Chapitre 11 - Baptême - Partie 2

Chapitre 11 – Baptême – Partie 2

De nous deux, je ne suis pas la seule à être confuse, "Vous nous attendiez ?" je lui demande.

"Et comment, ça va bientôt faire deux semaines que j'ai demandé aux princesses de m'envoyer des renforts de Canterlot pour m'aider dans le poste. Les princesses m'ont informées de votre arrivée il y a peu sur le réseau," dit-il en montrant son ordinateur. Il me pointe du sabot, "Vous devez être Free Will, et... Night Stalker ? Je vous imaginais plus grande."

Je m'apprête à répondre, mais la ponette ne m'en laisse pas le temps, "Capitaine Night Stalker, et je n'apprécie pas réellement qu'on commente ma taille, lieutenant."

"Excusez-moi, capitaine."

"C'est vous qui avez demandé aux princesses à ce que nous venions ici ? Elles n'ont pas vraiment été précises en ce qui concerne les activités de Green Pasturges." Après tout, elles n'ont parlé que de plaintes, je ne savais même pas qu'elles venaient de la garde en elle même.

"Ça me semble assez évident, non ?" Il frappe du sabot sur son bureau. "Vous n'avez qu'à voir ma réceptionniste ou même les poneys qui gardent mon bureau. Je suis prisonnier de mon propre poste ! Pourquoi croyez-vous que je sois resté vague dans le rapport que j'ai envoyé aux princesses ?"

Est-ce que ça veut dire qu'il n'est pas au courant pour l'antenne géante qui transforme les poneys en zombies ? Bon sang ! Je peux la voir depuis la fenêtre du bureau !

"Nous ne sommes pas venues pour régler vos problèmes d'insubordination, lieutenant," intervient Quick Fix. "Si vous vous sentez incapable de faire valoir l'autorité de votre grade, retirez-vous, mais ne nous faites pas perdre de temps !"

"Vous ne comprenez pas ! La majorité de mes gardes sont à la solde des Richs la corru-"

Quick Fix soupire longuement en se posant un sabot sur le front, "Lieutenant, je commence à être fatiguée de vous entendre faire étalage de votre incompétence. Êtes-vous en train de me dire que les bits de quelques uppers valent plus que l'honneur et l'autorité de la couronne ?"

Je ne pensais pas qu'elle prendrait son rôle autant au sérieux, mais je dois bien admettre que ça a son effet, le pégase blêmit légèrement et se met à balbutier des sons incohérents. "Ce- ce ne sont pas les mots que j'ai prononcé, jamais je n'accepterai d'argent sale, ce n'est pas à moi qu'il faut dire ça, mais à mes soldats."

"Assez !" Quick Fix pousse le pégase de son bureau et prend sa place, l'étalon la regarde, le choc inscrit sur son visage. "Ce n'est pas à moi non plus de le leur dire, vous êtes leur supérieur direct, c'est votre rôle de faire respecter la loi et l'ordre dans cette ville. Tout comme dans ce poste." Elle fixe le garde dans les yeux qui tente de se dérober. "Mais puisque je suis ici, autant remettre les choses en ordre."

Elle jette un œil vers l'ordinateur sur le bureau et l'écran s'allume, en même temps, une série de commande apparaît sur sa lunette, puis disparaît presque aussitôt. Derrière moi, un bourdonnement se fait entendre, je me retourne pour voir plusieurs fiches sortir d'une imprimante.

"Rendez-vous utile pour une fois, allez me chercher ces soldats, lieutenant," lui ordonne Quick Fix sans quitter l'ordinateur du regard.

Le pégase n'a pas fière allure, et je le comprends, même si la déception et la réprimande de la ponette blanche ne sont que le résultat de son jeu d'actrice, j'ai le même ressenti que lorsqu'ils viennent de la vraie Night Stalker. Je me revois en bas des escaliers de Canterlot après avoir loupé une marche pour un regard mal placé, ou encore son amertume après la courte visite du village lowcast. Je déglutis bruyamment en repensant à la pégase noire, à moins que le bruit ne vienne de l'étalon à côté de moi.

"Bien, capitaine." Il se saisit des fiches et quitte le bureau.

"Est-ce que je peux savoir ce qu'il se passe, capitaine ?" je demande à l'attention de la ponette, qui n'a toujours pas quitté l'ordinateur. Des lignes et des lignes de commandes défilent sur sa lunette et sur l'écran, je n'arrive même pas à savoir comment elle fait pour suivre autant d'informations.

"Je te fais gagner du temps, venir ici n'était peut-être pas une si mauvaise idée. Je devrais pouvoir occuper la garde ici et faciliter l'opération de Scarlet."

"Ce n'est pas ce que je demandais, capitaine ? Je veux dire, il sait qui je suis, mais il ne vérifie même pas qui vous êtes ?"

Elle lève finalement les yeux vers moi, "Premièrement, il ne faut pas oublier que comme tous les autres, il est implanté, sa liberté d'action a ses limites-"

"Ça n'explique en rien comment vous avez pu vous faire passer pour un pégase noir faisant trois tête de plus que vous," je l'interromps.

Elle souffle et reprend, "sa liberté d'action a ses limites. Et, en dehors des pontes de Canterlot, personne ne sait réellement qui est Night Stalker. Les princesses lui ont simplement dit qu'elle t'accompagnerait, j'ai juste fait le nécessaire pour qu'il pense que c'est moi." Elle tapote sa nuque. "Modifier un fichier ou deux, un jeu de poulain. Si tu veux mon avis, une fois tout ça terminé, Apple Tech devrait vraiment vérifier leurs implants, je n'ai pas de mal à comprendre comment les Richs ont réussis à se mettre la garde dans la poche."

"Moi si, l'endoctrinement n'est-il pas censé empêcher ce genre de chose ?"

