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Esquisses d'un dessein

Une fiction écrite par System.

Arrière-pensées

L’astre céleste trônait bien haut, fidèle à son poste, au-dessus d’Equestria. Mais même la nature dans toute sa splendeur ne pouvait apaiser l’amertume de la pégase lilas, qui marchait lentement en direction de Cloudsdale. Elle ne prenait même pas la peine de voler pour aller plus vite ; à quoi bon ? Personne ne l’attendait. Elle s’était résignée à passer cette soirée si spéciale en compagnie de ses parents, mais cela ne représentait qu’un point négligeable sur l’horizon de ses préoccupations.

Sa sœur avait toujours été là pour elle, partageant joie et chagrins, et même un peu plus que ce qu’elles auraient bien pu l’admettre. Pourtant, toutes ces années d’une relation exclusive et fusionnelle, il avait suffi d’un simple étalon pour les remettre en cause. Accablée, les traits creusés, la pégase fixait le sol pour s’assurer de ne rien voir qui raviverait sa douleur.

Contre toute attente, l’esprit de la jeune jument se focalisa sur un drôle d’énergumène aux couleurs vives qu’elle manqua de percuter. Elle ne voulut pas trop manifester son attention et décida de s’arrêter quelques instants ; elle rejoignit une botte de foin qu’elle avait aperçue un peu plus tôt et ferma les paupières.

Depuis que sa sœur lui avait annoncé la nouvelle, les nuits étaient difficiles. Le manque de sommeil se manifestait de plus en plus, aussi bien sur sa condition physique que sur son moral. Ses yeux étaient irrités, et il était difficile de savoir ce qui, des larmes ou de la fatigue, l’avait le plus affaiblie. Une chose était certaine, elle devait régulièrement s’accorder des pauses comme celle-ci afin d’éviter d’aggraver son état.

« Qu’est-ce que cet étalon a fait pour convaincre ma sœur ? Je la connais mieux que quiconque… » soupira-t-elle. Elle rouvrit les yeux et remarqua que le poney aux motifs atypiques s’était approché et la regardait. La pégase cilla à plusieurs reprises pour s’assurer que ce n’était pas juste sa fatigue qui lui jouait des tours. Étant donné l’apparence singulière de cet étalon, ç’aurait très bien pu être une hallucination, et le fait qu’il fût maintenant si près d’elle la prit de court.

Ils se dévisagèrent un moment ; la ponette s’attarda sur l’apparence du zèbre cornu tandis que ce dernier se composait une allure placide. « Tu ne serais pas Flitter, par hasard ? lança-t-il.

— Je te connais ? répliqua-t-elle, surprise par une question aussi directe.

— Je connais bien ta sœur, elle m’a souvent parlé de toi, affirma-t-il comme une évidence.

— Ah. Je présume que c’est toi, l’heureux élu. » Ses sabots mirent ostensiblement entre guillemets ses derniers mots, et une expression antipathique envahit progressivement son visage. « Je ne savais pas que Cloudey avait de tels goûts. » Non seulement elle me laisse tomber, mais en plus c’est pour un gars comme ça.

« Ce n’est pas moi qui l’ai pas invitée », objecta-t-il avec indifférence.

Peu importe, elle ne sera pas avec moi aujourd’hui.

« Alors, qui es-tu ?

— Restons-en au fait que je suis un ami. J’ai mes petits secrets, je traîne à droite et à gauche… je sais avec qui elle sort ce soir, par exemple, dit-il avec l’emphase digne d’une révélation capitale.

— Qui c’est ? siffla-t-elle en crispant la mâchoire, aveuglée par une soudaine montée de colère.

— System, un terrestre, le pelage lilas et les crins moitié blanc moitié azur. Ce n’est pas une lumière, mais… » Flitter ne lui laissa pas le temps de terminer et bondit presque sur l’étalon.

« Lui ? Lui ! Je sais qui c’est, merci. Tout le monde a entendu parler de ses exploits avec son ancien patron. » Elle soupira et retrouva sa mine dépitée. « Y compris Cloudey. Elle m’avait un peu parlé de lui, je savais qu’elle avait un petit quelque chose pour lui, mais je ne pensais pas que ça irait plus loin.

— Il faut dire qu’il a tout fait pour bien retenir son attention. Thunderlane m’a un peu expliqué ; d’après lui, System a l’air sérieux, et ce n’est pas dans ses habitudes, à ce qu’il paraît. »

Flitter grattait furieusement le sol du sabot, et l’étalon rouge s’arrêta pour revenir à sa quiétude initiale – il voulait laisser le temps à la ponette lilas de retrouver son sang-froid. Le zèbre avait des choses à lui dire, mais il savait aussi reconnaître une femelle sur le point de hurler de rage. D’une manière ou d’une autre, il fallait qu’il parvînt à lui exposer les vraies motivations de cette discussion. « Mais ce n’est pas ce dont je voulais te parler. Je sais que tu tiens beaucoup à Cloud’, et que ça te fait souffrir de la voir s’éloigner. »

Je te le fais pas dire. « Peut-être que tu sais ce que je ressens, mais tu ne peux pas tout comprendre.

— Admettons que ce soit le cas. Ça ne change rien. » L’étalon la fixait d’un air confiant et ne relâchait pas le contrôle qu’il avait du dialogue. C’était elle qui posait les questions, mais c’était bien lui qui donnait le ton.

