2-Les stigmates de l'éveil

C'est une étrange sensation, je ne saurais dire si je tombe ou si je flotte dans ce monde, peut-être suis-je déjà sur le sol. Il faut que je me reprenne et que je comprenne où je suis pour me repérer et trouver mon chemin ici. Je suis aveuglé par la blancheur de l'endroit qui m'entoure J'aperçois une silhouette dans ce désert blanc, elle se rapproche rapidement, je la reconnais c'est l'alicorne morte de Salt. J'aimerais pouvoir lui parler mais quelque chose m'en empêche alors qu'elle ouvre lentement sa bouche pour me dire :

« Tu as décidé d'ouvrir la boîte de Pandore alors soit ! Je te montrerai ce qu'il t'adviendra car maintenant tu es condamné tout comme moi, j'espère que tu réussiras là où j'ai échoué. Tu seras le sauveur et l'assassin de notre monde, tu mourras et de tes cendres ce monde renaîtra. Mais maintenant, va et rencontre le destin. »

D'un geste fulgurant sa main toucha ma tête et un flash se produisit dans un éclat sombre et le décor changea. Je n'étais plus dans un désert. J'étais à présent dans une bibliothèque, assis dans un fauteuil. Devant moi une longue table avec divers mets odorants se déroulait sur plusieurs mètres et surtout face à moi se trouvait une licorne qui me dévisageait avec l'air de chercher quelque chose sur mon visage. D'une voix étrangement monocorde, elle s'adressa à moi :

« Appétissant n'est ce pas ? Vous ne trouverez pas de meilleurs de saveurs dans tout Equestria, on a tous besoin d'un peu de plaisir parfois, vous savez. J'ai appris que vous autres aimiez les plaisirs de la table. J'avoue ne pas connaître personnellement ce monde mais chaque jour, je lis ces livres que vous voyez tout autour de nous. J'ai acquis une connaissance encyclopédique de votre univers et j'essaie de comprendre vos usages. Mais parlons-donc de toi. »

Cette apparition étrange m'intriguait : « Qui êtes vous ? Où suis-je ? Je ne comprends pas.

- Ce n'était pas la réponse que j'attendais mais tu as sans doute raison, je devrais me présenter. Je suis Littera Inkwell, gardienne des secrets, témoin du commencement et de la fin de cet ère. Cette bibliothèque est la mémoire du temps, ici tous les détails du passé ou de l'avenir sont regroupés mais j'y reviendrai plus tard. Maintenant, à toi de répondre à ma question. Qui-es tu ?

Son regard perçant sembla fouiller mon esprit et je ressentis une forme de gêne. Ses explications me semblaient tout aussi incompréhensibles que sa présence et la mienne dans ce lieu.

- Je ne comprends toujours pas mais mon nom est Searing Wound, capitaine du Hopeless...

- C'est bien, tu connais ton présent mais ça je le sais, je voulais plutôt avoir accès à ton passé.

- Mon passé ? Tout ce que je sais sur moi, c'est que je suis né dans un endroit lointain et encore bercé par le soleil. Je ne connais pas les membres de ma famille excepté mon grand-père qui aurait été un grand ingénieur reconnu à l'époque Immémoriale.

- Es-tu réellement sûr de cette information car c'est important ?

Ses questions jetaient le doute dans mon esprit. Je ne comprenais toujours pas l'intérêt qu'elle portait à l'histoire de ma famille. Je répondis en hésitant : « Oui, enfin je crois. C'est vraiment très lointain, vous savez.

