Cette histoire débute dans une grande jungle. Oui, une immense jungle avec des arbres et... euh... des marécages et encore des arbres comme... comme dans... une jungle...
Oh et puis zut ! Vous m’excuserez si je ne sais pas vous décrire une jungle, mais si j'y étais, ce n'était sûrement pas pour vous faire une visite !
Non, je n'ai pas une haine farouche de la jungle ! La preuve est que mon appartement y ressemble fortement. Sauf que mon chaos organisé, qui m'aide à me plonger dans de longues soirées d'aiguisage de mes talents, n'était pas du tout de la même envergure que cette sombre région tropicale où l'on se demandait à chaque pas si on avançait ou reculait depuis son départ.
Ce n'est pas non plus la première jungle que je croisais sur ma route, mais celle-ci avait un petit quelque chose de bizarre. Quelque chose d'oppressant et de lourd, comme si un puissant dieu l'avait arraché à un espace mystique pour la planter entre les Steppes d'Equestria et les mystérieuses Terres des Dragons, zones déjà oppressantes chacune de leur côté.
J'avais l'impression qu'une espèce d'aura magique émanait de chaque arbre et chaque feuille morte. Et je dois avouer que ces choses-là nous perturbent, nous, les licornes.
Les sons de cet enfer verdâtre étaient des plus angoissants : ici, un bruissement causé par un vent frissonnant, là un cri rauque d'oiseau inconnu et puis, un bruit de pas. Un bruit de pas qui résonnait sur les larges feuilles qui jonchaient le sol et qui ne cessait jamais... pour la simple et bonne raison que c'était les miens et que je ne savais pas du tout où j'allais.
Ah, il y avait aussi ce cri aigu et empreint de vérité qui aurait certainement attiré l'attention si quelqu'un l'avait entendu :
« Nom d'un orchestre d'ânes, qu'est-ce-que je suis venu fiche dans cette sauvage de jungle ?!! »
Il parait que crier un bon coup ça soulage... eh bien moi, j'étais encore plus énervée qu'avant. J'essayais de me détendre en écoutant le doux son d'un minuscule ruisseau, qui coulait dans un étang boueux avant de reprendre sa route.
L'eau, d'habitude, m'apaise, mais là, tout ce que qui s'y reflétait, c'était deux sourcils froncés sur de jolis iris orangés et une mèche décoiffée aigue-marine et cyan trempée de sueur, qui traduisait tout le chemin que j'avais déjà fait.
Quant à mon pelage, je l'avais quitté vert d'eau... maintenant, il était plutôt couleur poireau, ou peut-être était-ce à cause de la saleté de l'eau trouble...
N'allez pas croire que je me suis attardée sur mon aspect, j'ai déjà été pire, ne serait-ce que pendant ces nuits blanches à chercher les bons accords sur une satanée lyre tellement récalcitrante que je me demandais si c'était vraiment elle que j'avais sur le flanc.
Donc oui, on peut être originaire de Canterlot et non superficielle. Sinon pourquoi aurais-je accepté de me perdre dans une jungle inhospitalière dont je ne savais rien à part qu'elle était très très très loin de Ponyville ?
Si vous le voulez bien, prenons cette histoire en cours de route, au moment où j'accélérai le pas pour terminer cette mission au plus vite :
« Allez, reste zen. Tu trouveras ce que tu cherches, je ne peux pas rentrer les sabots vides, hein ? C'est ma réputation qui est en jeu ! De toute façon, même si je voulais rentrer, je ne le pourrais pas, je suis complètement perdue ! »
Je plaçai rapidement une patte sur ma bouche au cas où on m'aurait entendue me plaindre.
« Calme toi, Lyra, dis-je en reprenant mon chemin. Repense à tout ce qui te motive... c'est vrai ça, qu'est-ce qui me motive ? J'aimerais bien savoir pourquoi tu as accepté cette mission, c'était beaucoup plus simple de dire : Non, désolée Candy, j'ai un spectacle à répéter, demande à quelqu'un d'autre ! »
Je ne sais pas si vous l'aviez remarqué, mais il m'arrive très souvent de parler toute seule. Je vous assure que j'ai vraiment parlé à voix haute à ce moment-là, mon enfance a du être bien solitaire pour en arriver à ce point...
« Évidemment, ça ne serait jamais arrivé si Peewee n'avait pas rendu visite à Spike, au moment où il avait une urgence à Canterlot ! Et puis, il aurait pu l'emmener au lieu de le laisser à Candy Mane ! Il le laisse toujours à Candy, au final, Peewee la voit plus que Spike ! Mais une pâtisserie, c'est pas un endroit pour un bébé phénix, je n’arrêtais pas de leur dire !