« Où tu veux en venir ? » demanda-t-elle. Son rictus était comme figé.

« Rien ne t’effraie plus que la solitude ; Cloud’ m’a souvent parlé de ton caractère protecteur. Elle est contente que tu t’occupes d’elle, mais tu l’empêches d’avancer, et elle n’arrive pas à te comprendre.

— C’est faux ! » s’exclama la jeune jument.

L’étalon tourna la tête, puis soupira avant de reprendre : « Tu sais, tu ne pourras pas toujours la garder pour toi. »

Le visage de Flitter se décomposa et toute sa colère la quitta. Ce qu’elle avait toujours voulu égoïstement repousser venait de lui être vulgairement jeté à la figure. Elle avait tellement cru en ses stratagèmes destinés à garder une relation exclusive avec Cloudchaser qu’elle en avait oublié leur facticité. Elle réalisait que son désir le plus cher était illusoire et que rien ne pourrait jamais changer la donne. Cloudey ne m’aime pas… Elle ne m’aime pas comme je l’aime. Son expression se raffermit et elle se redressa. « C’est entièrement de ta faute, murmura-t-elle, désemparée.

— En quoi je suis responsable de ce qui t’arrive ? » Le zèbre conservait un calme déconcertant.

« Tu as fait exprès de parler à ma sœur pour l’éloigner de moi et tu as tout fait pour aider cet idiot à la conquérir tant qu’elle était influencée ! » s’exclama-t-elle. Elle se leva précipitamment, gonflée d’amertume, prête à en découdre avec celui qui avait ruiné son idylle.

La pégase s’arrêta brusquement à quelques centimètres du museau de l’étalon, ailes déployées. La fureur grondait dans ses yeux rosés, et son corps frêle témoignait de la passion qui l’animait. Malgré sa position offensive, il était difficile de comprendre où elle voulait en venir. Mais il ne fléchit pas

Il savait que ce qu’elle disait n’était pas tout à fait dénué de sens, il avait effectivement joué un rôle déterminant dans la situation de sa sœur, mais il ne jugea pas utile de le préciser. Il reprit la parole en premier : « Écoute, je voulais simplement te parler de quelque chose ; je me doutais que tu risquais de t’emporter, mais il fallait bien que… »

Flitter ne lui laissa pas l’occasion de finir sa phrase et le gifla sans retenue. Plusieurs poneys alentour se retournèrent, et le silence se fit. Une voix à peine audible laissa échapper : « Elle a frappé Toropicana… » La ponette fit volte-face et jeta un regard des plus obscurs aux badauds, lesquels s’empressèrent de retourner vaquer à leurs occupations.

« Je ne veux plus jamais te revoir », souffla-t-elle, larmoyante. Elle courut quelques mètres, avant de s’envoler en direction de Cloudsdale, laissant le zèbre sur les lieux de leur dispute. Il se contenta de baisser la tête pour que personne ne croisât son regard, empli d’embarras et de pitié.

« On se reverra », murmura-t-il, redressant la tête pour la regarder disparaître au loin, à travers les nuages.

***

Toropicana venait de rentrer chez l’amie qui l’hébergeait en cette journée de la Saint-Galopin ; il avait dû quitter son bar pour des questions d’organisation – ordre princier. L’endroit qu’ils occupaient à présent était semblable à un taudis, ou plutôt à un repaire abandonné. C’était vide, exigu, et il n’y avait pour tout éclairage qu’une unique fenêtre orientée vers le nord. L’étalon reprit sa respiration et alla s’installer sur le tabouret qu’il avait au préalable disposé face à l’ouverture en question. Il fixa longuement l’horizon barré de montagnes à travers la vitre encrassée, puis, après quelques instants de contemplation oisive, il commença à se confier, le regard toujours ancré au-dehors.

« Heureusement que ça n’a pas duré plus ! s’exclama-t-il, c’était tellement galère de parler comme si j’étais un génie. Ok, il fallait que je dirige la discussion pour la déstabiliser et caser ce que je devais dire, mais je crois que je vais écrire mon texte la prochaine fois. J’ai cru que ma tête allait exploser ! Puis comment elle parlait… Franchement, c’était tendu de faire genre tout va bien », dit-il en baissant quelque peu le regard.

Après une pause, il reprit : « Mais je suis sûr de l’avoir marquée, au moins. Elle a compris que ses délires romantiques étaient trop bizarres et que sa sœur est bien partie pour pas revenir avant un moment. Peu importe ce qu’elle a dit, je suis sûr qu’elle reviendra, elle est trop curieuse ou trop désespérée pour rester seule. »

Une silhouette aux pattes allongées et à la crinière massive demeurait tapie dans la partie sombre de la pièce. Elle avait écouté avec attention l’histoire du licorne rouge et noir, et, émergeant de sa passivité, s’exprima sans plus attendre : « Tout se déroule comme prévu. Continue ainsi, et n’oublie pas d’aller faire un tour au bar pour aider à aménager le nécessaire avec les Cake. La journée ne fait que commencer. »

***

Au même moment, Flitter arrivait en bordure de sa ville natale, bien décidée à regagner la maison familiale afin de s’y terrer pour le reste de cette maudite journée. De petites gouttes avaient perlé et s’étaient cristallisées sur ses joues lors de son ascension. Pourtant, elle ne prêtait pas attention aux regards que pouvaient lui lancer les autres pégases et passait inconsciemment de nuage en nuage.