"En théorie, oui," répond-elle en reportant son attention sur l'écran. "Ça montre encore une fois l'incapacité de la couronne à se défendre ou bien même de protéger les poneys, pour que même les représentants de l'ordre succombent à l'influence des uppers." Elle pointe un sabot vers la fenêtre, où le ciel a pris une teinte orange vibrante, le soleil couchant envoie sa lumière éblouissante se refléter sur les parties métalliques qui bordent les toits de la ville. "Je dirais que tu as moins d'une heure avant que Scarlet n'intervienne, je serais toi, je me dépêcherais, je m'occupe de la garde, occupe toi de l'émetteur. Est-ce que tu as encore du temps à nous faire perdre où est-ce que tu vas enfin faire quelque chose ?"

A vrai dire oui, j'ai encore quelque chose à demander avant de partir. "Qu'est-ce que vous entendez par, personne ne sait qui elle est ? Sapphire semblait savoir quelque chose."

Elle souffle et se masse les tempes. "Pourquoi est-ce que tu crois qu'elle m'a envoyée pour vous surveiller ? Bien sûr qu'elle ne sait rien, et c'est ça qu'elle trouvait inquiétant. Un jour tu es un poney insignifiant, une simple petite épine dont Scarlet ne semble pas réussir à se débarrasser, le lendemain, cette pégase apparaît de nulle part, tu ne la quittes plus, tu n'avances pas dans ce que te demande Scarlet, et tu te retrouves à traverser le pays avec elle, en direction de Green Pasturges."

Je ne pense pas que ne rien connaître d'elle soit ce qu'il y ait de plus inquiétant chez elle... "Bien sûr que je suis à ses côtés depuis, c'est Scarlet qui m'a demandé de prendre contact avec la garde et de m'approcher des princesses."

"De la garde, pas d'un seul poney qui apparaît par magie, dîne avec des ministres et a droit à des entretiens privés avec les princesses. Et... je..." Elle se racle la gorge et me lance un regard furtif. "Je suppose que ce n'est pas le meilleur moment, mais je suis désolée."

"Comment ça ?"

"Scarlet et Sapphire m'ont envoyée pour te surveiller... et trouver des information sur Night Stalker... Si je n'avais pas perdu votre trace au relais, j'aurais pu intervenir plus tôt..."

Je lève les yeux au ciel exaspérée. Et voilà que ça recommence... "Gardez votre pitié, c'est du passé. Si vous avez été envoyée pour en découvrir plus sur elle, dites moi plutôt ce que vous savez."

"Rien de plus que ce que je viens de te dire, elle est apparue comme ça, et depuis elle ne te lâche presque plus et traîne avec le gratin de Canterlot. Maintenant je te conseille de te dépêcher, l'horloge tourne."

Bien, bien, j'ai compris. Je quitte le bureau pour me diriger vers les escaliers. Les gardes ne sont plus près des portes, en revanche, il commence à y avoir du grabuge dans l'atrium, des sauts de voix arrivent jusqu'ici. Je me penche au dessus de la rambarde, en dessous, plusieurs gardes sont en train d'échanger des mots, tout sauf doux. J'entends des bruits de sabots au dessus, bientôt rejoint par celui du métal contre le métal, puis c'est la panique. En l'espace d'un instant, l'atrium se transforme en champ de bataille.

Les gardes, en armure ou non se jettent les uns sur les autres, certains donnent du sabot, d'autres des dents – je me pousse rapidement pour éviter un jet de magie qui vient brûler le papier peint blanc derrière moi. Ok, je pense que je vais éviter l'atrium. Je continue ma route le long du balcon en prenant bien soin de frotter au plus possible contre le mur. Le puits du hall s'est transformé en un vrai spectacle son et lumière, les jets de magie continuent à passer d'un étage à l'autre, parfois suivi d'un cri, ou plus déroutant, d'un poney. Non, je ne parle pas de corps, mais de pégases. Bien que certains semblent en manquer l'attribut principal.

Oui, il doit probablement y avoir des corps dans le tas- Le mur à mon côté explose et un poney est projeté à travers le couloir. Je n'ai même pas le temps d'identifier son espèce qu'il va s'écraser contre la rambarde et disparaît dans le puits. Je ne l'entends même pas crier à travers le brouhaha ambiant.

"Vous, là !"

Je me retourne rapidement vers le trou dans le mur, une licorne blanche entourée de deux pégases armés de lances me fixent, le regard mauvais et la tête baissée. Un arc électrique parcours le manche de chacune des lances et des étincelles apparaissent sur la corne de la jument. Si j'ai bien retenu mes leçons et que mon instinct de survie fonctionne correctement, ça ne veut dire qu'une seule chose. Je dois dégager d'ici, et vite !

Mon poil se hérisse lorsque le jet électrique des lances me loupe de peu, je sursaute sous la sensation me picotant et la boule de feu passe sous mes sabots, assez près pour roussir le bandage de ma jambe gauche.

"Hé, stop !" s'écrie le pégase sur la gauche. "Je crois qu'elle était avec Blue Key tout à l'heure !" Hein, quoi ?

"T'es sûr ?" demande la licorne sans lever la tête. Une nouvelle vague d'étincelle parcourt sa corne, et le pégase répond du tac au tac.

"Ouais, sûr, je crois que c'est elle."

"Faut savoir, t'es sûr ou tu crois ?"

Un nouveau jet électrique venant de l'autre pégase me rappelle que je n'ai pas vraiment intérêt à rester dans le coin. Je tourne sur mes sabots et m'apprête à retourner au bureau au trot, mais une boule de feu me coupe dans mon élan.

"Ouais, c'est elle !" répète le pégase.

Je reprends rapidement mon souffle, mes yeux rivés sur le morceau de balcon qui a entièrement été consumé par le sort. Je peux voir le combat qui a lieu en dessous. Les ébrouements sont accompagnés de coups de lances et d'épées. Les poneys multicolores ont maintenant tous une teinte en commun, et à voir ceux qui gisent au sol, je n'ai pas trop de mal à imaginer d'où elle vient. Si c'est ça que compte faire Scarlet à toute la ville, alors oui, j'ai plutôt intérêt à régler le problème de l'émetteur avant d'en arriver là. Au final, mettre la ville à feu et à sang ne me semble plus être une si bonne idée, en moins d'une minute, je crois avoir vu assez de sang pour la soirée.

Je plie mes pattes arrières, prête à bondir pour échapper aux trois poneys quand-

"Attendez !" crie la licorne. "On va vous faire sortir d'ici."