Et bien sûr, Pinkie Pie a choisi son jour pour parler gourmandises et a bien insisté sur ces délicieux fruits qu'on trouve dans cette jungle. On est d'accord, si j'étais un phénix, je me serai échappé par la porte que Pinkie avait laissé grande ouverte pour aller manger quelques fruits à l'autre bout d'Equestria. Et si j'étais Candy Mane, j'aurais immédiatement appelé ma pote Lyra à la rescousse parce que ma pote Lyra est capable d'aller se fourrer dans des situations pas possibles pour se tailler sa solide réputation de détective ! »
Je m'arrêtais quelques instants pour écarter quelques branchages avec ma corne, histoire de trouver un phénix, on sait jamais.
« Soyons sérieux, je suis pas une vraie détective, c'est le métier de mon frère ça. Bien sûr que je l'imitais petite, comme tous les enfants. Bon, c'est vrai, il se trouve que je le battais à plate couture, mais c'est bien Graphite l'inspecteur et pas moi ! Je lui ai donné un coup de pouce (oui de pouce, ça va, je sais de quoi je parle) dans la plupart de mes enquêtes. Alors d'accord, j'ai cet espèce de truc d'observation et d'analyse un peu hors-norme et je m'en sers pour aider les amies, mais c'est pas une raison pour m'envoyer en mission de recherche dans une jungle immense où ce talent ne sert strictement à rien ! »
Enfin, à rien... pas vraiment... après tout je suivais depuis tout à l'heure une piste de fruits mordus sur lesquels j'avais deviné des traces de bec.
Et puis j'avais bien fait de me servir de ce tronc en bois pour remplacer une marche du pont que j'ai emprunté tout à l'heure. Ce pont qui était un peu enfoncé, trahissant le passage de créatures à quatre pattes, sûrement des poneys armés de lances tribales, étant donné les marques de taillage sur les feuilles.
Mais ça, c'était devenu quasi-naturel, un gros désavantage de ce don.
« Et dès qu'il y avait une énigme à Ponyville, c'était pour ma pomme ! repris-je pour moi-même. Mais ils savent que je peux pas m'en empêcher et ils en profitent ! Même au travail j'arrive à deviner quand je vais faire une fausse note et je m'amuse à analyser les expressions corporelles des spectateurs pendant les concerts. Non, ce n'est pas moi qui faut blâmer je pense, c'est plutôt Bon Bon qui m'a fait son mélodrame sur le pauvre oisillon perdu et livré au dangers mortels de la jungle. J'avais beau lui dire qu'un phénix était immortel, il fallait qu'elle me fasse ses gros yeux pleins de larmes ! Sérieusement, c'est une de ses techniques d'agent secret ou quoi ? »
Parler toute seule, ça m'aide à me concentrer. Je pense que j'avais beaucoup plus de chance ainsi de tomber sur un oiseau en feu ou une certaine pégase blonde.
Ah oui, c'est vrai... la pégase blonde...
« Bien sûr, il fallait que Derpy entende tout ! Je sais pas si elle voulait se prouver quelque chose ou rattraper ses gaffes, mais elle a décidé de chasser le phénix pendant que j'hésitais à dire oui. Du coup, j'ai eu le droit aux gros yeux pleins de larmes de Dinky... Et bah oui, j'ai craqué, voilà ! Si tu étais un peu plus ferme et moins bonne poire, tu ne serais pas dans ce pétrin feuillu, Lyra ! »
Puis je me battais avec une grande liane qui s'était coincée dans ma corne. En tirant de toutes mes forces, je finis par atterrir contre un arbre, au milieu d'un étang d'eau verdâtre.
C'est en regardant une nouvelle fois mon reflet que je me suis rendue compte que j'avais tourné en rond. J'explosai :
« PEEWEE ! Pourquoi faut-il que tu manges tes fruits de façon circulaire ! »
Puis je me mis à grommeler en enlevant la vase de ma crinière :
« Évidemment, j'ai rien demandé comme paiement... alors que Bon Bon est payée pour porter des lunettes noires et Graphite rien que pour aller chercher un café à son patron... »
Soudain, après m'être ébrouée, j'entendis un bruissement de feuilles. Les oreilles dressées, je retenais ma respiration pour capter le moindre bruit. Puis je l'aperçus devant moi entre deux branches : une plume rouge vif qui s'était posé pour grignoter un fruit.
« Le meilleur détective n'est rien sans un peu de chance... » chuchotais-je pour mon auto-satisfaction.
Telle une discrète chasseuse de phénix (puisque j'en étais une au final...) je me mis à ramper sur le sol en faisant le moins de bruit possible. Après cette approche sensible, je me retrouvais sous une branche où un petit phénix balançait sa queue enflammée de droite à gauche en voletant pour atteindre des fruits plus hauts.