Elle parvint finalement à entrevoir sa destination à quelques encablures de sa position. La jument força l’allure et il ne lui fallut qu’une poignée de secondes pour aller se nicher sous le porche rattaché à la façade. Elle ne put se contenir plus longtemps et se laissa tomber sur le flanc, versant toutes les larmes qu’elle avait retenues.

« Flitter, c’est toi ? » lança une voix masculine qu’elle reconnut sur-le-champ. La pégase s’essuya brièvement les yeux avant de les lever, et vit la tête intriguée de son père passer par la porte entrebâillée.

« Oui, je sais, je suis rentrée tôt. Mais pourquoi t’es habillé comme ça ? » s’enquit-elle, saisissant l’opportunité de changer de sujet. Cela dit, son interrogation était justifiée ; l’étalon portait une tenue plutôt inhabituelle compte tenu de son naturel décontracté. Il avait troqué son plus simple appareil contre le haut de son costume de mariage.

« Eh bien, j’ai entendu parler d’une soirée dédiée aux couples organisée par les Cake à Ponyville, donc je me suis dit que c’était l’occasion de sortir avec maman et de passer une soirée en amoureux comme avant. On n’a pas tellement eu de temps pour nous dernièrement… soupira-t-il.

— Super ! Et personne n’a de temps pour moi dans cette famille », rétorqua-t-elle sèchement. Elle bouscula son père et s’engouffra à toute allure par la porte.

« Qu’y a-t-il, chéri ? demanda une voix aiguë, atténuée par l’épaisseur des cloisons.

— Rien d’important. Finissons de nous préparer, on a encore une petite balade à faire. » Il referma la porte d’entrée et passa devant l’escalier par lequel Flitter venait de monter, afin de rejoindre la salle de bain de l’autre côté du hall.

À l’étage, la jeune jument venait de s’enfermer dans sa chambre et de clore les volets. Finalement, elle se précipita dans son lit, qui avait un temps été celui de sa sœur, et se mit à réfléchir. Les événements de ces derniers jours étaient devenus insupportables, tout allait tellement de travers, tout allait si vite. Il avait fallu qu’elle craquât pour évacuer la pression émotionnelle qui s’était accumulée.

Elle regrettait le temps où Cloudchaser vivait encore ici et partageait sa chambre. Après son admission chez les Wonderbolts, sa sœur avait dû emménager à Ponyville à la demande de Rainbow Dash, sa chef d’escouade de l’équipe météo locale. La pégase arc-en-ciel avait un jour avoué que le dévouement dont la voltigeuse faisait preuve au sein de ces deux élites aériennes l’avait promue au statut de pilier de l’équipe, et qu’il serait bon de l’avoir sous le sabot en cas d’urgence.

Flitter devait le reconnaître, sa sœur la surpassait sur tous les fronts, à tel point que beaucoup de poneys pensaient qu’elle n’était pas la jumelle de Cloudchaser. Elle avait toujours vécu dans son ombre et avait longtemps espéré qu’un jour ce serait à son tour de briller, d’être le centre d’attention.

De l’attention. Elle se remémora la discussion qu’elle avait eue le matin même avec un certain zèbre rouge et s’arrêta net. Après quelques secondes, elle reprit à voix haute : « Peut-être que ça avait un sens ? J’ai remballé ce drôle d’étalon sans même savoir où il voulait en venir, mais il voulait peut-être juste m’aider. Il faut que je sache », se dit-elle avec détermination.

Sur ce, elle galopa en direction de la porte, dévala l’escalier aussi vite qu’elle l’avait gravi et claqua la porte d’entrée dans son sillage, prête à fendre le ciel pour en découdre avec le destin.

***

Toropicana se trouvait à mi-chemin entre la maison en périphérie de Ponyville et le bar auquel il était assigné. En passant dans un petit parc désert et bien dégagé qui lui servait souvent de raccourci, il jeta un œil au loin, vers Canterlot. Il savait que quelque chose s’y tramait, mais il préférait ne pas y songer plus que de mesure.

Alors qu’il s’approchait du portail opposé, il entendit comme un courant d’air siffler et ne tarda pas à le sentir friser son pelage. Avant même qu’il n’eût eu le temps de se retourner, la pégase lilas fit irruption devant lui et atterrit avec fermeté. Elle était tellement focalisée sur la discussion qu’elle se ressassait depuis son départ qu’elle ne prit pas soin d’adoucir son approche.

« Je croyais que tu voulais plus me voir », lâcha-t-il sèchement.

Cette réplique ébranla la façade de Flitter, mais, ne voulant pas fléchir comme à son habitude, elle rétorqua précipitamment : « J’étais énervée à cause de ce que tu as fait. C’était plus fort que moi ; tu crois que t’aurais mieux réagi à ma place ? répliqua-t-elle, essayant de rejeter la faute sur l’étalon.

— Bah, vu que je m’en prends pas aux juments, ç’aurait sûrement été moins grave. Mais c’est pas la question. Pourquoi tu veux me voir ? »

La pégase dut s’arrêter et réfléchir à la question qu’il venait de lui poser. Bien que celle-ci semblât évidente, elle ne l’avait pas une seule fois considérée en chemin.

