Chapitre 13

J’ai volé vers la banque. J’ai pas besoin d’aller dans les détails, pas vrai ? C’était une banque. J’ai fait la queue.

Bon, c’était pas si mal. La banque avait les horaires de trains de Manehatten sur un grand poster, et après avoir encaissé mon chèque, j’ai trotté vers lui et passé un sabot le long de la vitre froide, en cherchant une bonne route. Ça m’a pris un moment, mais j’ai trouvé quelque chose de décent : je pouvais prendre le train du soir vers le hub du sud de Canterlot, puis faire un transfert rapide et être à Appleloosa à midi le lendemain. Tu pouvais aussi acheter des tickets de train à la banque, alors tu peux être sûr que j’ai fait d’une pierre deux coups.

J’avais encore quelques heures avant le départ du train, alors je suis rentré à la maison et j’ai réparé mon sac de selle. Je n’y avais pas mis grand-chose- juste quelques snacks, des portraits, et du nécessaire de voyage. Ça faisait longtemps que je n’avais pas voyagé seul, alors j’ai pensé que je ferais mieux de voyager léger.

Même si j’espérais traîner autour de la maison et perdre du temps jusqu’à ce que je doive y aller, je ne pouvais pas ignorer le salon. Je voulais partir, prendre le train et ne pas regarder en arrière, mais j’avais un picotement dans ma tête, le truc que tu ressens quand tu sais que tu oublies quelque chose. C’est ce truc qui ne s’en va pas à moins que tu t’occupes de ce que tu évites.

Je me suis mordu la lèvre et je suis entré. C’était la première fois depuis ma crise que je me suis arrêté et que j’ai vraiment regardé à tout : l’accoudoir cassé, l’étagère, les tableaux ruinés… C’était comme le champ de bataille d’une guerre oubliée. C’était calme, mais tu savais que quelque chose de terrible s’y était passé.

La photo de mon père était l’une des seules choses toujours intactes. Je l’ai regardée et j’ai soupiré. « Ouais. Je suis déçu aussi. » Il y avait des morceaux de bois et des débris partout, mais pour tout ce qui devait être nettoyé, je ne savais pas où commencer. C’était comme l’un de ces énormes projets où tu ne sais pas par quel bout le prendre, l’un de ceux qui rend la procrastination super tentante.

J’ai trotté vers les restes de l’étagère. Elle était toujours debout, mais l’un des coins avait besoin d’être remplacé. J’ai enlevé quelques morceaux et dit à haute voix, « ça…. ça ne sera pas facile. » Avec une profonde inspiration, je me suis penché et j’ai commencé à assembler tous les morceaux cassés dans une pile et tout ce qui pouvait être récupéré dans une autre.

Au moment où je suis parti pour Appleloosa, c’était un peu mieux. Non, je n’avais pas tout réparé, et ça me demanderait beaucoup plus de travail avant que je puisse à nouveau en être fier, mais au moins, je ne serais plus gêné si quelqu’un le voyait. ‘Peut-être qu’ils pourraient même m’aider’, j’ai pensé. Dans tous les cas, j’avais commencé à résoudre le problème, et ça voulait dire quelque chose, non ?

Mon vol vers Manehattan était rapide, mais ça m’a mis en sueur, et je n’étais pas plus à l’aise dans la gare. Chaque recoin bourdonnait de corps impatients, et même en volant au-dessus des terrestres et des licornes, j’ai quand même heurté beaucoup d’autres voyageurs. Chacun devait aller quelque part, et ils ne voulaient pas que quelqu’un se mette en travers de leur chemin.

Je portais un chapeau. Les fans disent toujours qu’ils voient ma crinière et savent que c’est moi, alors j’ai acheté une casquette jaune super chère à un vendeur pour me dissimuler. Ça semble toujours marcher dans les livres, et je n’ai pas laissé ce chapeau me déranger. Ça a marché, la plupart du temps. Quelques fans m’ont arrêté, mais ils étaient assez cool pour me laisser après que j’ai lancé des portraits signés vers eux.

Je suis arrivé tôt sur les quais. Les choses ne semblent jamais bien se passer quand je suis en avance. Je ne voulais pas être découvert par d’autres fans, alors je me suis planqué dans un petit pub sombre près des quais et je me suis assis dans un coin. C’était presque l’heure du dîner, mais j’ai quand même commandé, gardant la tête basse et les yeux ouverts au cas où quelqu’un viendrait vers moi. C’est comme ça que ça marche- quelqu’un te voit dans un endroit privé, et ce n’est pas si mal au départ. Puis ils s’en vont, et un autre poney découvre qu’il a sa chance. Ça continue jusqu’à ce que tu te fasses encercler par des fans de tous côtés et tu rates une interview, un train ou quoi que ce soit.

J’ai quand même réussi à rester hors de leur vue, même si mon repas a mis presque une demi-heure à arriver. C’était gras et à peine mangeable, mais je l’ai dévoré et j’ai foncé vers le quai juste au moment où le train allait partir.

Après avoir essayé et échoué à éviter le flash d’une caméra d’une licorne suspecte, j’ai réussi à avancer dans le train et à arriver dans mon compartiment. J’ai pris un ticket pour une couchette dans l’une de ces chambres privées. Ils sont surtout faits pour les familles- chacune avait deux rangées de trois lits cloués aux murs- mais si t’as les pièces, le caissier voit ça d’une autre façon. J’ai refermé la porte derrière moi, je me suis assis sur le lit le plus bas, et me voilà tout seul dans cette petite boîte qui sentait le renfermé pour un voyage de dix heures vers Canterlot.

Après quelques minutes, le train s’est ébranlé, et les grosses roues ont rugis quelque part sous moi pendant qu’on gagnait de la vitesse. Je me suis assis sur le lit le plus bas et j’ai regardé par la fenêtre, à observer les détails de la gare passer. Très vite, on était dehors, à ciel ouvert, et j’ai vu quelques-uns des plus hauts buildings du côté ouest de Manehatten. Ça n’a pas pris beaucoup de temps avant d’atteindre les limites de la ville. On a passé les banlieues et roulé vers les plates vallées.