Alors j'agrippai une branche assez basse avec un petit rayon magique et la tirai doucement jusqu'au sol. Le mouvement attira le bébé phénix qui se posa sur la branche en question et se mit à fouiller dans les feuilles avec son bec juste devant moi. Je me mis en position de saut et bondis rapidement sur l'oiseau.
Celui-ci poussa alors un hurlement de peur et décolla dix fois plus rapidement que moi. La branche reprit alors sa position initiale en me frappant au visage et en m'achevant au sol.
Après un soupir de défaite, je me remis sur pied (oui, j'ai dit pied, je sais toujours de quoi je parle) et me mis à courir à la poursuite de l'oiseau de feu, que je n'avais absolument pas envie de perdre à nouveau.
C'est ainsi que je me suis mise à courir dans la jungle, comme une dératée, comme une furie, en sautant par dessus les cours d'eau ou entre deux troncs d'arbre, sans jamais perdre de vue la tâche rouge flamboyante qui fonçait à la cime des arbres.
Et mon petit talent fit le reste du travail. En effet, d'un simple coup d’œil, j'analysais tout ce qui allait être un obstacle à ma course, comment j'allais passer où quand je pouvais accélérer.
De même, chaque minuscule virage du phénix que j'observais commandait à mon corps le même déplacement. Je sais, j'ai les tendances robotiques...
Et il me semble bien qu'à ce moment-là, j'ai du prendre mon pied. Oui, à courir au milieu de la verdure, je ressentais un sentiment de liberté agréable. Et puis ce stress de rester toujours aux aguets me remplissait ma dose d'adrénaline dont j'avais besoin quotidiennement pour ne pas m'embourber dans la vie austère et mélancolique que partagent tous les musiciens dépravés en quête d'inspiration.
Et j'aurais parié que Peewee s'éclatait autant que moi. Il ne cherchait pas à me fuir, on aurait plutôt dit qu'il prenait ça pour un jeu. Un jeu à deux cent à l'heure.
Ici, ma capacité d'observation me facilitait la tâche... parce que dans d'autres cas critiques, je pouvais bien lui dire au revoir.
Par exemple, s'il y a une chose à laquelle je ne m'attendais vraiment pas pendant cette course, c'est de croiser un autre poney avec la même impulsion. D'autant plus un pégase : ce n'est pas courant dans une jungle.
Celle-ci ne volait pas, elle se contentait de courir avec agilité, sa crinière noire et grise voltigeant tout comme sa queue. Elle abordait un pelage brun clair, un chapeau d'explorateur et deux yeux cerise tranchants.
C'est limite si elle découpait les arbres devant elle rien qu'en les regardant. Sa marque de beauté représentait aussi une étrange rose des vents...
Enfin, tout cela, je ne l'aperçus qu'un peu plus tard. À ce moment précis, je me contentais de lui rentrer dedans de plein fouet, et nous roulâmes au milieu des feuilles mortes en gémissant.
La tête en bas, le dos plaqué contre un vieil arbre, je regardai l'objet plumé de ma poursuite disparaître entre les feuilles. Après une demi-seconde à mordre ma crinière de rage, je vis la pégase en train de se tâter le crâne. Hum, peu importe, la courtoisie avant tout :
« Excusez-moi, dis-je en regardant la pégase brune. Je ne regardais pas vraiment où j'allais... »
L'élément perturbateur se releva d'un bond, me foudroya avec ses yeux de tueuse et fit craquer son cou. Après quoi, elle remit son chapeau en le vissant bien sur sa crinière tandis que je débarrassais la mienne de milliers de feuilles mortes.
« La politesse implique une réciprocité... » ajoutais-je avec un regard insistant.
En parfaite baroudeuse taciturne, la pégase secoua un peu ses ailes et repartit en courant sans même me regarder.
Non mais je rêve ! Cette inconnue venait de me rentrer dedans et de me faire perdre la trace de Peewee, je m'étais excusée, c'était à son tour maintenant !
Loin d'être à cheval sur ce genre de conduite, je me suis tout de même permise de la suivre au trot. Peut-être qu'aussi, je n'avais pas tellement envie de me retrouver seule...
« Pardonnez-moi, mademoiselle ! Vous venez de me faire perdre l'objectif de ma mission dans cette jungle franchement déplaisante. J'aimerais que vous éprouviez un semblant de culpabilité ! »
La pégase ne répondit pas et accéléra même le pas. Il en fallait plus pour me décourager.
« Ce n'est pas parce que vous avez l'air très occupée et parce que vous pensez certainement qu'une licorne comme moi n'a rien à faire dans cette jungle que vous devez être impolie ! »
Même manège, je tentais alors une autre approche.
