Et il vit que la lumière était bonne

     La petite pouliche s’éveilla doucement, elle avait mal, et se sentait complètement déboussolée… elle se trouvait dans un endroit très sombre qu’elle ne connaissait pas, et sa maman n’était pas avec elle. La chaleur était toujours aussi étouffante, mais cette fois l’air était également lourd et humide. Une odeur nauséabonde avait aussitôt assaillit ses naseaux, mélange de sueur, de crasse, de cendres, de crin brûlé et de latrines. Son visage était ruisselant et ses yeux lui piquait. Elle se sentait très faible, mais tenta malgré tout de se lever. Immédiatement elle ressentit une vive douleur, et retomba sur le sol en gémissant. Elle constata alors avec étonnement que sa peau était parcourue de brûlures… mais celles-ci étaient recouvertes d’herbes et d’une étrange pâte sombre et malodorante. Elle vit alors dans la pénombre une jeune jument orange avec un chapeau sur la tête, qui avançait vers elle. Celle-ci lui adressa un sourire amical, mais un peu faux.

- Salut toi, murmura t-elle. Contente de t’voir enfin réveillée. Comment tu t’sens ?

Elle voulu répondre, mais sa gorge sèche la fit souffrir, elle grimaça.

- Oh attend, j’reviens tout de suite, fit la jument en s'éloignant rapidement.

Elle revint avec une tasse métalique remplie d’un liquide jaune-orangé, que la petite bu prudemment... du jus de pomme ! C’était délicieux ! Mais elle avait encore soif, elle tendit sa tasse pour en demander plus. Elle ne reçu qu’une réponse navrée.

- Désolée mon sucre… mais on en a pas beaucoup tu sais, il faut faire attention à c’qu’il y en ait pour tout le monde.

La pouliche afficha une mine déçue, mais elle comprenait. Au moins sa gorge ne lui faisait plus mal, maintenant. Elle se hissa doucement sur sa patte pour observer les alentours. Elle se trouvait dans une grande pièce aux murs de pierre, il y avait des tonneaux et de nombreux poneys un peu partout. Certains discutaient à voix basse, l’air grave, leur chuchotements étant la seule chose qui brisait le silence presque oppressant. D’autres comme elle étaient allongés sur des tapis à même le sol, et une ponette blanche avec une croix rouge pour cutie mark passait s’occuper d’eux avec la même crème qu’elle avait sur elle. Parmi eux, elle fut ravie de remarquer tatie Minuette, qui dormait non loin d’elle. Le tout était plongé dans l’obscurité mais ses yeux commençaient à s’habituer. La seule source de lumière provenait du halo pâle que produisaient la magie de quelques licornes. Il y avait aussi un petit dragon adossé à un mur, mais il avait l’air si triste... D’ailleurs tout le monde avait l’air triste ici, à part la ponette orange en face d’elle, qui lui souriait. Mais à travers ce masque rassurant, elle pouvait discerner la même peur qui semblait habiter chaque poney présent ici, sans exception.

- Où est ma maman ? demanda t-elle finalement, s'inquiétant de ne la voir nulle part dans la pièce.

La terrestre en face eut une drôle d’expression que la petite licorne ne sut interpréter, et marqua une hésitation.

- Elle n’est pas ici... mais n’t’en fait pas, j’suis certaine qu’elle a trouvé un abri quelque part. Et puis, tu n’as plus rien à craindre ici, on va s’occuper de toi.

Des souvenirs lui revinrent alors. Il y avait… un grand feu dans toute la maison, et elle avait très peur. Sa maman avait voulu partir pour ne plus se faire mal, même si tantie Minuette lui criait de ne pas le faire : dehors il y avait le soleil, et le soleil était plus dangereux que le feu. Mais elle est sortie quand même, et c’est la dernière fois qu’elle l’avait vu. Minuette appelait à l’aide aussi fort qu’elle le pouvait, mais elle toussait beaucoup et avait l’air de plus en plus faible. La dernière chose dont elle se souvienne, juste avant de s’endormir, c’est d’un étrange souffle froid dans sa crinière… La voix de la ponette à l’accent bizarre la tira de ses pensées :

- Au fait, moi c’est Applejack, et toi ?

- Ruby Pinch, repondit elle simplement.

