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Sur les Vagues

Une fiction écrite par Usui.

Sur les Vagues

Les jours se suivaient et se ressemblaient pour les dockers travaillant dans le quartier portuaire de Manehattan. Cela faisait déjà neuf siècles que la princesse Celestia avait banni Nightmare Moon et qu'elle échangeait à intervalles réguliers les astres lunaire et solaire, et de musculeux étalons terrestres imitèrent ce dernier en allant décharger les navires arrivés à bon port. Quand cela était terminé, il fallait monter dans les cales des marchandises variées : cela allait de la simple (et pourtant vitale) nourriture à des Bits sonnants et trébuchants, en passant par des tissus qui serviront par la suite à des vêtements accessoires pour les poneys.



Equestria était une nation presque à l'abri des flots et l'on trouvait finalement peu de ports dans le pays. Seul celui de Manehattan, cité de prédilection des poneys terrestres, pouvait se targuer d'être aussi actif. Pourquoi une telle différence ? L'existence d'une île, nommée Hoowaï.



Un demi-millénaire après le bannissement sur la lune de Nightmare Moon, certains équidés, partageant la particularité d'être terrestres, se prirent à rêver de nouveaux horizons, sans doute pour se distinguer de leurs homologues cornus et ailés. En effet, les licornes s'appropriaient plus facilement les connaissances intellectuelles et culturelles, tandis que les pégases devenaient fort logiquement les maîtres des airs. Mais les poneys basiques, en dehors de leurs talents agricoles, n'étaient guère favorisés.


C'est pourquoi leurs regards se posèrent sur la mer. En ce temps-là, ces étendues d'eau salées étaient inconnues. Et ce que l'on ne connaissait point proposait deux facettes, contraires et complémentaires : peur et curiosité. On ne savait pas ce qu'il y avait au-delà, malgré les connaissances pointues des licornes. Quant à la mer en elle-même, il s'agissait d'un territoire qui échappait à l'emprise des météorologues ailées, à l'instar de l'Everfree Forest.



Il n'en fallait pas davantage pour éveiller l'intérêt des poneys terrestres. Durant des années, ces derniers étudièrent les eaux salées, se lancèrent dans la construction de navires capables d'arpenter les océans, s'intéressèrent aux divers phénomènes climatiques se produisant dans ces territoires inexplorés. Bientôt, ces recherches portèrent leurs fruits, tant et si bien que les explorateurs et autres aventuriers furent nombreux à se lancer à la conquête des eaux.



Tant le nord que le sud d'Equestria étaient concernés par cette ruée des mers. Peu à peu, elles délivrèrent leurs secrets aux vaillants navigateurs qui osaient braver leurs flots. Au sud du pays, on découvrit une vaste terre dotée de température très élevées, notamment dans ses multiples déserts. On fit également la rencontre du peuple zèbre, qui avait la particularité d'être formé de tribus nomades qui se déplaçaient dans les endroits où le temps se faisait le plus clément, notamment pour les animaux qu'ils élevaient. Même si la barrière de la langue avait fait son apparition entre les terrestres et les zèbres, leurs similitudes étaient trop apparentes pour que ne s'établissent pas une forme de communication. Les indigènes notamment, avaient fait de grands efforts pour apprendre la langue des marins terrestres, bien qu'ils conservaient néanmoins la curieuse habitude de parler sous forme de rimes. Les terrestres, même s'il étaient moins doués que leurs interlocuteurs, parvinrent néanmoins à commercer avec eux et à obtenir l'autorisation d'explorer leurs terres et de s'y installer, tant qu'ils la respectaient.



Même si ces découvertes se révélaient importantes, la plus intéressante (et intrigante) se trouvait au nord. Les voiliers partants de Manehattan rencontrèrent après plus d'un mois de voyage, une île d'apparence assez vaste. Il s'agissait de la future Hoowaï. Lorsqu'ils accostèrent sur les plages, les terrestres firent presque aussitôt la rencontre des habitants de l'île, et eurent le souffle coupé. Les résidents étaient en effet comme eux des poneys terrestres. Comment avaient-ils bien pu échouer sur cette île semblant coupée du reste du monde, alors même que les premiers voyages en mer venaient seulement d'être organisés ? Et ce n'était pas là leur seul motif de surprise. Ils s'aperçurent également qu'ils ne parlaient pas du tout la langue d'usage en Equestria. Il apparut vite évident alors, en entendant les sons sifflants et chantants de leur système vocal qu'ils n'avaient eu jamais le moindre contact avec la terre d'origine des terrestres.


Ce peuple, bien qu'étant une énigme pour les Equestriens, était néanmoins très amical et ouvert. Comme avec les zèbres, une autre forme de communication s'instaura entre indigènes et voyageurs. Toutefois, aucun des deux peuples ne parvint à franchir dans un premier temps l'obstacle vocal. Les deux dialectes étaient bien trop différents. Certains poneys intellectuels qui se penchèrent sur la question de la langue de ce que l'on appellerait par la suite les Hoowaïens, et notèrent rapidement que les sons qu'émettaient les indigènes étaient extrêmement différents de ceux que produisait normalement la bouche des équidés. Il paraissait impensable qu'un poney puisse créer un bruit pareil avec ses cordes vocales, et c'était pourtant ce qu'il s'était passé avec ces gens coupés du monde. Comment une telle absurdité était possible ?


Avec le temps, des liens se tissèrent, comme avec les zèbres, et à force, les explorateurs crurent saisir le nom de la terre sur laquelle ils avaient accosté. Ils se chargèrent alors de le rendre compréhensible par tous en donnant au son qu'ils avaient perçu le sempiternel jeu de mots entourant toute localité ponette. Voilà d'où provenait le nom Hoowaï.



Les siècles passèrent et à force, les Hoowaïens changèrent au contact des Equestriens. Leur langage en particulier, car bien qu'il conservait sa particularité de sembler chanté aux oreilles non attentives, il devenait progressivement influencé par la langue équestrienne. Au point qu'à l'époque des bateaux à vapeur, il était désormais beaucoup plus simple d'apprendre le dialecte hoowaïen.


Une autre énigme de ces étranges terrestres était qu'on ne trouvait jamais d'êtres vraiment âgés parmi eux. Bien entendu, ils n'étaient pas immortels comme les alicornes, mais les générations se succédaient de jeunes en jeunes. Certains Equestriens avaient vécu durant des années à leurs côtés pour comprendre ce phénomène, mais il s'agissait du seul secret que les habitants gardaient jalousement. Quand on leur parlait de cela, ils se contentaient d'afficher un sourire insondable sur leurs lèvres...


Néanmoins, une ligne maritime entre Manehattan et Hoowaï s'ouvrit sans la moindre difficulté. Les Hoowaïens avaient des produits qui intéressaient fortement les habitants d'Equestria : plantes et fruits exotiques, animaux domestiqués inconnus jusqu'alors, de nombreux bijoux... Les habitants de l'île était certes à l'abri du besoin, mais comme il fallait bien que les échanges soient équitables, ils demandèrent principalement parmi ce que pouvaient apporter les voyageurs des tissus, des étoffes, ainsi que des animaux et des plantes du continent. Le changement de climat fut d'ailleurs rude pour ces derniers, mais ils parvinrent à s'adapter au fil des années.



C'était ainsi que le port de Manehattan était devenu le premier port d'Equestria lorsque se produisit ce que l'on appellerait plus tard la « révolution industrielle » La technologie avait suffisamment évolué à présent et les bateaux à voiles laissaient de plus en plus leur place à leurs homologues faisant fonctionner leurs roues à aube à l'aide de la vapeur. Certains modèles marchaient même avec la magie. En effet, les terrestres n'étaient plus les seuls à se pencher sur le commerce maritime. Les licornes avaient également commencé à envisager les possibilités offertes par cette voie et avait inventé leur propre mécanisme. Seuls les pégases restaient désespérément hermétiques à ce domaine aquatique. Il fallait croire qu'un domaine dont on ne pouvait contrôler les éléments climatiques représentaient pour eux une source de dangers trop élevée. Pourtant, on dénombrait très peu de naufrages au cours de ces cinq siècles...


Mais désormais, on pouvait affirmer sans crainte que l'ère des clippers et des voiliers était dépassée. A une exception près. Il restait, amarré au port de Manehattan, le plus beau fleuron de la marine équestrienne. Il s'agissait du roi des clippers. Un bateau long d'une cinquantaine de mètres, haut d'une vingtaine de mètres, et large d'une trentaine de mètre. Il était dotée d'une cale pouvant abriter une dizaine de tonnes de marchandises et de réserve pour l'équipage. Il arborait cinq rangées de voiles qu'il était possible d'attacher ou d'enlever à tout instant. Le bois utilisé pour sa construction était d'une souplesse inégalée et sa figure de proue était la plus détaillée qu'on eut vu sur toutes les mers entourant Equestria. Elle représentait une jument à la crinière descendante, avec une étrange marque distinctive : la partie inférieure de son corps était comparable à la nageoire d'un dauphin. C'était là une fantaisie du sculpteur Hoowaïen, qui avait le mérite de surprendre ceux voyant le navire pour la première fois. Car le Wind Master , tel était son nom, était le fruit d'une collaboration entre insulaires et continentaux. En résultait le chant du cygne des bateaux à voiles, seul à pouvoir défendre ses couleurs.