« Écoutez, vous êtes la seule personne que je croise depuis un bon nombre d'heures, pourriez-vous au moins me dire qui vous êtes et où nous sommes ? »
La pégase se stoppa net et grimpa sur un rondin juste devant moi. Je me sentais vraiment écrasée...
« Nous sommes au milieu de la jungle de Yuatziltechlan, sur le territoire des Dragolithiques. La zone précise de notre position est le plateau d'Atrexalcoatl. Si vous continuez vers le nord, vous arriverez dans la jungle. A l'est, la jungle, à l'ouest, la jungle. Et au sud, le gouffre des âmes perdues de Gunafretlaktimolt. Autres questions ? »
J'allais ouvrir la bouche mais elle répondit directement :
« Et vous n'avez pas besoin de connaître mon nom. »
Puis elle sauta du tronc et repartit vers l'aventure.
Histoire de ne pas rester avec mes yeux de merlans frits au milieu de la forêt, je m’écriai :
« Vous ne vous êtes toujours pas excusée !
- Écoute, la licorne ! dit l'aventurière en revenant sur ses pas. Je suis à la recherche d'un artefact qui, s'il est déposé entre de mauvais sabots, peut mener à la destruction de la moitié d'Equestria et même plus ! Alors désolée, mais ce problème de bousculade est légèrement plus anodin !
- Je... répondis-je un peu effrayée... euh, très bien, vous êtes pardonnée...
- Je vous remercie.
- Attendez, moi aussi, je recherche quelque chose. On pourrait peut-être faire équipe ? »
La pégase colla son museau contre le mien et déclara avec le même regard de tueuse que tout à l'heure.
« Je... travaille... EN SOLO ! »
Et elle partit en courant, s'évanouissant dans la jungle dense.
Évanouie aussi, ma capacité d'observation-déduction. Cette fille était-elle vraiment en train de sauver le monde ou enjolivait-elle ses aventures pour se donner un air important ? Son nom était-il un secret national ? Et bon sang, qu'est-ce que c'était que Yuatzil-machin, Guna-truc et Atrexa-bidule ?!!
Dépitée, sans plus aucun espoir, je me suis mise à errer dans cette forêt interminable... Et c'est dans les moments comme ça que je parle à haute voix :
« Te revoilà au point de départ, Lyra. Pfff, je me demande si ce que je fais est vraiment nécessaire... Jouer les détectives, parcourir le monde ou essayer encore et encore de prouver qu'une civilisation de créatures bipèdes existe, c'est peut-être pas mes meilleures idées... Je pense que je vais me remettre à la musique et uniquement à ça dès que je rentre... Mais naaaaaaan, je sais que je pourrais pas vivre sans ça ! Allez courage, je vais bien finir par le retrouver, cette piste à l'air intéressante... »
Quand je vous dit que parler à haute voix m'aidait beaucoup, ça venait d'être le cas.
En effet, cela faisait plusieurs minutes que mon cerveau avait analysé les environs et détecté un sentier carbonisé au milieu des arbres. Rattachant immédiatement cette observation à mon phénix, il m'a fait avancer machinalement le long de ce sentier... sans même m'en dire un mot !
« T'as toujours une longueur d'avance toi, hein ? » dis-je à mon front.
Et ne pensez pas que je suis bizarre, ça fait des années que je trimballe cette faculté handicapante.
Parfaitement ! Très handicapante ! Imaginez-vous privé à jamais d'anniversaire surprise, de films à suspense et de jeux des 7 erreurs à cause de ce stupide raisonnement d'observation et de déduction accéléré !
Bon, cessons de nous plaindre, c'est quand même un don assez utile. Je l'avais déjà bien mis à l'épreuve lors mes petites « enquêtes » ponyvilliennes, des vols de bijoux (en toc), des lettres anonymes (signées par le corbeau), des disparitions d'étalons (qui avaient juste oublié l'heure) et cætera...
Et pour tout vous dire, je ne saurais vous en raconter aucune dans le détail. Oui, j'élimine les informations de mon esprit au fur et à mesure. Je libère mon esprit pour des choses vraiment importantes et utiles. Selon moi, notre cerveau est un grenier exhaustif : il n'y a pas de place pour les encombrants !
Bref, le temps que je me parle et que je me pense, je débouchais finalement sur un lieu beaucoup moins... feuillu.
Pour la première fois depuis un loooooooong moment, la zone qui me faisait face était pleine d'habitations.
C'était une grande clairière recouverte de terre et de poussière blanche, sûrement de la craie. Des huttes en paille ou en terre argileuse, analysées immédiatement trop grandes pour des poneys, poussaient ça et là. Des allées avaient même été construites avec des pierres volcaniques qui ne venaient sûrement pas du coin.