J’ai commencé à comprendre que je le faisais vraiment. Je sortais vraiment de ma façon de faire pour prendre mes responsabilités et réparer un problème que j’avais cause, et rendre meilleure la vie de quelqu’un. J’ai souris et je me suis mis un peu plus droit. ‘Je serais là bientôt, Braeburn. Je suis en route.’ J’ai pensé à notre réunion pendant quelques minutes, en imaginant toutes les fins possibles.

Mon sabot m’a gratté, alors je l’ai négligemment gratté.

Puis mon nez m’a gratté, alors je l’ai gratté aussi là.

Puis ma gorge avait comme une boule à l’intérieur, alors j’ai commencé à fredonner quelque chose. Mes ailes me grattaient, comme si elles avaient besoin de s’étirer, et ma jambe a commencé à s’agiter. Je me suis retrouvé en train d’hocher la tête et de taper du sabot, de plus en plus vite.

‘Je suis en route’. Je sentais ma confiance commencer à disparaître. Il y avait plein de fins différentes, et plus j’y pensais, plus je commençais à douter de ma décision d’y aller.

‘Je suis en route’. Ma respiration devenait saccadée. Mon estomac était plein de cailloux. Mon cœur battait plus vite, et je me sentais nauséeux, et je voulais soudain voler très, très vite.

Mes yeux se sont écarquillés pendant que je continuais à regarder par la fenêtre. « Par Celestia, je suis vraiment en route ! » La pièce se refermait sur moi. Je regardais tout autour, et je comprenais de plus en plus à quel point la cabine était comme une cage, une prison qui me lançait tout droit vers un rendez-vous avec un poney qui non seulement ne m’attendait pas, mais voulait sans doute ne plus jamais me revoir. « J-J’ai besoin d’air », je bégayais, en tournant ma tête vers la petite fenêtre et me demandant si je pouvais l’enlever et voler à côté du train. « J’ai besoin d’air ! »

Juste avant un show, tu as une sensation dans tout ton corps. Ça te dit de ne pas merder, ou tout le monde verra à quel point tu es un loser. Ça te pousse à faire mieux, et cette énergie te colle durant tout un show, et longtemps après que le public soit rentré à la maison.

Ce n’était pas cette sensation. C’était similaire, mais c’était….. empoisonné… ou quelque chose. J’aurais dû être excité ou soulagé, mais chaque os de mon corps voulait s’échapper. Je voulais sauter par la fenêtre, voler à la maison et ne pas avoir à faire face à Braeburn, et plus je réalisais à quel point je paniquais, plus je paniquais.

Mon estomac faisait des saltos. ‘C’est pas grand-chose. C’est PAS GRAND-CHOSE !’ Mon échine me piquait, et mon esprit bourdonnait de pensées sur la façon que j’aurais de tout rater que j’aille à Appleloosa ou pas. ‘Et si il ne veut pas me parler ? Ou s’il ne voulait pas me pardonner ? Putain, j’ai tout raté avant même de le rencontrer ! Et si je ne pouvais même plus être avec les Won-‘

J’étais arrivé à la moitié de mes pensées avant que je reconnaisse un autre sentiment familier, mais celui-là était dans mes tripes. Je me suis rapidement relevé et j’ai cogné ma tête contre le lit du dessus. « OUCH ! » Ma vision est devenue floue pendant une seconde, et j’étais soudain complètement désorienté, cherchant désespérément la fenêtre. En trébuchant à moitié-aveugle et avec un goût acide qui remontait dans ma gorge, j’ai lutté pour ne pas vomir en cherchant le loquet de la fenêtre, et j’avais des sueurs froides en concentrant toutes mes capacités mentales sur l’idée de ne pas m’évanouir.

J’ai arrêté de respirer. C’était comme si quelqu’un me serrait la gorge. Le temps s’est ralenti, mais j’ai enfin réussi à lever le loquet, ouvrir la fenêtre et a passé ma tête dans l’air du soir.

« HRRCHKGL !!! » Juste à temps pour que mon dîner éclabousse les rails. Quelques restes ont pris le vent et ont tâchés le train, et j’ai prié pour que la pluie tombe et que personne ne le remarque.

J’ai respiré un bon paquet d’air. C’était frais, relaxant et ça m’a empêché de tomber dans les pommes. Je voyais toujours des taches dans le coin de mes yeux. Ma lèvre tremblait. J’ai gémi, essuyé quelques larmes de mes yeux et levé un peu ma tête, mais le mouvement du train m’a refait vomir. J’ai craché un peu, puis passé quelques minutes à sécher et à chercher mon souffle jusqu’à ce que je me sente étourdi. Quand j’étais sûr que je n’allais pas tomber, j’ai craché la dernière bile hors de ma bouche et sur les rails.

Après quelques prudentes inspirations, j’ai essuyé ma bouche du sabot et je me suis affaissé avec la tête toujours hors de la fenêtre. Les lumières de Manehatten étaient déjà en train de disparaître dans le crépuscule, et il n’y avait personne alentour. Ma gerbe arc-en-ciel était sans doute restée invisible.

Quand j’ai enfin commencé à enregistrer le bruit des rails, j’ai remis prudemment ma tête dans la voiture, refermé la fenêtre (en partie), et je me suis effondré sur le lit. C’était un truc cheap, pas mieux qu’une planche avec un peu de rembourrage dessus, à peine assez pour appeler ça un lit. Il craquait quand je m’allongeais dessus, et l’oreiller n’était ni douillet, ni réconfortant.

