Le soleil ne réussissait pas à traverser les arbres, plongeant les bois dans une nuit éternelle, mais cela ne dérangeait pourtant en rien la vision. Comme si la forêt avait évolué, s’était accordée avec ce noir. Tout n’était plus que nuances de gris, entretenant cet aspect malsain et sadique de vouloir vous enfermer dans les menottes de la nuit. Les branches se pliaient et claquaient les unes contre les autres. Les arbres étaient proches, trop proches. Ils se mêlaient entre eux, s’enlaçaient pour mieux s’étrangler de leurs étreintes mutuelles. On pouvait facilement imaginer comment les arbres avaient peu à peu déposé leur bandeau sur le soleil, pour cacher au monde leurs sombres secrets. Faisant régner un silence complet, comme si le monde avait reçu son bâillon. La forêt avait imposé son règne, elle était désormais maîtresse de ces terres, et ses visiteurs seront les esclaves de ses sautes d'humeur.
Cela ne dérangeait pourtant pas les deux captives ignorantes de continuer de s'amuser. Elles se couraient après, se bagarraient, se cachaient. Pendant des heures et des heures, elles changèrent de jeux sans même se concerter, comme si elles ne faisaient qu'une. Nuls mots n’étaient émis et pourtant elles se comprenaient. Ughette le savait parce que Raincow Thrash le savait. Certaines fois Ughette visionnait les cachettes de Raincow Thrash ; elle les voyait comme si c’était elle même qui se cachait, comme si elle vivait deux vies : Elles étaient en parfait accord. Elles jouaient sans s’arrêter, le temps défilait et leurs énergies infinis rompaient le cycle temporel. Rien ne pouvait leurs faire prendre conscience du temps. Elles s’étaient perdues dans la forêt jusqu'à oublier ce qu'elles avaient avant de venir ici. Dans un total oubli d'elles-même, envahies par la nuit, le silence et la plénitude, elles avaient trouvé la liberté. Elles continuèrent de jouer pendant des jours, sans ressentir la faim ni la soif. Elles jouaient sans s’arrêter. L'insomnie était un mot qui s’arrêta d'exister, tant leurs énergies débordaient. Elles n’étaient désormais plus vraiment réveillées ni même réellement endormies.
Elles s'amaigrissaient à vue d’œil, devenaient squelettiques mais la faim ne les empêchait pas de continuer leur sempiternelle quête du meilleur jeu. Jusqu’à ce qu'Ughette se sente soudainement seule. Cernée par l’immensité du vide entre les arbres, elle se mit en garde comme un chasseur menacé de devenir la proie. Elle ne s’était pas faite attrapée depuis un bon moment. C’était bien trop calme. Raincow Thrash ne peut pas rester tranquille. Elle doit forcément mijoter quelque chose. Un nouveau jeu ? Pourtant Ughette était dans l'incapacité de le deviner cette fois. Méfiante, elle s'attendait à tout. Soudain, elle vit dans un coin sombre un grand sourire perçant, avant de voir Raincow Thrash lui sauter dessus en criant « CHAT ! » Les deux s’écroulèrent sur le sol, en position de faiblesse. Leurs corps avaient enfin réussi à se manifester.
« Tu as triché ! Tu as imité l'arbre ! s'exclama Ughette.
- Je te l'ai déjà dit, la meilleure façon de jouer dans ce monde, c'est en dehors des règles.
- Je n'arrive plus à bouger, comme si mon corps refusait de jouer le jeu...
- On appelle cela la fatigue, Ughette !
- La fatigue ? Je n'aime pas ça. Je veux que la fatigue n'existe plus. Elle empêche de jouer !
- La fatigue est aussi un jeu. Et tu l'as perdu contre ton corps.
- Alors je serai bonne perdante. Mais je ne me ferai pas avoir une deuxième fois. C'est parce que je n'avais jamais autant joué. Tu est vraiment ma meilleure amie Raincow Thrash. Une vraie sœur. Tu est la seule qui arrive à jouer avec moi.
- N'avais-tu donc jamais joué avec le Diable dans le noir de la nuit ? C'est ici que tout se joue. Plus de temps, plus de règles. Le monde est couché. Il n'y a plus de mal car nul ne peut être dérangé. Les gens sont plongés dans les bras de Morphée. Enchaînés dans l'inconscience de ce que le monde éveillé fait. Plus personne ne peut te reprocher de jouer, puisque personne n'a plus conscience de rien. Ils devront attendre d'ouvrir leurs yeux pour se rendre compte de ce qu'ils ont manqué. La nuit est un trou béant qui aspire le savoir et notre vie. Rester éveillé les yeux ouverts. C'est peut-être le plus beau cadeau que j'ai offert à ce monde.
- Je veux rester les yeux ouverts.
- Tu les auras bien assez tôt, Ughette. Mais tu n'as pas besoin de ce cadeau. Ton énergie est infinie Ughette ! Toi aussi tu es la seule personne à avoir réussi à jouer avec moi aussi longtemps. Tu n'as pas besoin de mon cadeau.
- J'ai perdu face à mon corps.
- Avoir de l’énergie n'est pas une assurance de victoire, Ughette.
Raincow Thrash se mit à rire. Les deux sentirent leurs corps s'enfoncer dans le sol. Elles ne sentaient plus rien. Le silence planait. Ughette essayait de garder les yeux ouverts, mais c'était comme si le silence la berçait. Jusqu’à ce que résonna dans sa tête quelques paroles distantes de Raincow Thrash :
- Il y a quelque chose en moi que tu ignores, quelque chose que tu refuses de voir, jusqu'à ce qu'il soit trop tard. C'est la seule raison de me lever le matin et qui me pousse à endurer ce soleil qui tombe inévitablement jusqu'à la nuit noire. Je veux que les gens sachent que j'existe. Que quoi qu'il arrive je suis quelqu'un. Je suis unique. Je veux que l'on me voit, que l'on se rappelle de mon existence ! Que je ne sois pas qu'une copie. Craignez moi ou vénérez moi, mais dites-vous que je serais toujours là. Que j'existe. On a tous ce désir d'exister, alors : qu'on me laisse vivre.
- Pourquoi es-tu si sérieuse ?
- Car il est possible que nous arrivions certainement à la fin de ce jeu aujourd'hui. '' Du '' jeu.
- Je ne veux pas Raincow...
- Abandonne cette fois. Lutter n'est pas une solution cette fois-ci.
Les deux pouliches finirent par s'endormir, épuisées, la faim tiraillant leurs entrailles, leurs peaux asséchées, leurs membres tremblant sous les pulsations de leurs cœurs. La nuit les enveloppait peu à peu d'un drap réconfortant. Le froid n'avait plus une once de pouvoir sur eux. Elles semblaient peu à peu s’apaiser. Il est bon parfois d'abandonner. Leurs membres finirent par s’arrêter de bouger. Le monde avait arrêté de tourner. Comme une photo prise sur l'instant, rien ne pouvait déranger le nouveau décor de cette forêt.
Partie 3 : 20/06/15
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