge, tous sans exception… Mais en même temps, je ne me sentais plus la force de me mettre en colère. J'étais… non, nous étions exténués.

- On dirait qu'en vivant chez les pirates… On finit toujours par y laisser quelque chose, dis-je alors.

Windy se tourna à nouveau vers moi, les yeux embrumés de larme. La force qu'elle avait trouvée pour tenir jusque-là semblait l'avoir également quitté…

Elle ferma les yeux, et posa sa tête contre mon cou, sa corne frottant contre ma joue. J'étais d'abord surpris par le contact, mais… Je voyais qu'elle en avait besoin. Délicatement, je dépliai mon aile, l'attirant dans une douce étreinte. A vrai dire… Je crois que j'en avais besoin autant qu'elle.

Nous sommes restés là, longtemps, à simplement profiter l'un de l'autre, comme si c'était la seule chose qui importait. Trouver du réconfort l'un envers l'autre… Ces moments étaient de véritables trésors en ces temps sombres.

J'avais besoin d'elle, parce que j'avais failli me perdre moi-même, dans ce monde de violence et de pillage…

Elle avait besoin de moi, parce qu'elle avait tout perdu.

Je ne saurais dire combien de temps nous avons passé là, tous les deux. Plusieurs heures sans doute, peut-être l’éternité. Le temps semblait s'être arrêté pour nous permettre de profiter de ce moment. Il n'y avait plus que Windy, moi,et l'océan. C'était… Je ne saurais comment le décrire ici… calme, irréel… Comme dans un rêve, dont on ne voudrait jamais se réveiller. Je ne saurais dire d'ailleurs où a fini la réalité et où a commencé le rêve.

Nous étions tous les deux, et ça, c'est tout ce qui importait.

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makuta
makuta : #42367
Ha ? Dommage pour le h.s. pourtant quand on voit tes textes on sent que tu les approfondies bien bon je vais te laisser mon joellier me recherche de nouveau bon courage pour la suite ^^
Il y a 1 an · Répondre
MisterX
MisterX : #42365
makuta10 septembre 2016 - #42364
Houa ces paroles et ce texte ont fait vibrer de tristesse mon âme c'est assez rare je dois dire. Tu n'aurais pas fait des études de philo par hasard ?
Non, mais j'adore la philo. ^^
L'ennuis, c'est qu'au lycée, j'avais tout le temps des mauvaises notes parce que je faisais sans arrêt du hors sujet. ^^"
Il y a 1 an · Répondre
makuta
makuta : #42364
Houa ces paroles et ce texte ont fait vibrer de tristesse mon âme c'est assez rare je dois dire. Tu n'aurais pas fait des études de philo par hasard ?
Il y a 1 an · Répondre
Br0hoof
Br0hoof : #42326
Non pas une blessure du corp mais une de l âme Je suis rassurer
Il y a 1 an · Répondre

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