Que voulait-elle vraiment ? Flitter tourna la situation sous tous les angles avant de spontanément reprendre la parole : « Je viens chercher des réponses. Je veux savoir pourquoi tu tenais tant à me parler. Est-ce que c’était du hasard ? Pourquoi moi ? Pourquoi là ? »

Ces quelques paroles submergèrent pratiquement la capacité de réflexion du pauvre licorne, mais il savait au moins que la ponette était revenue vers lui, comme il l’avait prédit, et c’était l’essentiel. Le matin, il avait presque dû réciter un texte ; à présent, c’était à lui de jouer.

« Écoute, je vais pas passer par quatre chemins – pas pour l’instant, pensa-t-il avec un sourire narquois – j’ai envie de te faire passer une bonne journée parce que tu le mérites. Je sais que tu n’attends rien de plus que de la compagnie, expliqua-t-il.

— J’ai pas besoin qu’on ait pitié de moi ; je rêvais de cette journée, mais pas avec toi.

— Je sais, mais c’est pas de sentiments qu’il est question. Même si c’est entièrement amical, je tiens à ce que tu gardes un bon souvenir de cette Saint-Galopin », répondit-il en essayant de toucher une corde sensible.

Flitter fut effectivement touchée par sa proposition et la gentillesse dont il faisait preuve – cependant, elle restait facilement manipulable et le savait. La jument afficha un air méfiant et continua : « Mais pourquoi moi ? Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter qu’un inconnu se soucie de moi alors que ma propre famille s’en moque ?

— C’est un jour magique, tout peut arriver si on veut bien y croire. J’ai senti que j’avais besoin de faire le bien autour de moi, donc, quand j’ai entendu ta sœur parler de toi, je me suis dit que c’était l’occasion. Puis, vu son physique, je me suis dit que ça serait que du bonus si je passais la journée avec une jument charmante, pour une fois », ajouta-t-il sur un ton plus léger.

Flitter trouvait cette remarque plutôt déplacée, mais elle ne put s’empêcher de glousser et de lui retourner un sourire. La persévérance du licorne avait fini par la débloquer malgré la réticence dont elle avait fait preuve de prime abord. Elle commençait à trouver le comportement de l’étalon agréable et, bien qu’elle ne le trouvât pas attirant pour deux sous, elle pensa que c’était l’occasion ou jamais de passer une meilleure journée. Après tout, elle ne s’engageait à rien de plus qu’à être accompagnée.

« D’accord, dans ce cas. Je sais pas comment tu as pu savoir tant de choses sur moi, mais j’ai vraiment besoin de passer un peu de temps avec d’autres poneys pour me changer les idées, dit-elle en baissant les yeux, se souvenant des termes de leur première rencontre.

— Génial, je suis content que t’acceptes. Par contre, j’ai d’abord quelques trucs à faire au bar que je tiens ; je dois aider à déménager quelques meubles et des bouteilles pour les Cake. Ça te dérangerait qu’on se retrouve dans une petite heure ici ? demanda-t-il.

— Pas de problème, je dois rentrer me préparer de toute façon », répondit-elle en haussant les épaules.

Ils se saluèrent et partirent chacun de leur côté. Toropicana se sentait plus léger, comme si un poids venait de lui être retiré des épaules. Je me demande vraiment pourquoi je dois faire ça… pensa-t-il, tournant une dernière fois la tête pour regarder Flitter prendre son envol.

Elle aussi se sentait plus légère.

***

Flitter n’était pas rentrée s’apprêter. Compte tenu de son apparence naturelle relativement attrayante et du caractère platonique de son rendez-vous, un quelconque artifice n’aurait pu qu’être ambigu. Mais la vraie raison était tout autre : elle ne tenait absolument pas à croiser ses parents ou, pire, sa sœur.

Elle se sentait stupide d’avoir mal réagi et voulait se faire pardonner, mais elle ne voulait pas risquer de gâcher la journée de qui que ce fût et avait donc préféré rester éloignée de tout conflit potentiel. Après s’être envolée, elle avait fait le tour du parc et était revenue se poser devant la grille principale.

À cet instant, elle se trouvait toujours sur le banc qu’elle s’était approprié trois quarts d’heure auparavant et attendait le retour imminent de l’étalon. Elle n’était pas particulièrement impatiente de le revoir, mais, hormis le saule pleureur qui recouvrait une mare pratiquement asséchée, les distractions se faisaient rares dans les environs.

Toropicana ne tarda pas à se montrer et n’eut aucun mal à trouver la pégase au milieu du parc toujours aussi inanimé. Il s’approcha pour s’asseoir à côté d’elle et la toisa brièvement.

Elle aussi le contempla d’un air curieux, mais décida de ne pas faire de remarque spontanée. Afin d’éviter l’embarras – et les possibles connotations – d’un jeu de regards surfait, elle se détourna de l’étalon avant de prendre la parole : « Qu’est-ce que tu as prévu qu’on fasse ?

— Franchement, j’y ai pas du tout réfléchi. J’espérais que ma présence suffirait à te remonter le moral », bafouilla-t-il en esquissant un sourire gêné.

Il y eut un long blanc durant lequel les deux poneys n’osèrent parler, préférant piétiner le sol et se frotter la nuque plutôt que d’affronter l’autre.

« Désolée, je sais que je donne pas l’impression de faire d’efforts, mais ça viendra, finit-elle par expliquer en adoucissant ses traits.