J’ai frotté mon ventre pour me sentir mieux. On dirait que ça se calmait, mais je suis juste resté allongé sur mon dos pendant presque une heure à essayer de jauger le moment où le prochain gros truc m’enverrait courir à nouveau vers la fenêtre. J’ai essayé de faire une sieste, mais pas plus de chance ici.

Un gros coup à la porte m’a fait me relever et bouger. J’ai jeté un œil dans le couloir pour voir une jument à l’air stricte pousser un chariot. « Dîner, monsieur ? » Des odeurs huileuses et salées ont flottés jusqu’à mon nez, me faisant un peu reculer.

« Ugh. Non, merci. » La nourriture semblait une terrible idée à cet instant, et j’avais des snacks pour plus tard de toute façon. J’ai agité le sabot pour la faire partir et je suis retombé sur le lit pour regarder le mur.

Avec mon estomac qui se sentait bien mieux, j’ai soudain eu du mal à rester immobile. Je voulais bouger, faire n’importe quoi plutôt qu’attendre dans cette stupide boîte en métal, mais je ne voulais pas aller dehors et faire face à une foule. Les enfants sont toujours en train d’explorer les trains quand ils s’ennuient, et ils sont les premiers à te crier ton nom quand ils devinent qui tu es.

Je me suis amusé avec un trou dans le rembourrage pendant un moment, puis j’ai sorti mon jeu de cartes. Je ne connais même pas de jeux auxquels tu peux jouer seul, alors j’ai essayé de faire un château de cartes. Le train s’agitait trop, alors je n’ai jamais plus loin que le rez-de-chaussée. Les choses ont continué comme ça pendant quelques heures- rien pour briser la monotonie à part un voyage furtif vers la salle de bains pour me nettoyer.

Un peu après que la nuit soit tombée ; je n’en pouvais plus, alors j’ai pris mon sac de selle et tenté ma chance à la voiture-bar. J’ai volé pour éviter de faire du bruit, j’ai atteint le bout de ma voiture, ouvert la porte, et marché dehors, sur un petit point avec une rambarde haute. La porte s’est refermée avec un bruit sourd, mais j’étais enfin dehors. Je suis allé vers la voiture suivante de la même façon.

Heureusement, la voiture-bar n’était que deux wagons au-dessus, et j’étais soulagé de voir qu’il n’y avait personne à part le barman. Il sifflotait et nettoyait quelques verres après le rush du dîner d’il y a quelques heures, et les quelques odeurs qui traînaient étaient bien plus plaisantes que celles du chariot de la jument. L’endroit en lui-même était assez joli, toutes choses considérées. Quelques petits chandeliers pendaient du plafond, les tables étaient mises de telle façon à ce que la pièce ait l’air plus grande qu’en vrai, et quelqu’un avait vraiment, vraiment essayé de laisser le tapis rouge propre. Il avait échoué, mais l’effort se voyait.

Je suis allé vers le bar, j’ai déposé mon sac, et je me suis assis sur l’un des tabourets.

Le barman, un poney terrestre avec un pelage ocre et une crinière noire, est resté du côté opposé du bar jusqu’à ce qu’il finisse de sécher une assiette et sifflote sa chanson, puis il est venu vers moi. « Hé, je connais cette tête ! » Il parlait gaiement. Sa voix était un peu nasillarde, comme une showmen ou un de ces aboyeurs dans les foires. Quand je lui ai donné un sourire faible et forcé, il s’est penché sur le bar, pas trop près mais pas trop loin de moi non plus. « Je connais aussi cette expression. Des problèmes de jument, Monsieur Windsong ? »

Agaçant ? Peut-être, mais je pouvais pas m’empêcher d’aimer ce gars. Il avait un super sourire et une voix calme, et se déplacer autour du bar malgré les rebonds du train ne semblait pas lui poser de problème.

Je me penchais sur le bar, les sabots croisés et triturant avec. « Ben… un peu. »

Il était rapide. Très rapide. Il a cherché sous le bar et en a sorti quelques ingrédients- quelque chose de jaune et quelques feuilles- qu’il a mis dans un verre et a commencé à mélanger, en riant pendant qu’il bossait. « Hé hé. Alors, quelle version de l’histoire on va entendre ? Est-ce qu’elle est folle ? Où est-ce que vous êtes idiot ? Un peu des deux, peut-être ? » Il a mis de la glace pillée dans un verre assez cheap avec un seul sabot, puis a déposé le mélange dessus et a couronné le tout avec quelques liquides différents.

Je continuais à le regarder et j’ai souri en répliquant, « Oh, c’est vraiment moi l’idiot. Et aucune question sur ça. »

Le barman a mis une paille dans le verre et l’a remué un peu avant de me le passer. Je ne pouvais toujours pas croire à sa rapidité. « Aw, ne soyez pas si dur envers vous-même. Voyons… vous avez oublié un anniversaire ? Non, non, non. Vous vous êtes disputés et vous avez dit quelque chose ? » Il a dû me voir m’affaisser. « Sans doute quelque chose en d’ssous de la ceinture, pas vrai ? Elles peuvent pas faire de mal si on leur fait d’abord du mal ? »

J’aurais dû le frapper s’il n’avait pas été aussi agréable. Au lieu de ça, mes yeux se sont ouverts grands, tellement j’étais incrédule. « Ouais ! Comment vous le savez ? »

Il s’est penché un peu plus et s’est gratté derrière l’oreille. « Hé, j’ai eu de l’entraînement. Vous seriez surpris du nombre de poneys qui ont les mêmes problèmes. »

« Vous avez eu des conseils ? »

« Ha ! » Il a ri et a frappé le bar. « Monsieur Windsong, si je savais quelque chose sur la façon de réparer les problèmes, je serais riche ! Je suis sûr que vous vous en sortirez. » Il a hoché la tête vers le verre. « Comment c’est ? »

Ça m’a pris une seconde, mais je me suis rappelé du verre et j’y ai goûté. C’était délicieux ! Artificiel, mais quand même assez bien. C’était doux mais herbeux, et je ne pouvais mettre le sabot sur la drôle de sensation épicée. « J’adore ! Qu’est-ce qu’il y a dedans ? »

« Aw, c’est juste de la mangue, du basilique, un peu de rhum… ça serait mieux si je pouvais avoir des ingrédients frais, mais c’est ça la vie sur les rails. » Il a levé les yeux, réfléchi un peu, et sifflé. « Mais je l’échangerais pas. On rencontre les gars les plus intéressants ici. »

On a discuté un moment. C’était bien, mais la conversation n’est jamais vraiment allée quelque part. Quand on a un job pareil, j’imagine que tu apprends seulement à dire des banalités. Mais bon, je n’attendais pas d’énormes révélations venant de ce gars. C’était juste bien d’avoir quelqu’un à qui parler.