Un des deux pégases s'approche d'une fenêtre, d'un coup de pattes arrière, il l'envoie voler dans la rue. Je pense que simplement l'ouvrir, ou encore la casser aurait suffit. Faire voler le cadre hors du seuil, c'est de l'excès de zèle. Qu'est-ce que les fenêtres ont bien pu faire aux pégases ?

"Qu'est-ce que vous voulez dire par me faire sortir d'ici ?" je m'entends demander avant même de réfléchir.

"A moins que tu veuilles passer par l'atrium, je pense qu'il serait plus sûr de passer par la fenêtre."

Ben oui, bien sûr, c'est tellement évident... "Au cas où vous ne l'auriez pas remarqué, je n'ai pas d'ailes..." je pointe en regardant chacun de mes côtés.

"Nous si," disent les deux pégases à l'unisson.

Je n'ai pas le temps de protester que je me sens tirée vers le trio. Hé ! Je n'aime déjà pas qu'on me touche, alors la magie, c'est non ! J'essaye de me débattre, mais mes sabots glissent sur ce qu'il reste de la moquette rouge du bureau tandis que l'aura dorée m'entraîne vers les trois gardes.

La licorne s'éponge le front, "Arrêtez de vous débattre, et venez par ici, on gagnera du temps. On est avec Blue Key, on va vous aider à sortir d'ici."

Elle dit ça, mais son aura ne me lâche pas. Laissez-moi au moins le temps de-

"Ouf ! Bon sang, elle est lourde !"

La panique vient soudainement m'envahir, un corps chaud se plaque contre mon dos, suivi de deux sabots pour passer sous mon ventre. Une goutte de sueur froide coule sur mon front au contact du poney sur ma peau, sans même réfléchir, je m'ébroue et envoie un coup de sabot derrière moi.

"NE ME TOUCHEZ PAS !!" je m'égosille en me retournant, prête à réduire mon assaillant en bouillie sous mes sabots.

Le pégase se traîne rapidement au sol, essaye de se relever mais trébuche. Je lève ma patte, néanmoins une aura dorée l'empêche de retomber sur mon agresseur. "NE ME TOUCHEZ PAS !!" je répète, je mets toute ma force dans ma patte, je sens mon sabot se dérober lentement de l'aura, avant que celui-ci n'ait le temps de retomber, le poney noir se relève, récupère sa lance et la pointe dans ma direction. L'arc bleu parcourt son manche, puis sa lame. Lorsque le jet électrique la quitte, il vient juste me brûler la joue, le choc me fait sursauter et je prends soudainement conscience du sifflement dans mes oreilles. La rage disparaît tout à coup pour être de nouveau noyée sous le chaos des combats, dans le reste du bâtiment. Puis je m'écroule.

Le pégase noir essaye à nouveau de pointer sa lance dans ma direction, mais l'aura qui l'a repoussée la retient toujours. Je roule en boule, la tête entre les sabots. Je sais que ce n'est pas le moment, mais c'est plus fort que moi. Il est plus petit, mais c'est elle que je vois, c'est elle que j'ai senti, ces simples sabots autour de mon corps étaient plus douloureux que la brûlure sur ma joue. "Ne me touchez pas," je m'entends sangloter. Je me sens sale. Je ne veux plus qu'elle me touche.

"Elle est complètement folle !" Pourtant, ce n'est pas elle, certainement pas elle, c'est la voix d'un étalon qui sort du poney.

"Et alors ? Tu veux faire quoi ? Si on la laisse ici et qu'il lui arrive quelque chose, on va passer un sale moment, "dit la licorne.

"On est déjà en train de passer un sale moment au cas où vous ne l'auriez pas remarqué. Dès qu'on aura quitté ce bureau, faudra rejoindre les autres, si vous voulez la faire sortir, démerdez-vous sans moi." Puis il quitte ce qu'il reste de la pièce.

"On fait quoi ?" demande l'autre pégase, une jument.

"Tu te sens de la porter ?" lui demande la licorne.

"Euh... non ? Elle a vraiment l'air de peser lourd, et après ça, laisse tomber, je ne m'approche même pas d'elle."

"Bon, on dirait que je ne vais pas avoir le choix, prépare-toi quand même à la rattraper si je la lâche." J'entends des bruits de sabots se rapprocher de moi, l'un d'eux vient me pousser sur l'épaule. "Hé, vous pensez que vous pouvez vous lever ?" Elle n'attend pas que je lui réponde et reprend. "Écoutez, je vais essayer de vous faire léviter jusqu'à la rue. Ça m'arrangerait énormément si vous pouviez coopérer, et qu'aucune de nous ne se fasse estropier avant d'aller au combat, ça va aller ?"

Je relève légèrement la tête et m'essuie le coin des yeux. "J-je crois, oui," je parviens tout juste à lui répondre. Je me relève et prend une grande inspiration, puis m'approche de la fenêtre, ou plutôt du trou qui mène à l'extérieur.

"Bien," commence la licorne. "Je vais essayer d'y aller lentement, laissez-vous faire et ne vous débattez pas."

Je hoche de la tête, elle baisse la sienne, sa corne s'illumine et son aura commence à m'entourer. Je me sens lentement soulevée du sol, c'est assez déboussolant, d'autant plus que je la sens hésiter, je n'ai pas besoin de me débattre pour me sentir instable, je ne suis qu'à quelques centimètres du sol et je crains déjà la chute.

"Un peu d'aide ?" demande la licorne à la pégase.

Cette dernière se place devant moi, les yeux froncés. "A la première bizarrerie, je te lâche, compris ?" Je ne pense pas qu'elle attende vraiment de réponse.

Elle passe ses pattes avant sous les miennes pour me soutenir, puis nous franchissons toutes les deux la fenêtre. Elle donne de grands battements d'ailes pour me soutenir tandis que nous descendons lentement. Bientôt je ne vois plus la licorne, il n'y a plus que la pégase et le mur de la station. C'est à ce moment là qu'une explosion souffle ce dernier. La pégase et moi nous prenons une volée de briques dans la figure qui nous envoie nous écraser dans la rue.