Le bateau mouillait pour le moment à quai depuis plusieurs semaines. Il y avait eu de nombreuses tempête au large au point qu'il aurait été insensé de s'élancer en mer. Tout cela agaçait profondément son capitaine, Sea Wolf, un vieux poney bleu marine robuste à la crinière et barbe grises hirsutes, à peine dissimulée par un bandeau à rayures bleues et blanches. Il arborait avec fierté sur ses flancs une image de gouvernail. Il n'y avait pas à dire, il était fait pour naviguer. Mais pour l'instant, il se cantonnait à se balader sur le pont soigneusement briqué de son cher Wind Master. Il ne cessait de contempler le large avec intérêt. Les mouettes volaient à présent au large en poussant leurs cris bien distinctifs. Le visage de Sea Wolf se déforma en un rictus de satisfaction. Il leva la tête, faisant signe à un de ses matelots de descendre de son perchoir.


Il s'agissait d'un jeune et svelte étalon terrestre aux couleurs de l'algue, répondant au sobriquet peu flatteur de Sea Weeds. Celui-ci se demandait ce qui avait bien pu passer par la tête de ses parents de lui donner un nom pareil. Toujours était-il que ça allait à merveille avec sa cutie mark en forme de plantes sous-marines. Le poney était incapable de se souvenir comment il avait eu sa Cutie Mark, mais il savait que c'était en voyageant sur le clipper. Il s'était retrouvé à travailler comme mousse un peu par la force des choses : son père comme sa mère étaient tous deux dans ce domaine, l'hérédité avait fait le reste.


De ses yeux céruléens, Sea Weeds rechercha les différents appuis qu'il lui faudrait employer pour atteindre l'échelle de corde. Trois bonds agiles plus tard, il descendait rapidement mais adroitement jusque sur le pont et partit à la rencontre de son capitaine. Ce dernier tapait le bois du sabot, l'air nerveux. Puis il cria à l'attention de son subalterne :


"Sea Weeds ! Va me chercher immédiatement Wave Existence et dis-lui de se magner la croupe en ce qui concerne les marchandises. J'veux qu'on lève l'ancre avant midi !

-Bien capt'aine !"


L'étalon vert foncé se pressa et débarqua du navire. Wave Existence était le second du capitaine. C'est lui qui se chargeait de tout le côté commercial et du transport des produits. Il ne fallait surtout pas parler de ça à Sea Wolf ! Ça non ! Son job, c'était de gouverner son bateau, le reste il s'en contrefichait. La paperasse, ce genre de choses, c'était pour son âme damnée. Il était par conséquent probable que ce dernier était en train d'arranger les derniers préparatifs, ayant pressenti que le temps serait favorable pour un nouveau départ.



Sea Weeds se dirigea en direction du hangar derrière le quai. Ce dernier était grand ouvert et le jeune terrestre n'eut aucun mal à trouver son supérieur dans la hiérarchie de l'équipage. Wave Existence supervisait comme prévu le chargement et désignait à un couple terrestre une grosse caisse en bois de chêne à monter au plus vite sur le Wind Master. Le mousse les regardait s'éloigner tandis qu'il portait leur fardeau en direction du navire, avant de se rappeler subitement ce que Sea Wolf lui avait demandé. Il galopa à vive allure en direction de l'étalon azur aux yeux dorés et à la crinière blanche servant de second sur le clipper. Wave Existence ne le sentit pas venir, trop absorbé dans sa contemplation de la liste comportant tous les éléments de la cargaison. Il tressaillit alors légèrement lorsqu'il perçut finalement Sea Weeds en face de lui. Il leva les yeux de sa feuille et demanda avec une politesse qui contrastait grandement avec la rudesse du capitaine :



"Qu'est-ce qu'il y a, Sea Weeds ?

-Le capitaine vous demande quand nous serons en mesure d'appareiller, annonça le plus simplement du monde le terrestre vert."



Wave Existence se replongea alors dans ses notes quelques instants, comptabilisant tout ce qui avait déjà embarqué sur le bateau. Puis il donna une indication approximative, entre une ou deux heures. Cela rentrait donc dans le désir de Sea Wolf, mais nul doute qu'il rouspéterait quand même pour la forme. Ce vieux loup de mer ne se sentait chez lui que sur les flots salées…



Sea Weeds se dépêcha de remonter sur le Wind Master pour faire son rapport. Son capitaine était toujours en train de faire les quatre cents pas sur le pont. Aussi, le jeunot ne traîna pas pour expliquer la situation au seul maître à bord. Ce dernier ne dit rien pendant l'explication, fixant l'horizon d'un air songeur. Puis il considéra que son adjoint savait ce qu'il avait à faire. Il tourna ensuite sa tête barbue et contempla quelques secondes le matelot. A la grande surprise de ce dernier, un sourire s'afficha sur l'expression de Sea Wolf qui dit alors :



"T'as bien bossé mon gars… T'as bien mérité un p'tit quartier libre. Fais ce que t'as envie d'faire. T'as une heure et pas une minute de plus.

-Oui, cap'taine ! rétorqua le marin en faisant un petit signe du sabot."



Ce dernier redescendit à quai, le cœur réjoui. Il le savait déjà bien sûr, mais sous ses apparences bourrues, le capitaine traitait bien son équipage, tant que celui-ci donnait son maximum. Cela arrangeait bien les affaires de Sea Weeds, à vrai dire, car il y avait quelqu'un à qui il devait présenter ses respects avant le départ. Il s'éloigna d'un pas assuré et rapide des docks, partant en direction des grandes avenues de Manehattan. Celles-ci étaient encore et toujours boueuses, la faute principalement aux diverses précipitations qui avaient bouleversé le coin dernièrement. Mais tandis que l'étalon couleur algue marchait, il se prit à penser qu'il serait peut-être temps de paver les rues des quartiers modestes de la ville. En l'état, Manehattan n'était qu'une manifestation grandeur nature du fossé existant entre bourgeoisie et plèbe.



La personne qu'il souhaitait saluer se trouvait à la périphérie des beaux quartiers. Par chance, elle vivait dans des conditions meilleures que la plupart des habitants de sa zone. Enfin, tout était relatif. Son niveau de vie la contraignait néanmoins à arpenter les rues sales de la capitale terrestre. Au moins, elle vivait au rez-de-chaussée de son immeuble. Voici le genre de réflexions tourbillonnant dans l'esprit du mousse tandis qu'il frappait sèchement à la porte. Il entendit quelqu'un se déplacer et chercher maladroitement un trousseau de clefs.



La porte s'effaça au profit d'une mince silhouette rose pâle, un peu plus petite que le terrestre. Sa crinière blonde platine bouclée dissimulait quelque peu ses yeux mauves qui s'agrandirent de surprise en voyant celui qui avait frappé. Sa cutie mark représentait un collier de perles dorées. Sea Weeds l'embrassa tendrement sur la bouche en murmurant :



"Coucou, Sweet Necklace.

-Sea Weeds ? Je ne t'attendais pas si tôt.

-Il y a eu du changement, annonça-t-il gravement.

-Rentre, ne reste pas là."



L'étalon obéit et pénétra dans le petit salon meublé avec une étagère en métal, une commode en bois dur. Sur cette dernière était posée plusieurs photos en noir et blanc encadrées représentant la famille de Sweet Necklace, ainsi qu'elle même. Seule un cadre jurait avec le reste,représentant assis côte à côte sur un banc du parc de Manehattan la jument et Sea Weeds, sabot contre sabot. Au centre de la pièce, il y avait quelques chaises en bois et en pailles ayant manifestement fait leurs temps ainsi qu'une petite table basse. La lumière du jour pénétrait dans la pièce, altérée par des rideaux d'un rouge translucide. Le navigateur s'assit sur l'une des chaises avec prudence tandis que son amie lui proposait une tasse de thé.



"Rapidement, dans ce cas, je n'ai pas beaucoup de temps devant moi."



Sweet Necklace partit dans la cuisine pour préparer et faire bouillir l'eau. Pendant ce temps, elle demandait la raison de la présence du terrestre ici. Celui-ci lui raconta tout ce qu'il s'était passé depuis le début de la matinée, en omettant volontairement un détail, qu'il préférait garder pour la fin. Lorsque la jument rose apporta les tasses, il interrompit son récit pour la remercier et but une lampée d'un thé à la menthe tandis qu'elle lui déclara :



"C'est très gentil au capitaine de t'avoir accordé une pause pour te détendre."



Sea Weeds reposa la tasse sur sa soucoupe et demeura un instant silencieux, avant de lui annoncer la véritable raison de sa visite, se préparant au pire :



"On repart ce midi."



La jument dévisagea son ami, interdite. Elle ne s'attendait absolument pas à cela, comme elle le fit remarquer peu après. Le climat avait été très changeant ces dernières semaines, et il était impensable d'envisager une traversée en mer. Voilà pourquoi le Wind Master était resté si longtemps à quai. Au fond de son coeur, Sweet Necklace aurait voulu que cette situation perdure éternellement. Mais il fallait bien que cela s'arrête un jour, ce qu'expliqua Sea Weeds :



"Ecoute, Sweetie. On a vu des mouettes voler librement dans le ciel ce matin. La mer est désormais calme et il est temps pour nous d'acheminer notre cargaison à Hoowaï. C'est notre travail. Mon travail. Et je dois y aller, que tu le veuilles ou non."