Finalement, mon estomac a grogné, mais après avoir posé une question sur la bouffe, il m’a dirigé vers ce qui lui restait au bar. « Des vieux trucs », a-t-il dit.

Il ne m’a pas fait payer le verre, et il n’acceptait pas de pourboire, alors je lui ai donné un portrait signé, avec écrit dessus ‘Smileshine, le meilleur barman que j’ai eu de ma vie’ ». Smileshine m’a dit qu’il avait tout un album de photos signées, mais que la mienne allait direct en première page. Il m’a remercié, et j’ai pris mon sac en lui faisant mes adieux. Super gars. Je sais pas s’il est toujours sur les rails, mais j’espère qu’il s’en sort bien, où qu’il soit.

Je suis retourné à ma couchette et j’ai pris quelques trucs à l’avoine de mon sac. Ils étaient super doux, ceux qui te donnent les sabots collants si tu les touches. Rien d’excitant, mais ça a fait le boulot, et j’ai bien aimé avoir quelque chose à mâcher dans ma bouche pendant un moment. Ça m’a donné quelque chose à faire.

En m’asseyant tout en mâchant, la sensation sinueuse dans mon estomac est revenue, et j’ai pris quelques profondes inspirations pour me calmer. Ça n’a pas marché. Ma lèvre s’est remise à trembler. ‘Putain. Je peux pas faire ça sur tout le chemin.’ Des centaines de scénarios différents se jouaient dans ma tête quand j’avalais mon dernier gâteau à l’avoine. La plupart craignait.

« J’ai besoin d’un discours d’encouragement. » J’ai regardé tout autour. Il n’y avait pas de miroir ici, normal, mais j’étais toujours déçu.

Mon oreille s’est dressée. J’allais devoir le faire de la bonne vieille façon. Je me suis penché en avant. Ma tête était basse, et j’ai fermé mes yeux pour me concentrer. « Okay Soarin, tu as merdé, mais les choses se remettent sur la bonne voie. Littéralement. » Ma voix était faible, et les murs étaient près, et je me suis dit de parler plus fort même si j’étais seul. Tu n’inspires pas confiance si tu as l’air timide. J’ai fait un signe du sabot et parlé plus fort. « Ça va aller mieux. Tu vas aller mieux, parce que tu es Soarin Windsong, et tu ne laisses personne te mettre à terre ! »

J’ai commencé à hocher la tête et à frapper des sabots contre le lit. « Tu as tout. Tu as du charme, de l’assurance, et un corps super sexy auquel personne ne peut dire ‘non’. » J’ai ricané et hoché plus fort la tête. « Ça sera super ! Tu vas à Applelossa, tu trouves Braeburn, et tu dis- »

J’ai levé les yeux et les ai ouverts, et je pouvais le voir juste en face de moi. Mon cœur s’est arrêté et ma voix s’est brisée. « Hé, Braeburn ! »

Ce n’était pas comme au restaurant. Ce Braeburn ne riait pas. Il me regardait avec les yeux froncés et les dents serrées. J’ai essayé d’ignorer ma fréquence cardiaque et j’ai continué à me parler. « Tu ne t’attendais sûrement pas à moi. J-Je… suis désolé pour être venu tout d’un coup, mais je…. je voulais, euh… » Le Braeburn imaginaire a commencé à pleurer en silence. « Tu n’as pas à… je suis désolé pour ce qui est arrivé. » Il a pincé ses lèvres et a ricané.

Je n’aimais pas le tour que prenait cette conversation.

Ma crinière s’est dressée pendant que ma poitrine se serrait. « Je suis…. j-je suis désolé, okay ! » Braeburn a levé les yeux au ciel, comme s’il me jugeait, et je sentais que je m’énervais. J’étais allé déjà trop loin pour m’arrêter. La boule de neige prenait de la vitesse. « Ce n’était pas de ma faute. » J’ai pointé le sabot vers l’obscurité en face de moi. « Tu es celui qui m’a sauté dessus. Tu auras dû me dire que tu étais aussi peureux ! » J’ai vu Braeburn se retourner pour s’en aller, et j’ai levé mes sabots en l’air. « Bien ! J’ai pas besoin de toi ! J’ai besoin de personne ! Tu crois que j’aime me sentir tout le temps coupable ? T’as pas besoin de te comporter comme un connard ! T’es pas le seul poney avec- »

Trois coups bruyants sur le mur m’ont sorti de mon festival de cris. Il était clair que mes voisins n’appréciaient pas mon petit jeu de rôle.

Je suis revenu à la réalité. Je respirais à toute vitesse. Mon corps tremblait, et ma mâchoire me faisait mal. J’avais dû serrer les dents. Quand j’ai enfin repris possession de mon corps, je l’ai laissé se ramollir. Le lit m’a rattrapé avec un gros grincement. J’ai marmonné dans l’oreiller, « Bon, merde », et j’ai attendu que l’adrénaline me quitte.

