Télégramme à Filthy Rich, lundi 28 octobre 1929/Second Récit

-CRISE GRAVE STOP

-SUPERIEURE A JEUDI DERNIER STOP

-DOW JONES EN CHUTE LIBRE STOP

-ACTIONS LIQUIDEES PAR LES ACHETEURS STOP

-PERTE DE PLUS DE 30 PTS DE LA COMPAGNIE STOP

-VENEZ VITE STOP

***

Diamond Tiara poussa les portes boisées d'un sabot énergique, faisant sursauter le petit groupe qui se trouvait à l'intérieur. Humains et poneys, pour la plupart en bras de chemise, cravate défaite, ils n'avaient pas bonne mine. Les barbes de trois jours, les plumes non lissées des pégases faisaient plus que négligées, ne faisant que davantage ressortir le soin parfait que la jeune ponette mettait à sa robe.

Sans dire un mot, Diamond avança au milieu des téléimprimeurs qui vomissaient des mètres et des mètres de papier, crachant des chiffres qui ne voulaient plus rien dire. La pièce puait l'eau de cologne, la fumée de cigarette, et la sueur masculine. La terrestre fronça le museau, mais poursuivit son avancée jusqu'à se placer face à un petit homme au visage rond.

_Et bien ? Demanda t-elle d'une voix extraordinairement calme. Où en sommes nous ?

_Les pertes sont effroyables, mademoiselle, dit l'employé en se massant la gorge. Le Dow Jones est plus bas que jamais, les grandes entreprises sont à terre...on ne fait pas exception.

_Combien ? questionna t-elle simplement.

_Nous avons perdu plus de 40% de notre valeur, annonça un pégase, les yeux rivés sur un télex. Presque tous nos acheteurs ont bradé leurs actions pour une bouchée de pain.

On aurait pu entendre une mouche voler. Diamond alla prendre place près de la table de réunion, ferma les yeux, et se passa le sabot sur le front, comme si elle calculait quelque chose.

_En argent réel, combien de perte ?

Les employés échangèrent un regard lourd de sens.

_Mademoiselle...c'est encore trop tôt pour le dire et...

_Combien ? demanda t-elle une nouvelle fois, plus sèche, rouvrant brusquement les yeux.

_C'est quand nous l'avons dit à monsieur votre père qu'il...

_Je sais très bien ce que mon père a fait, j'étais dans la pièce d'à côté quand son cœur a lâché. Ca ne me dit pas de combien nous sommes dans le rouge.

_De 30 000$, environ, lâcha finalement une licorne, les comptes sous le bras.

Le silence n'avait jamais été si pesant. On avait l'impression qu'un être déplaisant avait annoncé à tous les gens présents dans la pièce qu'ils étaient tous atteints d'une maladie incurable. Et à bien y réfléchir, la métaphore n'était peut-être pas si fausse. Un krach boursier, comme maladie, ça se posait là.

_Il va nous en falloir des New York/Paris pour rentrer dans nos frais, tenta un employé pour dérider l'atmosphère.

Le regard de mort de ses collègues lui fit comprendre qu'ils n'étaient pas d'humeur à plaisanter.

Diamond s'était finalement assise à la table de réunion, marmonnant à voix basse.Si l'on tendait l'oreille, on percevait des chiffres, et des calculs passer entre ses dents. Elle ne semblait pas catastrophée, juste très concentrée. Dans un geste mécanique, un de ses sabots se leva pour remettre en place sa tiare porte-bonheur, mais ne rencontra que des crins bicolores. Oui bien sûr. Elle ne portait plus son bijou depuis son anniversaire. Elle n'était plus une enfant. Elle était une adulte. Et les adultes prenaient les choses en sabot.

_Il faut vendre tout ce qu'on peut pour éponger les pertes, conseilla l'humain au visage rond. Je suis sûr qu'on trouvera encore quelques gens pour acheter du Rich, même à très bas prix. Et puis on peut aussi démanteler les ballons, revendre l'acier à JP Morgan Jr, et...

_On ne vend rien, lança soudainement la jeune jument. On achète.

Les employés se regardèrent, perplexes.

_Vous venez de le dire, poursuivit-elle, on est pas les seuls à être touchés. On ne trouvera personne pour nous racheter dans ces conditions. Et jamais assez pour nous renflouer, non, il faut passer à l'offensive maintenant. Primo, on reprend le contrôle du groupe, je ne veux plus une seule action Rich sur le marché. On rabat tout ici. Ensuite, je veux des achats massifs dans le domaine de l'aviation, je veux toutes les autres compagnies de ballons, je veux aussi qu'on soit en mesure de produire notre propre hydrogène, débrouillez vous pour me trouver des groupes chimiques en crise.

_Nous sommes couverts de dettes, répliqua le pégase. Nous n'avons pas les moyens de...

_Les autres aussi ont des dettes, répondit vertement la terrestre. Et avec tout le marché par terre, ils seront plus occupés à régler les leurs qu'à faire attention à nous. Quand la bourse remontera...

_Elle ne remontera jamais...objecta une voix dans la salle.

_Elle remontera forcément un jour, même si ça doit prendre des années. Quand l'économie ira mieux, et que les cours redécolleront, nous aurons notre concentration verticale personnelle. Vous imaginez ? Plus obligés d'acheter l'hydrogène ou l'acier, tout sera déjà à nous. Nous aurons juste à assurer le transport des passagers et à devenir riches !

Les mots de la fille du patron semblaient à demi-fous mais...ils avaient en eux une lueur d'espoir.

_Mademoiselle, je ne crois pas que votre père accepterait que nous fassions quoique ce soit dans lui parler...

_Mon père est en train de mourir à l’hôpital, répondit Diamond d'une voix froide et chirurgicale. Pour ma part, j'ai 21 ans, je suis majeure au regard de la loi equestrienne et américaine. En attendant le rétablissement de mon père, j'assurerais la direction du groupe.

Les employés partagèrent un hochement de tête affirmatif avant de tous sursauter quand leur nouvelle chef tapa du sabot sur la table.

_Qu'est-ce que vous faites encore là au lieu d'acheter des actions ? Allez zou ! ordonna t-elle en poussant ses troupes vers les téléphones et les télégraphes. Et ne vous inquiétez pas pour vos salaires, ajouta t-elle d'une voix forte, couvrant le brouhaha qui montait dans la salle, la famille Rich a encore largement de quoi vous permettre de nourrir vos gosses.

Diamond Tiara, toute nouvelle PDG de Rich Airship, fit venir à elle du papier à entête, et commença à rédiger avec application.

« Chers Applebloom, et Big Mac. Je vous écris pour vous faire part d'un changement de situation à la tête de l'entreprise... »