Aucun doute possible, les branches encore chaudes d'un feu de camp à côté duquel je passais indiquaient qu'il y avait toujours de l'activité ici. Une civilisation, enfin ! Les signes étranges que je n'ai pas pu traduire (et pourtant j'ai essayé) révélaient une certaine culture semblable aux Pégaztèques ou aux Jumincas.
Si cette zone était déserte, peut-être que les créatures qui la peuplaient étaient partis en groupe pour je ne sais quelle occasion.
Et il faut croire que la zone n'était pas si déserte que ça. En fait, j'entendis soudainement un cri venant de la hutte la plus proche de moi. Le même cri que j'associais désormais à ce violent coup de branche au milieu de la forêt. Je me précipitai vers cette hutte colorée et ornée de pierres précieuses où se cachait Peewee.
Des yeux menaçants étaient dessinées sur les parois de la hutte, l'ambiance collait donc à merveille avec la jungle qui les entourait.
Si l'extérieur de cette bâtisse ressemblait à une vieille hutte aborigène, l'intérieur ressemblait encore plus à une vieille hutte aborigène. Le genre de lieu où l'on se plairait à faire des rituels vaudous, au milieu des bambous sculptés et observé par les masques tikis plus ou moins amicaux. Mon flair inductif naturel identifia tout de suite une fenêtre trop haute pour un équidé, un toit en tôle à l'épreuve du feu et des outils hétéroclites datant du début du Cénozoïque.
Mais à vrai dire, je ne me suis pas beaucoup attardé sur le lieu car - théorie du grenier - ce qui m'intéressait vraiment était plutôt au milieu : une cage. Une espèce de vieille cage rouillée dans laquelle se tenait l'objet de mes recherches, Peewee, le phénix qui me regardait en penchant la tête sur le côté.
Il ne semblait ni contrarié par son enfermement, ni heureux de rencontrer sa sauveuse, juste interloqué par ma venue.
J'ouvris alors la cage, qui n'était même pas verrouillée, en essayant d'attirer sa sympathie :
« Oh, pauvre petit phénixou... qui est le grand vilain qui t'a enfermé là-dedans ? Allez, viens, on rentre à la maison...
- Un pas de plus et je te grille sur place, poney ! » lança une voix derrière moi.
Et là mon esprit se mit à tourbillonner. Cette voix était loin de m'être inconnue. J'allais puiser dans ma mémoire... un visage... un corps... un espèce de gros mastodonte rouge...
Je ne pu m'empêcher de me représenter son regard terrible et tous les sales coups qu'il m'avait fait. Certes, c'était il y a des années, mais un dragon comme lui, ça vous marque.
Faisant abstraction un instant de l'angoisse qui me prenait quand je me le représentais, je me retournai avec un petit sourire mesquin :
« Tout le monde sait que tu as du mal à cracher du feu... Garble. »
C'est alors que je pu l'observer. Cet abruti avait encore grandi, il prenait tout l'encadrement de la porte. J'ai du prendre sur moi pour observer mon adversaire, de la queue tranchante à la crête sur sa tête, en passant par ses horribles ailes et ses dents acérées.
Mais pour l'instant, il avait l'air un peu désarmé, ma technique avait fait mouche.
« C'est... c'est pas une raison d'abord ! grogna-t-il avec sa voix d'ado en mue. S'il-te-plaît, commence pas, j'ai pas envie que ça se sache...
- Pourquoi as-tu enfermé ce phénix ?
- Je n'ai pas de comptes à te rendre, Rita !
- Lyra.
- C'est pareil ! »
Alors oui, je me souvenais de lui, mais il faut croire que la mémoire d'un dragon pubère est franchement plus courte que celle d'un poney. Et tandis qu'il cherchait ses mots pour me menacer, je repensais à toutes les épreuves qu'il m'a fait subir.
La première fois que j'ai rencontré Garble, il était un pauvre dragonnet perdu dans Canterlot. Je travaillais alors dans l'orchestre de Parish Nandermane et il s'était réfugié derrière les rideaux. A cette époque, il était vraiment chou, et c'est uniquement parce qu'il m'avait fait rire en bavant innocemment sur le violon d'Octavia que j'ai encore un peu de respect pour lui aujourd'hui.
Puis ses copains sont venus le chercher, et il est reparti... en volant toutes les partitions des concerts et la baguette du chef d'orchestre... première honte de ma vie...
Évidemment, c'est moi qui fut chargé par Parish de retrouver en vitesse les partitions, d'abord parce que j'étais déléguée à cette créature, et ensuite parce que, apparemment, je suis la bonne poire qu'on envoie pour retrouver les trucs perdus au fin fond de nulle part...
