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L'histoire d'un roi

Une fiction écrite par Kawete.

Chapitre 1 : La chute d'un royaume

Le roi et Spike progressaient laborieusement à travers les roches coupantes et l’épaisse brume. Ils ne savaient pas depuis combien de temps ils marchaient dans cet endroit où il semblait faire nuit en permanence. Grâce à ses ailes et la légèreté de Spike, le roi avait voulu continuer la traversée en volant mais s’était rapidement ravisé en croisant une masse sombre qui planait un peu plus haut. Cela ressemblait fort à un repaire de dragons. Tâtonner prudemment la zone était alors leur seule option s’ils voulaient avancer au-delà. Alors que leur progression semblait de plus en plus incertaine, la montagne sombre qui se profilait à l’horizon devint plus nette. Ce qu’ils avaient pris pour une formation rocheuse naturelle était en réalité tout autre. L’édifice titanesque aux tours acérées et noires comme la nuit se dressait, menaçant et inhospitalier. De faibles lumières s'échappaient des quelques croisées, étouffées par le brouillard omniprésent. L'atmosphère était tout aussi pesante que le silence qui régnait en ces lieux de désolation. Ils pourraient peut-être passer alentours pour ne pas être surpris par les occupants de cette inquiétante demeure aux allures de forteresse d’obsidienne. Ils avaient le brouillard à leur avantage après tout. Ils devaient avancer par delà l’endroit.

Aux abords du château, ils se retrouvaient à longer des douves naturelles qui stagnaient en dégageant une forte odeur de moisi : nul être sensé n’aurait voulu y tremper ne serait-ce qu’un orteil ! Tout allait pour le mieux, autant que la situation le permettait, lorsqu’un cri strident, suivi de la bête qui le poussait, déchirèrent le ciel. Un dragon gigantesque s’abattait droit sur eux. Le roi se jeta de côté, tandis que Spike moins chanceux, fut agrippé par les pattes crochues et emporté vers le château. Désemparé, le compagnon du petit dragon ne supportait pas l’idée de l’abandonner et vola à la poursuite de l’assaillant.

A hauteur de ce qui évoquait un vaste balcon, Spike fut jeté au sol, rapidement rejoint par le roi qui le prit dans ses bras. A peine voulut-il s'enquérir de l'état de son jeune ami qu'un rire caverneux retentit de l’intérieur. Le bruit de pas lourds s'ajoutait à l'écho de l'esclaffement et dans l'obscurité, se profilait alors une silhouette inquiétante et de plus en plus démesurée : un énorme centaure apparaissait devant eux :

- Les poneys nous envoient-ils des hybrides de leur création ? Un homme dragon et son esclave minable ?

- Je suis Scorpan, roi des contrées du Royaume de l’Est, et toi, qui es-tu pour me parler ainsi ?

Le centaure caressait la tête du dragon qui lui avait ramené les intrus, et tiqua nerveusement à la mention de ce nom.

- Scorpan ?

- N'oses-tu pas t'introduire ? Les rois t’intimident-ils ?

Le roi simulait une assurance qui visait à déstabiliser ce titan qui pouvait l’écraser d’un simple poing et, le cas échéant, le donner en pâture aux monstrueux dragons. La tactique n’était guère des plus ingénieuse mais faute d’échappatoire, il fallait user de toutes ses ressources.

La réaction du géant fut inattendue : il éclata d’un rire fort et sincère, dénué de toute malignité. Comme lorsqu’on fait une blague à un vieil ami, puis il sourit en tendant son énorme main à l’autre, qui resta bouche bée.

Cette réaction tenait du fait que le nom de Scorpan ne lui était pas inconnu, même après tout ce temps. Il se souvenait qu’ils jouaient parfois dans le jardin royal près du puits, qu’ils se chamaillaient souvent aussi, mais entre frères c’était ainsi.

Et il se rappela surtout de ce temps, ce temps qu’il croyait révolu et perdu. Après douze années de caprices et d’entraînement à l’épée, il se souvint qu’il était parti vexé du dîner lors de ce fameux soir, après que son père lui ait refusé, selon les termes du jeune prince, “une nouvelle épée en or avec plein de pierres précieuses”. Il avait quitté la pièce, maugréant de vilaines paroles d’enfant, et trouvé refuge près du vieux puits. Assis sur le froid rebord de pierre, il avait ruminé son caprice encore et encore, lorsque soudain : il bascula. Était-ce dû à son agitation ? La pierre était-elle glissante ? Sans s'en rendre compte il était pourtant tombé, et cette chute sembla durer une éternité.

La réunion de ces deux êtres perdus devait être liée à la destinée. Rien n’arrive pour rien, ni la chute, ni son nouveau corps, et la venue de son frère ne faisait que renforcer cette idée. Il le savait, puisque lui même avait été envoyé sur ces terres afin de régner en maître selon son bon vouloir, sans aucune restrictions. Il en était convaincu, sa destinée…

Il sortit de ses pensées lorsque le roi attrapa finalement la main tendue, après quelques secondes et il reprit :

- Scorpan, regarde toi ! Tu n’es plus le gamin chétif d’autrefois. Quelle assurance ! J’y aurais presque cru si je ne m’étais pas souvenu de ta maladresse et ta couardise d’antan !

- ... Tirek ? S'étonna Scorpan qui peinait à reconnaitre son frère qu'il croyait mort.