     Ruby avait eut beaucoup de chance, parait-il, elle n’avait rien de trop grave. Elle apprit qu’elle se trouvait dans une cave du coté de la ferme de la famille Apple. Même si il y faisait sombre et que l’atmosphère y était pesante, on y était à l’abri du soleil et du feu. Le seul accès à l'extérieur semblait être ce grand escalier de pierre dans le coin en face d’elle. Les Apples s’étaient réfugiés ici quand ils se sont rendu compte du danger, et avaient réussit à faire venir beaucoup d’autres personnes de Ponyville pour se cacher avec eux. Pour cela, le grand frère d’Applejack sortait avec un vieil uniforme de pompier qu’ils avaient retrouvé et qui avait appartenu au cousin du grand père de… enfin bref. Il avait une drôle d’allure avec son grand manteau noir et son gros casque chromé. Ces vêtements le protégeaient des rayonnements mortels du soleil, mais les utiliser était une véritable épreuve d’endurance. L’étalon moyen aurait sans nul doute suffoqué au bout de quelques minutes, mais pour un poney à la carrure aussi imposante que lui, c’était supportable... à condition de ne pas traîner trop longtemps. Il prenait aussi avec lui des couvertures argentées qui, comme son uniforme, permettait aux poneys qu’il trouvait de ne pas se faire trop mal avec le soleil.

     Le temps passait, et Ruby se sentait de mieux en mieux, même si elle s'inquiétait que tatie Minuette ne se réveille pas… apparemment Applejack vivait la même chose. Elle avait toujours l’air terriblement préoccupée quand, accompagnée du dragon, elle allait voir une licorne violette qui dormait à coté d’elle et qui ne se réveillait pas non plus.. Le reste du temps elle discutait avec ses deux amies pégases : celle qui gardait tout le temps les yeux baissés et qui ne parlait pas, et celle qui avait des bandages sur les ailes et une très jolie crinière de toutes les couleurs. Une fois alors que Ruby, prise d'inquiétudes, demanda à nouveau où était sa maman, la ponette orange lui avait répondu d’une voix hésitante qu’elle aussi avait été séparée de gens qu’elle aimait. En fait, deux autres de ses amies n’étaient pas là avec elle, et l’une des deux était Pinkie Pie. Ruby s’en souvenait parce qu’elle connaissait la pâtissière, tout le monde la connaissait. C’était bien dommage qu’elle ne soit pas là : elle aurait su comment ramener un peu de joie dans cet endroit lugubre où tout le monde faisait la tête. En tout cas, la petite licorne rose avait hâte que sa maman revienne. Avec les amies d’Applejack.

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     Spike considéra toute sa chance d’avoir été secouru et ramené ici par Big Macintosh. Il avait pu se réjouir de retrouver tous ces survivants de Ponyville, dont trois de ses amies, mais cette joie eut un arrière goût amer lorsqu’on lui annonça que Pinkie Pie était toujours introuvable, et que Rarity avait été retrouvée morte suite à de graves brûlures, dans sa boutique. Cette nouvelle brisa le coeur et l’âme du petit dragon, qui la pleura des heures durant. Pendant ce temps pour les quelques soignants qui s’occupaient des blessés, l’objectif premier était de sauver Twilight, qui était toujours inconsciente. Si elle revenait à elle, son sortilège de blizzard serait un atout précieux pour le groupe. Une fois quelque peu remit de ses émotions, après un temps impossible à estimer, Spike se mit à repenser aux derniers mots que lui avait soufflé son amie bibliothécaire avant de s’évanouir. Canterlot... Quelqu’un devait aller là bas et voir la princesse : peut être pourrait-on alors trouver la solution qui mettrait enfin un terme à ce désastre ! C’est à Spike que Twilight avait confié cette mission… de toute façon, sa résistance à la chaleur faisait de lui le seul à pouvoir entreprendre un tel voyage. Il fit part de ses réflexions aux autres, qui approuvèrent toutes l’idée, avec plus ou moins de réserves. Il aurait aimé attendre de voir si la licorne allait se réveiller, pour pouvoir se rassurer sur son état et lui faire ses adieux, mais il sentait qu’il n’y avait plus de temps à perdre désormais, que la survie de ce camp de survivants en dépendait, peut être même l’avenir d’Equestria. Il devait se hâter, c’est probablement ce que Twilight aurait voulu. Aussi après de longs adieux, quelques embrassades et de nombreuses paroles de réconfort et d’encouragement échangés, le dragon sortit de la cave des Apples, pour retrouver un paysage ravagé qui lui était maintenant familier.