— C’est compréhensible, dit-il d’un ton conciliant. D’ailleurs, je nous ai ramené à boire, ça pourra aider à détendre l’atmosphère. » Il sourit et sortit deux verres pleins de la sacoche qu’il avait discrètement posée à côté du banc à son arrivée.

« Punaise, comment t’as fait pour pas les renverser en chemin ? lança-t-elle avec une pointe d’admiration.

— Ça ? C’est un sort que j’ai appris à Canterlot, ça permet de figer les liquides. Plutôt cool pour impressionner les touristes et les gonzesses quand on tient un bar comme moi. Mais ça peut aussi être utile pour faire sortir de l’alcool discrétos en petite quantité », acheva-t-il en remuant les sourcils.

Elle semblait plutôt dubitative, mais finit par se saisir d’un verre et le retourna. Pas une seule goutte ne s’en échappa. « C’est génial ! dit-elle avec enthousiasme. Et comment on fait pour boire, après ? »

Elle leva le récipient afin de l’examiner de plus près, l’approcha de son visage et commença à tapoter sur le fond en plissant les yeux. Au troisième coup, le liquide ambré lui tomba dessus et se mit à dégouliner le long de sa crinière. « Je suppose que c’était comme ça, grommela-t-elle en soufflant sur la mèche qui lui barrait désormais la vue.

— Oui, ou en demandant au serveur de jeter le sort inverse », bredouilla-t-il entre deux éclats de rire.

Flitter lui jeta un regard contrarié puis rétorqua : « C’est malin, je n’ai plus rien à boire maintenant.

— T’inquiète pas. J’ai besoin de te rappeler où j’ai passé la dernière heure ? Crois-moi, j’ai ce qu’il faut. » Le zèbre se pencha pour plonger un sabot dans sa sacoche et en ressortit une bouteille d’Applejack Daniel’s d’un air triomphant. « Allez, file-moi ton verre. On aura qu’à passer au bar quelques minutes pour que tu te rinces », conclut-il tout en lui servant une dose virile du breuvage âcre.

Le spectacle dura un certain temps ; les railleries timides et les questions futiles se transformaient en de longues tirades sur les mystères de la vie et en confessions de plus en plus intimes à mesure que le niveau de la bouteille descendait. Leurs propos étaient devenus plus brouillons qu’à l’ordinaire et la moindre de leurs pensées était complètement déstructurée malgré leur besoin irrépressible de converser.

« C’est pas… juste parce que c’est agréable de me masturber quand je pense à elle… que je crois que c’est ma ponette très spéciale », hoqueta Flitter en oscillant sur place, les yeux mi-clos. Elle se couvrit le museau lorsqu’un énième haut-le-cœur lui prit l’estomac, mais, cette fois, c’en était trop pour son corps et elle tomba à la renverse dans une piètre tentative de se pencher et de régurgiter le trop-plein d’alcool.

« C’est clair. Franchement, si je devais sortir avec tous les gens auxquels je pense quand je me branle, il faudrait un foutu stade pour tous les loger, répondit-il en continuant de regarder droit devant lui, complètement inattentif à l’état déplorable de Flitter. Bon, on devrait y aller, j’ai envie de pisser. Ça te dit de me raccompagner, histoire de passer au moins le reste de l’aprèm ensemble ? »

N’ayant pas de réponse, le licorne se tourna avec difficulté du côté où était un temps assise la jument, mais il ne vit personne. Après plusieurs secondes nécessaires à son cerveau pour démarrer, il regarda à droite, puis à gauche, puis au ciel et, finalement, il se pencha. Toropicana se rendit compte qu’elle était plantée tête la première dans le sol, tandis que la moitié inférieure de son corps s’était insurgée et avait décidé de rester sur le banc.

Les flancs généreux de la pégase lilas étaient pointés dans sa direction et il réfléchit aux possibilités qui se présentaient à lui. D’un côté, il voulait juste s’en saisir et s’amuser, mais, de l’autre, il ressentait une certaine compassion pour cette pauvre jument qui avait noyé son chagrin. Il savait que cette Saint-Galopin n’était pas comme les autres et que beaucoup de destins allaient être bouleversés ; il ne voulait pas que Flitter fît partie des victimes. « Je lui ai promis qu’elle passerait une bonne journée, et je compte bien que ce soit le cas ! » s’exclama-t-il en levant un sabot déterminé.

Un faible gémissement émana du corps qui se trouvait étalé à terre, attirant l’attention de Toropicana. « Ah mince, j’avais oublié », grommela-t-il en secouant la tête d’un air désapprobateur. Il se baissa afin de ramasser la jument éméchée, puis la plaça sur son dos avant de prendre la route, titubant, vers le fameux bar dont il était revenu il n’y avait de cela pas plus de deux heures.

***

Resplendissante, ce fut la première pensée de l’étalon lorsque la pégase se posa à proximité du banc où il s’était assis quelques minutes auparavant. Une robe courte à volants turquoise, serrée sous les ailes, recouvrait désormais une partie de son corps, soulignant ses formes d’une manière aguicheuse. Sur son cou, une fine parure de platine incrustée d’haüynes taillées était venue s’accommoder avec la broche qui se trouvait dans sa crinière pour maintenir une coiffure simple, mais élégante. Sa mèche de devant était partiellement relevée et plaquée sur le côté tandis que le reste de ses crins était minutieusement attaché en chignon. Afin de garder un aspect personnel, elle s’était permis de reprendre son nœud caractéristique en le plaçant sur sa queue qui avait au préalable été bouclée. Enfin, une touche de mascara ébène sur ses cils était venue approfondir son regard, ce qui ne put laisser le licorne indifférent malgré ses motivations ambivalentes. Elle avait atterri avec une telle grâce et une telle légèreté qu’il en avait oublié les raisons de leur présence ici.