- Eh bien, Searing nous nous reverrons dans un futur proche, il y a des choses que tu as besoin de savoir. Fais attention à tes fréquentations, il serait dommage de tout faire rater. »

J'eus à peine le temps d'essayer de décrypter ce message incompréhensible qu'une violente sensation de suffocation s'empara de moi puis une sorte de paralysie gagna ma tête puis mes membres et me fit tomber sur le sol. La sensation persista puis se réduisit petit à petit et lorsqu'elle fut partie, je ne me trouvais plus dans la bibliothèque, j'étais dans ma cabine mais pas au sol, j'étais dans mon lit et le Codex était à sa place dans le coffre. Je ne parvenais pas à savoir si ce que je venais de vivre était réel ou s'il s'agissait simplement d'un rêve. J'étais dans un état de confusion complet. La porte s'ouvrit avec violence. Me tirant de ma réflexion, Burn Flesh fit irruption dans ma cabine en hurlant :

« Searing debout, on arrive bientôt à Maltzbourg ! va falloir faire l'inventaire du cargo. Searing... !? »

Burn Flesh se figea à l'instant où il me vit, il tremblait et il commença à reculer progressivement. Son visage décomposé commençait à me paniquer.

« Qu'est ce qu'il y a ? Qu'est ce que j'ai ? J'ai besoin de savoir.

Son regard scrutait avec effarement ma tête. Au fur et à mesure qu'il détaillait ma figure, je voyais littéralement la terreur s'emparer de lui.

-Searing, tu portes les... les stigmates des machines de l'Eveil.

Ses paroles me sonnèrent, je ne pouvais pas accepter cette fatalité qui m'assommait à la manière d'un marteau qui s'abattait sur ma pauvre existence.

-Quoi !? Non, non , non c'est impossible pas moi, tout sauf ça. »

J'avais entendu parler de cette calamité. Les stigmates des machines étaient une sorte de maladie assez méconnue car personne ne savait pourquoi on les attrapait et comment on les soignait, on savait juste que les explorateurs des mers du Sud en étaient parfois atteints. Ils inspiraient la terreur car promettaient à qui les attrapait une mort certaine et une existence de souffrance. Semblable à des tatouages luminescents et tentaculaires brûlant la peau, ils progressaient chaque jour à la manière de la peste sur le corps du malheureux porteur.

Flesh me regardait avec pitié, je le voyais chercher ses mots pour me rassurer.

- On se laisse pas abattre Searing, on va trouver un quelque chose. Pour l'instant protège ton visage, personne ne doit savoir que tu portes les stigmates sinon aucun port ne nous laissera accoster. »

Son sens pratique m'étonnait toujours, il me fit revenir de ma stupéfaction mais je continuais à m'interroger.

- Je sais... Putain ! Pourquoi moi ? j'ai pourtant rien fait.... ».

Mon cerveau fonctionnait à mille pour cent, les connexions semblaient se rétablir. Je tentais de comprendre :

-Bordel ! Le codex !!

-Qu'est ce qu'il y a ?

- Le codex je l'ai ouvert, je me suis évanoui et je me suis réveillé avec les stigmates. » Petit à petit, les morceaux du puzzle se mettaient en place, je trouvais des réponses à mes questions, mon cerveau fonctionnait enfin. Les liens se faisaient entre tous les événements dont j'avais été témoin et acteur.

Flesh me regardait intrigué :

- Tu veux dire qu'il y a un rapport entre les machines de l'Eveil et le Codex ?

- Je voudrais en être sûr. Dis moi, tu as déjà vu une machine de l'Eveil ?

Le nom « machine de l'éveil » sonna comme un glas dans les oreilles de mon compagnon, d'un air désabusé, il me lança : « Personne n'est assez con pour aller voir la mer de l'Aube surtout depuis le conflit avec les changelins ! Mais tu m'expliqueras plus tard... Pour l'instant, il faut parer au plus pressé, on va voir si on peut retarder les stigmates. En attendant cache tes marques avec ces bandages. » Il me tendit une bande grisâtre assez crasseuse qu'il venait de trouver dans la boîte à pharmacie du bord.

- Peut-être qu'on trouvera de l'aide à Maltzrow.

- Je l'espère vraiment. 

Il y eut ensuite un moment de flottement très étrange quasiment funèbre, nous réfléchissions sur la tournure des événements ces derniers temps. Alors que nous étions perdus dans nos pensées, la porte s'ouvrit avec fracas et l'ingénieur du navire, Tireless Wrench, arriva avec l'air effrayé.