Celle qui l'aimait hocha gravement la tête avant de reprendre une gorgée de thé. Bien entendu, elle savait que c'était ce pour quoi il était fait et il était impossible de l'en empêcher. Mais pourtant, elle ne pouvait s'empêcher d'envisager le pire scénario possible :



"Et s'il y avait une nouvelle tempête pendant votre route ? Si le bateau coulait ? Tu y penses à ça ?

-Bien sûr ! révéla Sea Weeds. Mais tu sais, le vent nous est favorable, la traversée ira peut-être plus vite. Avec le Wind Master, on atteint l'île en trois semaines dans des conditions normales. Là, je dirais qu'en deux semaines, on y est. Table donc sur quatre, cinq semaines tout au plus. T'as déjà patienté plus longtemps que ça, tu sais ! Tu peux le faire."



Au fur et à mesure de son explication, il avait avancé l'un de ses sabots et caressait avec délicatesse celui que laissait apparaître Sweet Necklace. Nul doute que cela fit forte impression sur la jument rose qui se laissa fléchir. Néanmoins, une partie d'elle s'obstinait à refuser ce voyage :



"S'il t'arrivait malheur, je deviens quoi ? Même si le bateau arrivait bien à destination, tu pourrais avoir un accident."



Pris au dépourvu, l'étalon au nom improbable se mit à réfléchir en soupirant, sans pour autant lâcher le sabot de son amie. Puis, il déclara d'un ton presque fataliste :



"Il arrivera ce qu'il devra arriver. Tu sais, à part la princesse Celestia, on est tous soumis un jour ou l'autre à la mort. Les chances sont les mêmes pour tous, voilà tout. Et si jamais je devais disparaître, tu trouveras bien quelqu'un d'autre, il y a des tas de poneys valant mieux que moi, après tout.

-Jamais je ne pourrais faire ça ! jura avec force Sweet Necklace.

-On ne sait pas ce que l'avenir réserve, Sweetie."



Cette phrase lancée telle une maxime fit taire la jument inquiète. Elle n'avait certes pas tort, mais Sea Weeds non plus. Alors, elle décida de couper la poire en deux. Certes, elle laisserait partir une fois encore Sea Weeds, malgré les risques que ce dernier courait, néanmoins, elle ne l'abandonnerait jamais. Elle attendrait autant qu'il le faudrait, jusqu'à la mort si nécessaire. Tels furent ses propres mots, ce qui embarrassa grandement son compagnon qui pensait au fond de lui qu'il ne méritait pas tant. Ses joues rosirent légèrement, et il détourna rapidement la tête en direction de la porte pour éviter que Sweet Necklace s'en aperçoive. Cependant, cette dernière crut qu'il devait partir et se proposa pour l'accompagner. Sea Weeds sauta sur l'occasion pour dévier le sujet tout en se levant.



Le couple sortit à l'extérieur, discutant un peu de tout et n'importe quoi. Il fallait profiter de chaque minute, chaque seconde, pour dire tout ce que chacun avait sur le cœur. Tandis qu'il était accompagnée de la jolie jument et conversait avec elle comme si de rien n'était, une part de Sea Weeds essayait de se rappeler depuis combien de temps il la connaissait. Cela faisait quoi ? Presque deux ans ? Et après tout ce temps, elle n'était toujours pas habituée aux fréquents allers-retours de Sea Weeds ? Peut-être qu'il lui était impossible de s'y faire. Le matelot l'avait rencontré dans un bar, pas le mieux famé par ailleurs, nommé le "Seagulls' Haven".



Elle travaillait là-bas en tant que serveuse. Lui revenait d'une traversée éreintante et avait décidé de se déchirer à l'alcool pour se détendre. Il avait commencé par commander du rhum et fut servi par Sweet Necklace. Il n'avait pas prêté la moindre attention à la jument initialement. Il était trop épuisé pour penser au charme féminin. Ce n'était pas le cas cependant de la plupart de la clientèle du bar, en particulier les ivrognes qui sifflaient d'admiration devant la croupe de la jument. Pendant ce temps, Sea Weeds descendait son verre rapidement, tout seul. Certes, il avait des amis parmi l'équipage, et même à terre, mais il avait décidé ce jour-là que ce serait un plaisir solitaire. Quant à la jument rose, elle continuait de servir les ivrognes. Sauf que l'un d'entre eux avait visiblement du mal à conserver une position normale et laissait traîner l'une de ses jambes arrière sur le sol, entre deux tables. Sweetie ne l'avait pas remarqué et trébucha dessus. Il ne le savait pas pourquoi, mais par réflexe, les membres de Sea Weeds avaient rattrapé la jument. Mais pas la commande.



Le comble de l'affaire est que l'ivrogne avait disputé d'une voix tonitruante la jeune serveuse. Cela avait fini par attirer l'attention du tenancier du bar qui s'était mis à son tour à sermonner Sweetie, la priant de nettoyer de suite ce qu'elle avait renversé. Elle hocha gravement la tête et alla chercher un seau et une serpillière, non sans pour autant bredouiller un léger remerciement au marin. Ce dernier commanda à une autre serveuse un autre verre de rhum et le but lentement, son regard rivé sur les efforts que déployaient la jument rose pour nettoyer ce qu'elle avait renversé. Il ne disait rien, ne pensait rien de grivois, il observait. C'était tout.



Il buvait tellement lentement que le bar se vidait peu à peu de ses clients, les ivrognes ne faisant guère plus entendre leurs voix, trop alcoolisés pour vociférer. Sweetie n'avait alors guère plus de travail et put souffler un peu. Elle choisit de se laisser choir juste en face de Sea Weeds, qui entama alors la conversation, prononçant ses premiers mots en dehors de ses commandes. Il ne se rappelait plus de ce qu'il avait dit à cet instant, mais c'était des banalités. Et des banalités en entraînant d'autres, peu à peu, la conversation glissa sur des sujets de moins en moins anodins. Finalement, ils se retrouvèrent à en savoir davantage sur l'autre. Ainsi, Sweet Necklace n'était guère fait pour ce travail de serveuse, mais elle s'affairait à cet emploi pour financer son appartement, en attendant de trouver un travail plus approprié pour elle, la joaillerie.



Cela fit pouffer de rire Sea Weeds, vu qu'il était à présent ivre. Il avait du mal à imaginer qu'une "perle" comme cette jument se retrouve ainsi à travailler dans un cloaque pareil. Du coup, il se retrouva à promettre à la jument de lui donner une partie de son salaire, arguant qu'il n'en avait de toute façon aucune espèce d'utilité. Sweet Necklace n'en avait pas cru ses oreilles. Les deux terrestres étaient sortis à la fermeture du bar et étaient partis dans son ancien logement, situé dans les mauvais quartiers. Et pour le reste de la soirée, c'était le trou noir dans la mémoire de l'étalon aux couleurs de l'algue. Mais il s'était réveillé le lendemain matin dans le lit de la jument. Il n'avait guère plus d'autre choix que de demeurer en sa compagnie, ne serait-ce que pour honorer sa promesse.



Bien sûr, dit comme ça, il serait facile de penser que Sea Weeds était un irresponsable, doublé d'un profiteur. Certes, peut-être était-ce le cas lors des premiers mois de sa relation avec la jument. Mais au fil du temps, il avait appris à apprécier cette dernière, à encourager ses projets et son rêve. Et finalement, avec le soutien qu'il lui avait porté, elle était parvenue à le concrétiser. Quant à leur relation sentimentale, elle était d'une stabilité relativement étonnante compte tenu de son début. Mais en dehors des inquiétudes de Sweet Necklace qui pouvait dégénerer en disputes, il n'y avait rien à signaler. Cela ennuyait un peu Sea Weeds d'une certaine façon, car il voyait bien qu'elle était passionnément amoureuse de lui, alors qu'il n'était pas sûr d'être aussi démonstratif qu'elle. Il se demandait par moments s'il l'aimait vraiment comme on est censé aimer l'être cher à son cœur...



Tout en se souvenant de leur première rencontre, il répondait distraitement, mais de manière suffisamment consciente aux questions que lui posait sa compagne. Cette dernière était ainsi incapable de deviner le trouble qui habitait l'esprit de Sea Weeds. Et bientôt, ils se retrouvèrent devant la jetée, à contempler le Wind Master. L'équipage se préparait déjà à lever l'ancre. Aussi, le matelot se tourna rapidement vers la jument et déposa un baiser sur ses lèvres. Quand il eut fini, il annonça d'une voix pleine de promesses :



"Ce n'est que l'affaire de quelques semaines, comme d'habitude. Pourquoi serait-ce différent cette fois ?"



Puis il s'élança sur le ponton d'un pas adroit, montant quelques secondes plus tard sur le bateau. Sweet Necklace n'ôtait pas son regard de son amant, et ce dernier était obligé de lui rendre, tandis que les voiles se dépliaient, puis se gonflaient sous l'impulsion du vent. Tandis que le clipper s'éloignait assez rapidement du quai, Sea Weeds restait à regarder la jument d'un air pensif. Il ne sentit même pas Wave Existence s'approcher de lui et lui dire :



"Tu en as de la chance, Sea Weeds. Tout le monde n'a pas une jument prête à l'attendre plusieurs semaines d'affilée. Et elle est vraiment belle, par dessus le marché !

-J'imagine, répondit-il avec un soupir."