Après quelques instants de contemplation aveugle, il reprit ses esprits et secoua la tête. La pégase pouffa puis fit le premier pas, physiquement et oralement : « Alors, je n’en ai pas trop fait ? lança-t-elle avec un sourire en coin.

— Tu es superbe », répondit-il sans l’ombre d’une hésitation. Elle a vraiment mis le paquet. Tu as promis de lui faire passer une soirée inoubliable, alors maintenant il va falloir assurer… T’es con quand même des fois, tu sais ? On dirait que t’as le don de nous mettre dans des situations compliquées. « Oh, la ferme, murmura-t-il à l’attention de son cerveau, ce qui n’échappa pas à Flitter.

— Pardon ? dit-elle, visiblement surprise.

— Non rien, je parlais à un pote. »

La jument le dévisagea quelques secondes, un sourcil levé, puis reprit : « Lel. »

Après une longue seconde de stupéfaction, le zèbre se retourna et se tapa sèchement la tête sur le banc où il était assis, sombrant dans les limbes de son inconscient.

***

« Ah ! Je savais que c’était des conneries, s’écria-t-il triomphalement en ouvrant les yeux. C’est pas demain la veille que je me ferai avoir. »

Alors qu’il finissait ces mots, il fut pris d’une vive douleur au front et porta un sabot sur sa tête pour s’examiner. « Punaise, mais j’ai vraiment pris un pain ?! » s’exclama-t-il, décontenancé. Il tâtonna brièvement la pénombre alentour et reconnut l’endroit sans effort.

La vaste silhouette tapie dans l’ombre de la pièce fut une fois de plus le catalyseur des tourments de Toropicana lorsqu’elle apporta, après quelques instants, une réponse à sa question rhétorique.

« J’avoue avoir bien ri avec Luna sur ce coup-là, commença la voix. Mais comme tu ne me serais guère utile en étant réellement assommé, j’ai jugé adéquat de faire une simple mise au point après un rêve “marquant”. »

Il fallut un peu de réflexion au licorne pour qu’il assimilât ce qui venait de lui être dit ; certainement le coup – quoique fictif – l’avait-il momentanément troublé.

« Alors c’était encore toi, c’est ça ? J’en reviens pas. J’ai fait au mieux pour que tout aille comme tu veux et tu arrives à me déranger en pleine mission, avec l’aide de ta sœur en plus. Vous êtes pas croyables, vous tenez vraiment à ce que le plan foire ?

— Mais qui a dit que ma sœur était au courant de notre petit arrangement ? » Les yeux de la princesse se mirent à pétiller.

« Parce que, en plus, elle a accepté de venir me prendre la tête dans mes rêves sans raison valable ? Ok, honnêtement, je préfère même pas savoir. Tu m’as confié Flitter, je gère, et c’est tout ce qui compte, expliqua-t-il avec sincérité.

— S’il en est ainsi, je ne vois pas de raison de m’entretenir plus longtemps avec toi, décida Celestia après quelques secondes de réflexion. J’étais convaincue que tu avais perdu l’objectif de vue et que tu ne maîtrisais par conséquent plus la situation, mais il semblerait que l’apprenti ait dépassé son mentor en matière de dissimulation, finit l’alicorne, le sourire en coin.

— Faut croire. »

Elle lança un regard en direction de l’intéressé, puis émit un maigre son de satisfaction. Sans crier gare, elle jeta toute l’éternelle puissance de sa magie sur l’étalon, transperçant son corps de part en part avant qu’il ne se désagrégeât dans un violent éclair lumineux.

Il avait disparu.

« Va donc quérir ta rédemption, la clef en est déjà attablée. »

***

Toropicana ne réalisait pas ce qui venait de se produire. Il était en train de discuter avec la princesse quand, soudain, le sol s’était mis à basculer et le décor avait commencé à se distordre avant de s’effondrer sur lui-même, laissant place aux abords du bar où il lui semblait avoir accompagné Flitter un peu plus tôt.

« Mais… ? commença-t-il, interloqué. Ça commence à me gonfler cette histoire ! » reprit-il lorsque ses idées s’éclaircirent. Il se défoula sur un buisson qui l’avait gracieusement recueilli, avant de lever les yeux au ciel.

En regardant à l’horizon, il remarqua que les nuages de Cloudsdale viraient sur cette teinte caractéristique d’orange qui annonçait le coucher du soleil. Il allait avoir du travail en cette soirée de la Saint-Galopin, et il ne devait pas perdre une seconde s’il voulait s’occuper de Flitter sans empiéter sur ses heures de services.

Il sortit de son antre végétal et se dirigea à la hâte vers la porte du bâtiment où se tenaient les festivités. Un écriteau rédigé en lettres soigneusement calligraphiées indiquait : “Réception des couples à vingt heures”.