- Capitaine ! j'ai envoyé un matelot vérifier les moteurs car un bruit étrange était audible depuis le pont. Le mousse n'est toujours pas revenu.

- Depuis combien temps ?

- Plus d'une heure je pense. On devrait aller vérifier, je m'inquiète pour lui. » La situation était en effet assez critique. Il fallait réagir et vite !

- Burn Flesh avec moi, on va aller voir. Regroupez-vous tous ! »

Le matelot semblait particulièrement angoissé, il nous regarda comme si nous n'allions pas revenir vivants. « Faites attention à vous ! Qui sait ce qui lui est arrivé ! » et il se dirigea vers le pont en appelant ses camarades.

Tous les matelots ainsi que les officiers s'étaient regroupés. Tous avaient un visage grave, les rangs s'animaient de chuchotements inquiets, chacun racontant une version différente de la disparition de leur ami et proposant une hypothèse personnelle sur ce qui était arrivé au matelot disparu. Lorsque j'arrivai sur le promontoire, tous se turent attendant un ordre.

« Bien maintenant avant que nous descendions mon confrère et moi dans la cale, avez-vous quelque chose à dire pour faciliter la recherche ?

Un de mes hommes s'avança et cria d'une voix claire :

- Moi !! J'étais dans les quartiers en train de chercher mes lunettes lorsque j'ai entendu un bruit sourd suivi d'un cri étouffé. C'était au niveau de la cale 3° pont inférieur».

Un murmure traversa les rangs, l'angoisse était palpable. Tout semblait indiquer que l'homme avait été attaqué ou assommé. Je rassurai mes hommes.

« Nos armes sont chargées et nos sabres sont prêts, d'autres infos ?

- J'ai entendu une histoire à propos de noyés revenant hanter ceux qui vivent encore à la surface de l'Ignatus. Ils ont peut-être enlevé notre gars. »

La voix était mal assurée, le pégase ressemblait à un petit enfant. Toujours se méfier des légendes ! Les marins sont superstitieux, les miens n'échappaient à cette règle. Il s'agissait de reprendre la situation en main en restant le plus rationnel possible sans fâcher leur susceptibilité.

« J'ai entendu cette légende de nombreuses fois à terre... mais pour l'instant, pas le temps de chasser les revenants. Organisons-nous Flesh et moi, nous partons à sa recherche dans la cale. Vous autres, restez sur le pont supérieur »

La cale du navire était un endroit terrifiant et très peu utilisé. La plupart des choses que nous transportions restaient sur le pont, seuls les ingénieurs descendaient parfois pour aller vérifier l'état des moteurs mais généralement ils en ressortaient très rapidement. Les moteurs étaient rarement vérifiés, leur système était fiable et pouvait être contrôlé à distance. Une atmosphère pesante régnait dans ce niveau inférieur. L'endroit était déserté par tous. Alors que nous descendions un à un les étroits escaliers, un détail m'alerta, jamais on n'envoie un homme seul en cale.

Pourquoi Tireless n'est pas descendu avec ce mec ? Un silence gêné répondit à ma question. Finalement Flesh un peu mal à l'aise finit par expliquer dans un rire jaune.

- Cet endroit lui file les chocottes, il a pas voulu descendre avec le gamin....

Je fulminais. Tous des peureux ! Il me fallait réfléchir à une sanction mais la vie du marin était en danger, je réglerai ça plus tard. Au fur et à mesure de la descente qui me paraissait interminable, l'atmosphère devenait plus irrespirable mais surtout sinistre. La lumière manquait.

- Pourquoi fait-il aussi sombre ici ?

- Personne n'a osé changé les ampoules depuis.... Oh merde ! 