Quelques heures plus tard, le port de Manehattan n'était plus discernable à l'horizon et Sea Weeds s'était mis à l'ouvrage, faisant une partie des multiples tâches qui attendaient les matelots tout au long du voyage. C'était une routine qu'il connaissait après tout, et le reste de l'équipage aussi. Il était agréable et bon d'être sur le Wind Master, et les marins qui le peuplaient et le faisaient vivre étaient mutuellement soudés sous la houlette du capitaine Sea Wolf.



Les marins se relayaient tour à tour, au fil des aboiements du capitaine et des consignes de Wave Existence. Certains pouvaient se détendre, jouant aux cartes, paressant sur leurs hamacs, et le reste faisait avancer le navire. La traversée demandait une attention de tout les instants et une bonne coordination s'avérait nécessaire pour la maintenir. Plusieurs jours s'écoulèrent ainsi sans le moindre incident à déplorer.


Cela faisait déjà plus d'une semaine que l'équipage de Sea Wolf avait appareillé. Comme l'avait escompté Sea Weeds dans les estimations qu'il avait donné à son amante, les brises étaient favorables au Wind Master, et d'ici une semaine supplémentaire, ce dernier s'échouerait sur la plage d'Hoowaï. Le mousse était déchargé de ses obligations et se tenait sur la figure de proue, son regard céruléen perdu dans le vague, mais les sabots se maintenant fermement à l'étrange représentation.


L'étalon accordait beaucoup d'intérêt à cette figure féminine à la nageoire de dauphin. C'était comme si elle suggérait l'existence d'une autre espèce de poneys, qui résiderait dans les fonds marins. Si l'idée pouvait sembler ridicule pour beaucoup, Sea Weed la trouvait finalement assez cohérente, car après tout, les terrestres dominaient les sols fertiles, les licornes maîtrisaient la magie, et les pégases régentaient le ciel. Pourquoi n'y aurait-il pas une quatrième espèce contrôlant les fonds abyssaux ?


Le jeune mousse porta son regard sur l'eau, disparaissant et revenant dans un cycle sans fin, montrant la progression du clipper et murmura sans se rendre compte à voix basse :


« Nous autres marins ne faisons qu'effleurer la surface de la mer. Que peut-il bien se trouver au fond ? »


Ses yeux se portèrent à nouveau sur la figure de proue, semblant perdu dans ses pensées. Il en fut extirpé par la voix moqueuse d'un de ses camarades d'équipage :


« Eh ! T'as déjà quelqu'un, mon gars ! Arrête de reluquer cette jument ! Même si je dois avouer qu'elle a de sacrés arguments, hé, hé... »


Après avoir poussé un soupir, Sea Weeds revint sur le pont et essaya de se défendre, mais son compagnon n'en avait rien à faire, car il était juste venu lui rappeler qu'il devait prendre sa place à la vigie. Embarrassé, l'étalon algue partit prendre à toute vitesse son poste. En escaladant l'échelle de corde, il se prit le sabot dedans et mit bien deux minutes à s'en dépêtrer, avant de finalement accéder à la vigie.


Il aimait bien cette partie de son travail. Certes, ça demandait beaucoup d'attention, mais au moins, il pouvait observer le paysage, même si actuellement, il n'y avait pas grand chose d'autre à observer que l'horizon et la mer. Néanmoins, il s'empara de la longue-vue et se mit à accomplir son office, le poil et la crinière caressés par le souffle du vent.


Il passa ainsi plusieurs heures. Lorsqu'il sentait que rien n'allait se produire, il se permettait de petites pauses où il observait avec un certain plaisir la vie du Wind Master . Depuis la vigie, il avait en effet un emplacement privilégié aux allers et venues de ses collègues sur le pont. De là, il était aux premières loges pour assister aux événements dont on parlerait au repas, et même plus tard, s'ils étaient vraiment remarquables. La princesse Celestia commença alors à coucher le soleil. Sea Weeds allait donc pouvoir prendre son dîner et passer le relais.

Toutefois, au moment de descendre l'échelle de cordes, le terrestre vert ne sentit plus la brise caractéristique du vent.Il y avait cependant quelques nuages, mais rien de très alarmant. Il semblerait juste que ce serait le calme plat pour la nuit. Il devrait en avertir le capitaine pendant le repas. Sea Weeds revint sur le bois du clipper rapidement et partit en direction du pont inférieur rejoindre les membres d'équipage pouvant dîner.


Le mousse prit sa part, constitué de citrons et de foin séché ainsi que d'une tasse de rhum coupée à l'eau, avant de s'asseoir à proximité de son capitaine qui avait déjà presque fini de manger. Ce dernier leva les yeux vers Sea Weeds avant de lui demander :


« Tout s'est bien passé là-haut ?

-Le vent s'est arrêté de souffler.

-Le ciel ?

-Quelques nuages par ci par là.»


Sea Wolf soupira avant de boire une gorgée de rhum. Il espérait que cette brise favorable perdurerait au moins jusqu'au débarquement sur l'île. Il asséna alors une assez brusque tape amicale sur l'épaule de son second en lui ordonnant :


« Va demander aux gars sur le pont de détacher deux des rangées de voiles pour la nuit. On les remettra demain matin, en espérant que tout redevienne comme avant. »


Wave Existence, qui n'avait pas encore terminé de manger, se leva et remonta à l'extérieur, les ordres de son supérieur primant sur le reste. On entendit bientôt du remous en haut. Pendant ce temps, le matelot continuait de manger son repas. Lorsqu'il eut terminé, il débarrassa une partie de la table à laquelle il s'était assis avant de descendre au niveau de la cale où se trouvait également les quartiers de l'équipage. Il avait l'intention de prendre un peu de repos. Il se relèverait un peu plus tard dans la nuit pour aider à la navigation.


Il s'allongea sur l'un des hamacs en corde, jeta un regard sur les côtés où dormaient déjà à sabots fermés certains étalons. Puis il se lova bien à son aise avant de clore ses paupières. Bientôt le ressac du navire le berça et après quelques minutes, Sea Weeds s'endormit à son tour.


Le temps s'écoulait normalement, et le jeune terrestre vert bénéficiait d'un sommeil des plus réparateurs sans le moindre rêve. Du moins au début. Car il finit par entrevoir une vision de lui-même de retour à Manehattan où il profitait d'un séjour à terre bien mérité. Il en profita pour rendre visite à Sweet Necklace et à sa grande surprise, tendit un large anneau d'argent à sa compagne. Il s'était mis à rêver qu'il la demandait en mariage et qu'il prenait sa retraite, tout du moins d'un point de vue maritime, car il commençait à caresser le projet de tenir aux côtés de sa future épouse la joaillerie qui lui faisait tant rêver.


« Bah, pourquoi pas, pensa le matelot en contemplant sa réflexion, mais d'ici quelques années quand même... »


Sea Weeds fut alors extirpé de ses songes par une violente douleur, située à l'arrière du crâne. Un peu sonné sur le coup, il dût pourtant bien vite se rétablir, étant donné qu'il se sentit glisser vers l'autre extrémité de la pièce. Lorsque sa vision se rétablit, il put constater que le sol penchait d'une façon beaucoup plus prononcée. L'étalon tenta alors de progresser en direction de l'escalier, en s'agrippant aux poteaux en bois maintenant les hamacs. En jetant de brefs regards autour de lui, il se rendit compte qu'il n'était pas le seul dans cette galère : d'autres membres d'équipage espérant se reposer se débrouillaient comme ils le pouvaient pour obtenir un appui. Ce fut alors que l'environnement se renversa, permettant aux marins, une fois qu'ils eurent réussi à se maintenir sur les colonnes, de mieux comprendre ce qu'il se passait autour d'eux : le bateau tanguait bien plus que d'ordinaire.


Les terrestres dans la pièce parvenus à ce constat décidèrent d'un accord silencieux de se dépêcher d'atteindre les marches pour monter sur le pont supérieur. S'ils restaient ici, ils étaient absolument inutiles, et ils ne faisaient aucun doute qu'on avait besoin d'aide là-haut. Peu à peu, les membres du petit groupe parvinrent à rejoindre la sortie, et il ne restait bientôt plus que le matelot au pelage algue. Ce dernier inspira un grand coup et s'élança de point d'accroche en point d'accroche tandis que le navire oscillait de plus en plus violemment, et il pouvait voir les affaires de l'équipage être balayés comme des fétus de paille, dont les siennes. Il ravala sa salive et bondit une dernière fois, agrippant avec peine du sabot l'une des marches. Sous le choc, son corps se déplaça brutalement et son dos heurta l'un des murs. Réprimant un cri de douleur, le jeune étalon se redressa et monta les marches en se collant au mur à sa gauche.


L'état de la salle à manger était similaire à celui de l'étage que Sea Weeds venait de quitter. La vaisselle qui auparavant était posée sur les tables avait fini étalé dans un coin de la pièce. Les tables et bancs étant cloués sur les planches, ils n'avaient pas subi ce sort. Heureusement pour l'équipage du Wind Master, ce n'était pas une vaisselle fragile, étant en bois également. Le jeune poney demeura interdit quelques instants, avant qu'une voix stricte et bourrue le fasse revenir à la réalité :


« Allez serrer les nœuds attachant les marchandises ! Le reste est remplaçable ! Magnez-vous ! »


Quelques secondes après cette injonction, trois étalons musclés descendirent en direction de la cale et passèrent devant Sea Weeds qui décida de son côté d'aller sur le pont du navire. Lorsqu'il ouvrit la trappe et la franchit, une vision des plus effroyables s'offrit à lui : Le ciel était absolument noir, déversant un véritable déluge dont la violence était encore renforcée par des bourrasques fouettant le visage des marins présents. Ces derniers essayaient pour la plupart d'enlever les voiles restantes afin d'éviter qu'elles ne se déchirent. Le jeune matelot se demandait comment une tempête de cet acabit avait pu se produire, alors que quelques heures plus tôt, c'était le calme plat. Certes, on disait parmi les marins que le calme avait tendance à précéder un déchaînement des éléments, mais il ne pensait pas que c'était possible.