Bref, je suis arrivée dans le camp de Garble à la recherche de ce qu'il m'avait volé... et je suis devenu une véritable attraction pour ados dragons attardés. Je regrette encore le moment où je l'ai supplié de me rendre les partitions et j'ai accepté de faire n'importe quoi pour ça. Pendant une semaine, j'ai valsé entre les pattes de ceux qui voulait un cheval pour se rendre intéressant, qui me demandait de faire apparaître des trucs par magie pendant une journée entière, qui me prenait pour un punching-ball (et ne m'ont jamais touché, rassurez-vous) ou pire, qui me prenait pour un psy...
Au final, et ce fut le moment le plus déchirant de ma vie, j'ai échangé la broche que ma mère m'avait offerte à mon premier concert contre ma liberté, et les partitions. Je suis rentrée en larmes à Canterlot.
Injustice ? Bof, pas tellement... il se pourrait que les délicieux saphirs que j'ai conseillé à Garble aient un comportement ignifuge une fois ingéré. Il a pris ma broche, j'ai pris son feu, œil pour œil, dent pour dent...
Alors oui, ce dragon avait ruiné une partie de ma vie, mais il m'a aussi fait grandir. Garble n'est pas un méchant, c'est juste un idiot. Mais, soyons honnêtes, j'aurais préféré sauter d'une falaise que le croiser une troisième fois.
« Ça fait longtemps, hein ? dit-il finalement en me voyant perdue dans mes pensées.
- Je ne m'attendais pas à te voir ici. Je suppose que tu es en vacances, non plutôt, que tes parents t'ont envoyé rendre visite à ta famille dans le coin. J'ai bon ?
- Ouais... dit Garble un peu effrayé par ma déduction express. Ici, c'est le territoire de ma tante, la chef des Dragolithiques, et mes vieux m'ont envoyé dans ce trou à rat où il y a rien à part des lianes, des cailloux et des jolies dragonnes... Eh ! Attends, pourquoi je te parle de ça ? Tu n'es qu'un poney et je vais t'écraser !
- Tu ne sais même pas ouvrir une châtaigne...
- Les gars ! cria-t-il en dehors. Y a un poney qui veut partir avec notre phénix ! »
Je vis soudainement un tête de dragon blanc apparaître à la fenêtre. Puis une deuxième de l'autre côté, puis trois, puis quatre. Bientôt, une dizaine de dragons encerclaient la hutte. Ils commencèrent à brailler des cris à perforer les tympans.
Tout mixé, ça donnait à peu près ça :
« Hé, qui voilà ? C'est la petite Lyra ! Elle vient nous jouer un petit morceau ? Moi, je dirais plutôt qu'elle est perdue ! Ah ah, la petite licorne s'est perdue dans la jungle ! Tu vas voir qu'elle va repartir en pleurant. Bouh ouh ouh, pauvre poney ! De toute façon, elle aura pas le temps de se perdre ailleurs. On va lui faire la peau ! Ouais, et à son phénix aussi ! Imbécile, il est à nous le phénix ! »
Garble les fit taire en poussant un cri et me regarda avec son sourire de génie du mal en herbe :
« Avant qu'on te massacre, dis-nous ce que tu fais ici.
- Tu vas rire, je recherchais ce phénix... et aussi une pégase, mais c'est moins important...
- Vous avez entendu, les gars ? »
Les autres se mirent à rigoler.
« C'est quoi ton problème avec Peewee, Garble ? m'écriais-je. Il est un peu plus difficile à briser maintenant qu'en œuf tu sais ?
- J'ai besoin d'une plume pour une affaire super importante. Et maintenant, c'est toi que je vais briser ! »
Les dragons rentrèrent alors à l'intérieur de la hutte. Ils s'approchaient de moi et Peewee, lequel commençait à trembler. J’essayai d'assembler rapidement tout ce qui pourrait m'aider à échapper à cette situation délicate.
« Allons, hé hé, vous allez pas attaquer une pauvre licorne sans défense hein ? Imagine la réaction de ta tante, Garble ! »
Mais rien n'y fit, il continuait à avancer, et moi à cogiter, de plus en plus vite.
« Attendez les gars, on fait un autre échange ! Vous me laissez partir avec le phénix et je vous aide. Je vous aide à... non, pas encore tout ce que vous voulez, ça va finir mal... »
Je sentais la respiration de Garble sur mon cou, ça brûle un souffle de dragon.
« Non, Garble, attends, je... je peux t'aider... je veux juste... savoir comment elle s'appelle ! »
Aussitôt, il se stoppa, écarquilla les yeux et poussa tous les autres.