- Celui-là même qui hantait tes nuits et volait tes collations durant les ennuyeuses leçons du vieux prêtre ! Tu es sûrement autant impressionné que moi ! S'esclaffa le centaure.

Ils restèrent ainsi à se dévisager un moment, après tant d’années, ils n’espéraient plus se revoir. Tirek était grand : la fourrure noire de son torse et la peau rouge de ses bras, associés à son demi-corps de cheval n’avaient rien d’attrayant. De même que son visage bovin et ses énormes cornes inquiétantes et imposantes. Il avait une étincelle ardente dans les yeux, comme une conviction naissante : ses projets ne pouvaient aboutir qu’avec l’aide de cet arrivant. Scorpan quant à lui avait un corps humanoïde recouvert d’une fourrure brune, bien que ce trait l’apparentait aux singes ; ses mains griffues, son long museau reptilien, sa fine et longue queue et ses ailes de dragon faisaient de lui une chimère surprenante, et quelque peu repoussante. Il était ému, déconcerté aussi. Après tout ce temps perdu à étudier les poneys pour finalement les fuir, il aurait pu parcourir le monde et retrouver son frère bien plus tôt. Mais cela lui importait peu à présent, il était simplement heureux.

Tirek invita son frère à l’intérieur, ils furent suivis de près par Spike dont l’incompréhension et l’inquiétude se lisaient sur les traits. Mais après tout, c’était une occasion inespérée pour eux : ils mourraient de faim et de fatigue et une soirée paisible n'était pas de refus. “Paisible” est ce que le petit dragon se répétait sans cesse pour se rassurer lui-même, car la simple pensée de tous ces dragons se trouvant autour, lui faisait frémir les écailles.

C’est à un grand repas que le maitre des lieux convia son frère. Ils n’étaient que trois à cette table immense : Tirek en bout de celle-ci, dos à l’âtre fumante d’une immense cheminée, son frère à sa droite et Spike un peu plus loin, presque à l’écart. Cette salle était gigantesque, éclairée uniquement par le feu dont l’éclat vacillant distordait à loisir les ombres du repas et de ses antagonistes. Aucun ornement, aucune décoration ne venait égayer cet endroit à l’aspect caverneux. De part en part de la cheminée couraient sur toute la longueur de la pièce de grandes ouvertures en forme d’arches où l’on ne discernait rien d’autre que le noir total. Spike écouta d’abord avec attention les récits d’un passé qui lui était inconnu. Ce que son ami avait pu vivre durant son enfance le passionna, cependant, il n’aimait pas la façon dont Tirek rabaissait sans cesse Scorpan. Il menait son petit frère par le bout du nez à l’époque, mais c’était révolu, il fallait passer à autre chose. Excédé mais pas téméraire, Spike préféra se détourner de la conversation en cours, plutôt que risquer de l’interrompre. Il se contenta simplement de manger les gemmes, présentent en grand nombre mais de piètre qualité, qui se trouvaient devant lui. De temps à autre il avait du mal à avaler son repas quand il entendait les cris stridents d’un dragon, allant jusqu'à couper sa respiration lorsqu'il y en avait plusieurs qui, de surcroit, semblaient se battre tout près. Quel genre de personne pouvait trouver agréable la compagnie de telles brutes ? Tirek, visiblement…

Après ce grand festin fait d’autant d’anecdotes que de victuailles, Tirek en vint aux choses sérieuses, à la raison de sa venue providentielle dans ce monde :

- Oui, moi aussi j’ai remarqué à quel point ces pitoyables poneys empoisonnent ce monde pourtant si accueillant. J’ai moi même essuyé de cuisantes humiliations à mon arrivée. Mais mes chers petits : mes dragons ! Eux, ont su apprécier ma compagnie et reconnaitre ma valeur. J’ai bâtit un empire grâce à eux. Nous sommes ici chez nous à présent. Et ce pays doit être restitué à qui de droit.

- Et qu’est ce qui t’empêche d’accomplir tes grands rêves de conquête, Ô toi, grand monarque divin ?

La boisson, rafraichissante mais forte, ne réussissait pas à Scorpan qui se gaussait du manque de modestie de son frère, en mesurant à peine les paroles fanatiques qu’il proférait.

- Tu en as été témoin : ils usent d’une magie qui, bien qu’innocente au premier abord, peut se révéler bien plus puissante. J’ai été poussé dans mes retranchements mais mon heure arrive bientôt mon frère, et tu pourrais assister à mon avènement ! Toi qui détestes ces êtres autant que moi, tu les connais pourtant mieux que quiconque. Me ferais-tu l’honneur de devenir mon général et associé dans cette grande entreprise ?

- J’en serais honoré ! LEVONS NOS VERRE A L’AVÈNEMENT PROCHAIN ! Ahah Tirek, honnêtement, que vas-tu faire avec des poneys roses et bleus dans ton armée ? Les nommer bouffons du roi ? Clama-t-il en s'enfilant un autre verre.

- Bien sûr que non ! Tonna-t-il ignorant l'ébriété prononcée de son frère.

Il amena sa main sur son torse, où était accrochée une petite sacoche noire ornée de symboles mystiques. Scorpan l’avait remarquée auparavant sans y prêter plus d’attention.

- Ceci est l’instrument de leur défaite. Cette relique ancienne vient des profondeurs de la terre : le l'Arc-en-ciel des Ténèbres les transformera en dragons et ils pourront ainsi servir notre cause !”