‘Plus de discours motivant. Pas ce soir’, j’ai pensé. J’ai encore essayé de m’endormir, mais j’étais BIEN trop tendu, et quand je me suis roulé sur le côté pour regarder par la fenêtre, le ciel de nuit semblait bien plus attrayant qu’une soirée dans une pièce inconfortable à respirer de l’air vicié.

Je ne voulais pas prendre de risque en décollant d’une si petite fenêtre, alors je suis sorti du lit, de la pièce, et je suis revenu à la jonction entre les wagons. La porte était encore trop bruyante, mais je n’étais pas aussi prudent cette fois. Les rails passaient à toute vitesse sous moi, et dans le clair de lune, j’étais capable de voir une échelle qui menait en haut de la voiture. C’était haut et hors d’atteinte, mais, tu sais, les ailes. Je l’ai agrippée et l’ai abaissée avec juste quelques battements. Tu vois, je ne voulais pas seulement voler vers le toit, vu qu’ouvrir tes ailes justes avant un grand changement dans la résistance du vent est la meilleure façon de se faire mettre à terre. Tu fais seulement cette erreur une fois.

J’ai grimpé l’échelle et passé une tête au-dessus du wagon. Le vent froid frappait mon visage, mais après le choc initial, c’était bien, comme si ça soufflait toutes mes autres pensées. Qu’est-ce que j’aurais pu demander de plus ?

Le toit avait une petite voie bordée d’un genre de caoutchouc ou quelque chose- sans doute pour la maintenance- et il y avait un rail de guidage auquel je me suis accroché en me hissant. J’ai gardé mes ailes bien pliées. A cette vitesse, j’aurais été soufflé hors de la voiture si elles s’ouvraient.

C’était bruyant là-haut. Entre les roues qui roulaient sur les rails et le vent qui sifflait, toutes mes pensées étaient noyées. C’était exactement ce que je voulais.

Des rafales de vent frappaient ma poitrine, et ma crinière fouettait et frappait contre ma nuque quand je cherchais une bonne position pour m’asseoir. J’ai dû me tortiller un peu pour garder l’équilibre, mais après quelques minutes, je me suis habitué à balancer mon corps de la bonne façon. C’était presque comme voler, le sexe ou danser. Tu trouves ton rythme après un moment.

Quand j’en ai eu marre de m’asseoir, je me suis allongé sur le dos, gardant un sabot sur le rail de guidage, juste au cas où. Le ciel était surtout clair, et malgré la vitesse à laquelle je me déplaçais, tout semblait si immobile et serein quand je levais les yeux vers ce gros dôme noir. Les étoiles scintillaient, et la Lune était presque parfaitement ronde. Ça m’a un peu rappelé le cul de Braeburn.

"N’écris pas ça ! La Princesse Luna voit tout ! »

Les roues continuaient à parcourir les voies, et l’air continuait à siffler. J’avais mes sabots derrière ma tête, et tout était bruyant d’une façon vraiment paisible.

Les quelques pensées que je pouvais former continuaient à revenir en boucles. ‘Je devrais sûrement retourner dans mon lit. Mais je ne suis pas fatigué. Je devrais dormir avant de rencontrer Braeburn mais je n’en serais pas capable. Il est la raison pour laquelle je suis ici. Je ne veux quand même pas être une épave demain. Je devrais sûrement aller au lit.’ C’était la même logique, encore et encore, à part… ben…

Il… y avait aussi cette autre chose.

Je me suis rappelé de la fois où Papa m’a laissé rester debout super tard. J’avais posé des questions sur les étoiles, mais c’était un peu bizarre. Quand j’ai demandé, « Pourquoi tout le monde aime tellement les étoiles ? » Je parlais des célébrités.

Papa n’a pas bien compris. Je n’avais pas encore eu ma marque de beauté, alors peut-être qu’il a cru que je voulais être astronome ou quelque chose, et il a juste répondu, « Eh bien, et si on allait les voir ce soir ? » La façon dont il m’avait souri m’a rendu nerveux. Tu vois, c’était quand j’étais juste un poulain, quand les choses étaient assez dures et qu’on était encore en train de s’ajuster à la… nouvelle situation. Mais Papa souriait encore à propos de quelque chose, et ça m’a rendu heureux, alors je lui ai dit que je voulais vraiment aller voir les étoiles avec lui.

On a attendu en jouant à des jeux de société dans la cuisine, longtemps après que le soleil se soit couché. Je me souviens avoir regardé les pièces du jeu et avoir gémis, « Pff. On peut y aller ? » suivi d’un bâillement.

Papa n’a fait que rire. « Aw, Stormcloud n’a plus de tonnerre ? » Il m’a passé son mug de café tiède. « Tiens, bois un coup. »

J’ai tapoté le mug. J’avais peur de le boire, parce que le café était censé être un truc de grand, et la dernière fois que j’avais bu un truc de grand, j’avais été complètement étourdi et Papa avait dû m’emmener à l’hôpital pour qu’on me pompe le contenu de mon estomac.

Quoi ? J’ai toujours été précoce.

Pourtant, Papa semblait d’accord pour que je boive le café, alors j’ai pris le mug. Je l’ai regardé, mais il ne m’a pas arrêté. J’ai fixé le liquide noir. Ça ne ressemblait à rien que j’avais goûté avant. Tout d’un coup, j’ai bu une grosse gorgée et j’ai craché immédiatement une grosse partie dans la tasse, mais une grosse partie a éclaboussé la table. « Dégueu ! » Papa a éclaté de rire. J’ai fait la grimace. « Pourquoi les boissons de grands sont toutes dégoûtantes ? Est-ce que je devrais boire ça quand je serais grand ? » J’ai légitimement pensé, pour de vrai, que je ne pourrais pas grandir si je n’en buvais pas assez.