Les rares passants qui restent encore dehors nous regardent les yeux écarquillés, j'essaye de me relever, mais je suis encore sonnée. J'ai comme une impression de déjà vu, la seule différence étant que cette fois, je suis encore consciente, et en dehors de ma joue, et du bandage de mon sabot, je n'ai aucune autre brûlure. Je ne peux pas en dire autant pour la pégase, c'était elle qui faisait dos au mur, elle a une aile pliée dans un angle qui me fait tirer la grimace, et il manque pas mal de poils sur son dos.

Pour autant, elle ne semble pas être celle qui a le plus pris. Je peux voir des jambes dépasser de sous les décombres, et d'autres poneys allongés dans la rue, probablement fauchés par des briques après l'explosion. Un lourd craquement vient remplacer lentement le bourdonnement dans mes oreilles, je tourne mon regard vers le trou béant qui se tient maintenant dans le poste de garde. Si la licorne était toujours dans le bureau au moment où ça a sauté, il ne doit plus rester grand chose d'elle, même les combats dans la partie inférieure se sont calmés, quasiment tous les gardes ont été mis au sol sous le souffle. Le craquement se transforme en grondement, un morceau du toit accompagne les quelques débris qui continuent de tomber.

Et un instant plus tard, dans un puissant tremblement qui me fait rebondir sur le sol, le bâtiment disparaît dans un nuage de poussière, couvrant le cri des passants qui se sont remis du premier choc. Je réussis finalement à me relever lorsque le nuage de poussière commence tout juste à se dissiper, le squelette des murs porteurs se dessine à travers les derniers rayons du soleil.

Bordel ! Quick Fix !

"Quoi ?" Je sursaute lorsque sa voix résonne dans ma tête. La lunette ! J'avais presque oublié que je la portais encore ! Enfin, ce qu'il en reste, la partie inférieure de l'écran a complètement disparue, et le peu qui tient encore à la monture est complètement fissuré. "Qu'est-ce que tu fais encore là ? Tu devrais déjà être en train d'infiltrer le bâtiment principal, bouge-toi le cul !"

"Où est-ce que vous êtes, vous allez bien ?"

"Pas le temps de t'occuper de ça, bouge-toi !"

Je secoue la tête pour me débarrasser des derniers étourdissements du choc. C'est plus efficace qu'avec le reste des poneys qui sont toujours là, les yeux écarquillés sur ce qu'il reste des ruines. Ah, je suppose que l'endoctrinement ne doit pas savoir comment les faire réagir face à ce genre de situation. Je l'ai déjà vu aux infos, après un attentat, il y a toujours des poneys qui restent sur place, le regard dans le vide, sans bouger. Mais je n'ai pas le temps de m'occuper d'eux, si je pars au galop maintenant, je devrais pouvoir être dans la station des Richs juste avant la tombée de la nuit. Cependant, il faut que je récupère ma combinaison avant ça, je doute que les Richs ne soient pas en alerte après l'effondrement de la caserne.

Chacun de mes muscles me rappellent leur présence à chaque fois que l'un de mes sabots touche le sol pendant que je cours vers ma suite. Plus particulièrement mon sabot avant gauche. Le bandage a disparu, et j'ai l'impression qu'on essaye de l'écarteler à chaque nouveau saut, je n'ose même pas baisser la tête pour voir dans quel état il se trouve. J'ai laissé la jument là-bas, elle venait de se réveiller et se tenait en gémissant, je partage sa douleur, je suis passée par là, mais je ne suis pas les princesses, je ne peux rien pour elle.

J'arrive enfin en face de la porte défoncée de la suite, que j'ouvre d'un coup de sabot, je fonce vers le placard où se trouve ma combinaison. J'essaye de l'enfiler tant bien que mal, me contentant de serrer la mâchoire lorsqu'elle vient se serrer contre mon corps, contre le sens du poil, je force du mieux que je peux, mais il n'y a rien à faire, je n'arrive pas à faire sortir ma queue de la combinaison. Un coup d'œil rapide vers l'extérieur m'indique que tant pis, aussi inconfortable que ce soit, je n'ai plus choix, je devrai faire avec, je n'ai plus de temps.

"C'est pathétique," annonce une voix hautaine en face de moi.

L'ombre de Nightmare Moon se dessine en contre jour, me coupant de la lumière extérieure. Maintenant ? Je n'ai vraiment plus de temps, et certainement pas pour ça.

"Ferme les yeux et respire, puis contente-toi de lever ta queue d'un coup sec."

Je la regarde en haussant un sourcil, regard qu'elle me renvoie. Je ferme les yeux et m'exécute, je retiens un cri de surprise lorsque ma queue sort d'un seul coup de la combinaison, me soulageant au moins d'une douleur pour la soirée. J'espère juste que la suite n'en annonce pas d'autres.

"Maintenant, vide tes poumons et contracte tous les muscles de ton corps."

Je le fais, et un à un, mes poils reprennent leur position, la pression dans ma mâchoire augmente sous la sensation désagréable. Bientôt rejoint par un grognement de douleur sous la pression de mes muscles endoloris.

Nightmare Moon s'écarte du seuil de la porte et me fait signe de la tête de sortir. "Dépêche-toi, le bain de sang n'était peut-être pas une si bonne idée, je pense que nous apprécierions si la journée pouvait se terminer sans plus de victimes."

Je n'attends pas qu'elle me le demande une seconde fois, je m'empresse de quitter la suite, jusqu'à ce que je me retrouve dans le parc, où je pars en direction du bâtiment principal au galop. A mon côté, l'ombre de Nightmare Moon continue de suivre, sans dire un mot, et au loin, vers le centre ville, le nuage de fumée et de poussière du poste de garde continue de s'élever. Pour autant, la ville reste étrangement silencieuse, même les criquets ne semblent pas vouloir chanter l'arrivée de la nuit.

Une ombre ? Donc ce n'était pas que le contre jour ? "Qu'est-ce qu'il vous arrive ?" je finis par demander à la jument.

"A moi, rien. Mais avec ta lunette dans cet état, je suis déjà surprise que tu puisses encore me voir."

