Chronique IV : Un Repos Mérité

Le feu brûlait au milieu du cercle formé par les poneys. Depuis le début de la guerre, les saisons étaient complètement déréglées, par l'absence de pégases préposés au temps assez courageux pour survoler les zones de combats. Quand à Cloudsdale, ses usines avaient été réduites au silence, et les pégases l'avaient progressivement abandonnée. Aujourd'hui, elle restait immobile, aux frontières nord du royaume, avec quelques poneys trop fiers pour la quitter qui s'occupaient de la garder en état.

Ce « soir », il faisait froid.

En l'absence d'un cycle jour/nuit digne de ce nom, les poneys d'Equestria avaient appris à se débrouiller pour décider des veillées, tours de gardes et heures de sommeil. Là, c'était le temps de repos qui correspondait à la « nuit ». Mais personne n'arrivait jamais à dormir tranquille. Comment savoir si l'ennemi avait pris le même cycle ? Pour planifier les attaques non plus, ça n'aidait pas.

Shadow Stalker regardait le ciel rougeoyant. Il s'attendait presque à voir surgir des Wendigos. Mais apparemment, les histoires qu'on leur comptait sur Hearth Warming Eve n'étaient que de simples légendes. Sinon, ils auraient gelés depuis longtemps. Ou alors, la sauvagerie des poneys les avait effrayés.

Autour du feu s'endormait un petit camp, de moins d'une cinquantaine de poneys. Ils avaient fait une longue mission de reconnaissance et de sabotage à l'arrière des lignes ennemies, et contrairement à d'habitude, elle s'était plutôt bien passée. À présent de retour dans leurs frontières, ils étaient, relativement parlant, en sécurité.

Néanmoins, les mines étaient sombres. Beaucoup de poneys n'avaient pas vu leur famille depuis des semaines, voire des mois, et certains avaient vu des amis mourir pendant cette mission. Des amis qui se ne trouvaient pas forcément dans leur camp.

Ils étaient partis à cinquante pour une mission de reconnaissance au cœur du dispositif des solaires. C'était une mission de test pour une nouvelle formation imaginée par Stalker, qui réunissait les meilleurs commandos, snipers, éclaireurs, saboteurs et autres cauchemars tapis dans l'ombre, autrement dit les pires craintes des troupes régulières.

Ils avaient choisi pendant la mission le nom des « Night Ops », les agents de l'ombre de Luna. La mission elle-même était d'une importance capitale, Stalker le savait. Il fallait qu'elle réussisse. L'avenir du monde pouvait bien en dépendre. Pour le moment, tout se passait comme sur des roulettes. Hormis un tireur isolé que le poney rouge avait rapidement mis hors d'état de nuire, ils n'avaient pas été repérés. Un tour de force, qui montrait l'efficacité de son unité. Tout comme ces deux bases qu'ils avaient proprement vidées de toute vie sans qu'aucune alerte ne sonne. Les poneys des troupes régulières trouveraient sûrement ça monstrueux.

Mais Stalker et ses soldats n'étaient pas vraiment du genre à la jouer à la régulière. Les membres de cette missions n'étaient pas seulement discrets, ils étaient efficaces. Et l'efficacité passait aussi par une capacité à laisser ses sentiments de côté. Ils étaient tous prêts à tout pour assurer la victoire à Luna, quelle que soit la méthode. Platinum Armor avaient vu le projet de Stalker avec un certain dégoût, arguant que ce mode de pensé était dangereusement proche de celui des Licornes du Soleil. Cependant, la Princesse leur avait donné son aval, car les plans du poney rouge pouvaient accélérer la fin du conflit. Du moins, l'espérait-il.

Il parcourut rapidement les poneys du regard. La plupart avaient l’œil éteint, tentant d'accepter le genre de mission qu'ils allaient désormais faire, et dont ils avaient eu un avant-goût. Peut-être que certains cherchaient déjà un mensonge à raconter à leur famille pour éviter d'être jugés trop durement. Et puis, il y avait ceux qui s'en foutaient, et qui se laissaient simplement somnoler.

Quoi qu'il en soit, il ne devait pas laisser le moral s'effondrer. Il avait souvent été à la tête d'une équipe réduite, mais c'était sa première fois qu'il dirigeait un groupe de cet envergure, et il comptait bien recommencer. Les Night Ops étaient un atout trop important pour l'armée lunaire, mais s'il laissait ses subordonnés sombrer dans la dépression, le projet serait annulé.

Ses yeux se fixèrent sur une ponette particulière de l'assemblée. Sous son gilet sombre comme la nuit, il pouvait voir sa robe grise clair, sa crinière longue et noire recoiffée avec soin après qu'elle ait enlevé son casque, et un nœud papillon violet qu'elle refusait d'enlever malgré son manque flagrant de discrétion. Octavia avait lancé une mode de la « signature » parmi les Night Ops, et beaucoup arboraient des signes distinctifs. Stalker lui-même s'était pris au jeu en gardant son chapeau en tissu d'éclaireur. Ainsi, ils étaient tous spéciaux, uniques.