Papa s’est calmé, puis a tendu le sabot et a gratté ma crinière, juste là où c’est toujours le mieux. « Tu changeras de disque un jour, mon grand. Allons-y. »

Notre maison était dans les faubourgs de la banlieue de Cloudsdale, mais il y avait un parc pas loin avec une grande colline qui bloquait la majeure partie des lumières de la ville. Il faisait froid dehors, et j’avais l’impression de ne pas voler aussi vite que j’aurais dû. Papa m’attendait, bien sûr, mais ça me faisait me sentir lent. Mes paupières étaient lourdes au moment où on est arrivé au parc, et ça ne m’a pas aidé quand on s’est allongés sur un nuage particulièrement moelleux.

Après qu’on se soit posés, Papa a pointé le sabot vers le ciel. « Regarde, Soarin. » Il a commencé à agiter son sabot tout autour, comme s’il peignait un tableau, juste pour nous deux. « Les étoiles aident la Lune à illuminer le ciel. Si tu regardes bien, tu peux les voir briller, comme si elles bougeaient ! » Sa voix était enjouée et pleine de vie, et ça m’a mis à l’aise. Il n’avait pas eu cette voix-là depuis des semaines.

J’ai regardé là où il pointait, et il continuait. « Plein de poneys aiment simplement les regarder et penser aux choses de la vie. Si tu utilises ton imagination, elles peuvent prendre des tas de formes différentes. C’est comme ces points que tu relies à l’école. »

Papa savait toujours tout, et il voulait toujours tout partager avec moi. Si ça n’était pas les étoiles, c’était le vent, le vol, les sports ou pleins d’autres choses. Quand il m’enseignait et me parlait, je me sentais heureux et en sécurité, alors je n’ai pas mis longtemps à m’endormir.

Je me suis réveillé un peu plus tard, tremblant et recroquevillé en boule. J’ai ouvert un œil, juste un peu.

Papa ne pointait plus du sabot. Il regardait toujours les étoiles et parlait, mais sa voix était différente. Elle était plus faible, douce, plus lente. C’était comme ça qu’il parlait aux autres grands ces jours-là. « … à propos de ça des fois. » Il a soupiré. « Mais je n’ai pas de regrets. Pas un seul. Tu en vaux la peine, Stormcloud. Et ne pense pas autrement. » Il y a eût une longue pause. « Je suis désolé qu’on n’ait pas pu rester tous ensemble. »

Papa s’est gratté la poitrine, et quand il a roulé sur le côté et m’a regardé, j’ai refermé mes yeux. Je ne voulais pas l’interrompre. Il a pris quelques grandes inspirations et n’a sûrement fait que me regarder pendant un moment. « Mais ça ne finit pas toujours comme ça. Beaucoup de poneys restent ensemble toutes leurs vies. »

Il est devenu très calme pendant un moment. Sa respiration était tremblante.

« J’espère que tu tomberas amoureux un jour, Soarin, avec quelqu’un qui pourra te rendre heureux. L’amour, c’est quelque chose de spécial. J… j’espère que ça ne te fait pas peur. C’est vraiment quelque chose de spécial. Comme toi, fiston. »

Il a tendu le sabot et a caressé quelques fois mon épaule, et je me souviens avoir été très confus face à ce que je ressentais en moi. « Ça suffit pour ce soir. » Il a repris sa gaieté habituelle, comme si rien ne le dérangeait. « Allons te mettre au lit. »

Je ne voulais pas me lever. Je ne voulais pas bouger ou le rendre triste ou même penser qu’il était triste, et j’ai pensé que si je restais là où j’étais pendant qu’il me faisait la leçon sur les étoiles, alors il ne serait plus triste.

Mais il était quand même temps d’y aller. Papa m’a porté sur le chemin de la maison et m’a bien bordé dans mon lit bien chaud.

Je lui ai fait un gros gros câlin cette nuit-là.

….

Le train ralentissait. Le vent sifflait toujours, mais moins, et le rugissement des roues commençaient à se dissiper alors que les montagnes de Canterlot approchaient de plus en plus.

Avec une profonde inspiration, je me suis relevé, j’ai secoué ma crinière, et j’ai baissé les yeux vers mes sabots pendant que les mots de Papa résonnaient encore et encore dans ma tête.

‘Tu en vaux la peine, Stormcloud.’

…

…

J’aurais dû plus lui parler. Il y avait toujours la fête des pères, les anniversaires et tout, mais ça ne semblait pas assez, tu sais ? Comme… tu as quelqu’un de tellement important pour toi, quelqu’un que tu apprécies vraiment, mais tu n’as jamais pris le temps de le remercier ou de lui dire à quel point tu tiens à lui, combien tu l’aimes et que tu veux qu’il soit heureux. Et puis, il s’en va.

‘J’espère que tu tomberas amoureux un jour, Soarin.’

Je voulais lui dire qu’il n’était pas trop tard pour moi, qu’il n’avait pas gâché ma vie ou qu’il n’avait pas échoué. Je voulais lui parler de toutes les choses que j’avais faites en tant que Wonderbolt et comment j’avais appris la bonne façon de traiter les poneys que j’aimais. Je voulais qu’il continue à m’apprendre, qu’il soit fier de moi et qu’il soit encore heureux. Je… voulais qu’il me borde, encore juste une fois.

Je…

…

…

… Je vais bien. Ça va. »

Je vais bien.

Il n’a pas fallu beaucoup de temps avant que le train arrive en gare. La ville brillait devant moi, grande, jolie et bien trop prétentieuse. Heureusement, on ne se dirigeait pas vraiment dans la ville elle-même, on s’arrêtait juste à la jonction côté sud où je devais faire un transfert assez rapide. Je suis descendu de l’échelle, failli perdre l’équilibre quelques fois, et j’ai foncé vers mon compartiment pour attraper mon sac de selle.