C'est vrai que ce n'est plus qu'une tige de plastique d'où pendent des morceaux de verre, ce doit être plus dangereux qu'autre chose. Je m'arrête pour m'apprêter à l'enlever quand-

"Arrête !"

"Quoi encore ?"

"Je te rappelle que nous avons un marché, en échange de mon aide, tu me permets d'exister, n'enlève pas cette lunette." Elle siffle les derniers mots entre ses dents.

"Non, je ne me rappelle que nous ayons passé un marché ni avoir donné mon accord pour quoi que ce soit." Je passe un sabot derrière ma tête pour la débrancher, mais un fort picotement dans la nuque et un rapide étourdissement m'arrêtent.

"Et je ne me rappelle pas t'avoir laissé le choix." Gronde-t-elle.

"Je n'en ai même pas besoin pour vous voir !" je m'exclame dans sa direction. "Elle est complètement pétée et vous êtes quand même là ! J'ai déjà un sabot en moins, j'aimerais me réveiller demain avec mes deux yeux !"

"C'est mon aura que tu vois," siffle-t-elle. "Sans la lunette, c'est retour à la 'voix dans ta tête', et je ne m'abaisserai certainement pas à ça. GARDE TA LUNETTE !"

Une vague de froid me parcourt le corps de la nuque à la queue, suivit d'un picotement électrique qui me fait rentrer la tête dans les épaules sous son éclat de voix. Je ne pense pas que ce soit le moment de lui demander pourquoi son aura est noire.

La forme de sa tête se tourne vers l'ouest, où le soleil a maintenant disparu, ne laissant derrière lui que le ciel orangé autour de la silhouette de Canterlot qui se distingue sous les hologrammes qui commencent à s'illuminer.

"Tu n'as plus beaucoup de temps, je te suggère vivement de faire vite."

Et vite, je compte bien le faire. Après un hochement de tête, je repars au galop. Les coussinets de la combinaison amenuisent la douleur dans ma patte gauche et me permettent de courir plus vite, jusqu'à ce que j'arrive devant l'une des entrées de secours. Si je me souviens bien du plan, derrière celle-là, il devrait y avoir la zone qui n'était pas affichée, ça devrait me rapprocher assez de l'émetteur. J'active le talisman, me retourne et donne un grand coup de sabot dans la porte. Je ne ressens presque pas le choc quand celle-ci est envoyée hors de ses gonds pour glisser à l'intérieur d'un long couloir sombre.

Puis la sirène se met à retentir –bien sûr, il fallait qu'elle soit reliée à l'alarme à incendie... Et merde, c'est un coup sûr pour rameuter du monde par ici. Je galope le long du couloir, sans trop savoir où aller, les murs blancs de chaque côtés sont les mêmes où que je regarde, presque pas de portes, et seulement quelques extincteurs par-ci et là. J'essaye de m'arrêter à l'entrée d'une intersection, manquant de peu de rentrer dans un groupe de poneys en costumes noirs, certains armé de matraques, d'autres... tiens... d'extincteurs... Je suppose que je ne devrais pas être étonnée, avec l'alarme qui continue de retentir.

"Vous avez trouvé d'où ça venait ?" demande l'un des poneys, un étalon noir à la crinière marron.

"Non," répond une licorne marron à la crinière grise. "Les portes coupe-feu se sont fermées et c'est le calme plat dans le reste de l'hôtel."

"Les capteurs n'ont détecté aucun début d'incendie ni de fuite de gaz," intervient un troisième poney. Bon sang, avec leur couleur foncée, on croirait qu’un groupe de brûlés s’est décalqué sur les murs blancs. "Il ne reste plus que l'équipe qui vérifie les issues de secours. On fait quoi du coup ? On commence l'évacuation de l'hôtel ?"

Le premier poney se passe un sabot sur le menton, mon sang se glace lorsqu'il se tourne dans ma direction et me regarde droit dans les yeux. "Vous avez senti ça ?" demande-t-il aux quatre autres poneys.

"Senti quoi ?" lui demande l'un d'eux.

"N'évacuez pas, faites juste taire cette putain d'alarme, et prévenez monsieur Rich qu'on a peut-être une intrusion." Il se tourne vers la licorne et un terrestre baraqué. "Vous deux, retournez à la salle de contrôle, amenez avec vous tous les autres que vous croiserez. Et vous deux," il pointe deux autres qui se sont contentés de rester légèrement en retrait. "Avec moi, je veux qu'on fouille chacun de ces couloirs et chacune de ces pièces, je suis sûr que quelqu'un est entré."

"Baisse-toi !"

Je sursaute à l'exclamation de Nightmare Moon et m'affale aussitôt au sol, évitant de justesse le coup de moulinet que l'étalon vient d'envoyer dans le vide que j'occupais il y a un instant.

"Comment ?! Je croyais que j'étais invisible !"

"Et tu l'es, ce poney doit avoir des sens affûtés, et regarde, tu ne trouves rien de bizarre ?"

Je me retourne vers l'étalon en question alors qu'il continue de donner des coups dans le vide en longeant le couloir. Les deux poneys qui l'accompagnent font de même, mais en effet, en ce qui concerne l'étalon noir. A chaque fois que sa crinière se soulève je remarque l'absence d'un certain appareil sur sa nuque.

"Pourquoi les Richs emploieraient un lowcast ?"

"Pose-toi une autre question, qu'est-ce qu'un lowcast gagnerait à travailler pour les Richs ?"

Pourquoi est-ce que je me poserais cette question : c'est évident. Pourquoi est-ce que n'importe quel poney travaillerait pour les Richs : pour l'argent bien évidemment. Elle a beau être la corporation ayant la pire réputation du pays, et probablement même à l'étranger, Rich & Daughter reste celle qui paye le mieux. A condition de travailler assez longtemps pour elle pour en profiter...

"Et qu'est-ce qu'un lowcast avec de l'argent selon-toi ?"

"Un poney avide ? Une raison de plus de les soumettre à l'endoctrinement ? Aïe !" Je me cache rapidement la bouche derrière mes sabots et regarde frénétiquement autour de moi. L'alarme semble avoir couvert ma voix, et les poneys en noir semblent assez loin pour ne pas m'avoir entendu. Merde ! Si je veux trouver l'émetteur, je ferais mieux de suivre la licorne ! La voilà, elle est partie au galop dans le couloir de droite. Je me lance à sa poursuite accompagnée du ton désapprobateur de l'alicorne.