Scorpan voulant examiner cette mystérieuse bourse de plus près, se leva précipitamment tout comme son taux d'alcoolémie qui eut raison de lui. Il s’effondra sur la table, tête la première dans l’assiette vide devant lui. Il avait trop bu !

A son réveil, Scorpan n’était pas en grande forme, les yeux ouverts sur un plafond noir et froid, il dût faire appel à toute son énergie pour se rappeler où il était. En tournant la tête sur sa droite, il vit Spike roulé en boule dans un coin de cette chambre en pierre, le plus éloigné de la porte possible. Tout était taillé dans la roche : le lit, les barreaux à la fenêtre, la chaise et le pupitre. Seule la porte avait échappée à cette règle mais le bois abîmé ne venait nullement réchauffer l’atmosphère austère. Il mit du temps à se redresser et vint tituber près de son ami. Il posa la main sur le dos de Spike qui ne manqua pas de sursauter nerveusement :

- AH ! Scorpan, tu m’as fait peur. Est-ce qu’on s’en va ?

- Pourquoi partir maintenant ? Je viens à peine de retrouver mon frère.

- Mais cet endroit est sinistre… Encore plus en sachant ce que ton frère compte faire. Tu vas vraiment l’aider à éradiquer une race entière ?

- Bah ! Il va juste les transformer en dragons, pas les tuer. Ça ne peut pas leur faire de mal après tout, ils sont si stupides et ingrats qu’ils…

- Est-ce que tu t’entends parler ? C’est indigne de la personne que je connais, tu n’as pas le droit de l’aider à accomplir un acte aussi ignoble ! S'insurgea-t-il en lui coupant la parole.

- Spike, ma place est auprès de Tirek et je saurai canaliser sa soif de conquête. Tu ne vas quand même pas me dire que tu es du coté de ces poneys ?

- Mais tu ne comprends pas ! Hier soir tu n’étais plus toi même mais j’ai senti que cet être n’était pas bienfaisant, il ne peut rien t’apporter de bon, il est...

Avant que Spike ne puisse terminer sa phrase, la porte s’ouvrit brutalement sur une sorte d’homme dragon en armure dont l’expression reflétait l’intellect : vide et brute. Il les enjoignit à le suivre auprès de Tirek, leur expliquant qu’il les attendait dans les souterrains. Ils suivirent le garde, ne s’échangeant pas un regard après leur inachevée et houleuse discussion.

Le trajet jusqu’aux souterrains était interminable, personne ne disait mot. De grandes salles, faisant office de paliers, s’enchaînaient les unes après les autres, entre chaque escalier. L’atmosphère était oppressante. Le froid ambiant des hauteurs avait graduellement laissé place à une chaleur étouffante, comme émanant des profondeurs de la terre. Le dernier escalier, moins étroit que les précédents, descendait en ligne droite. Une forte lumière orangée au bas des marches guidait leurs pas.

Spike avait peu à peu oublié sa colère, et se mura dans l’introspection. Il ne voulait pas être ici, se demandant comment il avait pu se faire embarquer dans ce sinistre endroit. Il n’avait pas eu le choix. Il contempla ses griffes, comme pour faire le décompte : il n’avait pu s’échapper de la capture d’un dragon, ne pouvait pas s’enfuir dans des terres désertées, et ne pouvait abandonner son ami aux mains d’un centaure terrifiant. Les dragons... Quand il y repensait, il frissonnait. Il ne voulait plus en voir un seul jusqu’à la fin de ses jours !

Toujours perdu dans ses pensées, il ne s’aperçut pas qu’il n’y avait plus de marches, et perdit l’équilibre. Le corps oscillant sur la gauche, il bascula. Le sol censé le recevoir, et causer une chute sans grande conséquence, s’avéra inexistant. Les yeux grands ouverts, il se voyait déjà au fond de l’immense ravin emplit de lave, sous lui. Dans sa panique il agita les pattes en tout sens, mais se rendit compte qu’il ne tombait pas. Il tourna la tête pour faire état de la situation, et vit Scorpan le tenant par l’une des grandes écailles vertes ornant son dos. Il se contenta d’un regard de gratitude et ils reprirent leur chemin.

Maintenant, Spike se concentrait sur ce qui l’entourait : une caverne au plafond si haut qu’on le distinguait à peine, les chemins sinueux où il marchait, à une dizaine de mètres au dessus d’une épaisse lave en fusion, seule source de lumière. D’immenses formations rocheuses traversaient la grotte à la verticale, elles étaient comme de grosses colonnes irrégulières, semblant soutenir la masse titanesque d’obsidienne, au dessus d’eux. Dans ces piliers, quelques grandes ouvertures sombres, mal dessinées par la corrosion. Spike passa rapidement les yeux dessus, puis son regard détecta un léger mouvement dans l’une des alcôves de pierre. Il se concentra, plissa les yeux : plus rien ne bougeait. Il continua d’avancer, avec un très mauvais pressentiment, scrutant la moindre animation que moirait la lave sur la roche satinée. Tirek attendait au loin, figé tel une statue de colosse, grandissant à mesure qu’ils approchaient.

Ils s’arrêtèrent devant le maitre des lieux qui congédia le garde, puis ouvrit les bras, invitant à la contemplation du lieu :

- Voici, mon frère, l’endroit où tu passeras le plus clair de ton temps ! Venez mes petits, rencontrez votre futur maitre...