L’étalon ricana : « Ça tombe bien, je suis pas encore accompagné. »

Il poussa la porte et fut instinctivement surpris par le calme des lieux. Il avait aidé à aménager l’endroit afin de créer un espace central réservé aux tables et à la décoration dans le thème de la journée, mais il ne pouvait faire fi de toutes ces années passées à servir les poivrots locaux d’une aube à l’autre.

« Eh, par ici ! » appela soudain une voix sur sa gauche.

Il vit Flitter, tout sourire et les yeux rieurs, lui faire un signe depuis une table. Cette vision lui donna instinctivement le courage d’avancer et il fut à portée de la pégase avant même de le réaliser.

« Alors, pas trop mal à la tête ? lui demanda-t-elle en plaisantant.

— Euh, attends, comment tu sais que je me suis pris un pain ? »

L’air incertain de la jument lui fit rapidement comprendre qu’il y avait peut-être quiproquo.

« De quoi tu parles ? Tu t’es fait frapper ? répondit-elle, une certaine inquiétude dans la voix.

— On va dire que c’est une longue histoire, j’ai marché sur un balai, enfin bref, tu veux pas savoir », affirma-t-il d’un air faussement précieux.

La pégase pouffa alors qu’elle se représentait brièvement la scène, avant de s’excuser pour son manque de compassion : « Au pire, ce n’est pas très grave. Tu es sain et sauf et tu n’as pas oublié notre rendez-vous, c’est l’essentiel, confia-t-elle avec un sourire.

— Eh, t’as devant toi un spécimen des plus coriaces, répondit-il en agitant les sourcils.

— Je t’envie presque, répondit Flitter. Si les Cake ne m’avaient pas préparé une de leurs recettes miracles, je serais encore clouée au lit à me morfondre.

— Cup et Carrot se sont occupés de toi ? T’as de la chance, j’aimerais bien que ma mémoire me revienne.

— Comment ça ? demanda la jument. Tu ne te rappelles pas ce que tu m’as dit ? »

En voyant l’expression perplexe de Toropicana, elle obtint une réponse aussi claire que s’il l’avait donnée de vive voix. Elle détourna le regard et se passa un sabot sur la nuque, avant de reprendre : « Franchement, j’étais trop ailleurs pour me souvenir de tout ce que tu disais… j’ai cru voir la princesse Celestia apparaître, c’est dire ! » ajouta-t-elle avec légèreté.

Elle ne remarqua pas l’expression du licorne qui se décomposait le temps d’un battement de cils.

« C’est clair, tu devais être sacrément torchée… répondit-il sans grande conviction. Je sais pas toi, mais je meurs de faim », s’empressa-t-il d’ajouter, détournant les yeux.

Sans laisser le temps à la pégase de répondre, il se dirigea vers les cuisines à la recherche des époux Cake. Le temps lui était vraiment compté, et il commençait à redouter que l’un des invités arrivât à l’avance. Ce n’était pas tellement qu’il craignait d’être vu en bonne compagnie, mais il devait éviter de se faire remarquer ce soir ; quelque chose le poussait à croire que Flitter avait un impératif similaire en tête. Sa sœur et son prétendant devaient se rendre à cette soirée, et, même s’il était pratiquement sûr qu’ils seraient en retard, elle lui avait révélé que ses parents seraient aussi de la partie.

« Je préférerais autant qu’ils ne s’imaginent pas ce genre de choses sur moi », se murmurait-elle. Elle entendit au même instant l’étalon rouge, la tête penchée vers l’autre pièce, réclamer des entrées. J’espère qu’ils ne les lui retiendront pas sur sa paye…

« Ouais, pas de souci, je vous les rembourserai demain ! » lança l’intéressé avant de tourner les talons pour revenir à leur table.

Mince, pensa-t-elle en fronçant les sourcils. Voilà ou ça mène de ne penser qu’à soi, tu as intérêt à être agréable ! se prévint-elle mentalement, décidée à ne pas ruiner ce moment en compagnie du licorne à l’amabilité sans limites. Il s’était tellement démené pour la faire changer d’air… qu’importe ses motivations confuses, elle se sentait redevable.

« Salade de légumes-feuilles aux trois tomates, accompagnée de sa sauce au gingembre », annonça fièrement Mme Cake en passant la porte battante quelques secondes plus tard. Non pas que cela eût une grande utilité si l’on considérait la vacuité des lieux, mais elle profitait de l’occasion pour s’échauffer avant d’être débordée par l’effervescence de la soirée.

Elle posa les deux assiettes sur leur table et en profita pour allumer le chandelier qui l’ornait, adressant un regard bienveillant à Toropicana, qui était trop occupé à scruter le visage de Flitter pour le remarquer. Elle se retira discrètement en direction des cuisines, l’esprit adouci par cette première vision romantique ; à leur façon, ces deux poneys avaient inauguré l’événement.

Ce qu’elle n’avait pas remarqué, c’était les premières silhouettes que l’on distinguait au travers des rideaux de satin rosé, ou l’heure sur la pendule qui trônait au-dessus du comptoir. Le temps s’était en quelque sorte arrêté pour eux, plus rien ne semblait exister hors de ce microcosme sentimental.

Mais, alors que la jeune pégase et le licorne, yeux dans les yeux, entamaient tout juste leurs salades, un coup se fit entendre à la porte, qui attira tous les regards de la pièce.