     Il traversa d’abord Ponyville. Tout baignait dans une lumière si puissante qu’il ne pouvait suivre son chemin sans plisser les yeux autant qu’il le pouvait, et la chaleur faisait vibrer l’air, troublant encore sa vision. Spike pouvait la sentir et se rendait bien compte de l’incroyable niveau qu’elle avait atteint, mais elle ne le brûlait pas ni ne l’indisposait : c’était pour lui comme une simple information. L’incendie à la naissance duquel il avait assisté s’était propagé, et une large portion de la ville avait été réduite en cendre… le Sugarcube Corner en faisait partie. Spike préférera ne pas prêter attention aux corps délabrés qui gisaient ça et là, ayant déjà du mal à garder l’esprit clair alors que leur odeur torturait ses naseaux. Il fut épouvanté lorsqu’il arriva jusqu’à la forêt d’Everfree. Il ignorait combien de temps il était resté dans la cachette souterraine, mais apparemment plus de temps qu’il n’en avait fallu au feu pour dévorer la forêt et n’en laisser qu’une mer de cendres et de troncs carbonisés. Il n’aurait jamais imaginé qu’un lieu ancien et magique tel qu’Everfree puisse être aussi rapidement et simplement rayé de la carte. D’un autre coté cela lui permettrait de gagner du temps : il était évident qu’aucun train n’arriverait en gare à Ponyville aujourd’hui, et en coupant par la forêt sans risque d’être attaqué par les étranges et imprévisibles créatures qui peuplaient d’habitude l’endroit, il pouvait espérer gagner une bonne journée de marche. Dans un peu plus de 24 heures, il serait à Canterlot.

    Le reste de son voyage se déroula sans incident. Spike constata sans surprise que les récents phénomènes solaires ne s’étaient pas limités à Ponyville. Partout où il passait, c’était le même paysage vide de toute vie et à la végétation calcinée. Ne brisaient la monotonie que quelques occasionnels cadavres d’animaux, et plus rarement parfois de poneys, cuits à point par la chaleur infernale. Il se sentait presque troublé d'échapper ainsi au jugement impitoyable que le soleil faisait s’abattre sur tout être vivant que son regard trouvait à exécuter, il se sentait comme un touriste au beau milieu du Tartare. Ses pieds lui faisaient de plus en plus mal, mais il limitait ses haltes au strict minimum, convaincu de l’urgence de sa mission. Lui qui jusqu’alors avait été si souvent mit de coté alors que Twilight et ses amies sauvaient Equestria, il était maintenant au premier rôle dans une quête contre le plus puissant ennemi qu’ils avaient eut à combattre : un ennemi invincible, d’une cruauté implacable et silencieuse, l’astre solaire lui même. Il n’était pas question qu’il laisse sa progression être entravée du moindre temps mort. Mais une fois, la faim et la soif ne l’aidant pas, il ne pu s'empêcher de s’assoupir. Il s’en voulu affreusement lorsqu’il se réveilla, d’autant qu’il lui était impossible de tenir le compte des heures perdues. Il repensait à tous ceux qu’il avait laissé derrière lui, et qui comptaient sur lui… qui sait combien de temps ils tiendraient avec leurs maigres réserves ? Combien d’entre eux mourraient de leurs blessures alors qu’il tardait sur son chemin ? Son coeur saigna lorsqu’il repensa à Twilight… il se sentait si seul. Spike était persuadé que le soleil occupait toujours plus de place dans le ciel… et cela ne présageait rien de bon.

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     Le voyageur angoissé et affamé se demandait encore une fois si il avait bien prit la bonne direction, il gravit une colline pour avoir une vue des alentours. Et à sa grande surprise, au dessus de l’horizon... la ville de Canterlot enfin était en vue. Elle apparaissait étonnamment sombre, et ses contours semblaient avoir été découpés directement dans le ciel derrière elle, d’un bleu si éclatant qu’il semblait presque blanc. Sans aucun doute une illusion qu’il devait à l’éclairage insoutenable, se disait-il. Pour l’observer il n’eut d’autre choix que d’ouvrir ses paupières au-delà de ce qu’il s’était permit jusqu’à présent, l'exercice lui infligea vite une douleur lancinante qui pénétra ses orbites jusque dans son crâne. Il dût attendre un moment pour que cela passe, et l’image de la ville resta longtemps gravée sur sa rétine. Malgré tout une lueur d’espoir naquit en lui : il touchait à son but ! Il dévala la pente, se hâtant malgré ses jambes endolories.