« Co... comment... elle s'appelle ? Tu veux parler de...
- La fille dragonne que t'essaies de conquérir ? » dis-je après une grande inspiration.
Encore une fois, ma capacité de déduction venait de me sauver la vie. Je retire tout ce que j'ai pu dire, elle était géniale !
Garble, lui, subit les regards étonnés de ses camarades. Il leur répondit en leur montrant les dents puis se tourna vers moi :
« Comment as-tu deviné ça ?
- J'ai simplement vu ton œil briller lorsque tu as parlé de jolies dragonnes, puis tu t'es tout de suite mis en colère comme si tu avais quelque chose à cacher. Tu as aussi déclaré avoir besoin de la plume pour une affaire super importante et je suppose que ta crête ne serait pas aussi bien peignée s'il n'y avait pas une charmante dragonne dans le coin. Ah, j'oubliais, tu sens le parfum à force de lui tourner autour... »
Garble renifla un peu son corps puis baissa les épaules en soupirant :
« Mais si je te fracasse, tu pourras jamais les prévenir...
- Sauf que tu ne le feras pas parce que ta dulcinée va revenir d'une minute à l'autre. Elle verra que tu as mis le bazar dans sa hutte - Parce que c'est sa hutte n'est-ce-pas ? Je reconnais le parfum - et te rejettera dès le moment où elle apprendra que tu t'attaques à des poneys sans défense...
- Peut-être qu'elle ne se saura jamais... dit Garble en baissant la voix.
- A part si je l'appelle très fort : CA...
- Stop ! Stop ! Tais-toi ! Ok, qu'est-ce-que tu veux, Mirza ?
- Déjà, je suis Lyra. Et ensuite, ce que je veux c'est Peewee et la direction pour sortir de cette jungle.
- Je peux pas te laisser partir avec le phénix !
- Parce que tu as besoin d'une plume pour offrir à ta dragonette ?
- Oui...
- Mais pas juste une simple plume pour lui faire plaisir... C'est quelque chose qu'elle t'a demandé... non qu'elle a demandé à tout le monde... attends, je lis dans tes yeux... c'est plutôt une plume que tous les Dragolithiques recherchent et qu'elle s'est mise en tête de trouver. Et toi, tu aimerais lui apporter sur un plateau d'argent pour enfin conquérir son cœur, j'ai bon ?
- Tu as lu tout ça dans mes yeux ?!
- Non, mais y a ton pote qui me fais des signes par la fenêtre quand j'ai la bonne réponse... »
Garble se tourna immédiatement vers la fenêtre ou un gros dragon vert agitait la tête en levant ses pouces. En croisant le regard du chef de la bande, il arrêta de sourire et disparu en glissant vers le bas.
« La plume que tu recherches est unique et précieuse, n'est-ce-pas ? repris-je pour Garble.
- Ouais, les vieux croûtons qui réfléchissent appellent ça la Plume d'Aurore...
- Et tu penses vraiment que la plume de n'importe quel phénix va faire l'affaire ? Si la tribu de ta tante recherche un artefact rare et magique, ça m'étonnerait que mon Peewee s'en trimballe des milliers sur le dos ! Je suis navrée mais ce n'est pas ce que tu cherches.
- Est-ce-que tu ne dirais pas ça uniquement pour le garder pour toi et t'enfuir ?
- Je ne suis pas prête de m'enfuir, j'ai encore une pégase perdue à sauver. »
Et là, une étincelle a jaillit dans mon esprit, une espèce d'évidence mêlée à un grand élan de sympathie.
« Écoute Garble, vu que je suis un peu coincée dans les environs, j'ai envie de t'aider.
- Ah oui ?
- Ouais, je trouve cette histoire de Plume d'Aurore vraiment excitante. On la cherche ensemble, on la ramène à ta chérie, tu gagnes la gloire de la tribu et peut-être un petit baiser, ça te va ?
- Un baiser de...
- D'elle, abruti ! Qu'est-ce que tu vas imaginer ?!
- Ah... et je suppose que tu veux quelque chose en échange...
- Et bien, tu vois que tu peux déduire des choses toi aussi ! D'abord, je veux, comme je t'ai dit, le phénix et la sortie.
- Hum, y a autre chose ?
- Numéro un, que tu m'aides à chercher Derpy.
- La pégase ? Les doigts dans le nez, je te la retrouve en survolant la jungle en une seconde. Tu n'as pas l'impression que ce marché est désavantageux pour toi ? »
Non mais regardez-moi cet excès de confiance ! Garble était vraiment idiot, c'était par pure bonté de cœur que je l'aidais ! Je savais pertinemment que je pouvais trouver sa plume, un moyen de m'enfuir, Derpy et la sortie de la jungle toute seule ! Bon ok, il y avait un autre truc que lui seul pouvait me donner...