La jument nota son regard insistant, et haussa un sourcil interrogateur. Le poney rouge lui fit des signes discrets, qu'elle fit d'abord mine de ne pas comprendre, avant de rendre les armes. Elle se leva alors, et se dirigea vers sa tente. Le mot d'ordre du groupe était l'efficacité. Pas d'objets lourds ou encombrants, et surtout, pas d'objets inutiles. Cependant, Stalker n'était pas dupe. Beaucoup avaient ramené leurs gris-gris personnel, à commencer par lui et ses habituels brins de paille. Simplement, ils n'étaient pas tous aussi gros que celui de l'ancienne musicienne.

Octavia revint rapidement, un violon entre les sabots. Elle s'assit sur un rondin de bois, vérifia l'accordage, et posa l'archet sur les cordes, sous le regard curieux des poneys qui l'entouraient.

Une plainte s'éleva alors de l'instrument, d'abord lente, la ponette récupérant des réflexes depuis longtemps mis au placard. Puis, d'un coup, le rythme s'accéléra, les notes s’enchaînèrent rapidement pour former une mélodie enjouée renvoyant aux déserts et aux terres arides, peuplés de poneys campagnards et joyeux. Amusés, les autres soldats se mirent à frapper le rythme des sabots. Rapidement, l'humeur changea, et la morosité laissa la place à un sincère soulagement dans les yeux des équidés.

Soudain, Windvision se leva, et se mit à danser avec ferveur, se postant proche du feu. Des rires commencèrent à monter dans le cercle, et les étalons se mirent à siffler la demoiselle qui se déhanchait. Certains se levèrent à leur tour, et la rejoignirent dans sa danse. Une voix raillée d'un des poneys monta alors, accompagnant la musique d'un chant grivois adapté pour coller au rythme, improvisant parfois lamentablement, ce qui déclenchait des fou rires dans l'assemblée.

La soirée continua, dans la musique, la danse et les chants qui se succédaient. Ils étaient en sécurité, plus rien ne pouvait les atteindre.

Shadow s'écarta un peu de la fête improvisée, un sourire aux lèvres. Ce genre d’événements n'étaient pas vraiment son truc, et il fallait bien que quelqu'un s'occupe de faire le guet. Il s'éloigna donc, et se camoufla dans les ombres.

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Kind Kitty écoutait la musique. Derrière elle, ses soldats attendaient impatiemment qu'elle donne l'ordre fatidique. Cette unité de lunaires n'avait pas été facile à retrouver, mais à force de patience, de rumeurs et de postes de garde fantômes, ils avaient enfin réussit à leur mettre le sabot dessus. Ces gens ne devaient pas rapporter ce qu'ils avaient vu. Même si cela impliquait pour Kitty et ses hommes de s'aventurer en plein territoire ennemi.

Cependant, Kitty ne parvenait pas à donner l'ordre. Cette musique, ces chants, cette bonne humeur... Depuis quand ne les avait-elle pas vu ? Est-ce que les lunaires étaient toujours aussi enjoués? Sous le règne de Celestia, la plupart des officiers tenaient à respecter une certaine austérité lors de leurs missions. Mais ici, un des soldats avait même un violon !

De plus, tout ce déploiement de joie la ramenait des années en arrière, quand la guerre était une chose impensable, que toute personne croisée était un ami en devenir, pas un ennemi potentiel, et que rien ne venait troubler le repos des poneys, hormis quelques trouble-fête vite renvoyés. Kitty sentit des larmes lui monter aux yeux. Elle ne voulait pas arrêter ça. Pas maintenant.

Elle sentit un mouvement derrière elle.

-Qu'est-ce qu'on attend au juste ? Ils sont distraits, profitons-en !

Kitty regarda l'étalon qui venait de parler d'un œil mauvais :

-C'est pas le bon moment...

L'autre le regardait d'un air suspicieux.

-Tu serais pas…

-C'est qui le chef ? aboya-t-elle. Retournes dans les rangs !

L'autre obtempéra en maugréant.

Les heures passèrent ainsi, alors que Kitty n'arrivait toujours pas à se décider à attaquer. Elle aurait voulu sortir des fourrés, courir vers eux, danser et chanter en leur compagnie, comme si rien ne s'était produit. Mais son uniforme serré lui rappela qu'elle n'était pas la bienvenue. Elle était fidèle à sa Princesse, et les Traîtres méritaient châtiment.

Mais pour l'heure, la musique abolissait les frontières.

Le poney rouge qui s'était éloigné un peu plus tôt revint, et glissa un mot au violoniste. Celle-ci acquiesça, et la troupe passa à un autre type de musique, une de celle qui se danse en couple, avec changement régulier de partenaire. Le poney rouge commença alors à danser avec la ponette verte qui avait commencé, puis ils changèrent. La chanson gagna progressivement en intensité, jusqu'au dernier coup d'archet. Alors, les lunaires applaudirent la musicienne, et, sûrement épuisés, se dirigèrent vers leurs tente.

L'attente était terminée. Kind Kitty fit signe à ses soldats d'avancer discrètement. Ils allaient les avoir par surprise.

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Dans le camp, à l'abri du regard des invités importuns, les Night Ops préparaient leurs armes. Le message était passé lors de la dernière danse :

« La fête est finie. »