     Quelle ne fut pas la surprise de l'apprenti héros lorsque, passant enfin la porte principale, il franchit l’imposante muraille qui ceignait la capitale. Cet aspect sombre qu’il avait remarqué plus tôt n’avait rien d’une illusion : chaque route sous ses pieds et chaque bâtiment devant lui affichait bel et bien une même couleur noire grisâtre qui contrastait violemment avec l’éclat du ciel. C’était comme si la ville toute entière avait été sculptée dans un seul immense bloc de pierre. Ici, comme tout le long de son chemin, un silence de mort régnait.

- Il y a quelqu’un ?! Cria Spike, qu’un terrible pressentiment commençait à gagner.

Aucune réponse. Pas même l'écho de sa voix ou le sifflement du vent. Un frisson parcourut l’échine du dragon. Il sentait dans l’air une étrange tension, comme si autour de lui mille spectres invisibles l’entouraient, lui hurlant sans un bruit de quitter au plus vite ces lieux maudits. Spike fut d’abord persuadé que ce sentiment n’était pas uniquement le fruit de la peur qui le tourmentait chaque seconde d’avantage, mais il n’eut d’autre alternative que de chasser cette pensée de son esprit, au risque de céder à son angoisse et de déguerpir sans tarder. S’approchant d’un mur et grattant sa surface, il constata que la ville devait sa terne couleur à une épaisse couche de cendres et de suie, qui recouvrait absolument tout. Comment la ville avait elle bien pu se retrouver dans cet état ? se demanda Spike, croyant à peine ce qu’il voyait. Pour sûr, un incendie n’aurait pu en être la cause : il aurait fallu que la ville toute entière ait été jetée dans les flammes, que le feu l’ai englobé des heures durant sans épargner le moindre espace. Et une telle chose était bien évidement impossible...

     Alors qu’il s’imaginait ainsi les pires scénarios, il tomba enfin sur des poneys. Ils étaient serrés les uns contre les autres, et leur teinte grisâtre était identique à celle des bâtiments de la ville. Tous lui faisaient dos, leurs faces tournées en direction du palais qui surplombait Canterlot. Spike se demandait bien comment ils pouvaient rester ainsi dehors sans se trouver immédiatement changés en carcasse fumantes par l’éclat destructeur du soleil. Il les appela, mais ils demeurèrent immobiles, sans réaction. Il répéta son appel en s'avançant vers eux lorsque tout à coup, l’un d’entre eux s’effondra sur lui même comme un château de sable, et à l’endroit où il se tenait une seconde auparavant ne restait qu’un petit tas de cendres grises. Spike sentit son coeur manquer un battement, et tout son corps se mit à trembler violemment. Il ne pouvait croire ce à quoi il venait d’assister ! Il s’approcha à nouveau avec hésitation, les poneys restants ne bougeaient toujours pas… il finit par se calmer en réalisant qu’il ne s’agissait là que de statues de cendre. Il les contourna, et il eut un brusque mouvement de recul lorsqu’il put enfin voir leurs visages. Sur ces derniers étaient taillées autant d’expressions de panique et d’effroi, et leurs traits étaient si exagérés qu’ils en étaient surréalistes. Spike suivit leurs regards… c’était bel et bien le palais des princesses que les statues fixaient. Et c’est là bas qu’il se rendait.