Des brisants se formaient au large, constituant la cause du balancement du Wind Master. Les vagues étaient immenses, faisant plus de la moitié de la taille du navire, pouvant de ce fait l'engouffrer totalement à la moindre erreur. Aussi, c'était Sea Wolf qui tenait la barre, ayant fort à faire pour maintenir le clipper à flot, tout en aboyant ses ordres. Il était par moment difficile de l'entendre avec le souffle du vent, mais Sea Weeds croisa un instant le regard de son capitaine et comprit instantanément ce que le capitaine attendait de lui, même en n'ayant saisi que la moitié des mots qui lui étaient adressé :


« …. plus qu'une voile. Va.... Wave... pour l'arracher. »


Le matelot, tout en s'accrochant à l'une des rambardes, leva les yeux vers le ciel en folie et chercha les voiles qui restaient. Il s'agissait de celles accrochées au mât central du gréement. Il profita que le capitaine tourna la barre sur la droite pour se laisser glisser en direction du mât en question, avant d'accrocher du sabot l'échelle de cordes, qu'il entreprit d'escalader. Déjà ardue en temps normal, la tâche devenait pure inconscience lorsqu'elle était entreprise sous ces conditions. Sea Weeds sentit son corps être ballotté de tous côtés, le contraignant à ne progresser que lorsque les rafales prenaient une pause.


Il lui fallut ainsi pas loin de cinq minutes qui lui semblèrent les plus longues de toute sa vie pour rejoindre Wave Existence. Ce dernier s'affairait déjà à enlever les attaches des voiles avec ses dents en ayant placé ses jambes autour de la barre pour avoir un point d'appui. Il ne fallait pas avoir le vertige pour faire ce qu'il faisait, ça non ! Sea Weeds se posta de l'autre côté et commença à enlever ses propres attaches. Son supérieur ne le remarqua pas, trop occupé de son côté. Pourtant les deux terrestres travaillaient bel et bien de concert. Bientôt, le plus jeune des deux eut défait trois des attaches et la voile commençait à pendre. Encore quelques unes, et elle tomberait sur le pont... en espérant qu'une rafale ne l'emporte pas dans les flots.


Toutefois, les éléments alentours ne l'entendaient pas ainsi et un brisant heurta le flanc du navire, fracassant l'un des mâts destinés à recevoir des voiles qui tomba en direction de celle où étaient posté Sea Weeds et Wave Existence. L'étalon couleur algue s'en aperçut et renforça ses appuis tout en essayant d'avertir le second du capitaine. Hélas, ce dernier ne l'entendit pas en raison du vent et de la pluie et ne vit pas l'une des barres censé maintenir la voile débarquer dans sa direction. Il subit le choc avec une grande violence et lâcha la barre sous l'influence du coup, chutant lourdement sur le pont du navire. Quant à Sea Weeds, s'étant préparé à recevoir l'assaut imprévu, il tenait encore bon. Excepté qu'à présent, il était seul pour détacher le restant de la voile. Rassemblant ses forces et son courage, il se remit à l'ouvrage plus concentré que jamais. Il ne pouvait à présent plus s'apercevoir de ce qui se passait en contrebas, ignorant le sort de Wave Existence ainsi que le fait que l'eau commençait à s'infiltrer dans la cale. La destinée du Wind Master était presque déjà toute tracée. Il avait de fortes chances de couler cette nuit.


Ne sachant pas ce qui se passait en-dessous de lui, Sea Weeds conservait espoir d'accomplir la mission que lui avait confié son capitaine. Il ne paniquait pas, détachant une par une les attaches, prenant une pause pour souffler un peu tout en jaugeant la tempête. Il approchait peu à peu de la dernière. Cependant, il sentit que la barre maintenant la voile et son propre corps était en train de ployer dangereusement sous l'effet de la tempête. Il devait se dépêcher à présent. Mais les rafales ne lui en laissèrent pas l'occasion. Le mât céda, et le matelot tomba à son tour, atterrissant avec fracas sur l'une des rambardes, qui se brisa à son tour. Par pur instinct de survie, Sea Weeds l'agrippa avant de perdre connaissance et de tomber dans la mer déchaînée.


Cette nuit de tempête marqua la fin du Wind Master, le plus grand clipper ayant jamais navigué sur les mers bordant Equestria. Malgré tous les efforts déployés par l'équipage, le navire coula, et les canots de sauvetage avait déjà disparus et auraient sans doute été inutiles. Wave Existence avait succombé peu de temps après sa chute, privant l'équipage d'un de ses meilleurs éléments. Par ailleurs, ces derniers avaient tout fait pour colmater la brèche dans la cale, sans succès, périssant noyés. Sea Wolf de son côté, demeura à la barre jusqu'à la dernière seconde, en bon capitaine. La tempête avait été si inattendue, si brutale, si impitoyable, qu'on ne retrouva quasiment rien de l'épave du navire. Il faut dire aussi qu'il fallait explorer les fonds marins pour cela, ce qui était au moment de la catastrophe totalement inenvisageable...

Pourtant, si l'histoire du Wind Master se termine ici, ce n'est pas le cas de celle de Sea Weeds. Le jeune étalon survécut à ce naufrage. Et ce pour plusieurs raisons. Certes, il y avait ses compétences qui lui avaient permis de conserver de quoi se maintenir même en passant par dessus bord, ainsi que beaucoup de chance. Mais il y eut aussi autre chose, quelque chose de beaucoup plus étonnant.


Lorsque la tempête prit fin, Sea Weeds n'avait toujours pas repris connaissance et dérivait sur la mer, toujours agrippé à sa rambarde. Une demi-journée presque entière s'écoula avant qu'il ne s'éveille lentement. Il mit un certain temps à comprendre sa situation, le temps que les récents événements ne lui reviennent en mémoire. Puis il regarda tout autour, presque affolé, à la recherche du navire ou d'autres membres d'équipage dans sa position. Mais il n'y avait rien d'autre que la mer désormais calmée et l'horizon. Pas même d'oiseaux volant dans le ciel. Il réalisa par conséquent qu'il était au large. Il n'avait concrètement aucune chance de survie : Il n'avait pas d'eau à boire, hormis celle issue de la mer, et rien à manger. Et pour couronner le tout, son dos le faisait atrocement souffrir. Même s'il ne pouvait pas le voir depuis sa position, ce dernier avait été lacéré par des morceaux de bois de la rambarde, tandis que de l'eau de mer ainsi que des échardes s'étaient mêlées aux plaies.


Il avait survécu à la tempête uniquement pour mourir de déshydratation ou de faim. Au choix. Sea Weeds se redressa néanmoins et se mit sur le dos sur son débris. Il regarda furtivement l'astre solaire qu'avait levé la princesse Celestia, désormais son seul point de rattachement à Equestria. Puis il se laissa à nouveau tomber dans les sabots de Marephée, avec une pensée pour Sweet Necklace qui l'attendait probablement sur la jetée de Manehattan. Il ne reviendrait jamais. Il en était sûr. Et il était désolé pour sa petite-amie, qui tiendrait probablement sa promesse d'aller chaque jour au port dans l'espoir de le revoir. Espoir trahi.


Il dormit une journée complète à nouveau, espérant partir dans son sommeil. Toutefois, une odeur délicate l'éveilla. Il regarda à nouveau sur les côtés et découvrit à côté de lui des algues marines. « Comment sont-elles arrivées là ? » se demanda-t-il. Sea Weeds savait qu'il était possible que des algues marines finissent par se détacher et parviennent à la surface, mais en jetant des coup d'oeil sur les côtés, il n'en vit pas d'autre. Il ne comprenait pas comment elles étaient arrivées là, c'était comme si quelqu'un les avait déposé à son intention. Ridicule ! Toujours est-il qu'il se demandait ce qu'il devait en faire. Après tout, en supposant qu'il les engloutit pour assouvir sa faim et qu'il s'hydrate avec de l'eau salée, ça ne lui permettrait que de tenir quelques jours de plus. Ne ferait-il pas mieux de se laisser mourir ?


Pourtant, à sa grande surprise, son instinct de survie s'empara de tout son être et il se mit à manger, à mâcher, à avaler les algues. Elles lui parurent délicieuses, sans doute parce qu'il n'avait rien d'autre à manger. C'était bête, mais même s'il n'avait aucun espoir de retrouver la terre ferme, il avait malgré tout l'envie de vivre. Et ce faisant, il ne faisait que prolonger sa souffrance et sa peine. Il aurait bien voulu mourir noyé au fond.