Spike ne comprit pas tout de suite, lorsqu’un vacarme assourdissant lui parvint. Il se tourna lentement, dégoulinant de terreur, regardant s’élever des multiples niches, une nuée de dragons. Ils volaient au dessus d’eux, formant un cercle indistinct, faisant penser à un groupe de charognards à l’affût de leur proie. Deux dragons atterrirent près de Tirek et baissèrent la tête. Un signe de respect ? Non, quelque chose chez ces êtres rendait Spike mal à l’aise, ils avaient plus l’air soumis et craintifs.

Scorpan s’approcha d’une des bêtes, la plus petite. Il ne sut déchiffrer la peur et la sujétion dans son regard. Il posa une main bienveillante sur sa tête, sous le regard approbateur de Tirek. Seuls les battements d’ailes frénétiques de l'essaim résonnaient dans la caverne, et ce moment déjà fort étrange, s’éternisait. Scorpan avait sentit une connexion, un lien invisible avec les dragons qu’il ne savait pas encore percer. Tirek, de son coté, était satisfait de la tournure des évènements :

- Bien, s’ils ne t’ont pas encore dévoré, c’est que tu es digne d’eux, comme j’ai su moi même le montrer. Apprends à te faire obéir d’eux, ils seront sous tes ordres dorénavant.

Et il claqua des doigts. Ce bruit eut pour effet la dispersion immédiate de toute l’assemblée volante, un raz-de-marée d’écailles tranchantes, qui alla s’entasser dans les sombres cavités, tel des chauve-souris géantes. Tirek n’avait pas bougé pendant cet époustouflant spectacle, mais Spike et Scorpan, moins rassurés, s’étaient baissés. Puis ils retournèrent à la surface.

Quelques semaines s’écoulèrent depuis cette réunion souterraine, et Scorpan s’était familiarisé avec les dragons. Il pouvait à présent les chevaucher, leur donner des ordres et les nourrir sans finir lui même comme plat de résistance. Il en était venu à apprécier leur compagnie, laissant quelque peu Spike de coté. Ce dernier ne voulait pas rester seul dans le vaste château, et se faisait un point d’honneur de suivre Scorpan comme son ombre, ombre dans laquelle il restait désormais constamment. Pour lui, la peur était devenue une routine, l’annihilant petit à petit.

Après quelques mois, Scorpan considérait les dragons comme ses enfants, ses protégés. Ces bêtes qu’il avait craintes si longtemps s’avéraient être loyales, intelligentes et aimantes. Il les protégeait et les couvait d’une tendresse jusque-là inconnue à ces créatures au sang froid. A tel point qu’elles lui rendaient et l’avaient accepté comme l’un des leurs.

Un jour, comme à son habitude, Scorpan s’occupait des dragons, lorsqu’un garde le convoqua auprès de Tirek. Cela l’irritait que son frère le fasse sans cesse mander comme un sous-fifre au lieu d’aller le quérir lui même, mais il suivit l’homme dragon sans broncher. Le maitre des lieux l’attendait dans la grande salle à manger, assis en bout de table. Scorpan attrapa l’une des nombreuses chaises et s’y installa sans demander son reste :

- Qu’y a-t-il - encore - , mon cher frère ?

- Je vois que tu as pris tes aises en ma demeure. Que dirais-tu de me témoigner un peu plus de respect, à moi, ton aîné et légitime souverain ? Dit-il calmement.

- Voyons Tirek, qu’attends-tu que je fasse ? La révérence ? Se moqua Scorpan en posant allégrement ses pieds sur la grande table.

Tirek joignit ses mains, affichant un large sourire, il s’avança pour déposer ses coudes sur la surface de bois :

- Précisément.

Scorpan riait maintenant aux éclats, mais déchanta rapidement lorsque le centaure claqua des doigts. Un cri perçant retentit presque aussitôt, et de l’une des larges ouvertures apparut un dragon enchainé, trainé par une dizaine de gardes. Il reprit, toujours serein :

- Tu les aimes, n’est-ce-pas ? Ce serait tellement dommage qu’il leur arrive quoique ce soit !

- Relâche-le immédiatement, sinon…

- SINON QUOI ? Tonna Tirek, qui se leva brutalement, écrasant ses énormes mains sur la table. Je t’ai accueilli, nourri, et donné l’occasion de t’élever à mes cotés. Et toi, tu fais de mes troupes tes amis ? Tu t’es amusé assez longtemps. Je vais t’apprendre à me respecter et m’obéir comme il se doit ! Tu veux être l’égal de ces stupides lézards ? ALORS A GENOUX DEVANT TON MAITRE !

Il pointa le sol du doigt, devant Scorpan, qui ne bougea pas. De son autre main, ses doigts claquèrent de nouveau, et sans délai, les gardes serrèrent les entraves autour du cou de l’animal, qui poussait des cris de souffrance. Tirek dévoila son vrai visage dès cet instant. Scorpan bouillonnait de rage, mais chaque instant passé à défier l’ordre de son frère, était une chance de survie amoindrie pour le saurien. Ne supportant plus de voir la bête agoniser, il se résigna et mit un genou à terre. Mais le tortionnaire n’autorisa pas le répit du dragon pour autant, ce qui fit exploser Scorpan :

- Je me suis agenouillé, que veux-tu de plus ? Grinça-t-il.

- Est-ce ainsi que l’on parle à son maitre ?

La chimère serra les poings, les dents, et baissa la tête :

- Relâchez-le... S’il vous plait… Maitre.