     Dans son ascension vers l’immense édifice qui dominait la ville, il rencontra de nombreux autres figures pétrifiées, toutes dans cette même attitude horrifiée, les yeux fixés sur le château. La peur le gagna à nouveau, et avec elle, le doute s'immisça dans son esprit. Qui était-il pour venir affronter une force capable d’infliger un tel sort à Canterlot, et que les deux princesses n’avaient pas été capables d’arrêter ? Il se sentit insignifiant, guère plus qu’un insecte sur le point de prendre d'assaut une citadelle. Pour la première fois, il fut tenté de tout abandonner, et de rebrousser chemin. Il tourna sa tête et contempla la route par laquelle il avait commencé sa montée vers le palais. De là où il était, il pouvait voir la ville, et les grandes étendues désertes au delà de ses murailles. Tout n’était que misère et désolation à perte de vue. Il se dit alors qu’il n’avait rien à gagner en revenant sur ses pas. Peut être pourrait il espérer allonger sa vie de quelques jours avant que lui et les survivants de Ponyville ne finissent inévitablement par mourir de chaud ou de soif. Mais si il persévérait… si il persévérait alors il y avait une chance de mettre fin à cette apocalypse. Une chance sûrement infime, ridicule, mais une chance tout de même. Ses amies comptaient sur lui, il était leur espoir, leur seul salut possible. Non, il n’allait pas gâcher cette espérance, ni trahir leur confiance pour le misérable et vil bénéfice que lui apporterait sa lâcheté ! Sentant son assurance revenir, il fit de nouveau face à son objectif. Il était toujours mort de peur, mais il était déterminé. Il prit une grande inspiration avant de se remettre en route… mais tomba immédiatement à genoux, plié en deux par une violente quinte de toux. Ses poumons lui brûlaient atrocement, envahis par la grande quantité de cendres et de poussières qu’il venait d’inspirer brutalement.

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     Spike traversa les jardins royaux d’un pas lent et peu assuré, son regard paranoïaque fouillant méticuleusement chaque recoin autour de lui. On ne se lassait pas autrefois de vanter la beauté de ces jardins, mais bien sûr il n’en restait désormais que quelques souches noircies s’érigeant ça et là aux bords des grandes allées pavées. On eut dit un cimetière.
Il arriva finalement devant la porte du palais, qu’il trouva grande ouverte. Il poussa un soupir de soulagement en entrant de le hall : enfin à l’abri de la lumière aveuglante du soleil, il pouvait cesser de plisser les yeux. Il frotta un instant ses paupières endolories avant d’inspecter les environs. A sa grande surprise, l’endroit était exactement tel qu’il s’en souvenait : le sol de marbre, les tapisseries aux murs, le grand escalier… Pour la première fois depuis qu’il était parti de la bibliothèque de Ponyville, il se sentait en territoire connu. Seuls la solitude et le silence, qui l’accompagnaient depuis le début de son voyage, donnaient à l’endroit une atmosphère inquiétante. Il fut tenté d'appeler, mais se ravisa, sans vraiment savoir de quoi il avait peur...

     Il se mit donc à explorer, déambulant dans les couloirs et les grandes salles vides, la gorge nouée et tous les sens en alerte. Il ne manquait rien, tout était en place, et si les habitants du château gisaient quelque part ici, Spike n’était pour l’instant tombé sur aucun corps. C’était comme si pressentant la catastrophe imminente, ils s’étaient tous simplement volatilisés. Le jeune dragon prenait la chose comme le message d’une puissante force à l’oeuvre : il n’était pas sensé se trouver ici. Nul n’avait à y être. Le dragon en eut le vertige. Il réalisa à nouveau qu’il était petit et seul, loin… très loin de toute âme vivante, en plein coeur d’une ville fantôme enterrée sous la cendre. Si il s’enfuyait maintenant à toutes jambes, pourrait il seulement échapper au terrible sort que méritait la profanation de ces lieux ? Il lui semblait qu’autour de lui, les hauts murs du palais le jugeaient en silence, et le condamnaient. Sa tête lui tournait, et il réalisa que, bien qu'insensible à la chaleur, il ruisselait de sueur…

     Il marcha longtemps sans rien trouver. Mais il avait désormais en lui l'inébranlable certitude que quelque chose de terrible l’attendait ici. Il n’était plus vraiment certain de vouloir trouver ce que c'était, mais il était trop tard pour faire machine arrière. Il allait au hasard, et finit par se retrouver dans l’immense couloir qui menait à la salle du trône. Les murs s'élevaient à une hauteur impressionnante, décorés de grands vitraux à travers lesquels filtraient les rayons du soleil, si puissants qu’ils étaient presque opaques. Sur le sol un tapis rouge s'étendait jusqu’à une imposante porte. Et sur ses deux battants de bois, un soleil était tracé à la peinture jaune, avec en son centre un arc de cercle évoquant un oeil fermé. Spike était persuadé de n’avoir jamais vu ce symbole auparavant. Il posa ses deux mains sur les poignées, et inspira. Puis il poussa sur ses bras et la porte s’ouvrit sans bruit ni résistance. C’était le moment de vérité, et Spike s’attendait à tout. Sauf à ce qu’il s'apprêtait à découvrir.