"Idiote, si tu veux faire quelque chose d'illégal, et que l'endoctrinement t'en empêche, comment s'y prendre ?"

"Est-ce qu'on pourrait avoir cette conversation plus tard ? Quand j'aurais fini de courir par exemple ?"

"Non, il faut aussi que tu t'entraînes à te concentrer. Réponds à la question."

"Je suis tout à fait en train de me concentrer : à courir. Si je ne trouve pas la salle avant eux, je vois difficilement comment je vais réussir à rentrer." Et puis merde aussi. Pourquoi c'est toujours à moi de répondre aux questions alors que personne ne répond aux miennes ? Je me fiche de savoir que les uppers sont aussi soumis à l'endoctrinement, ce qui en un sens les empêche de faire quoi que ce soit d'illégal. Donc forcément, s'ils veulent parvenir à leur fin, avoir recours à des lowcasts est la solution d'excellence : ils ne sont même pas reliés au grand réseau, ce qui limite grandement le risque de fuites.

L'alarme s'arrête, et moi aussi, bien que la combinaison continue de me faire avancer sur quelques mètres le long du couloir glissant. Je jurerais que j'ai entendu un sabot frapper quelque chose de dur. Mais le seul son de sabots que j'entends est celui des deux poneys que je poursuis. Tous les deux ont toujours plusieurs mètres d'avance sur moi. Distance qui ne cesse de diminuer alors qu'ils ralentissent et que je continue de glisser sur le sol.

"Mmh... Quick Fix ?"

"Quoi ?"

"Je crois que j'ai trouvé la salle de contrôle de l'émetteur." Je me laisse glisser sur le ventre pour ralentir, ma glissade se termine enfin à deux foulées des deux poneys qui gardent maintenant une porte. Une simple porte, qui ne se démarque en rien des autres. Non, vraiment rien. Si je ne savais pas ce que je faisais ici, ou que je n'avais pas croisé les autres gardes un peu plus tôt, je pourrais aussi bien croire qu'ils interdisent l'accès à un placard à balai.

"Bien, elle est sécurisée ?"

"Oh, ça pour être sécurisée, elle l'est."

"Je préviens Scarlet, on a quasiment terminé de prendre le contrôle de la ville, bon boulot."

"Bon boulot ?" Oh, c'était plus simple que je ne le pensais.

"Free Will..." Tiens, ma ponette rouge préférée. Je sens comme une légère tension dans sa voix. "L'émetteur est bien sécurisé ? En notre possession... ?"

"Sécurisé, je confirme. Vous pouvez définir en notre possession ?" Ah ! Là je suis sûre de l'avoir entendu ! Ce sabot qui tape contre quelque chose !

"Je me fiche de savoir que tu as trouvé l'émetteur ! Bouge toi le cul et prends-en le contrôle ! On a presque terminé là dehors, qu'est-ce que t'attends ?!"

Je serre les dents et me retient ne pas crier en retour. "Et je suis censée faire comment ?! La salle est gardée !"

"Et alors ? Tu n'as rien appris pendant que tu étais à Canterlot ?" Non, désolée, je n'ai pas appris à me battre et encore moins contre des poneys armés. "Je savais que je ne pouvais pas compter sur toi. Des renforts sont déjà en route. Essaye au moins de faire en sorte que tout soit prêt quand ils seront arrivés."

Hmpf, que tout soit prêt, elle est bien gentille, qu'est-ce qu'elle veut que je fasse ? La licorne a sa matraque déjà déployée dans son aura et regarde autour d'elle aux aguets. L'étalon qui l'accompagne aussi, il tient la sienne, munie d'une poignée, dans la bouche. Une petite décharge vient crépiter au bout de temps à autre. Rien que le bruit du claquement me suffit à grincer des dents et à me dissuader de tenter quoi que ce soit.

Ils sont tellement collés à la porte que si elle venait à disparaître, je suis sûre que leur vie n'aurait plus de sens. Ce n'est même pas la peine de songer à passer entre eux pour essayer d'entrer en douce. Même un cafard n'aurait pas la place de passer tant ils sont serrés. Je suis même étonnée qu'ils ne s'assomment pas à bouger leur tête de droite à gauche pour scanner le couloir.

Hé ! C'est une idée. Je m'approche d'eux en leur faisant face, je tends chacun de mes sabots avant et m'apprête à les assommer l'un contre l'autre-

Mon sabot a tout juste fait contact avec le visage de la licorne que je me retrouve plaquée sur le dos au sol, le souffle coupé et une vive douleur me parcourant tout le dos en explosant dans ma tête. J'enregistre tout juste le son d'un claquement de fouet, qui vient brûler chacun de mes muscles tandis que ma gorge s'embrase et ma langue explose en un feu d'artifice. Le bâton vient me frapper à la tempe, le paysage lunaire n'est pas là, mais je vois clairement les étoiles. Je n'ai pas le temps de déglutir que ma langue s'embrase de nouveau pour bloquer ma gorge, mes jambes gigotent d'elles même, je rebondis sur le sol comme un poisson sorti de l'eau. Je n'arrive même pas à me protéger le visage alors qu'un nouveau coup de bâton vient me frapper au museau.

"Par ic-"

J'entends crier au loin, pourtant, la licorne est juste devant moi, mais si distante. Un liquide chaud vient m'asperger le visage et me rentre dans la bouche. Le goût cuivré vient se mélanger aux pépites qui continuent de grésiller sur ma langue, j'essaye de cracher, mais une masse vient m'écraser de tout son poids me faisant perdre le peu de contrôle qu'il me reste de mes poumons.

Cette fois, le bâton ne fait que tomber, et reste là, immobile en travers de mon museau.

Je redescends lentement sur terre, la gorge en feu et incapable de respirer sous le poids qui m'écrase. Les jambes toujours groggy par les chocs électriques, j'essaye de pousser la chose allongée sur moi. Le corps du poney finit par rouler sur le côté, la lance enfoncée dans son torse à sa suite et quittant mon visage.