Une fois qu'il eut achevé son repas, des larmes perlèrent au coin de ses yeux. Il se sentait seul, perdu dans le désert aquatique. Dès qu'il se sentit épuisé, il en profita pour repartir dans le monde des rêves. Là, au moins, il pouvait se créer de la compagnie. Il fit alors un songe similaire à celui qu'il avait fait juste avant le naufrage du Wind Master, à quelques exceptions près. Non seulement il avait raccroché sa carrière de marin et épousé Sweet Necklace, mais en plus, il avait eu des poulains adorables avec elle. Ces derniers n'avaient pas de formes distinctes, seulement des contours floutés. Sea Weeds ne pouvait évidemment pas envisager à quoi auraient ressemblé des enfants qu'il aurait eu avec elle. Une journée onirique s'écoula ainsi, et il la conclut au lit avec son épouse hypothétique. Il se réveilla juste après l'avoir contemplé un long moment en étant allongé. Ce fut alors qu'il vit quelque chose d'extraordinaire.


Sur sa rambarde, juste à côté de lui, se trouvait à nouveau des algues, accompagnés cette fois de fruits de mer. Mais là n'était pas le plus inattendu. Ces victuailles de fortune était en train d'être déposé par une jument turquoise aux yeux saphirs avec une longue crinière argentée totalement trempée. Sea Weeds aurait dit qu'elle était quelques années plus jeune que lui, mais la première remarque qui lui vint à l'esprit était : « Comment cette jument était arrivée là ?! ». En effet, ce n'était ni une licorne, ni une pégase, elle ressemblait à une terrestre, alors il paraissait impossible qu'elle soit dans les parages, à moins d'être une survivante du naufrage. Et Sea Weeds s'en serait certainement rappelé si une telle beauté se trouvait à bord. Parce que oui, elle était vraiment belle. On pourrait penser qu'être trempée de partout ternirait son élégance, mais cela ne faisait au contraire que l'accroître.


Cette mystérieuse jument s'aperçut que le marin s'était réveillé et poussa un petit cri avant de s'éloigner à toute vitesse de la rambarde. Une vitesse qu'il était de toute évidence impossible d'atteindre à la nage pour un terrestre. Et lorsqu'il la vit plonger, Sea Weeds comprit comment cette prouesse était possible. Il eut dans un premier temps l'impression qu'il s'agissait de la figure de proue du Wind Master qui aurait pris vie. En effet, elle n'était pas dotée de jambes arrières et d'une queue, comme tout bon terrestre... mais d'une longue nageoire, comme celle d'un dauphin. L'étalon vert avait raison : les fonds marins étaient bien habités par un équivalent aquatique des poneys. Il en était estomaqué. Tellement en vérité qu'il n'avait rien tenté pour empêcher de fuir celle qui le nourrissait ou même pour voir si elle arborait comme les autres poneys une cutie mark.


Lorsqu'il fut enfin remis de ses émotions, Sea Weeds porta son regard sur la nourriture que lui avait ramené cette jument. Contrairement à la première fois, il ne chercha même pas à réfléchir et mangea tant que son ventre le lui permettait. Pour lui, il n'était plus question de se laisser mourir, la curiosité avait pris le pas. Il ne faisait aucun doute que cette jument marine le nourrissait. Elle avait déjà rapporté de quoi manger à deux reprises, aussi il était probable qu'elle revienne à nouveau plus tard. Elle attendrait sans doute que l'étalon s'endorme pour cela. Aussi, le marin finit tranquillement de savourer son repas avant de se coucher une nouvelle fois sur le dos. Le son du ballottement de sa rambarde sur la mer le berça peu à peu, mais Sea Weeds fit de son mieux pour ne pas sombrer dans le sommeil, luttant pour somnoler.


Plusieurs heures s'écoulèrent de la sorte, sans que le moindre événement digne d'intérêt ne se produise. Lorsque l'étalon vit en entrouvrant ses yeux l'astre lunaire apparaître dans le ciel , il se demanda si ça en valait la peine. Certes, il était fasciné par cette silhouette à la fois équine et aquatique et il avait vraiment envie de lui parler. Mais si elle ne revenait jamais plus, il retournerait à sa situation initiale : une survie improbable. Il fallait qu'elle revienne, où il périrait.Son dos continuait de le brûler tandis qu'il se sentait pencher d'un sens ou dans un autre, au gré des vagues.


Puis au moment où Marephée le réclamait, il entendit un son autre que celui du vent ou des flots. Il s'agissait davantage du son que produisait une chose lourde en entrant dans l'eau. Sea Weeds ferma ses paupières et attendit. Le son se rapprochait de son radeau de fortune. Ce dernier bascula alors tout à coup du côté opposé du marin. Ce dernier essaya d'en profiter pour avancer, conscient qu'il avait sans doute à nouveau affaire à sa bienfaitrice, qui n'était visiblement pas découragée après ce qu'il s'était passé la fois précédente. L'étalon vert sentit le long de sa fourrure le contact de la nourriture, ainsi qu'un souffle court. Il se mit alors à gémir faiblement. Comme pour répondre à sa plainte, le souffle s'éloigna pour se placer juste au dessus de son visage. Un sabot effleura sa crinière, et brusquement, il s'en empara avec le sien tout en ouvrant à nouveau les yeux.


Il se rendit compte qu'il s'agissait bien de la même jument. Celle-ci essayait de se débattre d'un air terrifié, en poussant le même genre de cris que précédemment. Sea Weeds la maintenait fermement tout en se justifiant :


« Ne t'en va pas ! Ne me laisse pas seul ici ! »


Ses mots étaient progressivement étouffés par des sanglots. La jument sous-marine cessa peu à peu de se débattre en l'entendant commencer à pleurer. L'effroi qu'elle avait ressenti jusque là fit place à une attitude qu'on aurait pu qualifier de maternelle. En effet, elle essuya les larmes de Sea Weeds du museau, tandis que l'étalon confirmait encore son étreinte sur le sabot. Ce dernier bredouilla quelques mots confus de remerciement avant de lui demander :


« Comment tu t'appelles ? »


La jument aux yeux saphir regarda sans comprendre quelques instants, avant d'ouvrir la bouche, d'où ne sortit pas cette fois un cri, mais une chaîne de sons articulés qui ressemblaient aux oreilles de Sea Weeds à un chant. Sauf qu'il réalisa bien vite au ton de la jument qu'il s'agissait de sa façon de parler ! Elle ne parlait pas la même langue que l'ancien mousse du Wind Master, aussi elle n'avait pas compris sa question. Elle avait juste senti qu'il ne voulait pas qu'elle parte.


L'étalon lâcha la jument à la crinière argentée, avant de désigner le plat d'algues et de le ramener vers lui en murmurant :


« Sea Weeds. »


Puis il ramena vers le plat d'algues. La jument ne dit rien pendant un moment avant de sourire. Ensuite elle éleva à nouveau son étrange voix. L'étalon ne comprit à nouveau rien de ce qui sortit de sa bouche, mais le temps qu'elle parla correspondait exactement au nom qu'il avait donné. Sea Weeds pointa alors la jument aquatique, qui souriait encore, à présent en confiance avant de lui poser comme question :


« Et toi? »


La ponette marine, comprenant ce qu'il entendait par là, appuya ses sabots sur la rambarde en guise d'appui, avant de faire sortir sa queue de l'eau. Sea Weeds se releva légèrement et vit au même endroit que sur les poneys « normaux » une cutie mark, représentant deux dauphins, jouant. Elle désigna sa cutie mark, avant de parler toujours de sa voix chantante. Le matelot essaya de comprendre les sons pour les reproduire. L'expérience fut des plus maladroites et il s'étouffa à moitié. La jument éclata alors de rire. Embarrassé, Sea Weeds, grommela légèrement :


« Boarf.... je t'appelerais Dolphin à partir de maintenant. »

La ponette aux yeux saphir cessa de rire et regarda l'étalon droit dans ses yeux céruléens. Pour bien faire passer le message, il désigna celle qui le nourrissait avant de déclarer d'un ton ferme et assuré :


« Quand tu seras avec moi, tu seras Dolphin ! Tu m'entends ? »


La désormais nommée « Dolphin » hocha la tête avant d'essayer de prononcer ce nom. Encore une fois, c'était un échec, mais Sea Weeds s'en contenta, car il savait qu'elle avait compris quel mot était son nom. Toutefois pour s'en assurer, il se redressa encore plus, prit les algues, en mangea un peu avant de les tendre à celle qui les lui avait rapporté en disant :


« Dolphin, j'aimerais manger avec toi ce soir, tu veux bien ? »


Elle regarda alors le plat d'algues d'un air un peu dubitatif, mais finit par acquiescer. Elle se pencha quelque peu pour que le radeau improvisé ne se déséquilibre pas sous le poids des deux équins. Ce faisant, les deux se retrouvèrent en tête à tête sous le clair de lune, mangeant la nourriture rapportée par Dolphin. Sea Weeds savourait cet instant, tant la solitude lui avait pesé ces derniers jours. Il essayait de parler un peu après chaque bouchée, des phrases très simples bien sûr. Il essayait simplement d'habituer Dolphin à sa langue. Cette dernière se prêtait au jeu, et commençait à articuler certains sons, mais elle finissait toujours par revenir à sa langue natale, ce qui ne manquait pas d'occasionner des résultats désopilants pour le mousse.