Je n’ai pas eu à attendre longtemps. Le train s’est stoppé, le couinement à déchirer les tympans a suffi pour réveiller tout le monde à bord. Au moment où les wagons se sont complètement arrêtés, j’étais déjà sur le quai avec mon sac de selle, suivi par à peu près une centaine de poneys crevés, ronchons et grognons.

Je ne suis jamais aussi reconnaissant pour avoir des ailes que quand j’ai une foule à dépasser. Mon train suivant était juste en bas du quai, mais je pouvais déjà entendre le conducteur appeler, « Dernier appel, Canterlot pour Appleloosa ! »

J’ai donné mon ticket au conducteur et sauté dedans. Le train était beaucoup plus petit, seulement trois wagons avec des sièges normaux et aucun des équipements du précédent. Je ne les blâme pas. Milieu de semaine, itinéraire de nuit… y’a pas beaucoup d’argent là-dedans. Mais ça va. Il y avait plein de place, et j’ai eu un siège avec de la place pour mes jambes.

J’ai vu une horloge alors que le train commençait à s’éloigner de la gare : 3 heures du matin.

« Prochain arrêt, Appleloosa ! »

J’étais dans cette zone bizarre, celle où tu es fatigué mais où tu ne te sens pas fatigué. Mes yeux étaient secs et un peu irrités, mais mon cœur commençait à battre plus vite. Mes pensées s’agitaient aussi, et je me suis retrouver à tapoter l’accoudoir. J’hochais la tête en rythme avec les bonds du train, et soudain, mes démangeaisons sont revenues. Je devrais sérieusement avoir une médaille pour avoir survécu à ce voyage sans être devenu dingue.

Après quelques minutes à mijoter, j’ai grommelé, « Arrête. Tu vas bien. Va dormir. T’en as besoin. » J’ai sorti un masque pour les yeux personnalisé de mon sac. Je ne l’avais pas acheté- les fans te donnent des trucs vraiment bizarres, mais des fois, ça peut être très pratique. C’était en soie et il y avait ma marque de beauté dessus, l’éclair avec la vague. Presque tout le monde croit que tous les Wonderbolts ont la même marque de beauté- un éclair avec des ailes- mais ils ne comprennent pas comment marche les habits. Certains fans, oui. J’apprécie l’attention porté aux détails.

Je l’ai mis et je me suis bien installé dans mon siège. Je ne sais pas quel est le problème dans les transports publics, mais tu as toujours trop froid et trop chaud en même temps, tu vois ce que je veux dire ? Je me suis assoupi quelques secondes de temps en temps, mais je continuais à être réveillé par l’idée que le voyage de sept heures allait être rapide. Même avec le masque, je ne m’attendais pas à beaucoup dormir. Je pense que j’ai pensé ça, ‘ça va sûrement me prendre tout le voyage pour dormir. Ça pourrait être pas mal. Je devrais penser à ce que je vais dire quand-‘

SCREECH !!!

« Appleloosa, terminus ! »

Je me suis jeté en avant et j’ai cogné mon nez contre le siège en face de moi. Ma tête était dans le flou, et mes jambes étaient engourdies. J’ai tourné la tête partout quand je ne pouvais rien voir, en essayant d’enlever la brume de mon esprit, et j’ai paniqué un peu jusqu’à ce que je me rappelle que j’avais le masque sur les yeux. J’ai tendu le sabot, je l’ai enlevé rapidement. Grosse erreur.

Tout était d’une lumière aveuglante, comme un jour totalement ensoleillé à Cloudsdale, et je me suis senti nauséeux. J’ai tourné la tête et grogné. Par la fenêtre opposée, j’ai vu un petit bâtiment jaune avec un quai de débarquement et des piliers verts tenant une enseigne. J’ai compris d’un coup.

‘Je suis là.’

Mes yeux se sont ajustés, et j’ai regardé vers ma propre fenêtre. La plus grande partie d’Appleloosa était juste en face de moi. Il n’y avait pas grand-chose- peut-être dix ou douze grands bâtiments le long de la route principale- mais ils étaient tous peints avec de riches et belles couleurs qui ressortaient du paysage brun qui les entourait. Des dizaines de poneys passaient de magasin en magasin, certains discutaient sous les porches, et même si la ville était petite, ça semblait aussi vivant que Cloudsdale. Peut-être encore plus, vu comment le ciel avait l’air ouvert et comment tout le monde agissait de façon amicale. C’était comme si la ville elle-même respirait.

‘Je suis là.’

« Circulez, fiston. » Le poney conducteur a regardé sa montre, puis moi.

« Euh, ouais. Désolé. » J’ai pris mon sac de selle et je l’ai mis sur mon dos, en marchant vers le quai. Le reste des passagers était déjà parti, et je sautais sur le quai juste avant que le train n’aille vers une gare de triage un peu plus loin.

Je n’ai pas bougé pendant quelques secondes. Je n’ai fait que respirer de l’air. C’était propre, comme la maison, mais ça avait sa propre odeur distinctive, poussiéreuse et un peu salé avec une forte odeur de bois fraîchement coupé. J’ai profondément inspiré, quelques fois, puis je me suis retourné et j’ai volé hors du quai, le long des rails et en direction de Mane Street.

C’était étourdissant, ce qui était super bizarre. Appleloosa est petit, mais tout ici avait ce genre de réalité pour lui.

Mes nerfs bourdonnaient quand j’ai réalisé que je pouvais tomber sur Braeburn à chaque seconde. Mon corps tremblait, mais pas d’une mauvaise façon. Mes oreilles s’agitaient, ma queue se balançait, et un sourire grandissait sur mon visage. Malgré moi, je l’avais fait. « Je suis là ! »

Avec ma tête bien haute, j’ai trotté le long de la route, en tournant le cou pour chercher partout mon petit poney jaune. Quelques-uns des locaux m’ont regardé bizarrement, mais la plupart d’entre eux étaient amicaux, me saluant et disant des choses comme, « Bienvenue à Appleloosa, étranger ! » avec cet accent folklorique. C’était si différent des villes, où tout le monde était toujours pressé.