La nausée vient me retourner l'estomac quand je vois ses yeux, la jument continue à me suivre du regard alors que la brume commence à les rendre vitreux. L'étalon, lui, est déjà mort. Seuls les crépitements électriques de la lance qui lui sort du crâne continuent à faire trembler son corps.

Je me passe un sabot tremblotant devant la bouche pour retenir un haut le cœur. La manche de la combinaison a pris une teinte plus noire que grise en essuyant le sang qui me dégouline littéralement du museau. Je n'arrive même pas à savoir si c'est le mien ou celui de la licorne. Ni même si le liquide chaud dans lequel je suis allongée vient de sa blessure qui continue de se vider, ou de ma vessie, qui elle a déjà terminé.

Urgh, je suppose que ces combinaisons doivent être imperméables. Si je suis mouillée, ça ne doit pas venir de la licorne... J'ai vraiment besoin de prendre une douche. Depuis quand je n'ai pas pris de douche ? Une bonne douche chaude. Une longue douche chaude. Celles dont je ne me lasse jamais, celles sous lesquelles je pourrais m'endormir sans même couper l'eau. Je lève une patte et me renifle. Mon museau se plisse par réflexe. Ça... ça ne peut pas venir que de ce soir. C'est ainsi que ça me frappe ! La dernière fois que j'ai pu me laver correctement, c'était à Canterlot ! Y'a bientôt une semaine !

Un nouveau choc venant de ma nuque m'envoie dans les étoiles, et ma tête retombe au sol, maintenant écarlate.

"Je comprends parfaitement que tu puisses être choquée, mais je pense que tu devrais te dépêcher avant que les autres n'arrivent." Mon meilleur cauchemar me sort de ma contemplation.

"Quels autres ?"

Je me tourne dans la direction d'où sont venues les lances. Par là bas aussi le sol devient écarlate, il y a aussi des éclaboussures sur les murs. Mais puisqu'elles viennent des matraques qu'un amas de poneys en noir s'acharnent à abattre dans un bruit de fracas et de chair écrasée, je doute que ce soit l'un d'eux qui soit à terre. "Euh... ils ne font pas dans la demi-mesure. Qui s'acharnerait à frapper jusqu'à repeindre les murs ?"

"Ce n'est pas le moment de penser à ça, et si tu ne veux pas finir toi aussi en pot de peinture, je te suggère de terminer ce que tu es venue faire très rapidement."

Très bonne suggestion. J'approuve. Mes muscles endoloris, mon visage tuméfié et l'œil gauche qui pour une raison qui m'échappe refuse de s'ouvrir semblent approuver aussi.

Dans un effort pour éviter de glisser dans le mélange visqueux qui a remplacé le carrelage avec mes pattes tremblantes, je me relève et boite vers la porte. Tiens, celle-là est restée blanche. Ah non, il y a du rouge dessus aussi. 'Int- Interdit au P-' poneys ? Mince, je suis un poney pas vrai ? Ah, non plus –'P... Perso... nel... non... Au-' Oh... 'Auto- risé...' Ahahaha, je suis sûre que le taco de Night Stalker est la risée de toutes les autos...

"Dites, Nightmare, est-ce qu'en tant que poney je suis la risée d'Otto ?"

"RENTRE !"

Son rugissement suffit à me redonner la force nécessaire pour m'exécuter. En un seul mouvement, je me retrouve à l'intérieur d'un petit vestibule, une chaise placée en travers de la poignée pour bloquer la porte. Il fait sombre. Très sombre. La seule source de lumière provient de plusieurs petits voyants qui clignotent... ou pas, si si, ceux là clignotent. Mais pas ceux-là... Je plisse mon dernier œil valide pour essayer de comprendre le sortilège qui semble affecter ces étranges petites loupiotes.

"Une fois que tu auras allumé la lumière, il faudra aussi t'éclairer l'esprit..."

"Esprit vous-même d'abord. Et où est la lumière ?" Là, c'est l'une des petites loupiotes qui ne clignote pas. Aussi la seule à côté de la porte, accessoirement.

Un torrent de lumière enflammée vient s'engouffrer dans mon œil droit lorsque j'appuie sur le bouton. Je le savais ! C'était un piège !

Finalement, le néon solitaire au plafond, dans un dernier tintinnabulement, décide de me porter le coup fatal en refusant d'alterner sa luminosité. Mais j'ai une botte secrète ! Je cligne plusieurs fois de l'œil et le frotte avec ma patte. AH ! Free Will, un, néon, zéro ! Je pense aussi qu'il va falloir que je fasse vérifier mes oreilles. J'entends encore ce bruit de sabot. A moins que ce ne soit celui des poneys qui frappent contre la porte.

La forme fantomatique de Nightmare Moon pousse un long soupir, et quelque chose de long qui ressemble à une patte semble quitter son visage. "Mets-toi au travail, c'est bientôt terminé."

Je me retourne, après ma victoire contre la lumière, je me sens d'attaque pour vaincre la machine diabolique qui m'attend dans la pièce. La grande endoctrineuse, la faiseuse de zombies, l'abomination upper. Qu'elle vienne ! Je suis prête ! Je suis-

Désespérée. Avant même que je ne m'en rende compte, je suis écroulée au sol, ma tête reposant sur la console, unique autre occupante de la pièce. Une putain de console. Juste ça. Elle n'a rien d'extraordinaire. C'est une console banale comme Apple Tech en fabrique depuis des siècles, comme les poneys d'antan en faisaient avant le MAI. Ce n'est que ça, un émetteur radio. Une simple machine. Des larmes de colère, de fatigue et de douleurs s'échappent de mes yeux, d'elles-mêmes.

"Juste pour ça ?!" C'est ce que j'ai envie de crier, mais la boule dans ma gorge et la brûlure laissée par la matraque empêchent tout son de sortir.

"Je suis fatiguée..." Même dans ma tête, ma voix doit paraître épuisée.

"Je sais." La voix de Nightmare Moon est presque chaleureuse, comme lorsque nous sommes sur la Lune. Pourtant, cette fois, même si je le voulais, je ne suis pas sur la Lune. Je suis en Equestria. Le pays où les poneys tuent pour une simple console... "Finis juste ça, et je te le promets, tu pourras dormir."