Dolphin baissait alors la tête d'embarras, caressant sa crinière aux couleurs de l'argent. Puis un grand sourire se formait sur ses lèvres et elle parlait dans son inhabituelle voix, rendant la pareille à Sea Weeds qui peinait autant qu'elle à ce petit jeu. Un jeu qui dura jusqu'à ce qu'il n'y ait plus une seule algue sur le radeau. Dolphin immergea alors la partie inférieure de son corps dans la mer d'un air attristé. Sea Weeds se rapprocha un peu d'elle avant de lui désigner le ciel étoilé :


« Quand le soleil sera là, reviens me voir, Dolphin, je t'en prie. »


Celle-ci demeura quelques instants silencieuses, semblant chercher la signification de la demande du terrestre. Enfin, elle acquiesça tout en répondant :


« Oui. »


Sea Weeds eut du mal à en croire ses oreilles sur le coup. Puis il prit le sabot de la jument turquoise en la félicitant de sa réussite. Cette dernière rougit devant l'excitation du matelot, avant de s'en aller au fond de l'océan. Le terrestre se laissa choir sur sa planche de fortune. Tandis que le sommeil le gagnait, il se disait qu'il faisait pâle figure devant cette fille. Il n'était même pas parvenu à articuler le son ayant la même signification que « oui ».


Les jours suivants de dérive, Dolphin tint parole et rapporta à nouveau à manger à Sea Weeds. Elle restait constamment à ses côtés, ne repartant que pour lui trouver à manger et lorsque l'étalon trouvait le sommeil. Ils en profitèrent pour apprendre à se connaître, aussi limité que cela fut avec la barrière de la langue, qu'ils essayaient de briser. Cela passait tout autant par le geste que par l'échange « culturel », comme cela avait été le cas au cours de leur première soirée.


Sea Weeds se révélait très curieux au sujet de l'espèce marine dont faisait partie Dolphin. Il tentait de poser le plus de questions simples possibles de façon à en apprendre davantage sur leur peuple. S'il parvenait à revenir en Equestria, il pourrait faire un récit fidèle et poser une pierre blanche à l'Histoire équestrienne. Pourtant, il n'arracha finalement que très peu de détails à son amie, en partie à cause de la limitation de la communication, mais également parce que Dolphin gardait une certaine réserve à ce sujet.


L'étalon ne s'en formalisa pas, dans la mesure où il avait vite compris que Dolphin était assez réservée, voire pudique, en dépit de sa nature prompte à aider les autres, comme il en avait lui-même fait l'expérience. Du coup, il chercha à en savoir davantage sur la façon dont elle l'avait découverte, dérivant inconscient. Elle associait alors sa langue chantante au geste. Il comprit au fil du temps qu'elle aimait monter à la surface admirer le ciel et les astres, et qu'après la tempête, elle l'avait trouvé inconscient. Elle ne voulait pas se sentir responsable, même indirectement, de la mort de quelqu'un, aussi elle avait tenté de le sauver.


Plus les jours passaient, plus les regrets de Sea Weeds d'être en pleine mer se mélangeait à une sensation de déjà-vu. La langue de Dolphin, dont il n'arrivait toujours pas à prononcer les mots sans les écorcher... il avait la sensation d'avoir déjà entendu des mots similaires. Il fit peu à peu le rapprochement avec la langue hoowaïenne, qui ressemblait également à un chant. Il avait déjà entendu cette langue, étant donné que le Wind Master faisait l'essentiel de ses voyages jusqu'à cette terre, où il avait également vu le jour. Le Hoowaïen, bien que différent de la langue de Dolphin, reposait sur le même principe. Y avait-il un lien entre les poneys marins auxquels appartenaient sa nouvelle amie, et les Hoowaïens, anomalies parmi les terrestres ?


Sea Weeds n'eut guère le loisir d'y songer davantage, car ses blessures au dos, en l'absence de réel traitement ne faisait qu'empirer. Il tenait bon devant Dolphin, mais il sentait que ses éraflures désormais infectées, n'en étaient plus. Et une nuit, après que la jument soit repartie, il s'évanouit, grelottant de fièvre. Il fit alors le même rêve, le même que celui qu'il avait produit avant le naufrage du navire. A une exception près, une seule : Sweet Necklace avait disparue, au profit d'une autre jument : Dolphin.


C'était une version alternative de la jument, qui avait troqué sa nageoire pour une autre paire de sabots, mais c'était elle qui d'une voix désormais habituée à parler la langue équestrienne déclamait son amour éternel à Sea Weeds. Malgré la fièvre, l'étalon vert comprit alors : il n'aimait plus Sweet Necklace. Son cœur appartenait à Dolphin, une jument qu'il connaissait depuis quoi, une semaine ? Il ne les avait même pas compté, profitant de chaque seconde aux côtés de ce phare dans une nuit perpétuelle.


Tandis qu'il délirait, plusieurs questions effleurèrent son esprit : avait-il seulement aimé Sweet Necklace ? N'avait-il pas en réalité profité de la moindre faille pour avoir une jument avec laquelle dormir dans le même lit ? Est-ce qu'il avait connu l'amour au moins ? Est-ce qu'il aimait Dolphin ? Ou ne reportait-il juste pas son désir charnel sur cette sirène ? Dans tous les cas, peu importait s'il avait trouvé réponse à ses questions. Tout ce qu'il fallait retenir, c'est qu'au bord de la mort, Sea Weeds passa la nuit la plus tourmentée de son existence.


Le lendemain matin, Dolphin reparut et découvrit l'étalon terrestre en nage, les yeux gonflés par la fièvre. Sea Weeds ne sut comment il avait fait, mais il avait instantanément reconnu la jument turquoise. D'une voix complètement affolée, il expliqua à celle-ci :


« Je vais mourir, je le sais !!! Tout ce que j'ai fait dans ma vie, c'est me mentir à moi-même et aux autres ! Je l'ai rendu malheureuse, juste parce que je voulais être avec quelqu'un !! »


Dolphin ne comprenait absolument rien au charabia de son protégé. Néanmoins, elle voyait bien que le malheureux souffrait, et même terriblement. Elle se rapprocha paniquée de l'étalon qui poursuivait son discours aux portes du Tartare :


« La vérité, c'est que c'est toi que j'aime, Dolphin. La seule et unique jument dans ce monde pour laquelle j'ai vraiment éprouvé quelque chose, c'est toi. Je t'en prie, ne me laisse pas pas partir sans m'avoir accordé au moins cela... »


La jument à la crinière argentée trempée approcha encore un peu du terrestre, qui dans un geste désespéré agrippa du sabot la tête de Dolphin et l'abaissa pour l'embrasser sur la bouche. Cette dernière ne chercha pas le moins du monde à se débattre, sentant uniquement la tiédeur des lèvres de l'ancien matelot. Ces deux poneys restèrent longtemps dans cette position. Lorsqu'elle commençait à être à bout de souffle, elle retira ses lèvres, les yeux humides. Son regard étant brouillé, elle ne vit pas immédiatement que Sea Weeds avait sombré dans l'inconscience. Lorsqu'elle s'en aperçut enfin, elle ne savait que faire sur le moment...


Elle espérait au départ remettre l'étalon sur ses sabots et le guider ensuite vers la terre la plus proche. Mais même si elle lui avait permis de se sustenter, elle ne pouvait rien faire pour ses blessures infectées. Si les choses se poursuivaient ainsi, Sea Weeds ne tiendrait pas plus de deux journées. La jument marine devait faire un choix : ou elle persistait à le maintenir en vie par ses propres moyens, ou elle le ramenait sur terre. Techniquement, elle disposait d'une troisième option, mais cela lui était interdit.


Alors, Dolphin trancha après quelques moments de réflexion. Elle plongea comme elle avait l'habitude de le faire dans l'eau. Là, elle empoigna l'embarcation de fortune de ses deux sabots uniques, avant de commencer à nager en poussant le bois sur lequel reposait l'étalon. Elle était seule pour accomplir cette tâche, et si elle allait chercher de l'aide, elle n'avait aucune garantie que le marin tienne le choc. Aussi elle poussa de toutes ses forces, comme si sa propre vie en dépendait. Le seul espoir de Sea Weeds de survie était sur cette île...


On ne sait ce qu'il advint de celle qui était nommée Dolphin après cela. Néanmoins, les habitants d'Hoowaï résidant à côté des plages découvrirent une journée plus tard le corps vert foncé de Sea Weeds, inerte et tenant une perle nacrée dans son sabot. Immédiatement, on l'emporta dans la hutte du médecin du village qui sut quoi faire, en administrant les bons onguents et cataplasmes sur les blessures infectées. Une fois le traitement effectuée, on déposa l'étalon sur un lit tressé en arrière de la hutte.


Sea Weeds resta endormi plusieurs jours encore après sa guérison, serrant toujours cette perle nacrée dans son sabot. Les villageois l'avaient bien remarqué, mais ils n'avaient pas essayé de lui enlever. Ils avaient seulement affichés une mine extrêmement surprise sur leurs visages, ne comprenant pas qu'un équestrien ait pu obtenir un tel objet.


Lorsqu'enfin le seul survivant du Wind Master émergea, il hurla le nom de Dolphin, sans que personne ne puisse le comprendre. Quand son regard se posa sur ce qui l'entourait, il comprit qu'il se trouvait sur Hoowaï. Il se demanda comment il était arrivé ici, alors qu'il pensait être au beau millieu de l'océan. Puis enfin, il remarqua la perle dans son sabot. Il éleva le bijou dans les airs et le détailla. Elle était belle, plus que magnifique même. Pourtant, on n'aurait pas dit après examen détaillé qu'il s'agissait d'une perle. Il y avait quelque chose de plus organique dedans. Qu'était-ce donc ? Sea Weeds l'ignorait bien sûr, mais une petite voix dans sa tête lui disait que Dolphin n'était pas étrangère à sa présence.