Tirek permit que l’on desserre l’étreinte sur l’animal, et il quitta fièrement la pièce, tandis que son frère se jetait sur la pauvre victime, toujours enchainée. Spike s’était tenu à l’écart tout du long, dans l’ombre, et regarda le centaure s’éloigner. Puis, il examina son ami qui était resté là, au sol, près du dragon : il pleurait.

Les jours qui suivirent furent pénibles, l’ancien roi, avili au rang de simple serviteur, suivait rigoureusement tous les ordres qu’on lui donnait. Le moindre écart pouvait être fatal pour ses compagnons, voire pour lui même.

A présent, chaque entrainement était observé par Tirek, qui veillait à ce que chaque maladresse ou raté des grands soldats reptiliens soit réprimandé par le fouet. L’humiliation était le mot d’ordre de cette grande préparation militaire, afin de conditionner les sujets à l'obéissance la plus totale. Scorpan était étroitement surveillé : sa chambre était gardée, ses déplacements suivis de près, et la moindre forme d’affection envers ses protégés, récompensée d’une punition corporelle sévère. Il ne communiquait plus avec Spike. Le petit dragon n’osait plus l’aider et le soutenir, de peur que son ami ne soit puni. Plus les sanctions pleuvaient, plus Scorpan régressait, devenait une autre personne. Il ne pensait plus par lui même, ses actions étaient toutes commandées par son frère, et faire appel à sa mémoire, l’être qu’il était autrefois, droit et avide de connaissance, le faisait souffrir. Alors il avait préféré oublier, se murant dans le désespoir et la servitude.

Le rapt des poneys débuta rapidement. Scorpan commandait les dragons : ils devaient se saisir de tous les équidés du continent. La première fois qu’il lui avait amené les prisonniers, il fut témoin de la puissance de l’Arc-en-ciel des Ténèbres. Les petits poneys, apeurés, étaient alignés devant Tirek qui, ouvrant la sacoche à son cou, laissait s’échapper une poussière noire qui se mouvait de manière menaçante. Elle venait tourbillonner sur sa victime, la recouvrant entièrement, jusqu’au changement de forme total. Les petits poneys sous cette apparence se voyaient directement liés à l’esprit du possesseur de la relique maudite, contraints d’exécuter tous les ordres donnés. De toute évidence, l’artefact n’agissait pas sur toutes les créatures : Scorpan n’en avait pas été victime, ni les dragons nés sur le continent. L’arc-en-ciel des Ténèbres ne semblait exister que dans le but de relier à sa cause les créatures incapables d’accomplir le moindre acte malveillant. Bien sûr, les dragons n’étaient pas un problème avant l’apparition de Tirek, mais leur cœur déjà corrompu par l’avidité et leurs attributs naturels pour l’attaque n'en faisaient pas une menace, mais plutôt des alliés tout désignés.

Tout se déroulait selon les plans de Tirek, les poneys transformés en dragons lui obéissaient aveuglément, et sa puissance grandissait. Durant une mission à l’ouest cependant, dans la Dream Valley*, un événement inattendu vint perturber l’équilibre déjà fragile de Scorpan. Alors que ses dragons accomplissaient leur besogne, l’un d’eux attrapa un être qui n’avait rien d’un poney : un humain. Une jeune fille blonde, coiffée d’un nœud rouge et vêtue d’un accoutrement qu’il n’avait jamais vu auparavant. Les petits poneys luttaient pour l’aider dans les airs, et le dragon finit par lâcher sa proie, qui entama une chute vertigineuse vers le sol. Scorpan ne réfléchit pas, et se lança avec sa monture draconienne à la rescousse de l’enfant, qu’il rattrapa in extremis. Il était confus par ce qu’il venait de se passer, et comme pour se convaincre de la nécessite de sa présence ici, il déclara :

- Vous êtes perdus, bientôt tous les poneys appartiendront à Tirek, le maitre du Midnight Castle.

Puis il s’envola au loin avec son armée et son butin. L’humaine l’avait perturbé, il avait peut-être espéré de l’aide en donnant le nom de son maitre ainsi que celui du château, il était désespéré. Mais comment une petite fille pouvait-elle l’aider si même la magie des licornes s’affaiblissait ? Il cogita quelques jours, tant et si bien qu’il ne ramenait plus autant de poneys que Tirek le souhaitait. A chacune des expéditions, il espérait revoir la petite fille, comme convaincu par le rôle décisif qu’elle devrait jouer pour ce pays. Il fut par conséquent convoqué dans la grande salle du trône : le maitre voulait que les choses aillent plus vite, que sa domination ne tarde plus. Tirek le réprimandait, l’abaissant au plus bas qu’il le pouvait, lançant même l’ordre de le faire fouetter jusqu’à ce qu’il soit capable d’accomplir sa mission au mieux. Lorsque le serviteur qu’était son frère tenta de se justifier, un petit dragonnet inattendu déboula dans la pièce, défendant son ami : Spike affirmait que ce n’était pas la faute de Scorpan, qu’il faisait ce qu’il pouvait, il ne pourrait supporter de le voir une fois de plus maltraité comme une vulgaire poupée de chiffon aux mains d'un enfant cruel. Le maitre, excédé par la petite voix stridente, le fit emporter par les gardes :

- Ce soir, à minuit, l'arc-en-ciel des Ténèbres atteindra son apogée, la nuit éternelle s’abattra sur ces terres. Il faut davantage de poneys sous mes ordres. Si tu ne me ramènes pas ce que je désire, ton petit ami violet pourrait en perdre la tête...