     D'innombrables poneys de cendre se trouvaient bien rangés et alignés de part et d’autre de l’allée centrale. Ils étaient tous habillés de longues capes blanches avec capuche, décorées du même symbole que celui peint sur la grande porte de la salle. Chacun était tourné vers le trône au bout de la pièce sur lequel, présidant l’assemblée silencieuse, siégeait la princesse Celestia. Elle se tenait dans une posture grotesque, les pattes bien posées le long des accoudoirs mais le buste tombant en avant, le visage vers le sol. De ses yeux et de sa bouche grands ouverts s’échappait une formidable lumière, qui à elle seule éclairait tout l’endroit. En effet bien que sur les murs s'étendaient toujours de grands vitraux, ceux ci ne laissaient entrer aucun rayon solaire. On ne devinait derrière eux que de profondes ténèbres. Spike resta paralysé face à ce qu’il voyait. Tous ses muscles étaient tétanisés, et dans son esprit seul un hurlement de terreur résonnait.

     Le temps parut se stopper alors qu’il assimilait l’abominable vision. Sans vraiment se rendre compte de ce qu’il faisait, une partie de sa conscience semblant s’être dissociée de sa personne, il avait commencé à s’avancer d’une démarche lourde et chancelante. Il mit une éternité à traverser ces quelques mètres, tournant ses yeux hagards à droite et à gauche, vers les statues. Leur fasciés était neutre, et leur expression déterminée, fixant la créature sur le trône. Il remarqua alors deux statues bien différentes qui se trouvaient sur son chemin, juste devant Celestia, au lieu d’être alignées sur les cotés avec les autres. Ce n’était pas des poneys, mais une alicorne et un draconequus… et sur leurs visages, ni effrois ni détermination, plutôt les traits d’une profonde tristesse et d’amers regrets. Spike avait l’impression que son coeur ne battait plus. Autour de lui rien ne bougeait et pourtant ses pensées fusaient en un parcours chaotique que lui même ne pouvait suivre, se croisant et s'entrechoquant sans direction et sans fin. Il y avait aussi la chaleur. Une chaleur comme jamais il n’en avait connue, bien plus forte encore que celle du soleil, qui dehors pourtant ravageait tout. Et c’est du corps désarticulé de la princesse que celle ci émanait. Spike connu alors une sensation nouvelle, que ceux de son espèce n’étaient pas supposés avoir à subir. Soudain de minuscules dards s’étaient plantés entre chacune de ses écailles, injectant dans ses chairs un poison corrosif. C’était ainsi que le dragon décrivait la brûlure.

"Que fais tu ici ?"

Ce n’était pas une voix qu’il entendait, la question était parvenue à Spike d’une manière qu’il ne pouvait expliquer, par un vecteur bien plus ancien que la parole où même la pensée. Son esprit n’était pas fait pour comprendre une telle chose, et chacune de ces syllabes indescriptibles menaçait dangereusement de briser sa conscience à tout jamais. Bien sûr il était incapable de concevoir une réponse d’une nature similaire. Il demeura interdit, tachant au mieux et avec grand effort de garder sa raison intacte.

     C’est alors que la chose sur le trône se mit à bouger. Peu à peu elle se redressait, lentement et par à coups, comme tirée vers le haut par des fils emmêlés. Spike sentait son regard être étrangement attiré par la danse de l’abominable figure qui se tenait devant lui, bien que terrorisé au delà de toute mesure. Comme lorsque dans un cauchemar, il voulait détourner la tête de l’objet de sa peur sans le pouvoir. Il nota, sans plus y accorder d’attention, que quatre lourdes chaînes couvertes de runes entravaient chacun des membres de la princesse, et la maintenait apparemment prisonnière. Celestia était désormais bien droite, la tête tombant légèrement sur son épaule, et son visage éclatant dont l’expression n’avait pas changé d’un trait était tourné vers Spike. Il perdit son regard dans les orbites rayonnantes et sans fond de l’alicorne, saisit de la dérangeante impression qu’elles s'apprêtaient à aspirer son âme dans le néant.