Les villageois côtiers se chargèrent d'aider Sea Weeds à se rétablir. D'ailleurs, ce dernier en profita pour avoir confirmation que le langage des habitants d'Hoowaï avait bel et bien la même base que celui que parlait la jument aquatique dont il était tombé amoureux. Une fois remis, Sea Weeds décida de vivre parmi les Hoowaïens pour apprendre leur langue. Il avait décidé de travailler le bois pour aider à la vie du village et s'était fixé comme objectif final de revoir un jour Dolphin. Néanmoins, il lui restait un regret dans son ancienne vie. Et une occasion se présenta quelques mois plus tard pour en finir.


Tout le monde, équestriens comme Hoowaïens avaient fini par réaliser que le Wind Master avait coulé. Bien entendu, Sea Weeds était considéré comme le seul survivant du naufrage. Mais pour l'instant, seuls les habitants de l'île en avait conscience. Aussi, lorsqu'un autre bateau arriva pour délivrer des marchandises, Sea Weeds demanda à voir son capitaine. Certains auraient pu croire que c'était pour être reconduit à Manehattan, mais non. Lorsqu'il fut accueilli par un grand terrestre jaune paille, à la crinière brunie, et à la cutie mark en forme de voilier, l'ancien matelot lui demanda simplement si une jeune jument rose attendait sur la jetée chaque journée. La réponse qu'il obtint fut des plus claires :


"Elle ? Oui, elle est bien connue des marins du coin. On dit qu'elle attend son fiancé, ou quelqu'un de ce goût-là, qui était à bord du clipper. Paraît que tant qu'elle n'aura pas de preuves de sa mort, elle continuera ce rituel.

-C'est moi qu'elle attend.

-Eh ben, tant mieux, déclara le capitaine. Si vous voulez, je vous ramène.

-Le souci, expliqua Sea Weeds, c'est que je ne l'aime plus. Elle doit passer à autre chose et refaire sa vie. Je veux qu'elle pense que je suis mort en mer."


Le capitaine soupira et tira une bouffée de la pipe qu'il transportait sur lui, l'air déconcerté. Il était évident que si elle n'avait pas de preuves concrètes du décès de Sea Weeds, Sweet Necklace persisterait à l'attendre. Aussi, le grand étalon demanda au naufragé s'il n'avait pas sur lui une affaire qu'elle aurait pu reconnaître. Mais Sea Weeds n'avait rien que son propre corps. Il repartit dans le village et alla voir celui qui lui avait enseigné à travailler le bois, un étalon couleur chêne à la crinière cendrée et à la cutie mark en forme de palmier, nommé Cocoaka. Parvenu devant lui, il lui présenta son sabot droit et demanda en langue Hoowaïenne avec fermeté et résolution :


"Coupe-moi ce membre."



On dit que Sea Weeds n'hurla même pas lorsque Cocoaka lui trancha la jambe avant droite avec sa hache. Cependant, il fut bon pour un nouveau séjour dans la hutte du médecin. C'est de là qu'il fit venir le capitaine du voilier. Ce dernier arriva quelques heures après l'incident. Le jeune étalon vert en nage tenait son propre membre fraîchement coupé et le tendit à son aîné en lui ordonnant :


"Faites tout ce que vous pouvez pour que ce membre ait l'air d'avoir été pêché et qu'il ne soit pas trop décomposé. Elle doit reconnaître ce sabot qu'elle a tenu si souvent."


Le capitaine empoigna la jambe, impressionné par le courage de l'ancien matelot, qui avait été jusqu'à donner une partie de son propre corps pour assurer une nouvelle vie à une jument. Il lui promit de lui donner en sabots propres et de lui conseiller d'arrêter d'attendre. Il repartit quelques jours plus tard et arriva à bon port quelques semaines après.


Ce capitaine était un homme d'honneur et fit tout ce qu'il avait dit à Sea Weeds. Il trouva Sweet Necklace sur la jetée, comme à son habitude. Il s'en approcha avant de demander si cette jambe appartenait à celui qu'elle attendait. La jument rose ne voulut pas l'admettre tout d'abord, espérant que Sea Weeds reviendrait malgré tout. Mais comme ce dernier l'avait escompté, elle reconnut la forme de la jambe et son pelage aux couleurs de l'algue. Alors elle s'effondra en pleurs sur le sol rocheux. Le capitaine la releva et tenta de lui remonter le moral :


"Il est mort, mais vous êtes en vie ! Il ne souhaiterait pas que vous morfondiez sur son sort, mais plutôt que vous trouviez quelqu'un digne de vous !

-Personne n'est comme lui dans cette ville !

-Et bien, partez ailleurs ! Le monde est vaste, et il y a tant à explorer ! Vous allez gâcher votre vie à attendre ici !"


Sweet Necklace continua de pleurer à chaudes larmes. Le capitaine abandonna et s'en alla, ayant accompli sa promesse à l'étalon estropié. Pendant quelques jours encore, la jument rose accusa le choc de cette nouvelle en demeurant près de la jetée. Mais elle finit par relever la tête en repensant à ce qu'avait dit ce capitaine. C'était inutile de pleurer éternellement un mort, il fallait vivre pour lui aussi. Elle prit alors une résolution : partir de Manehattan. Elle allait refaire sa vie ailleurs. Certains ragots disent qu'elle aurait terminé sa vie dans un petit village nommé Ponyville, mariée et mère de deux enfants.


Mais revenons-en à Sea Weeds, dont l'histoire n'est pas encore tout à fait achevé. Ce dernier resta alité pendant plus d'un mois, et dût subir une rééducation. Cocoaka, celui-là même qui l'avait handicapé, lui avait fabriqué une prothèse en bois afin qu'il puisse remarcher sans trop de problèmes majeurs. L'étalon vert put même reprendre le métier qu'il avait appris.


Les années passèrent, et Sea Weeds apprit le Hoowaïen, le faisant intégrer définitivement la tribu de l'île. Toutefois, toutes ses pensées allaient vers Dolphin, qu'il n'avait pas abandonné de revoir. Il se servait de sa langue nouvellement apprise pour soutirer des informations aux membres de la tribu, mais tout ce qu'il obtenait était soit des sourires étranges soit une réplique tout aussi mystérieuse :


"Tu as été choisi, c'est tout."


De plus, Sea Weeds fut confronté à une autre énigme : la disparition progressive des anciens du village. Ces derniers ne mouraient pas, mais disparaissaient au cours de la nuit. Cela l'inquiétait profondément, car son maître Cocoaka approchait du bout de ses jours. Chaque soir, l'étalon estropié veillait près du chevet de son maître pour s'assurer qu'il reste dans sa hutte.


Pourtant, par une nuit sans étoile, Cocoaka se réveilla et tira quelque chose de son oreiller. Sea Weeds l'avait entendu, mais attendit qu'il s'éloigne un peu avant de se lever, en raison du bruit que faisait sa prothèse. Une minute plus tard, il partit à son tour et suivit les traces de pas de Cocoaka qui partait en direction de la plage. L'ancien matelot accéléra la cadence et arriva près du rivage où se trouvait celui qui l'avait estropié. Ce dernier tenait dans son sabot une petite sphère qui s'illuminait d'une lueur rose et commençait à s'enfoncer dans la mer.


Sea Weeds aurait voulu hurler et stopper Cocoaka, mais il était tellement époustouflé par la beauté de cette vision qu'il regarda disparaître son maître dans la mer. Lorsqu'il put à nouveau bouger son corps, il était trop tard. L'étalon pleura un coup, avant de se ressaisir. Il se rappelait de la sphère de son maître. Il trouvait qu'elle ressemblait à la perle nacrée qu'il conservait précieusement en pensant qu'il s'agissait de la clef pour retrouver Dolphin.


L'étalon décida alors de passer le restant de ses jours sur Hoowaï, commençant à comprendre au fil des années ce que représentait cette perle ainsi que les traditions de l'île. Il ne séduisit aucune jument là-bas, n'eut aucun enfant, se contentant d'enseigner aux plus jeunes ce qu'il avait appris de Cocoaka.


Le temps vint où Sea Weeds fêta son cinquantième anniversaire passé sur cette île. Le vigoureux matelot de l'époque des clippers avait laissé place à un vieillard barbu estropié d'un vert grisâtre, et il en avait pleinement conscience. Ses forces l'abandonnaient. Aussi, un soir, il récupéra son seul et unique bien, avant d'emprunter le même chemin que Cocoaka. Lorsque ses sabots furent trempés par les vagues, il inspira un grand coup avant de dire dans sa langue maternelle :


"Le temps est enfin venu."


Il s'immergea alors dans les flots et disparut. On n'entendit plus jamais parler de Sea Weeds sur la terre. Il reste seulement de lui une légende racontée uniquement dans le peuple hoowaïen, celle du seul étranger parvenu à se mêler au peuple de la mer...

 

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Note de l'auteur

-Initialement cet OS devait se passer entre la saison 2 et 3, et faire apparaître très rapidement Applejack et un de mes OCs, Anchor Sail, situant le début du récit au cours du mois que la cow-pony passe à Manehattan dans ma plus grosse fic écrite actuellement. Le souci, c'est que "Rarity takes Manehattan" a un peu cassé ma vision de la ville terrestre avec son ferry passant comme si de rien n'était. Donc, j'ai situé l'histoire cent ans avant.

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Awachich
Awachich : #43180
Magnifique
Il y a 1 an · Répondre

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