A cet instant, un garde s’immisça près du géant cornu, chuchotant :

- Mon seigneur, des poneys se sont introduit dans l’enceinte du château.

Toute l’attention du centaure était portée sur ces quelques mots, et riant aux éclats, il se tourna de nouveau vers son frère :

- Ahahah ! Parfait ! Scorpan tu...

Mais il n’y avait plus personne agenouillé devant lui.

Scorpan courait dans les longs couloirs. C’était peut-être là sa seule chance de sauver la contrée du joug de ce monstre. Il atteignit la prison où avait été enfermé Spike, et avec une force qui lui était jusque là inconnue, il arracha la grille massive de ses gonds :

- Il sera bientôt minuit mon ami, il faut faire vite.

- Scorpan, je suis si heureux que tu sois redevenu toi même ! Allons-y.

Le temps n’était pas à la discussion, l'arc-en-ciel des Ténèbres allait bientôt libérer sa puissance, et permettre à ses serviteurs de semer la désolation et la terreur sur Ponyland*. Au détour des couloirs, Scorpan assénait des coups violents à quiconque tentait de le stopper. Dans les dédales du château, il tomba par hasard sur les intrus : la jeune fille blonde ainsi que quatre poneys, qui étaient acculés par plusieurs gardes. Il assomma la sentinelle sans grande difficulté, enjoignant le petit groupe de le suivre, afin de les protéger. Ils arrivèrent finalement sur le grand balcon, qui avait autrefois été témoin de la réunion des frères, que tout opposait aujourd’hui. Tirek arriva sur un énorme char, celui-ci, outre ses deux grandes roues sombres, était hors du commun. En forme de gros chien cornu et terrifiant, avec des canines extrêmement longues et acérées, dont les pattes avant et tout aussi tranchantes étaient étirées en position d’attaque. Tiré par de gigantesques dragons, vestiges des pauvres créatures enlevées par Scorpan lui même, le véhicule planait au dessus d’eux grâce à l’attelage qui poussait des râles forts et effrayants. Le vent était violent, annonçant un orage monstrueux. Scorpan s’élança dans les airs, volant à en perdre haleine, bravant les éléments déchainés, droit sur le despote qui brandissait fièrement la relique de destruction, dont il s’apprêtait à libérer le pouvoir. Son assaut échoua cependant, et il rata de peu l’artefact. Tirek en profita pour le frapper violemment au visage, le faisant s’écraser au sol. Spike se précipita vers son ami qui s'était abattu de plein fouet sur le balcon :

- Scorpan, est-ce-que ça va ?

- Tout est perdu, c’est la fin…

La jeune fille, qui avait assisté à cette scène, impuissante, bondit alors sur le dos d’un pégase rose aux crins bleus :

- Non, il n’est pas trop tard ! Déclara-t-elle. Viens Firefly !

Elles s’élevèrent vers l’ennemi. Firefly voletait autour du char autant que le vent le lui permettait, évitant les coups que le colosse assénait en tout sens. Là où Scorpan avait échoué, le duo réussit à déstabiliser le colosse, qui lâcha malencontreusement la petite sacoche. Celle-ci fut passée de gueules en gueules, à qui mieux mieux pour la garder loin du géant. Elle revint finalement à Firefly qui se vit attribuer la mission, par Megan, de la ramener dans la Dream Valley*. Le malheureux pégase fut frappé par l’un des dragons dans sa fuite, haut dans le ciel, et échappa la sacoche. La rage consumait Tirek qui lança son véhicule droit sur l’artefact, et attrapa l’objet de sa convoitise en plein vol au dessus de ses ennemis. Il déchaina alors son courroux, au dessus des tours du Midnight Castle. L'orage lançait maintenant des éclairs fulminants, déchirant l'obscurité dans un fracas assourdissant. C’est alors que l’humaine se saisit de son pendentif, un petit cœur rouge au bout d’une chaine dorée, qu’elle ouvrit en deux. Il s’en échappa un fin arc-en-ciel, fluet et maladroit, qui virevoltait au gré des vents violents, Firefly s’exclama :

- Megan, ça ne fonctionnera jamais, l’Arc-en-ciel de Lumière est trop petit…

Le Rainbow of Darkness, lui, commençait sa course au dessus d’eux, il s’abattait tel une tempête de sable noir sur le balcon, et vint engloutir le petit arc-en-ciel en son sein. Tout semblait perdu, lorsque le souffle maléfique commença à se distordre, comme gêné dans ses mouvements. La tempête chaotique changea de forme, pour peu à peu dessiner un demi cercle immense, à quelques pas du petit groupe, désormais entouré de gardes qui s'entassaient sur le grand balcon. D’un noir sombre comme une nuit sans étoiles, les bases de l’arche commencèrent à s’imprégner de couleurs vives et chatoyantes, jusqu’à se faire entièrement absorber, repoussant instantanément les serviteurs du mal. Maintenant vif et grand, l’Arc-en-ciel de Lumière fonça sur Tirek à une vitesse fulgurante, l’enveloppant de toute sa puissance, le faisant disparaitre dans une explosion de couleurs, au dessus des nuages orageux.