« Numéro deux... je veux ma broche.
- Celle que tu m'a laissé y a des années ? Mais, je l'ai plus...
- Menteur.
- Oui, d'accord, je l'ai, je l'ai ! Enfin, je l'ai offerte à cette magnifique Dragolithique... je pourrais peut-être, dans l'absolu, éventuellement, arriver à lui échanger avec la plume...
- Marché conclu alors ? »
Garble regarda les dragons qui se curaient le nez autour de lui, avant de pester en serrant ma patte.
« Argh, marché conclu... Lyna.
- Ah, je salue l'effort, mais c'est toujours Lyra ! Bon, tu me présentes ta petite famille ?
- Quoi ? Tu veux rencontrer les Dragolithiques ? Mais ce sont des dragons, pas des hamsters ! Il sont deux fois plus grands et féroces que moi !
- Je suis sûre qu'ils sauront reconnaître une invitée de marque. Et puis, on doit avoir des points communs... c'est bizarre des dragons végétariens non ? »
Je me dirigeais tranquillement avec Peewee vers la sortie de la hutte, non sans jeter un œil aux grands sacs de fourrage entassés à côté de l'espèce de marmite au fond de la hutte.
Je suis sûre que tous les dragons me prirent pour une espèce de médium à ce moment-là...
Garble soupira et lança maussadement en sortant :
« Les Dragolithiques ratissent la forêt à la recherche de la Plume d'Aurore. Ils devraient se réunir au village dans une petite heure pour leurs rapports, avant d’aller se coucher… c’est pas la teuf jusqu’à minuit dans ce bled de vieux...
- Et qu'est-ce que toi et ta bande de... Volcanoes - c'est bien ça ? - faites tout seul dans ce bled de vieux ? »
Le dragon se tourna vers un de ses copains et lui arracha sa casquette marquée Club des Volcanoes, rejoignez la bande de Garble avant de l'envoyer le plus loin possible.
Puis il daigna répondre à ma question :
« On est chargé du repas si tu veux tout savoir.
- J'avais deviné, c'est pour ça que ton ami a une grande bouteille de tabasco ultra-piquant... »
Un grand dragon aux écailles bleues ouvrit grands les yeux, il lâcha la bouteille qui se fracassa au sol.
« Très bonne blague, repris-je. Je suis sûr qu'ils vont apprécier...
- Mais ça n'a aucun rapport, se défendit le dragon bleu. On allait s'en servir pour...
- Elle est déjà vide. » coupais-je le plus sèchement possible.
Garble se mit à cracher de la fumée par les naseaux.
« Argh, tu me mets les nerfs en pelote, Tifa ! cria-t-il en donnant un coup de pied dans le mollet d'un de ses potes. Si tu veux vraiment voir les Dragolithiques, va les attendre sur la place et fous-nous la paix ! Et vous, les gars, allez refaire le potage sans tabasco ! »
Les Volcanoes partirent en se précipitant.
Tout en me dirigeant vers la place du village, je donnais un coup de coude à Garble qui se mit à sursauter.
« Hé Garble, du coup... c'est quoi son nom à ta copine ?
- Quoi ? Tu ne le savais pas ?
- Non pourquoi ?
- Tu... tu m'as roulé quand t'a commencé à l'appeler CA... ?
- J'allais dire Capucine, mais c'était carrément au hasard, répondis-je avec un grand sourire. Alors, qui c'est ?
- Ca... Callisto... soupira Garble, dépité de s'être fait berné encore et toujours.
- Et où est-elle ? À la chasse à la Plume ?
- Plus ou moins, elle est partie faire une petite promenade, un truc de fille, avec une amie... enfin, une amie... un poney...
- Un poney ? Je le connais ?
- Je sais pas, tu lis quoi comme bouquins ?
- Du solfège, pas mal de sciences et des bouquins d'espionnage depuis peu, pourquoi ? C'est un auteur ?
- Y paraît... mais plus de fictions... son nom c’est... T.K. Bowling... un truc dans le genre...
- De la fiction ?
- Ouais, le genre d'aventures qu'on peut jamais vivre. Et encore moins une écrivaine coincée comme elle... elle doit pas avoir l'habitude de la jungle...
- Alors je suis sûre que ce n'est pas elle que j'ai croisée récemment ! » dis-je en riant.
A l'heure où je vous parle, c'était la phrase la plus stupide de mon existence. Mais c'est toujours par les petites phrases stupides que commencent les plus énormes des aventures. J'étais loin, mais alors très très très loin, d'imaginer où cette Plume d'Aurore et cette T.K. Bowling allaient m'emmener…
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