« Zut ! C’est déjà l’heure, s’exclama Mme Cake, la première à réagir. Carrot, Carrot ! appela-t-elle avec précipitation, pourquoi tu ne m’as pas prévenue ? Il faut que tu ailles t’occuper de la réception, des invités s’impatientent !

— Tout de suite ! » répondit son mari en boutonnant sa veste de smoking à la hâte.

Toropicana comprit ce que l’arrivée des premiers couples signifiait. Il se leva sans plus attendre et encouragea Flitter à faire de même. Tous deux se dirigèrent vers le comptoir, juste à côté de la porte battante.

« Je suis désolé que ça ait tourné comme ça, s’excusa le licorne, embarrassé. J’avais peut-être rien prévu, mais c’était pas non plus ce que j’avais en tête. »

Pendant un instant, il pensa que rien de tout ceci ne s’était réellement produit, mais il ne fallut pas longtemps à Mme Cake pour rectifier le tir. Elle fondit sur leur table, prête à tout débarrasser pour que son mari pût enfin ouvrir la porte. Il n’était plus question que de secondes.

« Ce n’est rien, lui répondit Flitter. Tu m’as déjà donné bien plus que tout ce que j’aurais pu espérer aujourd’hui, dit-elle, un sourire sincère se profilant sur ses lèvres. Je… »

À peine eut-elle le temps de le rassurer que M. Cake faisait un pas en avant et mettait un sabot sur la poignée. Toropicana poussa instinctivement la jument lilas dans la cuisine et se précipita dans son sillage au deuxième aller-retour du battant.

« Punaise, c’était moins une. Je sais qu’ils sont stressés à cause de la soirée, mais ils auraient pu prévenir… » s’indigna l’étalon, regardant le premier couple s’installer à travers la partie vitrée de la porte.

De son côté, Flitter ne comprenait pas bien ce qu’elle ressentait. Elle savait qu’elle n’allait plus le voir de la journée, peut-être même qu’elle ne le reverrait pas avant des jours, ou des semaines. Cette simple idée lui minait quelque peu le moral, et elle ne pouvait s’empêcher de déjà regretter son départ forcé. Aussi réconfortants que pussent être les mots du zèbre, elle ne l’écoutait plus vraiment tandis qu’il continuait d’essayer d’identifier les couples qui prenaient place – elle voulait simplement le faire taire.

Alors qu’il se retournait pour faire face à la pégase, elle passa les pattes autour de son cou et l’embrassa tendrement, sans le brusquer, prenant le temps qu’il fallait pour que ce bref contact restât gravé dans leurs deux mémoires. Il se tint un instant coi, confus par un geste d’affection si soudain, mais n’opposa aucune résistance ; il n’était pas sûr de ce qu’il faisait, mais ce baiser avait inéluctablement écarté la possibilité de réfléchir.

Lorsque leurs lèvres se séparèrent, ils se dévisagèrent, essayant de déterminer le ressenti et les pensées de l’autre, se refusant à reprendre leur souffle tant qu’ils ne seraient pas certains des intentions et de la sincérité de l’autre. Plutôt périr qu’avoir fait fausse route.

« Tu… tu… ? bégaya-t-il finalement, retrouvant peu à peu l’usage de ses capacités cognitives.

— On dirait bien, répondit-elle avec un regard honnête, les traits plus sereins que jamais. Merci pour tout ce que tu as fait pour moi. Je pense que je ne comprendrai jamais ce qui t’a poussé à faire tout ce que tu as fait pour moi, et je ne veux pas savoir pourquoi ça s’est passé et pourquoi il s’est passé ce qu’il s’est passé. Je pense juste que la magie de la Saint-Galopin n’est pas qu’une légende, en fin de compte, conclut-elle avec douceur.

— Vraiment, c’était rien… Enfin, si, c’était beaucoup pour toi… et pour moi, mais ce que j’ai fait… » Elle l’interrompit en lui passant un sabot dans la crinière.

« Je le sais »

***

Toropicana ne cessait de se repasser la scène en boucle dans sa tête : elle lui déposait un ultime baiser sur la joue, puis elle se retournait pour se diriger vers la porte de service, lui lançant un clin d’œil à la volée en franchissant le pas de la porte. Derrière son comptoir, il n’avait de cesse de servir des verres et de discuter avec la bande d’individus qui s’était progressivement approprié le coin. Il savait que leurs destins étaient liés, et que tout ceci n’était qu’une mascarade programmée, mais il faisait bonne mine et tâchait de n’éveiller aucun soupçon quant à son identité ou à son rôle.

Même s’il échangeait quelques mots avec les piliers du bar improvisé, son esprit était constamment ailleurs, fixé sur cette jument lilas qui l’avait inconsciemment touché en plein cœur. Il ne pouvait s’empêcher de la revoir à travers ce terrestre assis en face de lui, un certain System dont les couleurs lui rappelaient vaguement celles de Flitter.

En définitive, Toropicana avait été le seul à faire faux bond au destin ; il avait été convenu qu’il s’occupât de Flitter, mais il n’avait jamais été question de l’embrasser ou d’éprouver de quelconques sentiments à son égard. Pourtant, envers et contre tout, l’amour avait trouvé un moyen de mouvoir l’immuable et de perturber les plans de la plus démoniaque et maligne des créatures.

La magie de la Saint-Galopin avait vraiment quelque chose de spécial.

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Note de l'auteur

Avec un an et demi de retard, joyeuse revanche, Toro !

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