"Tu es venu stopper la purification de ce monde. Insensé. Tu es sans signifiance et sans intelligence. J’ai été asservi pour que vous puissiez vivre. Je rétablis maintenant l’ordre, et réclame ce qui m’est dû."

C’était beaucoup trop. Sa psyché n’avait pas été façonnée pour comprendre de telles choses, ces phrases faisant appel à des sens dont il ne disposait pas. Deux filets de sang s’écoulaient de ses naseaux, et il fit plusieurs pas en arrière avec une démarche mécanique, comme par automatisme. Son regard cependant ne pouvait pas quitter Celestia, et il la vit se lever avec ses mouvements pénibles de marionnette cassée. Elle se tenait devant son trône dressée sur ses deux pattes arrières, et le fixait de ses yeux toujours incandescents lorsqu’il trébucha et s'effondra sur le sol. La chose qui communiquait avec lui l’interpella de nouveau.

- NOOOOOOON !! PITIÉ ARRETEZ ! VOUS ME FAITES MAL !!

Il s’était mit à hurler en se plaquant les mains sur les oreilles, pour tenter en vain d’échapper à ces mots qu’il n’était pas fait pour entendre, et pourtant cela ne les empêcha pas de l’emplir de nouveau d’une douleur indicible et vivante. Et cela alors même que son esprit refusait d’en interpréter ne serait ce qu’un accent de plus. Il se mit à ramper aussi vite qu’il le put vers l’entrée de la salle, tournant le dos à Celestia. Il remarqua alors que les poneys de cendres avaient maintenant leurs visages tournés vers lui, et leurs yeux brillaient d’un éclat similaire, quoique plus faible, à celui de l’alicorne du soleil. Il sentit leurs énergies s’ajouter à celle déjà colossale de la princesse. La sensation de brûlure qui ne l’avait pas quitté commença alors à s’amplifier rapidement, et si la peur panique la lui avait fait jusqu’à présent ignoré, cela ne fut bientôt plus suffisant. Il hurla et hurla encore sa douleur à en cracher ses poumons, tandis que le feu dévorait ses chairs et fissurait ses os. Tout autour de lui, la pièce devint de plus en plus lumineuse, au point qu’il ne resta plus que la lumière.

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- Dis Applejack, murmura timidement Ruby, tu crois qu’on va s’en sortir, et que je vais revoir ma maman ?

- Allons… n’t'inquiète pas, mon sucre, répondit elle d’une voix douce. J’vais t’dire un truc : tu vois la licorne à coté d’toi ? Elle s’appelle Twilight, et c’t’une des plus grandes magiciennes d’Equestria. Avec Spike, c’est même elle qui vous a sauvé, toi et ta tante. Tout va vite s’arranger quand elle se sera réveillée, ça j’te l’garantis.

Ruby regarda pensivement ladite jument, qui semblait dormir paisiblement. C’était donc à cette ponette qu’elle devait la vie, ainsi qu’à un certain… Spike ? Elle demanda à Applejack qui c’était.

- C’est le p’tit dragon violet qui était là tout à l’heure, tu t’souviens d’lui ?

- Ah, lui ! fit Ruby toute ravie d’avoir un sauveur qu’elle trouvait si adorable. Oui je l’ai vu… mais il est où maintenant ?

- Il est parti à Canterlot, pour aider la princesse à régler c’qui n’va pas.

- Oh ! Ça veux dire qu’il est sorti dehors ? s’exclama presque Ruby, n’en croyant pas ses oreilles.

- Héhé, bien sûr. C’est un dragon, il n’a pas peur du soleil.

Ruby était réellement impressionnée. Elle ne se serait jamais douté de quel formidable héros Spike était en réalité ! Toutes ses craintes s’envolèrent, alors qu’elle s’imaginait les extraordinaires et périlleuses aventures du petit dragon. C’était certain, bientôt il reviendrait triomphant et Ruby pourrait voir sa maman à nouveau !

Applejack souriait, heureuse d’avoir pu remettre un sourire sur le visage de la petite licorne qu’elle avait prise en affection. Et l’espace d’un instant, cette joie simple lui fit oublier l’étouffante chaleur de la cave, que tous peinaient à supporter encore.