Il n’y avait pas beaucoup de bâtiments, mais les bases étaient là. Il y avait un magasin général, un saloon, un restaurant, un petit hôpital, et même un magasin qui semblait ne vendre que des chapeaux. Tu penserais pas qu’un magasin comme ça pourrait survivre dans une si petite ville, mais tout le monde portait un chapeau Tout. Le. Monde. J’ai pensé mettre ma casquette, mais c’est pas comme ça j’aurais eu l’air moins suspect. Après tout, j’étais le seul pégase en vue.

Une partie de moi voulait s’arrêter et explorer, mais mes yeux épluchaient la ville en signe d’un Braeburn. En quelques minutes, j’étais à l’autre bout de la ville et je ne l’avais pas vu. La seule chose en face de moi était un énorme champ d’herbe sèche qui rebondissait contre une colline escarpée, une qui avait des tonnes de gigantesques traces de sabots dessus.

Je fixais la colline, tellement que je devais vraiment avoir l’air hors du coup, parce que trois étalons ont fini par m’approcher : un gris devant suivi d’un bleu et d’un vert, tous des terrestres. Le gris a parlé avec un sourire et un accent du coin. « T’es perdu, étranger ? »

J’ai hésité. « Un peu… » Il a levé un sourcil, alors j’ai continué. « Je cherche un poney appelé Braeburn. Type jaune, porte une veste. Vous l’avez vu ? »

Le bleu dans le fond a grogné et a râlé d’une voix grave. « Peuh. Monsieur Gros Calibre ? Doit être en train de sucer le maire dans la prochaine ville. » Le gris a levé les yeux au ciel avant de donner un coup de sabot rapide dans l’épaule de son ami bleu. « OUCH ! »

Le gris a regardé par-dessus son épaule et l’a grondé. « Tu vas la fermer ? C’est pas comme ça qu’on parle aux gens. » Il m’a regardé. « Fais pas attention à Pridesong. C’est un crétin. M’sieur Braeburn fait du bon boulot dans le coin, en majorité. »

Pridesong a soufflé par ses lèvres et fulminait. « Deux pas en avant… »

« Bon, Braeburn était en vacances et pas dans l’coin, mais t’as d’la veine. Il est revenu tôt. L’est enfermé chez lui. J’sais pas ce qui s’passe… » Il s’est arrêté et a réfléchi. « … Mais j’pense surtout qu’il a besoin qu’on lui foute la paix. »

Il avait l’air de ne pas tout me dire, mais je m’en fichais. Tout ce que j’ai entendu, c’était que Braeburn était toujours en ville. « Génial ! Où est-ce qu’il vit ? »

« Ben, si tu v’nu par l’train et pas par plumes, t’étais pas loin. » Il a fait signe de l’autre côté de la ville. « Il est derrière les rails dans la petite maison verte vers le verger, celle avec les trois pommiers dans l’jardin. »

J’ai déplié mes ailes et sourit. « Merci ! »

J’ai décollé en l’air et j’accélérais quand il m’a appelé. « Pas de souci. Si vous avez b’soin d’autre chose, j’m’appelle Slate. Bienvenue à Appleloosa ! »

En quelques secondes, je volais assez haut pour voir au-dessus des bâtiments, et j’ai pas mis longtemps pour trouver la maison, un modeste cottage à deux étages avec de la peinture verte, un toit marron, et un porche face à la ville. J’ai foncé, et Celestia elle-même n’aurait pas pu m’arrêter.

Je me suis posé à peu près à une vingtaine de mètres de la porte avant de trotter en avant, en me donnant juste assez de temps pour me mettre les idées claires. Mon cœur batifolait, et je continuais à pratiquer mes premiers mots. « Héééé, Braebur… non. » Mon cœur battait plus vite. « Heureux de te voi… Non. » A chaque fois, j’essayais de sonner guilleret, mais je n’avais pas besoin de cacher mon excitation. Mon estomac voulait s’envoler et ma tête tournait, mais je me sentais incroyablement bien !

J’ai accéléré le pas et commençais à respirer avec difficulté. ‘Je suis là’, j’ai pensé. ‘Il va être bien. Je vais être bien. Peu importe le temps que ça prend, je vais lui faire savoir que je suis désolé, qu’il n’a pas à avoir honte de quoi que ce soit, et puis il sera bien.’ Les scènes se rejouaient dans ma tête, mais cette fois, elles se finissaient toutes bien, et chacune m’a fait frémir : Braeburn et moi en train de rire. Nous deux en train de nous lier, en restant amis pendant des années. Bro-hoofs. Câlins. Bisous. Caresses.

J’étais à la porte.

‘Je suis là.’

Mon visage me faisait mal à force de sourire, et j’ai pris un moment pour inspirer profondément.

J’ai toqué.

Mes jambes chancelaient, alors j’ai bondi quelques fois sur place, m’arrêtant seulement en entendant des pas. Je me mordais la lèvre. C’était l’instant.

La poignée a tournée.

J’ai retenu mon souffle.

La porte s’est ouverte.

J’ai souri.

Un visage jaune parfait s’est montré derrière la porte à moitié-ouverte, plissant les yeux face à la lumière du jour.

Le simple fait de voir cette image de lui a fait décoller mon cœur. C’était comme mon premier vol, ou comme devenir un Wonderbolt, encore et encore, comme tout nouveau départ que j’avais fait et tous les bons sentiments qui venaient avec. Le temps devenait trop lent et trop rapide en même temps, et j’ai vu le soleil faire briller ces magnifiques yeux verts, qui s’écarquillaient quand il réalisait enfin que j’étais revenu pour lui.

Mon torse s’est involontairement bombé, et mes ailes se sont ouvertes. « Salut, Braebu- »

« AAAAAHHHHHH !!!! »

*SLAM*