L’arc-en-ciel magique continua ensuite son œuvre. Les dragons qui tiraient le char démoniaque tombèrent inanimés, mais à quelques centimètres du sol il lévitèrent lentement, reprenant leur apparence originelle : des poneys. Quant aux hommes dragons présents en grand nombre, mais sonnés par le choc de l’explosion magique, ils se transformèrent en de splendides oiseaux et papillons pirouettant gaiement autour de leurs sauveurs.

Tout reprenait son cours, sa forme, même le château disparut, laissant place à un magnifique bassin verdoyant où coulait paisiblement un ruisseau. Toutes traces du Midnight Castle avaient disparu, les petits poneys avaient triomphé grâce à l’aide de Megan, et ils se réjouissaient tous de cette victoire. Cependant, une lumière aveuglante vint frapper Scorpan, stoppant la liesse de l’assemblée. Il sentait son corps changer : il se transformait en humain.

Scorpan contemplait son corps de jeune homme depuis longtemps oublié. L’assemblée l’examinait, perplexe : pourquoi son apparence et celle de son frère avaient-elles changé, tandis que Megan, comme tant d’autres enfants auparavant, avaient conservé leur apparence ? Après une courte discussion et beaucoup d’incompréhension, Megan proposa à Scorpan de rencontrer Mr Moochick, le gnome qui lui avait confié l’Arc-en-ciel de Lumière. Il était très tête en l’air, c’est vrai, mais possédait des connaissances sans limites. Le petit groupe composé de Megan, Scorpan, Spike et Firefly ; s’enfonça dans la forêt vers le petit village champignon de Mushromp*. Les gnomes étaient sages et avisés, et selon les dires, immortels. Il était rare de rencontrer cette race ancienne, la plupart du temps en sommeil, ou cachée au fin fond de contrées inhabitées, afin d’éviter d’être mêlée aux conflits inhérents aux autres races. Et peut-être aussi parce qu’ils étaient d’éternels incompris !

A leur arrivée, Mr Moochick les accueillit, comme s’il attendait leur venue. Son étrange et long chapeau tombant était vert, tout comme le reste de ses vêtements. Bien plus petit qu’un poney, sa grande barbe blanche semblait démesurée, et il se plaisait à arborer deux petites oreilles de lutin factices sur son couvre chef. En bref, c’était un personnage étrange, qui s’exprimait de manière très énigmatique aussi :

- Bien, bien, bien, vous avez réussi. Vous avez réussi, n’est-ce-pas ? Oui, bon, très bien. Vous cherchez vraiment les réponses à ces questions ? Oui, évidemment, c’est nécessaire.

Personne ne comprenait le charabia de Mr Moochick, qui semblait s’adresser à un auditoire invisible. Mais Scorpan désirait plus que tout son attention :

- Un instant je vous prie. De quelles questions parlez-vous, nous ne vous avons encore rien demandé.

- Oui. OUI ! Je sais pourquoi vous êtes là. Par qui on commence ? Du thé ?

Scorpan ne savait plus quoi penser. Est-ce que ce dément savait vraiment tant de choses ? Ou bien n’était-ce qu’un simple d’esprit vivant dans une maison champignon ? Il voulait en être sûr :

- Savez-vous qui je suis ? D’où je viens ?

- Ah mon bon roi, votre royaume est bien loin, ici vous n’êtes plus qu’un homme. Enfin, si je puis dire, hier vous n’étiez même pas mi-homme. Est-on demain ? Dit-il pensif, à l’intention de son lapin de compagnie, Habbit, qui venait rencontrer les invités.

Scorpan était troublé : pour une phrase véridique et omnisciente du gnome, une phrase loufoque suivait irrémédiablement. C’en était assez, il fallait jouer franc jeu :

- Pourquoi ai-je été transformé en bête hideuse ? Comment moi et mon frère sommes arrivés ici ? Qu’est-il advenu de Tirek ? Et comment puis-je retourner chez moi ?

Le roi n’avait même pas pris le temps de respirer entre chaque question, et fixait Moochick avec attention. Celui-ci sirotait un thé… sorti de son chapeau ! Après une gorgée, il observa son interlocuteur :

- Bienvenue, vous êtes ?

- Scorpan ! Est-ce que vous vous moquez de moi ? Interrogea-t-il, perdant patience.

- Il fallait que je trouve… Un livre, oui. Bien. Qu’est ce que je cherchais déjà ?

Alors qu’il farfouillait dans son grand chapeau, visiblement magique, vu les objets qui en sortaient à profusion, Habbit tira sur la veste de son maitre, qui se tourna vers lui :

- Habbit, laisse-moi donc, j’ai perdu un bouton. Lança-t-il en retournant à sa fouille.

Le lapin insista et tira de plus belle sur l’étoffe, pour avoir l’attention du gnome, il avait un livre sous le bras. Le petit lapin gris était agacé et commença à agiter le bouquin à bout de bras, lançant des petits glapissements et couinements frénétiques. Megan intervint, soulageant apparemment Habbit :

- Ce n’est pas ce livre que vous cherchiez ? Interrogea-t-elle en pointant l’objet du doigt.

- Ah le voilà, je savais bien qu’il était là ! Il l’arracha des pattes de l’animal, et exulta tout en tournant les pages de l’ouvrage massif. Bien, oui, c’est là. Non, non, ailleurs...