"Qu'est-ce que je dois faire ?" je lui demande en tournant les yeux vers sa forme fantomatique.

"Connecte ton implant à la console."

"Quoi ?!" Comment est-ce qu'elle peut dire ça aussi calmement ? Aussi... simplement ? Cette chose est censée bidouiller dans la tête des poneys. Changer leur comportement. Et ceux, sans même les toucher ! "Il est hors de question que je me connecte avec cette chose !"

Je serre les dents et m'apprête à ressentir une nouvelle décharge de mon implant, mais rien ne vient. "Souviens-toi de la raison les princesses t'ont envoyée ici. Tu n'es pas soumise à l'endoctrinement. Et je suis là pour te protéger," rajoute-t-elle après une courte pause.

"La dernière jument qui m'ait dit ça a failli me violer..."

Elle semble hésiter un instant, et le bruit des sabots contre la porte viennent résonner dans ma tête. "Je n'ai pas de corps." finit-elle par répondre.

"Ce... ce n'est le pas le genre de contre-argument auquel je m'attendais..."

Un craquement retentit derrière moi, à mon horreur, je vois que la porte a commencé à céder sous les coups. A plusieurs endroits, des dentures, toutes reliées par des fissures de plus en plus profondes se sont dessinées.

Je m'empresse de sortir le kit de connexion que je branche à ma nuque. Je n'ai absolument aucune idée d'où brancher l'autre bout sur la console. Je finis par trouver un port près de l'unique moniteur, je doute qu'il ait été conçu pour ça, mais qui ne tente rien n'a rien. La prise entre dans le port, et je ferme les yeux sous la sensation plus que désagréable. Cette chose est en train de m'aspirer la tête ! Je me sens vidée, comme si mon esprit essayait de quitter mon corps, mais quelque part, des millions de fils essayent de tout retenir, en m'arrachant au passage chacun de mes neurones.

"Serre les dents, ça va être désagréable." Quoi ?! Parce que ça, ça ne l'est pas encore ?!

"Tu es reliée à un émetteur qui essaye de jouer le rôle de l'endoctrinement pour des dizaines de milliers de poneys, pour émettre... il faut qu'il ait quelque chose à envoyer. C'est cette sensation d'aspiration que tu as. Je t'avais dit que tu aurais besoin de moi et que je te protégerais. Maintenant. C'est à moi de te poser la question, qu'est-ce que tu veux faire ?"

Oui, je serre les dents. A tel point que chacune des veines de mon visage qui ne l'a pas encore fait, se retrouve sur le point d'exploser. J'ai un mal fou à exprimer ma pensée suivante. "Qu'est-ce que je veux faire ?"

"C'est ton premier coup de pinceau pour le nouveau monde, Free Will, tu peux récupérer le programme et en faire ce que tu veux. Tu peux le détruire maintenant, ou encore le laisser en état pour que les Me en prennent possession. Qu'est-ce que tu choisis ?"

Quoi ? Il faut que ça parte comme ça, le genre de choix existentiel pour lequel aucune décision n'est la bonne réponse ? Ce sera quoi ensuite ? Choisir entre la vie d'un poulain et l'avenir de milliers de poneys ?

"Prend tout ton temps, je suis sûre que la porte va tenir encore longtemps."

Il fallait qu'elle dise ça... au même moment, la porte part en éclat et la chaise vient me couper l'herbe sous les pieds. J'ai tout juste le temps de me retenir, dos à la console, dans une position des plus inconfortables. Une armée de poneys sombres en costumes noirs me fixe d'un air des moins amicaux.

La plupart ont leur matraque sortie, mais le seul à être rentré, le grand étalon noir, tient, lui, quelque chose d'autre, que je n'arrive pas à identifier. Une sorte de longue arbalète à laquelle on aurait oublié de monter l'arc et le carreau. Au lieu de ça, un long tube métallique me fait face, surmonté d'un viseur. Je ne sais pas ce que c'est, mais une chose est sûre, je n'aime pas que ce soit pointé dans ma direction.

"Dépêche-toi." Insiste Nightmare Moon.

L'étalon s'apprête à appuyer sur la gâchette, mais ses yeux finissent par apercevoir le câble qui me relie à la console. J'ai l'impression qu'il vient de voir son pire cauchemar à la tête qu'il me fait.

"Vous êtes complètement folle !"

"Combien de temps ça va prendre ?" je demande à l'alicorne.

"Le temps d'une pensée."

Je m'apprête à donner ma réponse, mais-

"Ne faites pas ça ! Vous n'avez aucune idée des conséquences que ça pourrait avoir si vous touchez à ça !" Ah oui ? C'est peut être un peu tard pour ça, maintenant que je suis connectée. "Vous pourriez entièrement briser l'esprit de tous les poneys qui sont en train de dormir si vous modifiez le programme pendant qu'il émet !" Bah voilà ! C'est maintenant qu'il faut que je choisisse entre ma vie et celle de milliers d'innocents !

"Pas besoin de faire ce genre de choix, je m'occupe déjà des songes, contente-toi de me donner ta réponse, et vite !"

Mes yeux circulent rapidement entre l'arme et la console. Je serre de nouveau les dents, essaye de fermer l'oeil dans l'attente de quelque chose de très désagréable, mais il se trouve que l'étalon est presque aussi rapide que moi.

"Récupérez le programme !" Je donne un puissant coup de sabots derrière moi, j'ignore totalement si ce sont mes pattes ou la console qui ont été les premiers à partir en morceau.

Tout comme j'ignore ce qui est venu en premier, l'explosion, le flash, ou la douleur. Mathématiquement parlant, ce devrait être le flash, mais pour moi, tout s'est passé en même temps.

La sensation d'aspiration a tout de suite fait demi-tour. Des tonnes d'informations entrent dans ma tête aussi vite que la détonation cesse de retentir. Tellement d'informations que je sens ma tête exploser alors que le flash n'a pas encore fini de brûler ma rétine.

Et comme Nightmare Moon me l'avait promis, c'est fini. Je peux enfin dormir.