Mon comparse était tombé comme en arrêt devant une scène repoussante et terrible. Une énorme tâche de sang inondait le sol à nos sabots. Des éclaboussures du même sang étaient visibles sur les murs alentours comme si une force phénoménale avait fait exploser un ballon de sang. Toutes les traces menaient vers la porte des machines. Prostrés, sans un mot, nous nous dirigeâmes vers la porte qui nous résista. Nous la défonçâmes à coups de barre à mine. La porte ouverte, un spectacle étrange s'offrit à nous. Tout était en ordre. Pas une trace de sang, les moteurs étaient intacts. Seul un cercle était visible sur le sol, il était semblable à mes stigmates, fluorescent, tentaculaire, il était constitué de lignes courbes qui s'entremêlaient tels des serpents autour d'un axe. Au centre du cercle, un carnet attira mon attention. Je me penchai pour l'examiner. Il était fait d'une matière indescriptible, on aurait dit un cuir noir comme solidifié. Pendant que j'étudiais l'objet, Flesh poursuivait ses recherches dans chaque coin de la pièce. Intrigué, j' ouvris avec précaution le carnet.

« EXPEDITION : 252,232 Journal de Bord.

Aujourd'hui les machines de l'éveil ont appelé une nouvelle fois et nous avons encore répondu avec un sacrifice qui n'a pas suffit à les contenter. Leur fureur grandit de jour en jour malgré les nombreux rituels. Nous avons interrogé le Memento Mori pour nous aider mais son œil infernal continue à rester fermé. Cette nuit, j'ai encore entendu des murmures à l'intérieur de ma tête, je crois que je lutte contre moi-même pour ne pas rejoindre la machine. Beaucoup de gens ont pensé à partir à la surface avec la construction du dirigeable, ils ne comprennent pas l'importance de notre mission ici. J'aurais aimé..... » Les derniers mots manquaient, l'écriture était soignée, pas de signe de précipitation mais la page suivante manquait. Le carnet ne comportait qu'une seule page comme si les autres avaient été arrachées. Burn Flesh me regardait en attendant une réponse que je ne pus lui fournir malheureusement. Nous cherchâmes une dernière fois une quelconque trace du matelot, sans succès. Pas trace non plus des autres pages du carnet. En retournant dans l'entrée, les traces de sang avaient disparu. Nous restâmes muets un instant. C'était incompréhensible. Flesh, réactif comme à son habitude, fut le premier à s'ébrouer.

« Qu'est ce qu'on fait Searing ?

- On évite d'en parler, on va pas inquiéter tout l'équipage, ils sont déjà sur les nerfs parce que la recherche a duré plus de temps. On dira qu'il est à l'infirmerie.

- Sa disparition est carrément étrange. Je n'y comprends rien ! Tu crois que c'est encore lié au Codex.

- Peut-être... Je sais pas trop quoi penser. » Je restai perplexe, plongé dans mes pensées.

« Eh ! Hurla-t-il, il est temps de retourner à Canterlot.

- Je sais, je sais, je commence à être fatigué de tout ça. »

Après quelques long soupirs de fatigue, nous sortîmes de la cale pour annoncer qu'il ne s'était strictement rien passé, le marin était blessé, confiné dans la cabine de l'infirmerie avec interdiction totale d'entrer en contact avec lui. Beaucoup se doutèrent du mensonge, je le vis à leur moue dubitative mais il leur fallait se contenter de cette explication même sommaire, nous ne pouvions faire mieux pour l'instant. Flesh leur rappela les ordres et de mon côté, je rejoignis ma cabine. J'avais besoin de me reposer tranquillement, la douleur des stigmates devenait plus intense, elle m'épuisait et j'avais besoin de réfléchir sur la vision du Codex. Mon lit me parut le plus beau cadeau de la journée, je m'y installai confortablement. Mais le carnet occupait plus encore mon esprit. Je le sortis de la poche intérieure de mon habit où je l'avais caché du regard de l'équipage. Sa couverture noire abyssale était si mystérieuse. Sa contemplation me fit sombrer dans une sorte de torpeur. Mes membres étaient lourds, ma tête devint pesante. Le sommeil me gagnait. Au moment où je sombrais dans un repos presque apaisant, une voix forte retentit :

« MALTZROW EN VUE !! »