Après plusieurs minutes, l’assemblée s’ennuyait terriblement : Spike contemplait un champignon aux étranges couleurs, Firefly comptait ses plumes et Megan somnolait presque. Alors que Scorpan sombrait dans le désespoir, Moochick le fit sursauter :

- Ah ! Nous y voila ! Je note toujours tout, avant d’oublier. Quand j’y pense seulement. Alors, alors. Scorpan ! Tu viens d’un monde bien lointain, conquis par les humains lui aussi. Vous poussez aussi vite que des champignons vous autres ! Ton monde est bien curieux et il y subsiste même quelques créatures magiques. Je peux t’y renvoyer. Ton apparence est le résultat de ton passage dans un portail… Oui, voyons, vous raconter comment il est arrivé là n’a pas grande importance. Et pour ce qui est de votre transformation, vous le devez à l’Arc-en-ciel de Lumière qui a annulé cet effet secondaire en faisant tout rentrer dans l’ordre.

- Mais Megan est humaine ici…

- Oui, c’est exact. Votre espèce est la même, mais le portail menant à la Terre transite bien plus rapidement ! Ils ont d’ailleurs évolué bien plus vite que vous, là-bas. Pour votre frère, l’Arc-en-ciel a décidé plus sage de le renvoyer d’où il venait, il est sain et sauf. Inutile de vous préciser qu’il n’est plus le bienvenu !

Moochick se frotta la tête, regarda autour de lui, et s’installa sur un gros champignon moelleux et démesuré. Scorpan ne s’en soucia guère, il méditait sur tout ce qu’il venait d’entendre :

- Si Tirek est de nouveau au royaume, il se pourrait qu’il essaie de reprendre le pouvoir. Je dois l’empêcher de causer plus de tort. Je dois partir...

Il se tourna vers Spike qui, le regard humide, retenait des flots de tristesse. Il vint enlacer le petit dragon :

- Mon ami, jamais je ne t’oublierai. Ma place n’est pas ici, et tu as maintenant trouvé des amis. Il regarda Firefly. Vous prendrez grand soin de lui, n’est-ce pas ?

- Sans aucun problème ! Répondit sans hésiter le pégase.

Les adieux durèrent un long moment. Spike pleura à grosses gouttes, Megan et Firefly le remercièrent de les avoir aidés au château et lui souhaitèrent bon voyage. Quand il fut fin près, Scorpan l’indiqua à Moochick, qui attrapa un grand bâton de bois noueux, le faisant tournoyer. La magie opérait et l’objet s’illuminait, le gnome eut juste le temps de dire ceci, avant que le roi ne s’évapore complétement :

- Immerge-toi entièrement.

Lorsqu’il eut disparu, le gnome se frotta de nouveau la tête, nerveusement cette fois-ci. Ses visiteurs, au nombre de trois à présent, s’éloignaient déjà, lui faisant de grands signes d’au revoir. Il se tourna vers Habbit, confus :

- C’est terminé ici pour le moment. Prépare mes affaires, nous retournons à Equestria...

***

Le décor avait changé du tout au tout en moins d’une seconde. Scorpan était maintenant dans une grotte particulièrement étonnante, devant un lac qui brillait de couleurs inhabituelles : un blanc laiteux reflétant des nuances de violet et de rouge. Le seul moyen de se rendre dans cet endroit devait être la magie, car l’ensemble de la caverne était un dôme de pierre lisse et brillante, creusé dans un seul bloc et ne comportant aucune issue. Avec les derniers mots du gnome en tête, il entra dans le petit lac jusqu’à hauteur du torse, et prenant une grande inspiration, il se laissa tomber au fond du liquide blanc.

Tomber sans fin, il n’avait pas ressenti cela depuis son arrivée à Ponyland. Cependant, à l’inverse de son dernier “voyage”, qui s’était déroulé dans le noir le plus total, il vit une petite source de lumière indistincte, allant et venant au rythme de pulsations régulières. Il lui semblait qu’elle grandissait, qu’elle se précisait. Il distingua des couleurs, un peu de jaune d’abord, du rouge, puis du rose et du violet ainsi que du bleu et du vert… Un arc-en-ciel, ici, dans un néant sans contours et sans vie. Il se sentit attiré par lui, comme s’il l’appelait. Puis, sans en avoir le choix, il fut happé.

Il ouvrit les yeux sur un ciel sans nuages, il était allongé. En redressant son buste et sa tête pour se relever, il vit la fourrure brune familière qui l’avait recouvert si longtemps : Scorpan était de nouveau une chimère. Il voulut injurier le mauvais sort que lui jetait le destin, mais son regard fut attiré par un petit coffret gisant tout près de lui. Il était de belle fabrique, en bois clair, et orné de deux symboles : un soleil et une lune. Impossible de l’ouvrir, il se mit à forcer l’ouverture à mains nues, à cogner une pierre dessus, faire levier entre le sol et son pied griffu : rien, pas même une égratignure. Il s’assit, épuisé par toutes ses tentatives vaines, et observa autour de lui : “mais où suis-je ?”.

Face à lui, un paysage montueux s’étendait à perte de vue , il se trouvait à un point culminant, en plein centre d’une chaîne de montagnes : certaines escarpées, d’autres enneigées, ou bien couvertes d’une végétation dense. Comment sa contrée avait-elle pu changer à ce point ? Les grandes montagnes du nord, là d’où il venait, étaient constamment couvertes de neige, il ne pouvait s’agir de son royaume. Il voulut se relever et partir à la recherche de la civilisation, mais ressentit une douleur vive à la tête, puis s’écroula, inconscient.

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Note de l'auteur

* Carte de Ponyland (à gauche) : [lien]

Je tiens à remercier lnomsim et Kuroko.

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